La notion de cours d’eau est utilisée très couramment en droit de l’urbanisme et droit de l’environnement.
En droit de l’urbanisme, d’une part, il n’est pas rare que les plans locaux d’urbanisme (PLU) imposent des règles de distance, de prospect, etc. par rapport aux cours d’eau. De même, certaines servitudes d’urbanisme imposent des obligations de libre passage comparables à des règles de retrait (décret n° 59-96 du 7 janvier 1959 et article L. 151-37-1 du code rural et de la pêche maritime).
D’autre part, en droit de l’environnement, la qualification de cours d’eau entraine l’application d’un régime protecteur ainsi que de droits et obligations pour les propriétaires riverains au titre de la police de l’eau (article L. 215-1 et suivants du code de l’environnement).
Les conséquences de la qualification de cours d’eau sont donc importantes puisqu’elle implique des obligations, peut rendre une partie d’un terrain inconstructible et peut exposer les tiers à des sanctions.
Or, si pour les cours d’eau les plus importants, il n’existe pas de doute quant à leur qualification, il est en revanche malaisé de se prononcer sur la qualification juridique de petits rus, canaux, etc.
Aussi, une définition claire du cours était nécessaire eu égard aux conséquences importantes de la qualification.
Toutefois, jusqu’à l’intervention de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, aucune définition textuelle du cours d’eau n’existait. Et ce, bien que la police de l’eau soit relativement ancienne.
Dans ce silence, la jurisprudence et la doctrine administrative étaient intervenues pour donner une définition du cours d’eau, sans qu’une définition précise soit appliquée par toutes les juridictions (I.).
La loi est donc venue donner une définition générale et obligatoire du cours d’eau à l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement (II.).
I. Une lente gestation de la définition par la jurisprudence
Comme indiqué ci-dessus, pendant longtemps, aucune définition de principe du cours d’eau n’avait été posée par un texte ou par la jurisprudence. Dans ce flou, les différentes juridictions et l’administration avaient pu adopter des approches contradictoires (A.). Cependant, le Conseil d’Etat a, il y a quelques temps, posé la définition qu’il convenait de retenir pour les juridictions administratives (B.).
A. Des solutions parfois contradictoires
Afin de pallier l’absence de définition, la doctrine administrative, à travers les circulaires, a tenté de donner une définition du cours d’eau (« guide pratique de détermination » relatif à la « notion de cours d’eau » dans sa version actualisée au 4 décembre 2012 ; DE/SDAGF/BDE n°3 du 2 mars 2005 relative à la définition de la notion de cours d’eau).
Pour ce faire, elle s’est rapportée à la jurisprudence des juridictions administratives et judiciaires.
Or, à la simple lecture de ces circulaires, aucune certitude ne pouvait être acquise sur la définition.
En effet, elles mettaient en avait deux critères :
- La présence et la permanence d’un lit naturel à l’origine,
- La permanence d’un débit une majeure partie de l’année, attestée par les cartes IGN ou le cadastre.
Néanmoins, les circulaires relevaient l’absence de permanence de ces critères.
Ainsi, s’agissant de l’existence d’une source à l’origine de l’écoulement, les juridictions administratives semblaient bien attachées à ce critère en refusant de reconnaître à des fossés, canaux et retenues alimentés par les eaux de pluie la qualification de cours d’eau (voir, par exemple, en ce sens : CAA Nantes, 25 juin 2008, M. Ronan X, n° 07NT03299 ; CAA Bordeaux, 16 mars 2000, Préfet du Tarn, n° 96BX02351 ; CAA Lyon, 7 décembre 1989, MAIF, n° 89LY003897, CE. Sect. 22 février 1980, Ministre de l’environnement, n° 15516, publiée au Recueil ; CE. SSR. 19 novembre 1975, Commune de Romainville-Saint-Agne, n° 92877, publiée au Recueil).
En revanche, la Cour de cassation semblait plus flexible sur ce critère. Elle avait, ainsi, retenu que pour caractériser la pollution d’un cours d’eau une cour d’appel avait justifié sa décision en retenant que l’écoulement pouvait être qualifié de cours d’eau, du fait de sa présence sur les cartes IGN, de son écoulement dans un talweg et de la présence d’une faune et d’une flore aquatique (Cass. Crim. 7 novembre 2006, n° 06-85910, publié au Bulletin).
La Cour ajoutait dans cet arrêt qu’il appartenait aux juridictions du fond de rechercher si le cours d’eau ou même le canal avait été atteint par l’effluent polluant.
Ainsi, la Cour de cassation paraissait plus attachée à un faisceau d’indices qu’à des critères prédéterminés et rigides.
De même, certaines juridictions administratives semblaient tenir compte, en sus de l’existence d’une source et d’un débit suffisant une partie de l’année, d’autres éléments tels que la présence ou l’absence de vie piscicole (CAA Nantes, 29 septembre 2009, EARL Cintrat, n° 08NT03377).
Partant, jusqu’à une période récente, aucune définition sûre ou méthode certaine ne permettait de déterminer si un écoulement pouvait ou non être qualifié de cours d’eau.
C’est dans ce contexte que par une décision du 21 octobre 2011 a finalement établi une définition claire et précise du cours d’eau au sens des juridictions administratives.
B. Une définition claire et récente par le Conseil d’Etat
A la suite de l’arrêt mentionné ci-dessus de la cour administrative d’appel de Nantes, faisant montre d’un attachement à la méthode du faisceau d’indices, le Conseil d’Etat a été amené à établir, cette fois, une définition précise du cours d’eau.
En effet, la Haute juridiction a estimé :
« Considérant que pour l’application de ces dispositions, constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année » (CE. SSR. 21 octobre 2011, Ministre de l’écologie c. EARL Cintrat, n° 334322, publiée au Recueil).
Ainsi, le raisonnement du Conseil d’Etat est particulièrement clair et laisse peu de doutes quant au caractère normatif de sa formulation. Le titrage de la décision est – comme sa lettre – particulièrement clair.
Dès lors, à compter de cette date, trois critères cumulatifs devaient être mobilisés pour apprécier l’existence d’un cours d’eau :
- Un lit naturel à l’origine (qui peut avoir été modifié par la suite),
- L’alimentation par une source (ce qui exclut les fossés, canaux et retenues alimentés par les eaux de pluie),
- Un débit suffisant la majeure partie de l’année (ce qui signifie que le cours d’eau n’a pas disposer d’un débit significatif pendant toute l’année).
Dans cette décision, le Conseil d’Etat excluait la prise en compte d’autres critères tels que l’absence de vis piscicole significative. Mais, il relevait (à l’inverse) que la « richesse biologique du milieu p[ouvai]t constituer un indice » de la qualification de cours d’eau.
Dans cette espèce, il estimait que le cours d’eau était notamment alimenté par une source (même s’il était également alimenté par des eaux de pluie et de drainage), que si l’écoulement n’était pas permanent, il était suffisant une majeure partie de l’année et qu’enfin, il existait un lit naturel à l’origine (avant d’être modifié par l’homme).
C’est donc en fonction de cette grille d’analyse que les juridictions administratives devaient désormais apprécier l’existence d’un cours d’eau.
Néanmoins, cette position ne concernait que les juridictions administratives, les juridictions judiciaires demeurant libres d’apprécier différemment la notion de cours d’eau lorsqu’elles avaient à statuer sur des infractions à la police de l’eau.
Ainsi, aucune définition applicable de manière générale ne trouvait à s’appliquer.
C’est la raison pour laquelle le législateur est intervenu afin de poser, une fois pour toutes, la définition du cours d’eau.
II. Une définition désormais législative du cours d’eau
La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 a introduit dans le code de l’environnement un article L. 215-7-1 venant définir le cours d’eau au sens de cette législation.
Cette nouvelle définition a d’ores et déjà donné lieu à du contentieux, de sorte que le Conseil d’Etat a été amené à en préciser les contours.
A. Une consécration de la jurisprudence du Conseil d’Etat
La définition du cours d’eau, codifiée à l’article L. 215-6-1 du code de l’environnement est désormais la suivante :
« […] Un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année.
L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales ».
L’on s’aperçoit que cette définition est celle qui avait été retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision Ministre de l’écologie c. EARL Cintrat.
Le champ d’application de cette définition est donc élargi de manière à s’appliquer à toute la police de l’eau et notamment au droit pénal de l’environnement.
Elle présente l’avantage d’unifier la notion de cours d’eau et vient clarifier les hypothèses dans lesquelles la protection particulière des cours d’eau trouve à s’appliquer.
En effet, il était difficilement acceptable qu’une notion qui préside à l’application d’un régime strict tel que celui applicable aux cours d’eau ne soit pas définie avec clarté.
Ainsi, et désormais, trois critères conditionnent la reconnaissance d’un cours d’eau au titre de la législation sur l’environnement, et ce quelle que soit la juridiction concernée :
- Un lit naturel à l’origine,
- L’alimentation par une source,
- Un débit suffisant la majeure partie de l’année.
Le texte précise sur ce point que l’écoulement n’a pas besoin d’être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales.
Cette précision a son importance puisqu’elle signifie que la circonstance que l’écoulement soit interrompu pendant une partie de l’année ne s’oppose pas à la reconnaissance de la qualité de cours d’eau. Certes, cet élément était d’ores et déjà établi par la jurisprudence (CAA Marseille, 19 juin 2003, n° 99MA01670 ; CAA Lyon, 27 avril 2010, n° 08LY00099 ; CE. SSR. 21 octobre 2011, Ministre de l’écologie c. EARL Cintrat, n° 334322, publiée au Recueil).
Néanmoins, il n’était pas inutile de le rappeler afin de couper court à tout débat.
Ainsi, c’est la définition retenue par les juridictions administratives qui trouve désormais à s’appliquer.
Toutefois, et comme l’on pouvait s’y attendre, cette nouvelle définition a déjà donné lieu à du contentieux. Ce qui a donné l’occasion au Conseil d’Etat de préciser, au-delà des critères, les contours de cette définition.
B. Une définition plus souple qu’il n’y paraît
Comme indiqué ci-dessus, le Conseil d’Etat a été amené à préciser les contours de la définition des cours d’eau au sens de la police de l’eau.
A la suite de la décision Ministre de l’écologie c. EARL Cintrat et avant même l’adoption de l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement, la ministre de l’écologie avait adopté une nouvelle circulaire le 3 juin 2015 (NOR : DEVL1506776J) pour tenir compte de la définition retenue par le Conseil d’Etat.
Or, une association avait formé un recours contre cette circulaire et soutenait notamment qu’elle méconnaissait la définition du cours d’eau retenue par le Conseil d’Etat (entre-temps codifiée par le législateur).
En effet, l’association adressait plusieurs critiques à la circulaire. Elle reprochait ainsi à cette instruction d’ajouter des critères se soustrayant à ceux évoqués ci-dessus.
Si le Conseil d’Etat rejette ce recours (CE. ch. réunies. 22 février 2017, Coordination rurale – Union Nationale, n° 395021), cette requête lui donne l’occasion de préciser que la définition du cours d’eau dispose d’une certaine souplesse.
Ainsi, il précise tout d’abord que la circulaire pouvait indiquer que la source du cours d’eau n’a pas nécessairement à être localisée et peut-être l’exécutoire d’une zone humide ou un affleurement de nappe souterraine.
Il indique donc, in fine, que la notion de « source » recouvre ces deux hypothèses, ce qui méritait d’être précisé dans la mesure où cette interprétation ne découlait pas naturellement de la rédaction de la définition.
Ensuite, la Haute juridiction relève que la circulaire pouvait préciser que le critère du débit suffisant, devait être apprécié en dehors des périodes de précipitations significatives (à savoir 10 millimètres). Le Conseil d’Etat estime, en effet, que la circulaire pouvait fournir cette méthode de mise en œuvre du critère (méthode au demeurant assez logique).
Enfin, le Conseil d’Etat accepte – ce qui semble un assouplissement opportun de la définition – que dans l’hypothèse où les trois critères ne permettent pas de déterminer s’il s’agit d’un cours d’eau, un faisceau d’indices peut être utilisé pour apprécier indirectement ces critères. Il mentionne notamment les éléments suivants :
- La présence de berges,
- La présence d’un lit au substrat spécifique,
- La présence de vie aquatique,
- La continuité de l’écoulement d’amont en aval.
Le Conseil d’Etat considère que ces indices ne se substituent pas aux critères mais se rattachent à eux dans l’hypothèse où les critères stricts ne permettent pas de donner une qualification claire à l’écoulement.
Cette affirmation n’allait pas de soi. En effet, dans la mesure où l’existence d’une source est un élément primordial pour le Conseil d’Etat et la définition, il aurait pu être envisagé de se borner à utiliser les critères établis par la jurisprudence.
Néanmoins, le Conseil d’Etat fait preuve de réalisme et assouplit cette définition en s’intéressant aux hypothèses limites.
C’est donc au vu de cette définition complétée que, désormais, l’existence d’un cours d’eau au sens de la police de l’eau devra être appréciée.
Août 2017
Bruno Roze
Avocat au Barreau de Paris
5, rue Cambon 75001 Paris
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