LA SUSPICION LEGITIME, CAUSE DE PARALYSIE D’UNE ACTION EN JUSTICE
Par
Maitre MBOKOLO ELIMA Edmond
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel de l’Equateur
Assistant à l’Université de Mbandaka
République Démocratique du Congo
0. PRELUDE
D’aucun n’ignore que, dans tout état de droit (article 1 al.1 de la constitution de la RDC), la justice fut, demeure et sera toujours le véritable rempart des faibles, mieux un outil indispensable pour immobiliser l’arbitraire et faire régner la paix sociale entre les citoyens. Cette justice est rendue par les cours et tribunaux, détenteurs de tout un pouvoir parmi les trois pouvoirs que compte la République : pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire (articles 68, 149 à 169 de la Constitution de la RDC).
En effet, pour rendre ladite justice, l’exigence primordiale des citoyens demeure l'impartialité du juge, qui est un élément fondamental de tout système judiciaire digne de ce nom. Depuis longtemps affirmée comme principe général en droit interne.
Par ailleurs, cette justice doit être rendue est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple (article 149 al.3 de la Constitution) conformément à la procédure préétablie et avec tout impartialité et dévouement de la part des juges.
Mais hélas, la pratique judiciaire congolaise nous démontre le contraire, les magistrats qui ont cette lourde mission de rendre cette justice s’effondrent souvent dans des situations auxquelles les justiciables parviennent à manquer la confiance. Ceci peut être formulé à l’égard d’un magistrat par voie de récusation ou à l’ensemble de la composition d’une juridiction par voie de renvoi pour cause de suspicion légitime. Malheureusement ces procédure si précieuses prévues par la loi sont bafouées par certaines plaideurs (ou justiciables) en les utilisant pour paralyser ou bloquer la juridiction saisie d’une affaire.
Il est question sous cette analyse, hormis la présente introduction, de parler sur la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime (I) avant de s’attarder sur la suspicion légitime, une procédure qui paralyse l’action en justice (II), ensuite viendra une brève conclusion qui mettre fin à notre plume.
I. QUID ALORS DE LA DEMANDE DE RENVOI POUR SUSPICION LEGITIME ?
La demande de renvoi pour suspicion légitime est une demande de dessaisissement d'une chambre de la juridiction saisie d’une affaire lorsqu'une des parties fait valoir que les magistrats qui la composent pris collectivement et non individuellement, font preuve, ou risquent de faire preuve d'inimitié, ou d'animosité à son égard. Il s’agit là de garantir aux justiciables, le principe de l’impartialité du juge. Cette demande à vrai dire, tend pour une juridiction de se dessaisir au bénéfice d’une autre pour cause de sûreté publique ou suspicion légitime.
En RDC, le renvoi pour cause de suspicion légitime est prévu dans moult textes juridiques, entre autres :
a. Loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, qui prévoit en son article 60 que :
Le Tribunal de grande instance peut, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, renvoyer la connaissance d'une affaire, d'un Tribunal de paix de son ressort à un autre Tribunal de paix du même ressort.
La Cour d'appel peut, pour les mêmes causes, renvoyer la connaissance d'une affaire d'un tribunal de grande instance de son ressort à un autre Tribunal de grande instance du même ressort.
La Cour de cassation peut, pour les mêmes causes, renvoyer la connaissance d'une affaire d'une Cour d'appel à une autre ou d'une juridiction du ressort d'une Cour d'appel à une juridiction de même rang du ressort d'une autre Cour d'appel.
b. Loi- organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, l’article 225 dispose que :
La Cour administrative d’appel peut, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un tribunal administratif de son ressort à un autre tribunal administratif du même ressort.
Le Conseil d’État peut, pour les mêmes causes, renvoyer la connaissance d’une affaire d’une Cour administrative d’appel à une autre ou d’une juridiction du ressort d’une Cour administrative d’appel à une juridiction de même rang du ressort d’une autre Cour administrative d’appel.
c. Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant code judiciaire militaire, les articles 102 et 103 édictent que :
La Haute Cour Militaire peut, pour cause de sûreté ou de suspicion légitime, renvoyer la connaissance d’une affaire d’une Cour Militaire à une autre.
La Cour Militaire peut, pour les mêmes raisons, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un Tribunal Militaire de Garnison à un autre de son ressort.
Le Tribunal Militaire de Garnison peut, pour les mêmes raisons, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un Tribunal Militaire de Police à un autre de son ressort.
d. Loi n° 016/2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail, l’article 4 prescrit que :
Les dispositions communes aux Cours et Tribunaux édictées aux articles 60 à 83 du Code de l'Organisation et de la Compétence Judiciaires, portant sur le greffe et l'huissariat, le service d'ordre intérieur et l'itinérance, les délibérés, la récusation, le déport et le renvoi d'une juridiction à une autre pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime sont mutatis mutandis, applicables aux Tribunaux du Travail.
II. LA SUSPICION LEGITIME : PARALYSE D’UNE ACTION EN JUSTICE
L’action en justice est la faculté qu’à tout individu de soumettre sa prétention au juge afin que celui-ci la déclare bien ou mal fondée. Sur le plan passif (pour le défendeur) l’action est la faculté de discuter de la prétention de demandeur (Prof Matadi Nenga Gamanda).
Cette faculté d’agir en justice qui est reconnue à chaque personne humaine se traduit d’une manière concrète par un acte particulier que l’on appelle la demande en justice, l’action représente la voie de droit générale tandis que la demande réalise la mise en œuvre c’est-à-dire l’exercice de la faculté d’agir ; la demande saisit le juge et l’oblige à statuer ; elle crée entre les plaideurs une situation juridique particulière d’origine légale que l’on appelle le rapport d’instance c’est-à-dire un rapport qui lie plusieurs parties au cours d’instance.
Par ailleurs, la pratique judiciaire congolaise, surtout de la part des plaideurs (ou justiciables), le recours à cette procédure demeure un blocage, mieux une paralysie d’une action en justice. Certains avocats font usage de cette procédure judiciaire pour bloquer la marche normale du procès (instance). Il s’agit dans plus de 70% des cas, d’une procédure dilatoire, c’est-à-dire un moyen tendant à bloquer la juridiction saisie d’une affaire à sursoir statuer, pendant que les droits légitimes de l’initiateur de l’action ou l’accusé sont en péril (ou en danger).
Ce blocage ou paralysie est cautionné aussi par la juridiction qui instruit une affaire (pénale, civile, commerciale, travail, administrative, fiscal, etc…), dans la mesure où, une fois l’arrêt ou le jugement de donner acte de la requête en suspicion légitime de la juridiction supérieure est produit en cours d’instance, la juridiction sans atermoiement sursoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction supérieure décide d’une possibilité de renvoi ou non.
Généralement, la partie qui suspecte la juridiction et qui initie une telle procédure, ne fait pas souvent d’efforts pour activer la machine judicaire (fixer l’affaire) afin que la juridiction supérieure saisie puisse analyser le bien ou mal fondé de la requête.
III. EPILOGUE
Nous bouclons cette boucle, en préconisant que, la procédure de suspicion pour cause de suspicion légitime demeure un blocable, certain et incontestable en droit congolais étant attendu que, plusieurs plaideurs l’initient non pas pour les motifs valables tel que prévu dans la loi mais juste à titre d’un dilatoire (retarder l’issue du procès).
Raison pour laquelle, il sera important pour les juridictions supérieurs (Cour de cassation, Haute Cour Militaire et Cour de cassation) de ne pas à tout prix sursoir lors de la production d’un arrêt ou jugement de donner acte de la requête en suspicion légitime mais de l’analyser en écoutant la partie requérante et l’autre partie au procès. Cela restera un rempart contre cette paralysie et l’action en justice parachèvera sans certains dilatoires qui nuisent aux droits des justiciables.