La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse fixe les limites au principe de la liberté d’expression notamment au travers de la définition des infractions pénales de la diffamation et de l’injure.
Ainsi, l’injure est constituée par « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ».
Pour mémoire, selon l'article R621-2 du code pénal, « l'injure non publique envers une personne, lorsqu'elle n'a pas été précédée de provocation, est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe ».
De plus, le code du travail organise expressément le principe de la liberté d’expression au travail.
Ainsi, l’article L2281-1 du Code du travail dispose que : « les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail ».
L’article L2281-3 du Code du travail dispose que : « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement ».
Il n’en demeure pas moins que les injures proférées par un salarié à l’encontre de sa hiérarchie, de son employeur ou de son patron constituent une faute susceptible de donner lieu au licenciement du salarié.
Le 28 avril 1994, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que le droit d'expression des salariés sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail s'exerce seulement dans le cadre des réunions collectives organisées sur les lieux et pendant le temps de travail. L'envoi d'une lettre par un salarié à son employeur contenant une appréciation injurieuse sur son supérieur hiérarchique ne peut légalement ni constituer l'usage de ce droit d'expression ni entrer dans l'exercice normal de la liberté d'expression du salarié. –(Cass. Soc., 28 avril 1994, N° de pourvoi: 92-43917)
Plus récemment, le 17 novembre 2011, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que, en cas de licenciement pour faute d'un salarié à qui il est reproché d'avoir proféré des injures, l'employeur doit justifier les mots prononcés par le salarié susceptibles d'être qualifiés d'injures dans la lettre de licenciement ou au moins par une attestation (Cass. Soc., 17 novembre 2011, N° de pourvoi: 10-17515).
En l'espèce, M. X a été engagé en qualité de vendeur par une société puis licencié pour faute grave par son employeur.
La lettre de licenciement était rédigée en ces termes :
"Monsieur,
Au cours de l'entretien préalable en date du 27 mars, nous vous avons demandé de vous expliquer sur les agissements dont vous avez été l'auteur, à savoir : des injures à l'égard d'un supérieur hiérarchique.
Ces faits constituent une faute grave. Nous sommes donc contraints de mettre fin à votre contrat de travail, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre entreprise."
Le salarié a intenté une action devant le conseil des prud'hommes pour faire constater pour son licenciement était sans cause réelle et sérieuse et obtenir en conséquence la condamnation de son employeur au paiement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et compensatrice de préavis.
Selon l'employeur, la lettre de licenciement était suffisamment motivée si elle énonçait un grief matériellement vérifiable, qui peut être précisé et discuté devant les juges du fond et que tel est le cas de la lettre de licenciement qui fait grief au salarié d'avoir émis des " injures à l'égard d'un supérieur hiérarchique ".
De plus, était produite aux débats une attestation aux termes de laquelle un témoin certifiait avoir assisté à une violente altercation suivie d'insultes de la part de Monsieur X à l'encontre de son supérieur.
Malgré cela, les juges de la Cour d'appel d'Agen ont décidé que la lettre aurait dû encore préciser " les mots prononcés susceptibles de constituer des injures " ainsi que " la date précise des faits " et encore " le nom de la personne prétendument insultée ",
La cour de cassation a jugé que :
« la cour d'appel, qui a estimé que ni la lettre de licenciement, ni l'unique attestation produite aux débats ne lui permettaient de connaître les mots prononcés par le salarié susceptibles d'être qualifiés d'injures, a retenu que l'employeur ne rapportait pas la preuve qui lui incombe de faits rendant impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise et constituant une faute grave et n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, pour décider que le licenciement ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse ».
Il ressort de cette décision que, en cas d'injures du salarié envers sa hiérarchie, la validité du licenciement pour faute est conditionné notamment à l'envoi ou la remise d'une lettre de licenciement ou la production d'une attestation dont les termes doivent être précis, c'est à dire qui précise les mots prononcés susceptibles de constituer des injures, la date précise des faits et le nom de la personne prétendument insultée.
À défaut, les juges considéreront qu'aucun fait précis et circonstancié n'est susceptible de justifier le licenciement et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ouvrant droit à une indemnisation financière du salarié.
Enfin, le 16 décembre 2011, la cour d'appel de Douai a considéré que, la formule d’un salarié, en CDD, sur son mur Facebook selon laquelle sa direction est composée "de belles baltringues anti-professionnelles." caractérisait « des propos diffamatoires ou injurieux tenus par un salarié à l'encontre de l'employeur ne constituant pas un événement irrésistible ou insurmontable faisant obstacle à la poursuite du contrat, cette rupture ne procède pas non plus d'un cas de force majeure ».
La Cour d’appel de Versailles rendra incessamment sous peu son arrêt dans l’affaire du licenciement des salariés d’Alten pour injures de leur hiérarchie sur le site internet de Facebook.
La cour de cassation fixera certainement cette année les limites du droit d’expression des salariés sur internet afin d’harmoniser les différents points de vue des Cours d’appel sur ce sujet.
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Anthony Bem
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