Le 22 septembre 2020, la Cour d’appel de Poitiers a jugé que le cautionnement donné en garantie du paiement de loyers commerciaux est nul s’il est disproportionné aux revenus et patrimoine de la caution. (Cour d’appel de Poitiers, 2e Chambre Civile, 22 septembre 2020, n° 19/01074 )
En l’espèce, une SCI a concédé un bail à une société pour la location de locaux commerciaux.
Le gérant de la société s’est personnellement et solidairement porté caution solidaire du bon paiement des loyers de la part de la société.
Par courrier recommandé, la société preneuse à bail s’est prévalue de la résiliation du bail à l’expiration de la première période triennale
L’appel des loyers étant demeuré impayé, de même que le rappel de charges, la SCI bailleresse a adressé une relance à sa locataire incluant le montant de la pénalité de retard contractuelle.
Le Tribunal a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société preneuse à bail et la SCI bailleresse a assigné la caution devant le Tribunal de Grande Instance aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer l’arriéré de loyers.
Par jugement, le Tribunal de Grande Instance de la Rochelle a fait droit à cette demande.
La caution a utilement interjeté appel de cette décision en faisant valoir notamment la disproportion de son engagement.
En effet, en vertu de l’article L 341-4 (devenu L332-1) du Code de la consommation :
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».
Selon la jurisprudence unanime, le créancier professionnel n’est pas limité à la sphère des établissements bancaires et organismes financiers accordant de manière habituelle des prêts, mais s’entend de tout créancier, personne physique ou morale, se prévalant d’une créance née dans l’exercice de sa profession ou qui se trouve en rapport direct avec une activité professionnelle.
En l’espèce, la SCI bailleresse, qui a pour objet la gestion d’un patrimoine immobilier et tire des revenus réguliers du bail commercial, a donc logiquement été considérée par les juges comme un créancier professionnel au sens du texte précité.
La cour ajoute expressément à cet égard que la disposition a vocation à s’appliquer même en matière de cautionnement d’un bail : « si le montant des loyers impayés suscitant l’appel de la caution, est par hypothèse nécessairement indéterminé au moment de l’engagement de caution, celui-ci n’est valable qu’à la condition d’être déterminable ».
La disproportion s’apprécie, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, au regard du montant de l’engagement souscrit et des biens et revenus de la caution, en prenant en considération son endettement global, dont le créancier avait ou pouvait avoir connaissance.
C’est à la caution qui entend se prévaloir des dispositions susvisées, de rapporter la preuve de ce que son engagement, au moment de sa souscription, avait un caractère manifestement disproportionné au regard de ses biens et revenus.
Or, la caution n’était à l’époque pas en capacité de faire face à un engagement de caution supplémentaire, de sorte que ce cautionnement s’avérait, lors de sa souscription, manifestement disproportionné.
Cependant, aucun texte ne fixait de seuil, limite ou taux de disproportion.
Il a fallu attendre, le 4 décembre 2013, pour que, pour la première fois en jurisprudence, dans une affaire jugée au profit d'un autre client du Cabinet Bem, le Tribunal de commerce de Versailles fixe le taux de disproportion des cautionnements.
Dans sa haute bienveillance, le juge a fixé le 4 décembre 2013, deux seuils de disproportion du cautionnement :
- un pourcentage à ne pas dépasser de 33% ;
- un taux de 4 fois maximum les revenus.
Au-delà de l'un de ces deux seuils, le cautionnement est disproportionné et donc la caution peut obtenir l'annulation de son engagement pour ne plus rien avoir à payer au bailleur.
En revanche, le bailleur créancier peut être rétabli dans ses droits, de manière intégrale, s’il établit que la situation de la caution s’est depuis lors améliorée au point de lui permettre de faire face à ses obligations.
Au cas présent, la SCI bailleresse n’a pas été en mesure de prouver le retour à meilleure fortune de la caution, lui permettant, de faire face à ses engagements.
Dans ce contexte, la cour d’appel a déclaré inopposable l’engagement de caution souscrit au profit de la SCI de sorte que le gérant s’est trouvé libéré totalement du paiement de la dette de loyers de sa société.
Il ressort de cette décision que les cautionnements donnés en garantie de paiement des loyers commerciaux notamment par les dirigeants de sociétés peuvent utilement être contestés et annulés pour cause de disproportion.
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Anthony Bem
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