Le 19 novembre 2014, la Cour de cassation a jugé que le harcèlement moral subi par un salarié démissionnaire ne justifiait pas une requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse mais constituait un manquement de l’obligation de sécurité de l’employeur devant être sanctionné en tant que tel (Cass. Soc., 19 novembre 2014, n°13-17729).
Pour mémoire, le harcèlement moral a été reconnu par la loi no 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et introduit aux articles L. 1152-1 du Code du travail et L. 222-33-2 du Code pénal.
Au travers de ces textes, les faits de harcèlement moral sont définis comme « des agissements répétés » subis par le salarié ayant « pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
En l’espèce, un salarié a démissionné quelques mois après avoir été victime d’agissements de harcèlement moral de la part de son employeur.
Dans ce contexte, le salarié démissionnaire a saisi la juridiction prudhommale afin d’obtenir :
- d’une part, la requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- d’autre part, la condamnation de son employeur à lui verser des dommages et intérêts au titre de la rupture du contrat de travail et du harcèlement moral dont il a été victime.
Si les juges d’appel n’ont pas requalifié la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ceux-ci ont condamné l’employeur à verser des dommages et intérêts qui comprenaient:
- L’indemnisation de la violation de l'obligation de sécurité de résultat de l’employeur,
- L’indemnisation du harcèlement moral.
La Cour de cassation a confirmé l’ensemble de la décision des juges d’appel.
Ainsi, l’arrêt s’est prononcé sur deux points pour sanctionner l’employeur :
- la démission d’un salarié suite à des faits de harcèlement moral (1)
- la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité s’agissant de la santé de ses employés (2)
1/ La démission d’un salarié suite à des faits de harcèlement moral
Pour mémoire, la démission est la rupture du contrat de travail à durée indéterminée à l’initiative du salarié.
Selon la jurisprudence, la démission suppose que le salarié manifeste sa volonté de rompre le contrat de travail de « façon claire et non équivoque ».
A défaut de remplir ces conditions, la démission doit être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse par les juges prudhommaux.
En l’espèce, la Cour de cassation a déclaré :
« les termes de la lettre de démission, qui ne comportait aucune réserve, et constaté, d'une part, que les faits de harcèlement s'étaient produits plus de six mois avant la rupture, d'autre part, que l'employeur y avait rapidement mis fin, la cour d'appel a pu décider que la démission du salarié n'était pas équivoque ».
Autrement dit, les juges d’appel ont rejeté la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse en tenant compte :
- des termes de la lettre de démission ;
- de la période durant laquelle a eu lieu le harcèlement moral allégué ;
- du fait que l’employeur avait rapidement mis fin au harcèlement moral litigieux.
Il en résulte que l’appréciation du caractère équivoque de la démission ne se limite pas à la seule existence des faits de harcèlement moral en tant que telle.
Par conséquent, la requalification d’une démission d’un salarié en licenciement sans cause réelle et sérieuse suite à un harcèlement moral n’est pas automatique.
Cette sanction doit se faire au cas par cas, notamment compte tenu des termes de la lettre de démission et du temps écoulé entre le harcèlement moral et la rupture du contrat de travail.
2/ La responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité
La définition du harcèlement est prévue à l'article L.1152-1 du Code du travail selon lequel « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
L’article L. 1152-4 du Code du travail dispose que : « L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ».
En application de ce texte, les juges considèrent que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral, et l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité (Cass. Soc. 21 juin 2006, n°05-43914).
En vertu de l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur a une obligation d’évaluer et de prévenir le risque.
Cette obligation de sécurité et de résultat vise la prise de mesures adaptées.
A cet égard, selon la jurisprudence :
« L’employeur manque à cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Soc. 3 févr. 2010 n° 08.44019).
Par conséquent, la responsabilité de l’employeur peut être facilement engagée dès lors que l’employeur a failli à son obligation.
Par ailleurs, le fait de harcèlement peut être le fait de l'employeur lui même ou de l'un de ses salariés sur ses collègues.
La preuve du harcèlement est appréciée par les juges à travers la présomption de harcèlement que doit établir le salarié et aussi au titre de la prohibition d’agissements constitutifs de harcèlement.
Le salarié qui se prétend victime de harcèlement moral au travail n'a pas à prouver les faits.
En effet, il est très important de garder en mémoire que la jurisprudence juge que « le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral » (Cass. Soc., 30 avril 2009, N°07-45264).
Dans l’affaire jugée le 19 novembre 2014, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel :
« l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ».
La Haute Cour confirme donc la décision des juges d’appel d’avoir condamné l’employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat et une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Ainsi, les juges peuvent allouer des sommes distinctes correspondant au préjudice résultant, d'une part, de l'absence de prévention par l'employeur des faits de harcèlement et, d'autre part, des conséquences du harcèlement subi.
Par conséquent, le salarié n’a qu’à établir la preuve de faits qui permettent de faire présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.
Un renversement de la charge de la preuve est ainsi opéré car il n'est plus nécessaire de « présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement » mais uniquement « des éléments laissant présumer » le harcèlement.
Le harcèlement peut être constitué dans de nombreuses situations de fait telles que :
- La surcharge de la masse de travail du salarié, employé ou fonctionnaire ;
- Les reproches incessants formulés par l’employeur envers un salarié, employé ou fonctionnaire ;
- Les reproches concernant les arrêts de travail, une grossesse ou les arrêts maladie ;
- L'agressivité de l'employeur envers son salarié, employé ou fonctionnaire ;
- La baisse des fonctions et baisse de salaire de l’employé, du salarié ou du fonctionnaire ;
- La privation de la possibilité de faire des heures supplémentaires de la part du salarié ou du fonctionnaire ;
- La suppression de poste ou des moyens de travail nécessaires pour l’employé, le salarié ou le fonctionnaire à l’accomplissement de sa mission ;
- Etc…
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