Il est assez fréquent (voire de plus en plus fréquent) que des établissements privés participent en pratique au service public de l’éducation.
En effet, une personne privée peut être en charge d’un service public même si cela n’est pas toujours évident de prime abord.
Cela signifie donc que, comme souvent, les compétences du juge judiciaire et du juge administratif sont imbriquées puisqu’en règle générale, lorsqu’un service public est exercé, le juge administratif conserve un droit de regard sur certains actes qui sont alors qualifiés d’« actes administratifs ».
En effet, le Conseil d’Etat considère de longue date que des personnes privées peuvent être chargées d’un service public et sont donc partiellement justiciables devant le juge administratif (CE. Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », n° 57302, Rec.).
Il est donc utile de faire le point sur cette situation pour déterminer quel juge doit être saisi lorsque les élèves ou étudiants sont confrontés à une situation qui implique la saisine du juge.
Le critère de distinction entre les « actes » qui relèvent du juge judiciaire et ceux qui relèvent du juge administratif est l’exercice de « prérogatives de puissance publique » (I.). Mais ce critère ne brille pas nécessairement par sa clarté, de sorte qu’il est utile d’indiquer, en pratique, quels types d’actes relèvent du juge administratif (II.) et du juge judicaire (III.). De plus, il convient de mentionner le cas assez particulier des établissements d’enseignement « privés » qui sont en réalité des établissements « publics » (IV).
I. Le critère de distinction : les « prérogatives de puissance publique »
Dans plusieurs décisions, qui concernent à la fois l’enseignement supérieur et l’enseignement primaire ou secondaire, le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’indiquer plusieurs choses.
- Les établissements participent au service public de l’enseignement
S’agissant des établissements d’enseignement privés, à tout le moins quand ils sont sous contrat avec l’Etat ou entretiennent des relations fortes avec des établissements publics, ils participent au service public de l’enseignement.
Le juge a pu le reconnaître pour :
- Des établissements d’enseignement supérieur privé (ex : CE. SSR. 28 juin 1995, M. Marc X c. Ecole supérieure d’optique, n° 75258 108281 110416, mentionnée aux tables),
- Des lycées privés sous contrat (TC, 27 novembre 1995, Consorts X c. Collège Saint-Antoine de Lannilis, n° 02963, publié au Recueil),
- Des écoles privées sous contrat (CE. CHR. 13 novembre 2023, Mme D c. Direction diocésaine de l'enseignement catholique de Haute-Garonne, n° 466958, mentionnée aux tables),
- Des lycées français gérés par des associations de droit privé (ex : CE. SSR. 26 mai 2004, n° 259682, mentionnée aux tables ; CE. SSJS. 18 avril 2008, n° 300717),
- Des instituts de soins infirmiers (ou IFSI) privés (ex : CE. CHR. 24 juillet 2024, M. Maxime K, n° 492525, mentionnée aux tables).
S’agissant des IFSI privés, le Conseil d’Etat a d’ailleurs ajouté qu’ils participaient également au « service public régional de la formation ».
Il ne fait donc pas de doute que ces établissements participent au service public.
Mais l’exercice d’un service public ne signifie pas pour autant que toutes les décisions de ces établissements relèvent du juge administratif.
En effet, le critère est autre.
- Les « prérogatives de puissance publique »
Le Conseil d’Etat a eu plusieurs fois l’occasion de juger que ce n’est que dans l’hypothèse où ces établissements privés utilisent des « prérogatives de puissance publique » que leurs décisions sont soumises au juge administratif.
Sont en principe considérés comme des prérogatives de puissance publique les pouvoirs donnés par un texte à une personne privée, qu’elle ne pourrait pas avoir, sans cela, en tant que personne privée.
Autrement dit, il s’agit de l’hypothèse dans laquelle l’établissement agit au-delà de ce qu’il pourrait faire dans un contrat de droit privé.
Si ce critère apparaît relativement simple sur le papier, sa mise en œuvre est plus complexe en pratique car le Conseil d’Etat et plus généralement les juridictions administratives ne se fondent pas forcément sur une étude du droit des contrats pour déterminer ce qui est, ou non, une prérogative de puissance publique.
Et la notion peut en réalité dépendre des domaines.
Il est donc nécessaire de donner, pour les établissements d’enseignement privé, des exemples des litiges qui relèvent du juge administratif.
II. Les actes qui relèvent du juge administratif
La définition des prérogatives de puissance publique n’étant pas très claire, notamment pour les non-initiés, il est nécessaire de donne des exemples concrets de ce que le juge administratif considère comme relevant de sa compétence.
- Les litiges relatifs à la délivrance de diplôme au nom de l’Etat
La délivrance de diplômes au nom de l’Etat par des établissements d’enseignement privé est considéré par le Conseil d’Etat comme une prérogative de puissance publique.
Il faut sur ce point souligner une distinction faite récemment par le Conseil d’Etat (CE. CHR. 3 avril 2024, M. de Lapeyrière, n° 468768, mentionnée aux tables ; CE. CHR. 3 avril 2024, Mme Le Nestor, n° 472137, mentionnée aux tables).
En effet, il faut distinguer les diplômes simplement visés par l’Etat et les diplômes qui confèrent un grade universitaire.
Seuls les diplômes qui confèrent un garde universitaire (licence ou master par exemple) sont délivrés au nom de l’Etat.
Aussi, les recours relatifs à l’obtention de ces diplômes relèvent de la compétence du juge administratif.
En revanche, ceux qui sont simplement visés par l’Etat relèvent de la compétence du juge judiciaire.
- Aucune autre catégorie n’a été identifiée pour l’instant
En l’état de la jurisprudence, aucune autre catégorie n’a été identifiée.
En effet, dans ses conclusions sur la décision M. Maxime K (CE. CHR. 24 juillet 2024, n° 492525, mentionnée aux tables), M. Jean-François de Montgolfier mentionne les éventuelles sanctions qui auraient pour effet d’interdire aux usagers du service public d’y accéder.
Cette distinction provient des fédérations sportives (CE. CHR. 9 octobre 2019, Fédération calédonienne de Football, n° 421367, mentionnée aux tables ; CE. CHR. 28 octobre 2021, En avant Guiguamp, n° 445699, mentionnée aux tables).
Tel serait par exemple le cas pour une sanction d’exclusion infligée par un établissement d’enseignement privé qui aurait pour effet d’interdire à l’usager de s’inscrire dans l’enseignement public et privé pour une certaine durée.
Cependant, comme de telles sanctions ne paraissent pas exister en l’état du droit, cette réserve reste théorique.
A cet égard, la décision M. Maxime K, (CE. CHR. 24 juillet 2024, n° 492525, mentionnée aux tables) est intéressante concernant les IFSI.
En effet, le Conseil d’Etat y juge que les décisions d’exclusion des IFSI ne valent que pour l’institut et non pas pour tous les établissements comme le prétendait le ministre.
Ainsi, cette question est réglée pour les IFSI pour lesquelles cette question se posait.
III. Les actes qui relèvent du juge judiciaire
A priori, tous les autres actes pris par les établissements d’enseignement privés relèvent de la compétence du juge judiciaire.
Un certain nombre d’exemples ont été donnés par la jurisprudence :
- Les décisions de redoublement (CE. SSR. 28 juin 1995, M. Marc X c. Ecole supérieure d’optique, n° 75258 108281 110416, mentionnée aux tables ; CE. CHR. 3 avril 2024, M. de Lapeyrière, n° 468768, mentionnée aux tables).
- Les sanctions disciplinaires infligées aux élèves et étudiants par un établissement privé sous contrat (ex : CAA Versailles, 16 mars 2017, n° 16VE02733 ; CE. SSR. 26 mai 2004, n° 259682, mentionnée aux tables). Il en va de même pour les IFSI (CE. CHR. 24 juillet 2024, M. Maxime K, n° 492525, mentionnée aux tables).
- Les décisions d’orientation des élèves alors même qu’elles sont opposables aux établissements d’enseignement public (CE. SSR, 4 juillet 1997, n° 162264, publiée au Recueil).
Ces décisions, prises par des établissements d’enseignement privé ne sont pas justiciables devant le juge administratif.
IV. Le cas particulier des écoles ayant un statut privé mais étant en réalité publiques
Il est nécessaire de mentionner une limite (comme souvent) à la distinction entre établissements d’enseignement publics et établissements d’enseignement privés.
En effet, il existe, en jurisprudence, la théorie des « associations transparentes ».
Cette théorie ancienne (CE, 17 avril 1964, Commune d’Arcueil, n° 57628, Rec.) vaut dans de nombreux domaines du droit public (actes administratifs : CE. SSR. 11 mai 1987, M. Pierre-François X, n° 62459, publiée au Recueil ; marchés : CE. SSR. 21 mars 2007, Commune de Boulogne-Billancourt, n° 281796, publiée au Recueil ; élections : CE. Sect. 26 janvier 1990, Élections municipales de Chantilly, n° 108190, publiée au Recueil ; comptabilité publique : CE Sect. 6 janvier 1995, Oltra, n° 140674, publiée au Recueil ; etc.).
Elle conduit à considérer qu’une association :
- Créée par une personne publique,
- Qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement,
- Lui procure l’essentiel de ses ressources,
N’existe pas et constitue en réalité un service de la personne publique qui l’a créée.
Cela signifie que si une école était créée par une personne publique (un hôpital, une université ou une collectivité) sous un statut associatif pour des raisons pratiques, elle ne serait pas nécessairement considérée comme une véritable école « privée ».
Auquel cas, ses décisions seraient justiciables devant les juridictions administratives.
Mais il faut souligner qu’en l’état de la jurisprudence, aucun exemple n’apparaît avoir été donné en matière d’enseignement.
Cependant, cette hypothèse mérite d’être mentionnée car la question peut parfois se poser pour certains types d’écoles, notamment pour les IFSI.
En résumé, en dehors des diplômes délivrés au nom de l’Etat (et de la communication de certains actes – voir l’article : La communication des documents des établissements d’enseignements privés relatifs à leur mission de service public relève du juge administratif), tous les litiges entre les élèves ou étudiants des établissements privés relèvent du juge judiciaire.
Octobre 2024
Bruno Roze Avocat
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