On s’en souvient, Denis BAUPIN, responsable EELV de haut rang, s’était vu accuser par plusieurs femmes de faits que la loi qualifie agression sexuelle et harcèlement sexuel.
Ces accusations n’ont pas été formulées au moment où les faits auraient été commis, mais après qu’il ait posé, avec d’autres élus, sur une photo montrant des mâles blancs tous plus ou moins quinquagénaires, fardés de rouge à lèvre, brillante idée pour lutter « contre les violences faites aux femmes » (comprend qui peut).
Après quelques mois d’enquête, le parquet décidait d’un classement sans suite, estimant que si « les faits dénoncés sont pour certains susceptibles d'être qualifiés pénalement, (…) ils sont prescrits ».
Quand une affaire se termine en queue de poisson, la question se pose : comment se laver d’accusations qu’un motif purement formel fait disparaitre sans aucun débat sur le fond ?
Réponse : par des poursuites en diffamation ou en dénonciation calomnieuse, qui sont les deux possibilités qu’offre théoriquement la loi.
Denis BAUPIN a choisi la procédure dont l’audience vient de s’ouvrir (1) : ce sera la diffamation, qui se définit comme l’imputation d’un fait précis, de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne.
La dénonciation calomnieuse (2) est constituée lorsqu’un fait de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, est porté à la connaissance soit d’un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit d’une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée.
La première est une infraction de presse, avec tout ce que cela suppose d’embuches et de difficultés : la courte prescription (3 mois), la jurisprudence en matière de nullités (3), l’exceptio veritatis, la bonne foi, tout est fait pour que la diffamation soit difficile à qualifier, pour la bonne raison que cette infraction consacre une restriction (nécessaire mais très encadrée) à la liberté d’expression.
La seconde est une infraction de droit commun qui, pour d’autres raisons, est encore plus difficile à caractériser.
En effet, il faut d’abord prouver que le fait dénoncé est faux, et l’article 226-10 du code pénal précise que « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée. »
Pour le dire autrement, dans ces hypothèses, l’exactitude du fait ne peut plus se discuter, sa fausseté est acquise de façon irréfragable.
Le texte dispose in fine que « En tout autre cas [notamment le classement sans suite], le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci. »
Il faut ensuite démontrer que celui qui l’a dénoncé savait qu’il était « totalement ou partiellement inexact », ce qui revient à dire qu’il avait une intention de nuire et, pour le dire brutalement, de provoquer la condamnation d'un innocent.
C’est d’ailleurs ce qui entraine la relative sévérité des juridictions en la matière : les magistrats ont horreur qu’on les expose sciemment au risque de commettre une erreur judiciaire.
En raison de cette difficulté particulière, les actions en dénonciation calomnieuse ne doivent être engagées qu’à coup sûr ou presque.
Pourquoi ? Parce que lorsqu’une affaire se termine par un non-lieu, un acquittement, une relaxe ou même un simple classement sans suite, c’est la personne poursuivie qui sort gagnante.
Si elle engage ensuite une action en dénonciation calomnieuse, elle relance une discussion qui s’était conclue à son avantage, comme un boxeur qui remet son titre en jeu.
Si ça marche c’est parfait, elle enfonce le clou de son innocence, obtient des dommages et intérêts, c’est une victoire par KO.
Mais si elle perd, l’affaire se finit sur un échec et l’histoire retiendra que c’est l’autre partie qui a eu gain de cause et que les faits dénoncés… finalement… étaient peut-être vrais, ou à tout le moins vraisemblables.
Denis BAUPIN joue donc gros sur cette partie, qu’il a engagée pour « laver son honneur », ce qui n’est pas une mince ambition.
On comprend bien qu’il pouvait difficilement laisser l’affaire où elle en était, sans accréditer l’idée que seule la prescription l’avait sauvé des eaux.
Dans cette optique, le choix de la diffamation plutôt que de la dénonciation calomnieuse n’est pas indifférent.
Il est même plutôt malin car ce que l’on doit établir pour faire tenir l’une ou l’autre infraction, n’est pas identique.
Précisons d’abord que la dénonciation calomnieuse n’aurait pas pu viser les organes de presse, qui sont manifestement sa cible, autant sinon plus que les plaignantes.
Sur le fond, il aurait incombé à Monsieur BAUPIN de prouver 1°) l’inexactitude des faits (bonne chance) et 2°) la connaissance par les plaignantes de cette inexactitude, (par hypothèse impossible puisque, pour elles, elles savent que c'est vrai...).
Pour la diffamation, il est certain qu’il y a eu imputation de faits précis d’agression ou de harcèlement sexuels et que de tels faits sont, en soi, de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de n’importe qui, nul ne songerait à le discuter.
Aux parties défenderesses de prouver, pour être relaxées, la vérité des faits (bonne chance là aussi), ou leur bonne foi.
En d’autres termes, le choix de la diffamation, plutôt que de la dénonciation calomnieuse, permet d’une part d’élargir les poursuites et d’autre part d’opérer une sorte de renversement de la charge de la preuve.
Ayant pris le pli de faire de la voyance, nous pouvons avancer que la bonne foi des victimes paraitra évidente, et même par principe impossible à contester, ou alors le statut des victimes va devenir extrêmement compliqué.
Un peu plus délicate sera la tâche des journalistes de France Inter et Mediapart, qui devront démontrer la réunion de quatre critères : absence d’animosité personnelle, légitimité du but poursuivi/débat d’intérêt général, prudence et mesure dans l’expression, vérification de la source/sérieux de l’enquête menée.
Malgré tout, l’entreprise parait à tout le moins audacieuse si on rapporte ses chances de succès (que je mesure au doigt mouillé, n’ayant connaissance du dossier que par ce qu’en dit la presse) au risque encouru, celui d’être débouté, ce qui reviendrait à accréditer les accusations au travers d’un procès qu’il aura offert lui-même à ses accusatrices.
Ceci est d’autant plus vrai que Denis BAUPIN a fait le choix de ne pas les affronter ni leur faire face, ce qui dit toujours quelque chose.
Tous les avocats savent que, lorsque les faits sont contestés, l’absence d’une partie affaiblit nécessairement sa position.
Les prévenues seront retournées sur le grill et bombardées de questions, tandis que l’accusé (initial) ne répondra à aucune.
En conclusion, je tiens à préciser que je n’ai aucune animosité personnelle contre Monsieur Denis BAUPIN, que je poursuis un but légitime de vulgarisation du droit pénal dans le cadre d’un débat d’intérêt juridique général, que je me suis (une fois n’est pas coutume) astreint à la plus grande mesure dans mon expression et ai vérifié autant que Google® le permet, toutes les affirmations que contient ce modeste billet.
On n’est jamais trop prudent.
(1) https://www.dalloz-actualite.fr/flash/je-voudrais-dire-merci-denis-baupin#.XFrBS2lCepo
(3) D’après une loi non écrite mais bien connue des praticiens, il existe trois régimes de nullités de procédure en droit pénal français. Le régime de droit commun : le non-respect d’une disposition prescrite à peine de nullité doit avoir eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne. C’est clair. Le régime du droit de la presse : la moindre erreur se paye cash et porte toujours et nécessairement atteinte aux droits de la personne. Le troisième régime est celui des nullités dans certains contentieux antipathiques comme le trafic de stupéfiants ou le proxénétisme : la nullité doit être au moins de force 9 ou 10 sur l’échelle de Beaufort des nullités pour avoir une chance de passer.