La question de la carte scolaire à l’école élémentaire (primaire) ne s’est pas toujours posée avec autant d’acuité qu’à ce jour.
En effet, initialement, la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire ne prévoyait pas de carte scolaire. Elle se bornait à indiquer en son article 7 : « Les familles domiciliées à proximité de deux ou plusieurs écoles publiques ont la faculté de faire inscrire leurs enfants à l'une ou à l'autre de ces écoles, qu'elle soit ou non sur le territoire de leurs communes, à moins qu'elle ne compte déjà le nombre maximum d'élèves autorisé par les règlements ».
Ainsi, l’inscription devait se faire « à proximité » du domicile mais pas nécessairement sur la même commune ou dans une école précise.
Dans la pratique, en raison de l’existence de plusieurs écoles sur le territoire d’une même commune – et du caractère trop général de l’expression « à proximité » – des cartes scolaires sont apparues nécessaires. C’est la raison pour laquelle cet article a été complété pour indiquer : « Toutefois dans les communes qui ont plusieurs écoles publiques, le ressort de chacune de ces écoles étant déterminé par un arrêté du maire[1], les familles doivent se conformer aux dispositions de cet arrêté ».
Dans ces conditions, désormais, il existe en principe une carte scolaire dès lors que la commune dispose de plusieurs écoles élémentaires (primaires) et les parents doivent s’y conformer.
Se pose donc immédiatement la question des dérogations à cette carte scolaire. En effet, pour de nombreuses raisons, les parents peuvent préférer une école plutôt qu’une autre, que ce soit sur le territoire de la commune où ils résident ou sur le territoire d’une autre commune.
Il convient de donc de voir quelle forme doit prendre la décision de refus de dérogation (I.) et les motifs qui peuvent être avancés pour la justifier lorsque la demande concerne une école de la commune ou d’une autre commune (II.).
La procédure et la forme des dérogations
Comme toute décision administrative, le refus de dérogation à la carte scolaire en école élémentaire (primaire) doit respecter une certaine forme.
- La compétence pour prendre la décision
La procédure de dérogation est gérée par l’autorité en charge des inscriptions à l’école élémentaire (primaire). Il s’agit donc du maire (en pratique de ses services) de la commune où l’inscription est demandée. C’est donc à cette dernière que la demande de dérogation à la carte scolaire doit être adressée.
Mais il arrive désormais que les communes se regroupent pour mettre le fonctionnement de leurs écoles en commun via un établissement public (un EPCI). Dans une telle hypothèse le maire de la commune n’est plus compétent pour se prononcer sur les demandes de dérogation. C’est ce qu’a clairement jugé la cour administrative de Lyon (CAA Lyon, 12 juillet 2018, n° 16LY03037) en se fondant sur l’article L. 212-8 du code de l’éducation.
Cependant, dans la pratique, si les parents ne savent pas si un établissement public de coopération intercommunal a été créé pour la gestion des écoles, ils peuvent continuer à adresser leurs demandes au maire de la commune.
En effet, en vertu de l’article L. 114-2 du code des relations entre le public et l’administration, le maire devra transmettre à l’autorité compétente (ici le président de l’EPCI) la demande de dérogation.
Trois points méritent d’être précisés à ce stade.
- La saisine d’une commission des dérogations
Dans la pratique, de nombreuses communes ont créé des commissions chargées de donner un avis au maire (ou au président de l’EPCI) pour l’éclairer sur les demandes de dérogations présentées par les parents.
Elles classent les demandes en fonction de critères qui sont en principes fixées préalablement. Ces critères sont souvent ceux mentionnés à l’article L. 212-8 du code de l’éducation (les obligations professionnelles des parents ; le regroupement de fratrie et les raisons médicales) mais ils peuvent être différents, plus nombreux et, surtout, être hiérarchisés avec plus ou moins d’importance. Ainsi, les critères peuvent varier selon les communes.
Cette commission, lorsqu’elle existe, a donc une grande importance puisque c’est elle qui rendra un avis (en général suivi le maire ou le président de l’EPCI).
- Le refus de dérogation doit être motivé
Le refus d’une dérogation à la carte scolaire à l’école élémentaire (primaire) doit être motivé. Autrement dit, il doit contenir avec une certaine précision les motifs de droit et de fait qui conduisent le maire ou le président de l’EPCI à refuser la dérogation.
C’est ce qu’a jugé de longue date le conseil d’Etat (CE. SSR. 10 mai 1996, Ville de Paris, n° 136258, mentionnée aux tables)[2].
- Que faire en cas de silence sur la demande de dérogation ?
Il arrive fréquemment dans ce domaine, comme dans d’autres, que l’administration ne réponde pas aux demandes de dérogations à la carte scolaire qui leur sont adressées par les parents d’enfants devant être inscrits à l’école élémentaire (primaire).
L’on sait que, désormais, le silence de l’administration vaut acceptation (article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration) même si, dans la pratique, la liste des exceptions à ce principe est telle qu’elle vide ledit principe de beaucoup de son intérêt.
Au cas présent, le décret n° 2014-1275 du 23 octobre 2014 précise que le silence de l’administration vaut acceptation au bout de 3 mois.
Dès lors, si l’administration reste silencieuse sur une demande de dérogation pendant 3 mois, elle est implicitement acceptée.
Il faut toutefois conserver à l’esprit que pour pouvoir se prévaloir de ces dispositions, il est nécessaire d’avoir une preuve de la réception par la commune de la demande de dérogation (autrement dit, il faut l’avoir envoyée en courrier recommandé avec accusé de réception).
Les motifs de refus de dérogation à la carte scolaire à l’école élémentaire (primaire)
Il convient de rappeler ici qu’une demande de « dérogation » est, par nature, une demande de faveur.
En effet, il n’existe pas de droit au libre choix de l’école de ses enfants, ce que rappellent, quand cela est nécessaire, les juridictions administratives (CE. SSR. 12 octobre 1973, n° 84690, publiée au recueil ; TA Limoges, 24 mai 2007, Epoux P c. commune de Saint-Germain-les-Belles, n° 0501128)
Autrement dit, les communes sont très libres pour octroyer ou au contraire refuser les demandes de dérogations à la carte scolaire en école élémentaire (primaire).
Cependant, cela ne signifie pas qu’elles ont toute latitude. En effet, leurs décisions doivent respecter un certain nombre de principes.
- Elles ne peuvent se fonder sur certains motifs
Pour refuser une demande de dérogation à la carte scolaire en école élémentaire (primaire), les communes doivent se fonder sur des éléments objectifs (tels que les capacités d’accueil de l’école) et « sur des critères relatifs à la situation objective des élèves » (CAA Lyon, 6 février 2001, n° 99LY02955), à l’exclusion de toute autre considération.
Ainsi, il a été jugé que le comportement des parents d’un enfant (même si ces parents perturbent effectivement l’école) ne peut justifier le refus de dérogation opposé par le maire (CAA Lyon, 6 février 2001, n° 99LY02955).
De même, le maire ne peut pas refuser d’inscrire dans une classe bilingue des enfants venant d’une autre commune au motif que cette dernière refuse de verser une contribution financière pour cette classe bilingue (CAA Nancy, 1er décembre 2005, Commune de Rosheim, n° 05NC00416)
- Le principe d’égalité doit être respecté
Les dérogations et refus de dérogations doivent également respecter le principe d’égalité entre enfants.
Autrement dit, si la dérogation a été accordée à un enfant pour un motif, un autre enfant avançant le même motif devra obtenir cette dérogation (sauf bien entendu si un changement de situation peut justifier l’évolution de la position de la commune).
Le Conseil d’Etat a ainsi jugé de longue date qu’il n’est pas possible de refuser de tenir compte du lieu de travail des parents si l’administration a, pour d’autres parents, tenu compte de cet élément (CE. SSR. 10 juillet 1995, n° 147212, publiée au Recueil).
De même, si la commune fait bénéficier certains parents du regroupement de fratrie, elle doit en faire de même pour les autres parents (CAA Versailles, 27 septembre 2007, n° 06VE00526).
Ainsi, ce principe permet de se prévaloir des dérogations accordées à d’autres parents.
- Le regroupement de fratrie est-il un droit ?
Certaines juridictions sont allées plus loin s’agissant du regroupement de fratrie en estimant que ce regroupement était un « droit », même sur une autre commune que la commune de résidence des parents.
Ainsi, le tribunal administratif de Montpellier a jugé : « Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions, un droit pour les familles d’obtenir l’inscription à titre dérogatoire d’un enfant dont le frère ou la sœur poursuit son cycle scolaire dans une école située hors de leur commune de résidence, au sein de la même école ou d’une autre école implantée sur cette commune » (TA Montpellier, 13 mars 2008, Epoux Durand, n° 0504643).
Toutefois, cette position ne paraît pas faire l’unanimité au sein des juridictions administratives.
De plus, son fondement textuel est discutable dans la mesure où le tribunal s’est fondé sur des dispositions relatives au partage des frais de scolarité entre communes quand ces dernières accueillent des enfants d’autres communes.
De la sorte, cette position doit être prise avec circonspection et ne pas être considérée comme une règle établie.
Il n’en demeure pas moins que cette position est intéressante et mérite d’être avancée par les avocats en cas de recours contre un refus de dérogation fondé sur ce motif.
- Il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant
L’administration doit également tenir compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant » pour se prononcer sur les demandes de dérogations adressées par leurs parents.
En effet, l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant du 26 janvier 1990 consacre cette obligation pour les administrations dans toutes leurs décisions. Le Conseil d’Etat a confirmé de longue date l’applicabilité de cette obligation en France (CE. SSR. 22 septembre 1997, Dlle Cinar, n° 161364, publiée au Recueil).
Il en va ainsi en matière de dérogations à la carte scolaire comme l’ont jugé certaines juridictions (voir, par exemple : TA Versailles, 18 août 2006, Epoux F c. Commune de Montrouge, n° 0607067).
Ce principe n’implique pas que les juridictions feront droit à toute demande de dérogation car leur appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant sera nécessairement différente (et plus restreinte) que celle qu’en auront les parents.
Mais, à titre d’exemple, cela peut permettre, comme dans l’affaire jugée par le tribunal administratif de Versailles (TA Versailles, 18 août 2006, Epoux F c. Commune de Montrouge, n° 0607067), d’obtenir le renouvellement d’une dérogation pour un enfant fragile qui a eu des difficultés d’adaptation.
Ainsi, ce principe devra être mobilisé par les avocats lorsque la demande de dérogation ne se fonde pas sur des motifs relatifs aux parents mais aux enfants.
En conclusion, même si les juridictions laissent une large marge d’appréciations aux communes pour accorder ou refuser d’accorder des dérogations à la carte scolaire en école élémentaire (primaire), il n’en demeure pas moins que celles-ci contrôlent sérieusement l’action de l’administration en ce domaine. Aussi, des recours peuvent être intentés en cas de refus de dérogation (de préférence avec l’aide d’un avocat).
[1] Depuis lors, cette compétence a été transférée au conseil municipal en vertu de l’article L. 212-7 du code de l’éducation.
[2] Bien que la décision ne le précise pas expressément, elle porte sur une demande de dérogation et non sur une inscription simple.
En effet, l'inscription d'un enfant en milieu scolaire est un droit, de sorte que le Conseil d'Etat se serait fondé sur l'avant dernier alinéa de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 (devenu article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration) relatif au refus d'avantages constituant un droit s'il s'était agi d'une demande d'inscription au sens propre. Or, il s'est fondé, pour annuler la décision, sur l'alinéa relatif au refus d'autorisation. Ce qui démontre qu'il s'agissait bien d'une demande de dérogation et non d’une inscription classique.
C'est la raison pour laquelle le ministre de l'éducation a confirmé dans une réponse du 6 septembre 2007 à la question n° 00800, publiée au journal officiel du Sénat p. 1579, que les refus de dérogation étaient bien soumis à l'obligation de motivation.