L’état actuel de la législation congolaise sur les funérailles et sépultures : un droit obsolète et orphelin.
La législation congolaise relative aux funérailles et sépultures exige à ce que, chaque personne décédée puisse bénéficier des obsèques dignes et soit enterrée dans des conditions admissibles et estimables. En d’autres termes, chaque mort doit avoir un cercueil et une tombe propre et digne dans le but d’honorer sa mémoire.
Malheureusement et contre toute attente, depuis un certain temps, une pratique a élu domicile à travers le monde, et plus particulièrement dans notre pays consistant à enterrer des morts dans une fosse commune, comme est le cas le plus récent de l’inhumation en masse des victimes de la catastrophe naturelle des inondations de Kelehe dans la Province du Sud Kivu alors que les lois qui seront étudiées dans le développement de la présente monographie exigent à ce que chaque inhumation puisse avoir lieu dans une fosse séparée, que chaque mort soit bénéficiaire d’une sépulture digne.
Dans cette perspective, le droit aux funérailles et sépultures étant orphelin et abandonné, il est nécessaire d’apporter quelques éclaircissements autour de la question liée à l’inhumation en masse et à l’enterrement des morts dans les églises, concessions paroissiales et privées.
Ce qui constitue l’objet de la présente réflexion développée dans les points qui suivent.
1. Enterrement des nombreux corps dans une fosse commune
L’état actuel de la législation congolaise sur les funérailles et sépultures est obsolète étant donné que les textes juridiques qui existent dans cette matière dont notamment l’Ordonnance du 4 septembre 1909 sur les cimetières indigènes, l’Ordonnance n°11-104 du 15 mars 1950 relative au service des inhumations et police des cimetières, l’Arrêté du Gouverneur Général du 16 mai 1907 sur les concessions de sépultures, l’Ordonnance du 14 février 1914 liée au service des inhumations et police des cimetières, sont hérités du colonisateur belge et non revus jusqu’à ce jour.
Cette législation, qualifiée par plusieurs juristes de la branche orpheline du droit positif congolais, et selon l’esprit du colonisateur, ne prévoit pas l’enterrement ou inhumation des nombreux corps dans une fosse commune.
En effet, l’article 5 de l’Ordonnance du 04 septembre 1909 prévoit que « chaque inhumation aura lieu dans une fosse séparée. Chaque fausse aura une profondeur de 1 mètre 5 décimètres sur 8 décimètres de largeur et 2 mètres de longueur. Les fosses seront distantes entres elles d’au moins 1 mètre sur tous les côtés ».
La précédente Ordonnance a été complétée par celle du 14 février 1914 relative au service des inhumations et police des cimetières, spécialement en ses articles pertinents 4 et 5 prévoyant que « chaque inhumation aura lieu dans une fosse séparée, les fosses sont distantes entre elles d’au moins 30 centimètres sur tous les côtés ».
Pour ainsi dire que, la législation congolaise en cette matière, ne traite pas le cas des fosses communes.
2. Que dit la loi en matière d’inhumation de nombreux morts ?
Selon l’esprit du législateur, chaque mort doit être enterré dignement, dans un cercueil et sépulture digne.
La pratique des fosses communes est une émanation des autorités politico-administratives et non du législateur, car jusqu’à ce jour, les différents textes sus évoqués, ne prévoient pas une inhumation en masse.
Par ailleurs, la loi autorise plutôt la déclaration de décès par un jugement collectif du Tribunal de Grande Instance, dans le cas où le décès est dû à un évènement tel qu’un naufrage, une catastrophe aérienne, un tremblement de terre, un glissement de terrain, par l’effet duquel il y a lieu de croie que plusieurs personnes ont péri, conformément à l’article 144 de la loi n°87-010 du 1èr août 1987 portant code de la famille, telle que modifiée et complétée par la loi n°16/008 du 15 juillet 2016.
3. Quid de l’inhumation des indigents ou des morts abandonnés ou sans famille
L’inhumation des indigents ou des morts abandonnées sans famille doit être assurée par l’autorité administrative compétente qui, aux frais de l’Etat doit prendre en charge l’achat du cercueil et ceux liés à l’inhumation.
S’il s’agit d’un détenu ou prisonnier n’ayant pas une famille et qui décède dans l’établissement pénitentiaire, les responsables de ce dernier en prennent la charge. Mais l’article 89 alinéa 2, 3 et 4 de l’Ordonnance n°344 du 17 septembre 1965 relative au régime pénitentiaire qu’en cas de décès, le gardien en donne avis au premier Bourgmestre ou au Chef de la circonscription administrative territoriale du lieu de la prison ou de la maison d’arrêt, ou du camp de détention. Si le défunt était un prévenu, il doit en outre en aviser l’autorité judiciaire. Il remet à l’autorité territoriale compétente, contre décharge, les biens du défunt (argent, effets, papiers, etc.) dont il avait la garde.
4. Ligne de conduite à suivre dans notre pays pour enterrer les morts en masse
La ligne de conduite à suivre dans notre pays pour enterrer les morts en masse doit être conforme à l’esprit des textes juridiques sus-évoqués dans la mesure où cela n’est nullement autorisé. Logiquement, il est admis l’enterrement des morts dans une concession ou espace mais ne peuvent pas l’être dans une même fosse commune.
Il faut nécessairement une réglementation dans ce domaine qui pourra déterminer la manière d’enterrer des morts en masse. Il faut une évolution législative.
5. Lieux d’enterrement : cimetières ou concessions privées ?
L’inhumation des morts doit se faire dans les lieux choisis par les autorités publiques. C’est ainsi que l’article 1èr de l’ordonnance du 04 septembre 1909 prévoit que « dans chaque village indigène, il sera établi, à l’endroit choisi de commun accord par le chef de poste, sous l’autorité duquel est placé administrativement le village, et le chef de celui-ci, un cimetière dans lequel devront être inhumées toutes les personnes du village venant à décéder ».
Dans le même ordre d’idées, l’Ordonnance du 14 février 1914 relative aux service des inhumations et police des cimetières abonde que « dans tous les centres d’occupation de la Colonie, il sera établi, dans les terrains désignés par l’Administrateur de territoire, un ou plusieurs cimetières ».
Conséquemment à ce qui précède et principalement, aucune inhumation ne peut avoir lieu en dehors des lieux établis et choisis par l’Autorité administrative compétente.
6. Documents légaux à présenter avant d’enterrer quelqu’un
Pour inhumer quelqu’un, l’Ordonnance du 14 février 1914 relative au service des inhumations et police des cimetières, spécialement en son article 2, exigent certains documents à présenter lors de l’inhumation d’une personne, dont notamment : un permis d’inhumation délivré par l’officier de l’état civil de la localité ou à son défaut, par l’autorité administrative moyennant paiement des frais d’inhumation. Avant de délivrer ce document, le demandeur du permis doit présenter un certificat médical, à défaut, l’autorité administrative doit se transporter auprès de la personne décédée pour d’assurer du décès.
7. Soubassements juridiques ou légaux de l’enterrement des religieux dans les cathédrales, concessions, couvents ou congrégations voire dans leurs propres parcelles
Il convient de relever qu’il existe certaines inhumations qui se font dans des concessions privées, parcelles familiales, les cathédrales, couvents ou congrégations, alors que les dispositions légales sus-analysées exigent que l’enterrement ait lieu que dans les cimetières ou lieux choisis et établis par les autorités administratives.
En effet, l’article 1èr de l’Ordonnance du 04 septembre 1909 relative aux cimetières dans les villages indigènes prévoit que « aucune inhumation ne pourra être effectuée hors l’endroit ainsi déterminé, si ce n’est pour des motifs exceptionnels et moyennant l’autorisation du chef de poste compétent ». Ce qui nous intéresse ici, c’est l’exception posée par cette disposition légale qu’est : l’autorisation.
Autrement dit, l’article 9 de l’Ordonnance du 14 février 1914 relative au service des inhumations et police des cimetières dispose que « les corps seront inhumés à l’endroit désigné par l’autorité administrative de la localité. Toutefois, le Gouverneur pourra accorder, dans les lieux consacrés aux sépultures, aux conditions fixées par l’arrêté du 16 mai 1907, des concessions de terrain aux personnes qui désireraient y posséder une place distincte pour y fonder leur sépulture et celle de leur famille. Pareilles concessions pourront être accordées aux associations religieuses et autres, possédant la personnalité civile, pour la sépulture de leurs membres ou agents ».
Renchérit l’article unique de l’Ordonnance n°11-104 du 15 mars 1950 relative au service des inhumations et police des cimetières qui prescrit que « les administrateurs de territoire sont délégués pour accorder concurremment avec les gouverneurs de province et dans les conditions prévues par l’arrêté du 16 mai 1907, les concessions de sépulture ».
Ainsi donc, aux termes de l’article 1èr de l’Arrêté du Gouverneur Général du 16 mai 1907 relatif aux concessions de sépultures, « les concessions accordées par le Gouverneur Général pour les sépultures sont perpétuelles ou temporaires. Les concessions temporaires sont de 15 ans. Ces dernières sont exclusivement individuelles.
Ce qui nous permet de déduire que, l’Etat peut autoriser les personnes morales ou physiques privées à avoir des concessions de sépultures.
Etat de la question pour l’Eglise catholique
Pour l’Eglise catholique, l’article 3 de l’accord-cadre signé entre le Saint Siège et la République Démocratique du Congo en date du 20 mai 2016, révisé le 02 juillet 2022 prévoit que « la République Démocratique du Congo reconnait aussi la personnalité juridique de toutes les Institutions de l’Eglise catholique qui sont reconnues comme telles par le droit canonique et qui restent régies par leurs règles propres… ». Et l’article 4 du même accord-cadre stipule que « il appartient exclusivement à l’Autorité ecclésiastique de fixer librement les normes canoniques dans le domaine de sa compétence... ».
En conformité à l’article 9 de l’Ordonnance du 14 février 1914 relative au service des inhumations et police des cimetières qui dit que « ....les concessions pourront être accordées aux associations religieuses et autres, possédant la personnalité civile, pour la sépulture de leurs membres ou agents », et selon l’esprit de l’accord-cadre sus-vanté, c’est le « code canonique » qui doit prévoir les règles relatives aux funérailles ecclésiastiques.
En effet, le code canonique de 1983, spécialement en son canon 1179 dit que « les funérailles de l’Evêque diocésain seront célébrés dans sa propre Eglise cathédrale, à moins que lui-même n’ait choisi une autre église » ...et là, intervient l’inhumation.
Bref, les personnes privées, les églises peuvent avoir des concessions sépultures, mais à condition de solliciter de l’autorité administrative compétente, une autorisation expresse conformément à la loi.
A titre de conclusion, il est nécessaire de dire que, la législation en matière des funérailles et sépultures est à ce jour obsolète. C’est la branche orpheline du droit congolais comme l’avait reconnu en son temps le Professeur Evariste Boshab, ancien Vice-Premier Ministre chargé de l’intérieur.
In lege ferenda, nous appelons les députés à se pencher sur la question étant donné que tous les textes hérités du pouvoir colonial belge ne s’adaptent plus aux réalités évolutives actuelles.
Me Edmond MBOKOLO ELIMA
Avocat au Barreau de l’Equateur
Chercheur en droit à l’Université de Kinshasa