Observations sur l’avis Berthaud du 9 juillet 2010, n° 336556

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Par cet avis, le Conseil d’Etat, d’une part, estime que le contentieux du permis de conduire relève désormais du plein contentieux, sans que cette évolution vienne conférer au juge un pouvoir de modulation. Il tire de cette qualification une application de la loi nouvelle plus douce mais limite strictement les hypothèses dans lesquelles cette application pourra être demandée.

Par cet avis, le Conseil d’Etat, d’une part, estime que le contentieux du permis de conduire relève déso

Observations sur l’avis Berthaud du 9 juillet 2010, n° 336556

La distinction classique entre recours pour excès de pouvoir et recours de plein contentieux, au-delà de sa simplicité théorique recouvre, en pratique, des réalités très différentes. En effet, si les limites de l’office du juge du recours pour excès de pouvoir sont relativement bien délimitées, il en va différemment pour le juge du plein contentieux. Ainsi, l’on peut aisément affirmer que le juge de l’excès de pouvoir ne peut qu’annuler un acte et doit se placer à la date de son édiction pour déterminer les règles qui lui sont applicables. En revanche, s’agissant du plein contentieux, les règles de principe et les pouvoirs du juge sont plus difficiles à identifier tant l’office du juge varie selon les types de pleins contentieux et les législations sur lesquelles le juge se prononce (voir, sur cette question : D. Botteghi et A. Lallet, « Le plein contentieux et ses faux semblants » AJDA 201.156 ; X. Domino et A. Bretonneau : « Les terres mêlées du plein contentieux », AJDA 2012.1845). Néanmoins, il se dégage de la jurisprudence qu’en principe, le juge du plein contentieux se prononce au vu des règles en vigueur à la date à laquelle il statue et substitue sa décision à celle de l’administration. Ce principe connaît toutefois de nombreuses limites. De la sorte, la qualification en elle-même de plein contentieux ne permet pas, de prime abord, de déterminer avec précision l’office du juge.

C’est ce qui explique en partie les questions posées par le tribunal administratif de Lyon dans son jugement du 2 février 2010. Faisant application de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, le tribunal a transmis le dossier de M. Berthaud au Conseil d’Etat pour qu’il se prononce sur une série de questions portant sur l’office du juge du permis à points.

En effet, par une décision de principe Société ATOM (CE. Ass. 16 février 2009, n° 274000, publiée au Recueil ; concl. C. Legras, RFDA 2009.259 ; D. Bailleul, « Les sanctions administratives relèvent du plein contentieux », JCP Administrations et Collectivités territoriales n° 16, 13 avril 2009, 2089), la Haute juridiction avait jugé que le contentieux des sanctions administratives infligées aux administrés relevait désormais du plein contentieux. En outre, elle avait également précisé que le principe de la rétroactivité in mitius s’appliquait auxdites sanctions. Dès lors, le contentieux des retraits de points et de l’annulation du titre de conduite – qui relève du contentieux des sanctions infligées aux administrés – semblait devoir tomber, par voie de conséquence, dans le champ du plein contentieux. Cependant, le tribunal administratif de Lyon a estimé nécessaire, pour fixer les pouvoirs du juge du permis à points en la matière et déterminer si celui-ci était désormais un juge du plein contentieux, d’interroger le Conseil d’Etat en faisant usage de la possibilité offerte par l’article L. 113-1 du code de justice administrative.

C’est dans ces conditions que la Haute juridiction a été saisie d’une série de questions sur les habits neufs du juge du permis à points à la lumière de la jurisprudence Société ATOM. Le tribunal administratif de Lyon entendait ainsi déterminer, en substance, si ledit contentieux relevait bien de la pleine juridiction et, dans l’affirmative, si le juge était tenu de faire usage de ses pouvoirs pour déterminer lui-même le nombre de points dont le permis devait être affecté, pour appliquer la loi pénale plus douce et pour moduler les sanctions infligées aux contrevenants.

Répondant à ces différentes interrogations, le Conseil d’Etat estime dans l’avis commenté que le juge, qui dispose désormais de pouvoirs de plein contentieux, ne peut se saisir des décisions de retrait de points si elles ne lui ont pas été déférées. Il précisé également que les dispositions du code de la route ne donnent pas compétence au juge pour moduler les retraits de points. En revanche, il relève qu’il incombe au juge de faire application de la loi plus douce.

Ce faisant, la Haute juridiction dessine un nouvel office du juge du permis à points nuancé (I.) et détermine, avec précision, les implications du principe de la rétroactivité in mitius dans le domaine du permis à points (II.).

I. – Un office renouvelé du juge du permis à point

Si la décision Société ATOM susévoquée avait posé comme principe que l’ensemble des sanctions administratives infligées aux administrés faisaient désormais partie des matières relevant du plein contentieux, ce basculement (A.) et ses implications (B.) n’allaient pas nécessairement de soit dans le domaine du permis de conduire, d’où la question posée par le tribunal administratif de Lyon.

A. – Un basculement attendu vers le plein contentieux

Avant l’intervention de la décision d’assemblée Société ATOM, il était acquis que le contentieux du permis à points, comme celui de nombreuses sanctions infligées aux administrés, relevait du contentieux de l’excès de pouvoir. En effet, à défaut de texte contraire, la jurisprudence estimait que ce contentieux, qui amenait simplement le juge à statuer sur la légalité d’un acte sans se prononcer directement sur des droits, relevait logiquement de l’excès de pouvoir.

Toutefois, afin de répondre à des impératifs d’efficacité et, surtout, d’assurer la conformité du contentieux des sanctions aux exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil d’Etat, suivant son rapporteur public, C. Legras, a estimé que le contentieux des sanctions infligées aux administrés était désormais un plein contentieux. Ce basculement général vers le plein contentieux était appelé, selon les conclusions de C. Legras (RFDA 2009.159), par plusieurs éléments tenant, notamment, à l’approfondissement des garanties des personnes sanctionnées. Tout d’abord, et principalement, ce basculement avait pour but de permettre une pleine application du principe de la rétroactivité in mitius. Ensuite, la plasticité du plein contentieux a également été prise en compte par le Conseil d’Etat, le juge étant ainsi libre de se substituer à l’administration s’il l’estime utile. Ainsi, le plein contentieux, qui donne davantage de pouvoir au juge, conduit à un rapprochement opportun du contentieux des sanctions administratives avec le contentieux pénal. Enfin, un dernier élément entré en ligne de compte était la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière pénale. En effet, la Cour estime, à propos des sanctions tant pénales qu’administratives, que la juridiction amenée à se prononcer sur leur légalité doit être un organe de pleine juridiction. Or, la Cour indique que cet organe de plein juridiction doit disposer du « pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise », faute de quoi il ne peut être qualifié de juridiction (CEDH, 23 octobre 1995, Schmautzer c. Autriche, n° 15523/89, § 36). Dès lors, un doute pouvant exister quant à la qualification d’organe de pleine juridiction s’agissant d’une juridiction administrative statuant sur un recours pour excès de pouvoir, l’avènement du plein contentieux était également l’occasion de rapprocher l’office du juge des sanctions de ce modèle de l’organe de pleine juridiction défini par la Cour.

Par conséquent, le contentieux du retrait de points et de l’annulation de permis de conduire devait immanquablement tomber dans le champ de la pleine juridiction, celui-ci portant sans ambiguïté sur des sanctions administratives. Néanmoins, le tribunal administratif de Lyon a, au cas présent, souhaité voir trancher cette question par le Conseil d’Etat. Comme son rapporteur public le relevait dans ses conclusions, la décision Société ATOM précitée a procédé à un basculement vers le plein contentieux pour permettre une pleine application du principe de rétroactivité in mitius. Cependant, selon les conclusions de C. Legras, le principe de la rétroactivité in mitius trouverait à s’appliquer même en excès de pouvoir. Dès lors, les pouvoirs du juge du permis à points étant relativement limités, le tribunal pouvait s’interroger sur la nécessité d’un tel basculement dans la mesure où l’excès de pouvoir ne s’oppose pas à la rétroactivité in mitius. Selon le rapporteur public du tribunal, cette interrogation était corroborée par l’absence de consensus apparent sur cette question. A cet égard, si certaines juridictions avaient fait application des principes du plein contentieux (TA Orléans, 14 mai 2009, M. Curvalle, n° 0801407 ; CAA Marseille, 18 mai 2009, M. Sanna, n° 07MA03903 ; CAA Bordeaux, 30 juin 2009, Ministre de l'Intérieur c. M. Camborde, n° 08BX00272), d’autres apparaissaient ne pas encore appliquer la jurisprudence Société ATOM (CAA Lyon, 26 novembre 2009, M. Chavagneux, n° 07LY01971). De même, certaines formations du Conseil d’Etat semblaient continuer à utiliser le vocabulaire de l’excès de pouvoir et non celui du plein contentieux (CE. SSR. 21 octobre 2009, Ministre de l’intérieur, n° 315124), ce qui permettait effectivement de s’interroger sur ce point.

Néanmoins, dans l’avis commenté, le Conseil d’Etat a, sans surprise, fait application du principe dégagé par la décision Société ATOM. A cet égard, le rapporteur public, J.-P. Thiellay, s’est borné, dans ses conclusions à indiquer rapidement que le contentieux du permis à point étant un contentieux de sanctions administratives (CE. SSR. Avis, 27 septembre 1999, M. Rouxel, n° 208242, publié au Recueil), il relevait désormais de la pleine juridiction. Ainsi, cette question n’apparaît pas avoir suscité beaucoup de débats au sein du Conseil d’Etat. Et pour cause, si la question posée par le tribunal n’était pas dénué d’intérêt eu égard au raisonnement développé dans les conclusions de C. Legras (point III-4-1 des conclusions), il n’en demeure pas moins que ces mêmes conclusions ainsi que la décision Société ATOM donnaient d’ores et déjà les clefs pour répondre à l’interrogation du tribunal. En effet, C. Legras relevait sans ambiguïté que, malgré la possible application de la rétroactivité in mitius en excès de pouvoir, cette solution semblait toutefois « poser un problème aussi gênant que paradoxal », lié à la nature de l’excès de pouvoir. C’est ce qui la conduisit à proposer un basculement général du contentieux de toutes les sanctions des administrés vers le plein contentieux. Aussi, la première interrogation du tribunal trouvait, à notre sens, déjà une réponse dans la jurisprudence antérieure.

Il en va différemment des autres questions posées par le tribunal et, notamment, de celles relatives aux implications de ce basculement. En effet, comme évoqué brièvement supra, la seule qualification de plein contentieux ne permet pas de connaître les contours de l’office du juge. Répondant à ces questions, le Conseil d’Etat précise deux éléments. D’une part, il affirme que « saisi de conclusions dirigées contre la décision […] procédant à un retrait de points, le juge peut […] réformer la décision ». D’autre part, il indique que le juge n’est pas tenu de se prononcer sur l’ensemble des décisions de retrait de point dans l’hypothèse où le recours est uniquement dirigé contre la décision d’annulation du permis de conduire. Ces deux apports de l’avis M. Berthaud méritent que l’on s’y attarde.

En premier lieu, s’agissant du pouvoir de réformation dont dispose désormais le juge du permis à points, l’on peut remarquer que ce pouvoir – classique pour un juge de plein contentieux – lui permet de substituer son appréciation à celle de l’administration et, ainsi, de jouer pleinement son rôle. Cependant, il importe de relever que dans le contentieux qui nous intéresse, le pouvoir de réformation des décisions administratives n’est pas général mais trouve uniquement à s’appliquer dans deux hypothèses. En effet, dans certains domaines du plein contentieux, le juge est amené à se substituer systématiquement à l’administration. Il en va, notamment, ainsi lorsque le juge se prononce sur l’attribution de droits sociaux (voir, par exemple, en ce sens : CE. Sect. 27 juillet 2012, Mme Labachiche, n° 347114, publiée au Recueil). Néanmoins, tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le Conseil d’Etat précise que le pouvoir de substitution n’existe que lorsque le juge fait application de la loi pénale plus douce. En outre, il « peut » réformer la décision de retrait de point qui lui est déférée. Ce n’est donc pas une obligation. La décision du juge ne vient remplacer celle de l’administration que dans l’hypothèse où il estime qu’elle peut être maintenue mais que son contenu doit être modifié. Le juge ne se prononce donc pas « directement sur » la situation qui lui est soumise – comme le fait le juge de l’attribution des droits sociaux – mais s’intéresse à la décision de sanction en elle-même qu’il peut, le cas échéant, réformer. C’est donc dans cette seule mesure qu’il fait usage de la réformation.

En outre, il doit être noté qu’il n’existe une obligation pour le juge de se substituer à l’administration que dans l’hypothèse où il fait application du principe de la rétroactivité in mitius. En effet, lorsque le juge applique une loi plus douce, sa décision se « substitue » à celle de l’administration. Il n’a donc pas le choix de renvoyer le requérant vers l’administration. Cette solution apparaît parfaitement logique dans la mesure où le passage vers le plein contentieux a pour objet de simplifier le contentieux des sanctions administratives. Il serait donc pour le moins étonnant qu’après avoir constaté que le principe de rétroactivité in mitius doit être appliqué, le juge annule la décision et se retourne vers l’administration pour lui demander de faire application dudit principe. Ce détour par l’administration serait inutile. En revanche, en dehors de cette hypothèse, le juge n’est pas tenu de faire application de son pouvoir de réformation, que ce soit dans le cadre d’un retrait de point ou d’une annulation de permis de conduire. Dans ces hypothèses, le juge du plein contentieux n’est pas contraint de faire usage de ses pouvoirs et de réduire le nombre de points retirés. Cette solution est également classique dans la mesure où, comme le relève C. Legras dans ses conclusions, « la pleine juridiction se caractérise par une plasticité qui peut permettre au juge de ne pas épuiser ses prérogatives et, notamment, de ne pas faire usage de son pouvoir de réformation s’il estime que les circonstances de l’espèce ne le lui permettent pas ». En effet, il apparaît logique de ne pas imposer au juge de se prononcer sur les conséquences de sa décision, par exemple, en affectant un nombre déterminé de points sur le permis de conduire du requérant s’il ignore la situation administrative de celui-ci. Toutefois, une critique peut être soulevée à l’encontre de cette faculté ouverte au juge de renvoyer à l’administration le soin de procéder aux calculs du nombre de points ; cette solution conduit le juge à ne pas purger totalement le litige mais à se retourner vers l’administration pour que celle-ci se prononce à nouveau. Or, le basculement vers le plein contentieux des recours formés contre les sanctions administratives a justement eu pour but de limiter les renvois à l’administration et de permettre au juge de purger, une fois pour toutes, le litige. Cette simple faculté laissée au juge de réformer la décision semble donc aller à contre-courant de l’objectif poursuivi et ce, d’autant, que le juge pourrait aisément enjoindre à l’administration de lui communiquer les éléments lui permettant de se prononcer lui-même sur le nombre de points à retirer ou à réaffecter, s’il n’en dispose pas déjà. Ainsi, cette limite à l’efficacité du juge du plein contentieux aurait pu être évitée. A cet égard, il apparaît que, dans la pratique, la possibilité de renvoyer à l’administration est largement utilisée (voir, pour un exemple, récent : CE. SSJS. 30 avril 2014, n° 356819, inédite). De fait, par l’intermédiaire de cette plasticité et de la faculté laissée au juge de faire ou non usage de ses pouvoirs, l’apport du passage au plein contentieux apparaît limité. En effet, en renvoyant à l’administration le soin de calculer le nombre de points, le juge ne purge pas le litige. Or, c’est là l’une des critiques que l’on pouvait faire au juge de l’excès de pouvoir qui, par le biais des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, renvoyait à l’administration le soin de tirer les conséquences de ses décisions. Certes, le passage vers le plein contentieux permet au juge de se substituer à l’administration s’il l’entend. Néanmoins, la pratique semble indiquer que cette faculté n’est que peu utilisée. De la sorte, l’apport du basculement apparaît, dans ce domaine, limité.

En second lieu, le tribunal administratif de Lyon interrogeait le Conseil d’Etat afin de connaître l’étendue du litige dont connaissait le juge du plein contentieux saisi de conclusions dirigées contre la seule décision d’annulation de permis de conduire. Autrement dit, le tribunal souhaitait savoir si saisi d’un recours contre l’annulation du permis – mais pas contre chaque décision de retrait de points – le juge était tenu de se prononcer sur chaque retrait de points sans s’en tenir au principe d’économie de moyens. Cette interrogation peut se comprendre dans la mesure où l’esprit du basculement vers le plein contentieux étant de vider le litige, il aurait pu être envisagé que le juge soit saisi de l’entière situation du contrevenant et qu’il soit tenu de se prononcer sur la légalité de toutes les décisions de retrait de points. Néanmoins, comme indiqué brièvement supra, il apparaît que, dans le contentieux des sanctions administratives, le juge du plein contentieux demeure saisi d’une décision et non d’une situation. De la sorte, le Conseil d’Etat estime que le juge justifie suffisamment son annulation en relevant que le solde de points n’est plus nul et qu’en conséquence, le permis de conduire a retrouvé sa validité. Cette solution apparaît logique dans la mesure où même le juge du plein contentieux (surtout lorsqu’il est objectif) demeure tenu par l’impossibilité de statuer ultra petita. Dès lors, s’il n’est saisi que d’une décision, il ne peut se prononcer sur la légalité d’autres actes si cela n’est pas nécessaire pour statuer sur les conclusions qui lui sont soumises.

A cet égard, le rapporteur public du tribunal administratif de Lyon indiquait, dans ses conclusions sur le jugement transmettant les présentes interrogations au Conseil d’Etat (AJDA 2010.1032), que cette question était suscitée par le contenu de l’avis M. Janiaud (CE. SSR. Avis, 26 juillet 2006, publié au Recueil) qui invitait le juge saisi du litige à se prononcer sur l’ensemble des retraits de points. Cependant, cette lecture de l’avis M. Janiaud apparaît erronée. En effet, dans cet avis, le Conseil d’Etat n’invitait aucunement les juridictions à statuer ultra petita mais simplement à vérifier, lorsqu’elles estimaient qu’une décision de retrait de point n’est pas justifiée, si son illégalité avait ou non une influence sur la validité du permis de conduire. Dès lors, ni avant, ni après le passage vers plein contentieux, le juge n’est tenu de se prononcer sur l’ensemble des retraits de points s’il n’en est pas saisi.

Partant, au vu de ce qui précède, il apparaît que le basculement des sanctions des administrés de l’excès de pouvoir vers le plein contentieux n’a pas eu d’influence sensible sur l’office du juge du permis à points. A cet égard, l’on peut noter qu’il en va de même s’agissant de son éventuel pouvoir de modulation.

B. – Une confirmation de l’absence de pouvoir de modulation du juge

Le tribunal administratif de Lyon interrogeait le Conseil d’Etat sur un éventuel pouvoir du juge de moduler la sanction de retrait de points à raison de son office de plein contentieux. En effet, il était envisageable que l’élargissement des pouvoirs du juge des sanctions le conduise à disposer d’un pouvoir de modulation. Toutefois, la Haute juridiction répond par la négative à cette question en estimant que la loi n’a pas donné un tel pouvoir à l’administration ou au juge.

Cette solution s’inscrit parfaitement dans la lignée jurisprudentielle du Conseil d’Etat qui estime de façon constante que le juge, quel qu’il soit, ne détient aucun pouvoir de modulation des sanctions à moins que la loi n’en ait disposé autrement. A cet égard, les conclusions susmentionnées de C. Legras sur la décision Société ATOM rappellent très clairement la position actuelle de la jurisprudence administrative, à savoir que si le législateur ne donne pas à l’administration de pouvoir d’appréciation sur le quantum d’une sanction, alors le juge ne dispose pas d’un pouvoir de modulation (CE. SSR. Avis, 8 juillet 1998, M. Fattell, n° 195664, mentionné aux tables). Le raisonnement qui justifie cette position est donc le suivant : le juge ne peut aller au-delà des pouvoirs reconnus à l’administration elle-même. Cette solution, d’une certaine logique, n’en demeure pas moins sujette à discussion comme cela sera vu infra. Néanmoins, au vu de cette position de principe, la question posée par le tribunal n’appelait pas, sauf revirement, de réelle interrogation pour le Conseil d’Etat. D’ailleurs, les conclusions du rapporteur public J.-P. Thiellay sont, sur ce point, particulièrement brèves, ce qui démontre que cette question n’a pas retenu les juges du Palais-Royal.

Cette position est d’autant moins étonnante dans le domaine du permis de conduire que la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé que, même sans modulation, la proportionnalité des sanctions était assurée par le système en vigueur comme l’exige l’article 6§1 de la Convention (CEDH, 23 septembre 1998, Malige c. France, n° 68/1997). En l’état, le droit européen des droits de l’Homme ne suppose donc pas que le juge administratif puisse moduler les sanctions. La Cour se satisfait de l’intervention préalable du législateur, venu lui-même établir une gradation de ces sanctions.

Néanmoins, la circonstance que cette modulation ne soit pas rendue obligatoire par les textes européens ou internes ne signifie pas, pour autant, qu’elle soit malvenue ou impossible. En effet, comme indiqué ci-dessus, il est logique que le juge administratif ne se reconnaisse pas des pouvoirs plus étendus que ceux dont dispose l’administration elle-même, le contentieux des sanctions étant un contentieux des actes (même s’il peut s’agir d’un plein contentieux) ; la limite imposée à l’administration apparaît devoir pareillement s’imposer au juge.

Toutefois, il ne peut être ignoré que le passage du contentieux des sanctions administratives vers le plein contentieux a des conséquences sur la place du juge au-delà de son office. En effet, l’objet de cette évolution était également de rapprocher le juge des sanctions du juge pénal. A cet égard, les conclusions de C. Legras précitées rappellent : « il est certain qu’il existe une spécificité de l’acte répressif administratif qui déborde les fonctions traditionnelles de l’administration. Sans aller jusqu’à y voir une anomalie, nous pensons que la légitimité des sanctions dépend notamment de la possibilité qu’intervienne un juge muni de pouvoirs « se rapprochant le plus possible de ceux du juge pénal » ».

Le passage au plein contentieux n’a donc pas qu’une portée pratique et juridique (application de la loi plus douce, etc.). Il a également une portée symbolique. Certes, il existe une différence importante entre le contentieux des sanctions administratives et le contentieux pénal, à savoir que dans le premier cas, une décision de l’administration s’intercale entre les faits et le juge. Cependant, le mouvement actuel de la jurisprudence est de faire partiellement abstraction de cet acte administratif pour permettre au juge de se saisir davantage des situations que des décisions. Il aurait donc été, dans ce courant, envisageable de rapprocher encore le juge administratif des sanctions du juge pénal en lui accordant un pouvoir de modulation même lorsque la loi ne prévoit un tel pouvoir pour l’administration. Ce faisant, le juge des sanctions serait devenu un véritable juge du plein contentieux au sens du droit européen des droits de l’Homme (CEDH, 23 octobre 1995, Schmautzer c. Autriche, n° 15523/89, précité).

Toutefois, il pourrait être objecté que cet élargissement des pouvoirs du juge dans le domaine du permis à points aurait peu d’intérêt pratique et présenterait, à l’inverse, des inconvénients dans le traitement de ce contentieux.

D’une part, l’intérêt de ce pouvoir de modulation serait en pratique relativement limité dans la mesure où le législateur ayant d’ores et déjà prévu une gradation des sanctions et, ce faisant, ayant lui-même modulé les peines, le juge administratif n’aurait très généralement et sauf circonstance particulière aucun motif de moduler la sanction retenue par le législateur. Néanmoins, l’on pourrait considérer que ce pouvoir de modulation trouverait justement à s’appliquer dans ces hypothèses particulières qui, bien que peu fréquentes, n’en justifieraient pas moins que le juge puisse intervenir. Il doit toutefois être relevé que de tels cas de figure sont en principe déjà pris en compte par le système de la dispense de peine, utilisée par le juge pénal, et qui s’oppose à l’infliction d’une sanction administrative (voir, en ce sens : CE. SSR. 16 juin 2004, M. Barcelo, n° 248628, publiée au Recueil). De la sorte, le pouvoir de modulation ne trouverait, en fait, à s’appliquer que dans l’hypothèse où la sanction prévue par le législateur apparaîtrait inadéquate et où le juge judicaire n’aurait pas prononcé une dispense de peine, soit dans des circonstances très rares.

D’autre part, un tel pouvoir présenterait deux inconvénients pratiques dans le cadre du contentieux du permis à points (qui n’apparaît donc pas comme une terre d’élection idéale pour cette évolution). Le premier serait que le juge ayant davantage de pouvoirs que l’administration, les contrevenants seraient tentées d’introduire systématiquement des recours à l’encontre des décisions de retrait de point afin de bénéficier, fort logiquement, de cette modulation qui n’est pas permise à l’administration. Cela aurait donc pour conséquence une croissance de ce contentieux pour des résultats, sans doute, peu satisfaisants pour les requérants. Le second inconvénient du pouvoir de modulation serait la tentation d’utiliser le juge administratif comme une session de rattrapage en cas de rejet d’un recours formé devant le juge pénal. En effet, à la suite d’une condamnation par le juge répressif et, par conséquent, d’une sanction administrative, le contrevenant pourrait aisément être tenté de reproduire, devant le juge administratif les mêmes arguments que ceux développés devant le juge judiciaire afin de voir sa sanction modulée. Une telle situation, si elle ne contreviendrait pas frontalement au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, n’en demeurerait pas moins problématique dès lors qu’elle permettrait, dans le cadre du contentieux du permis à points, au juge administratif de se prononcer sur les circonstances de l’infraction et les éventuelles causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la sanction. Cet inconvénient ne pourrait donc être ignoré étant donné le risque d’empiètement qu’il engendrerait sur les compétences de l’autorité judiciaire.

Ainsi, il apparaît que si, théoriquement, le pouvoir de modulation des sanctions administratives par le juge semble souhaitable, il n’en demeure pas moins que son intérêt pratique serait limité et qu’il conduirait à complexifier ce contentieux. Aussi, la solution retenue par le Conseil d’Etat sur ce point paraît peu critiquable dans le contentieux du permis à points. Reste donc à voir le second point central de cet avis, à savoir l’application du principe de la rétroactivité in mitius au contentieux du permis à points.

II. – Une application nuancée du principe de la rétroactivité in mitius

Le principe de la rétroactivité in mitius trouve, logiquement, à s’appliquer au contentieux du permis à points par transposition de la jurisprudence Société ATOM. Néanmoins, il n’était pas inutile que le Conseil d’Etat vienne préciser ses implications dans le domaine du permis de conduire (A.) et tracer ses contours (B.).

A. – Une application logique du principe de la rétroactivité de la loi plus douce

Le tribunal administratif de Lyon, à l’origine de l’avis M. Berthaud, interrogeait surtout le Conseil d’Etat quant à l’application du principe de la rétroactivité de la loi plus douce au contentieux du permis de conduire. En effet, il ressort de la lecture des conclusions du rapporteur public du tribunal susmentionnées, que la juridiction s’interrogeait sur l’application dudit principe par le juge du permis à points eu égard à ses pouvoirs limités. Dans ce domaine, il doit effectivement être relevé que le juge dispose de pouvoirs d’appréciation quasi inexistants et intervient après le juge judiciaire (s’il est saisi).

A raison de cette situation particulière, le rapporteur public du tribunal émettait une série de réserves susceptibles de s’opposer ou, à tout le moins, de compliquer, la mise en œuvre du principe de la rétroactivité in mitius par le juge administratif. Tout d’abord, il relevait que le caractère automatique et accessoire de la sanction administrative par rapport à la sanction pénale pouvait s’opposer à l’application dudit principe. Ensuite, il émettait des réserves quant à la possibilité de tenir compte de la disparition d’une incrimination sans empiéter sur le domaine du juge pénal. Enfin, dans la mesure où le tribunal questionnait également le Conseil d’Etat sur le caractère de pleine juridiction du contentieux du permis de conduire, le rapporteur public s’interrogeait sur la possibilité pour le juge de faire application du principe de la rétroactivité in mitius dans l’hypothèse où le contentieux du permis à point continuerait à relever du contentieux de l’excès de pouvoir.

Il apparaît toutefois que deux de ces remarques pouvaient aisément être écartées.

D’une part, la question du lien entre plein contentieux et rétroactivité in mitius ne se pose finalement pas dans l’avis commenté puisque le Conseil d’Etat décide préalablement que le contentieux du permis de conduire est bien un contentieux de pleine juridiction. Toutefois, il est intéressant de relever que même si le contentieux du permis à points était demeuré un contentieux d’excès de pouvoir, cette nature du contentieux n’aurait eu aucune incidence sur l’application de la loi pénale plus douce. En effet, l’application du principe de la rétroactivité in mitius n’est pas liée à la qualification de plein contentieux. Certes, le Conseil d’Etat a longtemps considéré que, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, le principe de la rétroactivité in mitius trouvait une limite dans l’obligation pour le juge de statuer en se plaçant à la date d’édiction de la décision (CE. SSR. 28 février 1997, M. Rodin, n° 147955, publiée au Recueil). Néanmoins, les conclusions de C. Legras précitées démontrent que cette opposition affichée n’était nullement justifiée et ne pouvait perdurer. Lesdites conclusions exposent une série de considérations qui justifient l’application de la loi pénale plus douce par le juge de l’excès de pouvoir. Tout d’abord, comme le relève C. Legras, lier l’application de la loi pénale plus douce à la qualification de plein contentieux aurait pour conséquence de faire produire beaucoup d’importance à un choix du juge qui relève de son entière liberté en l’absence de texte. En effet, il paraîtrait difficilement acceptable que l’application d’un principe constitutionnel et conventionnel soit conditionnée par un choix opéré par le Conseil d’Etat pour des raisons d’opportunité ou de politique jurisprudentielle. Ensuite, bien que le juge de l’excès de pouvoir se place en principe à la date d’édiction de la décision, il existe des hypothèses dans lesquelles il tient compte d’une loi postérieure, il en va notamment ainsi des lois de validation. Dès lors, le principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir se place à la date de la décision qui lui est déférée n’est pas absolu et connaît des limites. Enfin, comme le relève également C. Legras, le principe de la rétroactivité in mitius est un principe conventionnel (issue de l’article 15 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ; il a, au demeurant, été consacré depuis lors par la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de l’article 7 de la Convention : CEDC. GC. 17 septembre 2009, Scoppola c. Italie, n° 10249/03), qui s’impose au juge sans que les distinctions relevant du droit interne puissent être opposées. A cet égard, la consécration du principe par la Cour de Strasbourg quelques temps après la décision Société ATOM rendait son application d’autant plus impérative dans le contentieux du permis de conduire, expressément qualifié de contentieux répressif par la Cour. Ainsi, il apparaît bien que la qualification de contentieux de l’excès de pouvoir, si elle avait été maintenue, n’aurait pu s’opposer à l’application du principe de la rétroactivité in mitius. Certes, la jurisprudence a réalisé le passage vers le plein contentieux à l’occasion de la consécration du principe d’application immédiate de la loi répressive plus douce. Néanmoins, ces deux questions ne sont pas liées par des impératifs théoriques. Elles le sont seulement par des considérations pratiques, les pouvoirs du juge en matière d’excès de pouvoir étant mal adaptés au principe de la rétroactivité in mitius mais ne s’opposant pas à son application. Aussi, cette première réserve émise par le rapporteur public du tribunal réserve pouvait aisément être écartée.

D’autre part, s’agissant de l’opposition qui pourrait exister entre application de la loi pénale plus douce et caractère automatique et accessoire de la sanction, le rapporteur public du tribunal administratif de Lyon se référait, pour s’interroger, à la jurisprudence judiciaire en matière de peines accessoires. Néanmoins, ce raisonnement apparaît erroné. En effet, la sanction de retrait de point n’est pas une peine accessoire mais une sanction administrative distincte de la sanction pénale. Certes, la jurisprudence judicaire semble considérer que le retrait de points est une peine accessoire à la sanction pénale (Cass. Crim. 19 septembre 2000, n° 99-86209). Toutefois, tel n’est pas le cas de la jurisprudence administrative. C’est ce qui ressort sans ambiguïté de l’avis M. Rouxel (CE. SSR. Avis, 27 septembre 1999, M. Rouxel, n° 208242, publié au Recueil p. 280). Le Conseil d’Etat a clairement estimé que le retrait de point prononcé par l’autorité administrative « ne constitue pas une sanction pénale accessoire à une condamnation ». Cette solution est constamment réaffirmée depuis (voir, par exemple, en ce sens : CAA Nancy, 26 septembre 2011, Ministre de l’intérieur c. M. Daniel A., n° 10NC01936). Ce raisonnement est parfaitement logique dans la mesure où la sanction administrative n’est pas une peine « pénale » puisqu’elle est prononcée par l’autorité administrative. En outre, elle n’est pas automatique dans la mesure où l’administration ne se borne pas à vérifier que la sanction pénale est devenue définitive mais tient compte d’autres éléments pour prononcer la sanction et, notamment, vérifie – en principe – si l’intéressé a bien reçu l’information préalable exigée par les textes. Ainsi, le raisonnement judiciaire qui concerne les peines accessoires automatiques ne peut être transposé à l’application du principe de la rétroactivité in mitius aux sanctions administratives même lorsqu’elles interviennent à la suite d’une sanction pénale. A cet égard, et en tout état de cause, une différence fondamentale existe entre les peines complémentaires automatiques et les retraits de points. En effet, les peines accessoires automatiques sont prononcées (ou réputées être prononcées) en même temps que les peines principales par l’autorité judiciaire. De la sorte, elles passent en force de chose jugée au même moment que les peines principales. Tel n’est pas le cas pour les retraits de points qui sont prononcés postérieurement à la sanction pénale par une autorité administrative et ne deviennent donc pas définitifs en même temps que la sanction pénale. Ainsi, le raisonnement judiciaire en la matière n’est manifestement pas transposable. Partant, cet argument ne pouvait davantage constituer un obstacle à l’application du principe de la rétroactivité in mitius au contentieux du permis à points.

Dès lors, malgré ces hésitations du tribunal administratif de Lyon, la solution semblait découler automatiquement de la jurisprudence Société ATOM. C’est d’ailleurs la position prise par le Conseil d’Etat dans l’avis commenté. En effet, la Haute juridiction estime que le juge du permis de conduire doit « faire application d’une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle la réalité de l’infraction à l’origine du retrait de points a été établie et celle à laquelle il statue ». Par suite, les hésitations du tribunal pouvaient être levées.

A cet égard, il est établi de longue date que le principe de l’application de la loi répressive plus douce s’étend aux sanctions administratives. Comme le rappellent les conclusions de C. Legras précitées, si le Conseil d’Etat a, dans un premier temps, limité l’application de ce principe aux seules condamnations pénales prononcées par le juge administratif (contraventions de grande voirie et amendes prononcées par le juge budgétaire : CE. SSR. 23 juillet 1976, Secrétaire d’Etat aux postes et télécommunications c. Dame Ruffenach, n° 99520, publiée au Recueil p. 376 ; CE. Sect. 9 décembre 1977, Sieur De Grailly, n° 97399, publiée au Recueil p. 493), il a par la suite étendu la rétroactivité in mitius aux autres sanctions administratives (pour les sanctions fiscales : CE. Sect. Avis, 5 avril 1996, M. Houdmond, n° 176611, publié au Recueil ; pour l’ensemble des sanctions administratives : CE. SSR. 17 mars 1997, OMI, n° 124588, publiée au Recueil). De même, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler que ce principe concernait les mesures « répressives » et non seulement « pénales » plus douce (voir, par exemple, les décisions n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 et n° 92-305 du 21 février 1992). Ainsi, l’applicabilité de ce principe aux sanctions administratives n’était pas le cœur du problème dans la mesure où il était établi qu’il concerne ces mesures répressives.

Au vu de ces éléments, il était logique que par la décision Société ATOM, le Conseil d’Etat vienne confirmer l’application de la rétroactivité in mitius en précisant que – contrairement à ce qu’il jugeait antérieurement dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir – le juge doit apprécier l’existence d’une loi plus douce à la date à laquelle il se prononce. C’est d’ailleurs ce qu’il confirme dans l’avis commenté en indiquant clairement que le juge doit prendre en compte une loi plus douce intervenue entre la date d’établissement de la réalité de l’infraction et la date à laquelle il statue. Certes, eu égard au contexte de ces dernières décennies allant davantage dans le sens d’une répression accrue que d’un adoucissement des sanctions en matière de permis de conduire, cette rétroactivité présente un caractère quelque peu théorique. Néanmoins, il était important que les contours de ce principe soient précisés.

A cet égard, il n’est pas inutile de s’attarder sur la notion de loi « plus douce » retenue par le Conseil d’Etat. En effet, une fois affirmé que la loi plus douce doit être appliquée immédiatement, il convient de préciser ce qu’est une loi plus douce. Si de prime abord, cette notion semble évidente, elle ne l’est, en réalité, pas tant que ça. C’est d’ailleurs ce que démontre la jurisprudence judiciaire sur ce point. S’agissant du permis à points, l’avis commenté, éclairé par les conclusions du rapporteur public J.-P. Thiellay permet de comprendre qu’au sens du Conseil d’Etat la loi « plus douce » recouvre deux hypothèses.

D’une part, il y a loi « plus douce » lorsque le barème des points retirés est allégé entre la commission de l’infraction et la décision du juge administratif. En effet, si postérieurement à l’établissement de la réalité de l’infraction ou à l’édiction de la décision administrative, le barème de points est modifié à la baisse, il appartient au juge d’en tenir compte. Le Conseil d’Etat précise que, dans cette hypothèse, le juge du permis de conduire substituera sa décision à celle de l’administration en réduisant le nombre de points retirés. Ainsi, en cas de diminution du barème, la loi plus douce doit être appliquée par le juge.

A cet égard, une question, abordée par le rapporteur public mais qui n’est pas expressément reprise dans l’avis commenté mérite que l’on s’y attarde. En effet, J.-P. Thiellay relevait que la Cour de cassation avait une interprétation restrictive de la loi « plus douce » dans la mesure où il devait bien s’agir d’une « loi » et non d’un acte réglementaire. La Cour a ainsi été amenée à préciser que l’abrogation d’un règlement n’avait pas de conséquence sur les faits commis dans la mesure où le texte législatif, support légal de l’incrimination, n’avait pas disparu (voir, par exemple, en ce sens : Cass. Crim. 19 février 1997, 96-80130, publié au Bulletin criminel 1997 N° 68 p. 221 ; Cass. Crim. 18 janvier 2006, n° 05-84369). La Cour considère donc que le principe de la rétroactivité in mitius ne s’applique pas s’agissant d’un texte réglementaire abrogé ou modifié. Ce faisant, la Cour de cassation retient une interprétation stricte de la « loi » plus douce en se référant uniquement sur un acte législatif. Bien que cette solution soit quelque peu restrictive – et que l’on puisse douter de sa compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme – elle peut se comprendre dans la mesure où, en droit pénal interne, et plus généralement dans le domaine du juge judiciaire, la loi conserve une place et une prééminence qui s’adapte mal au droit public. En effet, suivre ce même raisonnement en droit administratif priverait le principe de la rétroactivité in mitius d’une grande part de son intérêt puisque, fort souvent, ce sont des textes réglementaires qui sont le support, parfois unique, de sanctions administratives. Dès lors, le raisonnement judiciaire ne serait pas ici opportun. Et ce, d’autant, que l’ensemble des principes pénaux (légalité des délits et des peines, proportionnalité des sanctions, nécessité des peines, etc.) ont été étendus aux sanctions administratives par le Conseil constitutionnel (décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) mais surtout adaptés à la spécificité desdites sanctions.

Si le Conseil d’Etat ne se prononce pas explicitement dans le sens proposé par son rapporteur public, il n’en demeure pas moins, qu’implicitement cette thèse est confirmée. En effet, en faisant référence au « barème de retrait de points établi sur le fondement de l’article L. 223-2 du code de la route », le Conseil d’Etat a nécessairement fait référence au barème réglementaire établi sur la base de cet article. De la sorte, il apparaît certain que la Haute juridiction n’a pas repris la distinction acte législatif/acte réglementaire qui prévaut en droit pénal. Ainsi, dans l’hypothèse où le barème réglementaire de points serait modifié entre l’établissement de l’infraction et le moment auquel le juge administratif se prononce, alors il devrait en tenir compte.

D’autre part, la seconde hypothèse dans laquelle, selon le Conseil d’Etat, la loi doit être considérée comme plus douce concerne la suppression de l’incrimination. Ce second cas pose, plus frontalement, la question de l’éventuelle contrariété de la solution retenue par le juge administratif avec celle du juge pénal et de l’empiètement sur les pouvoirs de ce dernier. En effet, cette hypothèse vise les cas dans lesquels la réalité de l’infraction est établie (par exemple par un jugement devenu définitif) mais où, postérieurement, l’infraction est supprimée. De la sorte, le juge administratif est amené à dire que la sanction pénale n’est plus nécessaire. C’est cela qui retenait notamment l’attention du tribunal administratif de Lyon à l’origine de la question.

Toutefois, ni le Conseil d’Etat, ni son rapporteur public, n’a estimé que cette objection doive conduire à écarter l’application de la rétroactivité in mitius. En effet, le Conseil d’Etat a expressément considéré que l’abrogation des dispositions réprimant une infraction emportait la mise en œuvre de la rétroactivité in mitius. Au soutien de cette position, J.-P. Thiellay relevait qu’il aurait été quelque peu paradoxal de tenir compte d’une modification du barème mais pas d’une suppression de l’infraction, qui signifierait pourtant que la sanction n’est plus nécessaire. En outre, il rappelait que l’essence même de la rétroactivité in mitius est de tenir compte de la suppression d’une incrimination. Enfin, il retenait que l’article 112-4 du code pénal prévoit qu’une peine cesse de recevoir exécution quand le fait qui la fonde n’a, en vertu d’une loi postérieure au jugement, plus le caractère d’une infraction. A cet égard, il serait de nouveau paradoxal que le juge pénal puisse, postérieurement à une condamnation définitive, refuser d’exécuter la peine en raison de la suppression de l’incrimination mais que le juge administratif n’en tienne pas compte à l’égard de la sanction administrative qui est assise sur la condamnation pénale. Ainsi, la solution adoptée par le Conseil d’Etat apparaît justifiée. Elle l’est d’autant que l’immense majorité des « condamnations » naît, en réalité, par le paiement de l’amende forfaitaire ou l’émission de l’amende forfaitaire majorée. C’est-à-dire sans que le juge pénal n’intervienne.

Dès lors, l’application du principe de la rétroactivité in mitius au contentieux du permis à points dans ses deux composantes principales (adoucissement de la peine et suppression de l’incrimination) ne fait, à l’issue de l’avis commenté, plus de doute. En revanche, à la lecture de cet avis, l’on s’aperçoit que le Conseil d’Etat pose une limite importante à l’application immédiate de la loi plus douce.

B. – Une application limitée du principe de la rétroactivité de la loi plus douce

Le principe de la rétroactivité in mitius, consacré dans le domaine du permis de conduire, connaît une limite importante tenant à l’impossibilité de s’en prévaloir dans l’hypothèse d’une modification des règles applicables au lieu de l’infraction (augmentation de la vitesse autorisée par exemple). Sur ce point, le Conseil d’Etat estime qu’« en revanche, en cas de modification, postérieurement aux faits, de la règlementation routière applicable au lieu où l’infraction a été relevée, ni l’administration ni le juge n’ont à en faire une application rétroactive, dès lors qu’une telle modification des obligations résultant de cette réglementation n’affecte ni l’incrimination, ni la sanction ». Ce raisonnement peut se justifier d’un point de vue théorique dans la mesure où l’incrimination n’est pas supprimée (l’excès de vitesse demeure, en soi, sanctionné) et le barème de la sanction n’est pas revu à la baisse. En outre, cette solution a le mérite d’être en accord avec la jurisprudence judiciaire. En effet, dans l’arrêt du 18 janvier 2006 susmentionné (Cass. Crim. 18 janvier 2006, n° 05-84369), la Cour de cassation a considéré que la modification de la limitation de vitesse au lieu de l’infraction était sans influence sur les poursuites engagées antérieurement dans la mesure où « lorsqu’une disposition législative, support légal d’une incrimination, demeure en vigueur, l’abrogation de textes réglementaires pris pour son application n’a aucun effet rétroactif et les faits commis et poursuivis avant cette abrogation sont toujours punissables ». Dès lors, pour le juge judiciaire, la modification des règles applicables au lieu de l’infraction ne conduit pas à la mise en œuvre de la rétroactivité in mitius. Aussi, la solution retenue par le Conseil d’Etat évite une contradiction patente entre la jurisprudence judiciaire et la jurisprudence administrative.

Néanmoins, l’on observe d’emblée que le raisonnement suivi par les deux juridictions est très différent. En effet, la solution retenue par la Cour se fonde sur les effets qu’il convient d’accorder à l’abrogation d’un texte réglementaire en droit pénal. Or, comme évoqué supra, si ce raisonnement se justifie en droit pénal judiciaire, il est incompatible avec le droit des sanctions administratives, droit largement réglementaire, et n’a pas été repris par le Conseil d’Etat qui l’a implicitement écarté, comme démontré supra.

Le Conseil d’Etat emprunte donc un autre chemin pour arriver à la même conclusion. Il considère, à cet effet, que la modification n’affecte ni l’incrimination, ni la sanction. Toutefois, cette dernière solution apparaît critiquable tant en droit qu’en opportunité.

En droit, tout d’abord, il ne peut être affirmé, comme le fait pourtant le Conseil d’Etat, que la modification des règles applicables au lieu de l’infraction est sans influence sur l’incrimination. En effet, en s’extrayant de la distinction entre dispositions législatives et dispositions réglementaires, établie par la Cour de cassation, il est difficile de considérer que l’incrimination n’est pas supprimée puisqu’en matière routière, l’incrimination est souvent constituée par la conjonction de deux éléments : une règle générale et une règle locale. A titre d’exemple, ce n’est pas de conduire à une vitesse supérieure à 50 km/h qui est sanctionné, c’est de conduire à une vitesse supérieure à 50 km/h lorsqu’une portion routière fait l’objet d’une limitation à 50 km/h. Ainsi, pour pouvoir produire ses effets, une incrimination de principe doit s’accompagner d’une règle pratique locale. Dès lors, l’incrimination se fonde nécessairement sur deux textes distincts : le texte général et le texte local.

D’ailleurs, J.-P. Thiellay relevait dans ses conclusions qu’il ne voyait aucun obstacle théorique à ce qu’une modification de la réglementation locale soit prise en compte. Il affirmait, en ce sens que : « la modification de l’interdiction par l’autorité locale a exactement la même portée que la modification de l’interdiction dans le code de la route ». En effet, comme indiqué supra, la sanction d’un comportement ne peut exister – s’agissant de la vitesse notamment – qu’en cas de rencontre de la réglementation locale et de la réglementation générale. En outre, il relevait que dans la hiérarchie des normes, les deux règles disposaient de la même place (à savoir, celle d’actes réglementaires). C’est pourquoi, il indiquait ne pas voir d’obstacle à ce qu’il soit tenu compte de la suppression de la règle locale. Enfin, le rapporteur public s’interrogeait néanmoins sur les difficultés pratiques de mettre en œuvre la rétroactivité in mitius s’agissant de changements locaux de règles. Selon lui, il convenait de vérifier si la modification avait été faite au vu de données factuelles constantes ou non. Dans la première hypothèse, à données factuelles constantes, cela signifierait que la sanction n’est plus jugée nécessaire et que la rétroactivité in mitius trouve à s’appliquer. En revanche, si les données factuelles changeaient (disparition du danger ou du motif justifiant la règle : fermeture d’une école par exemple), alors il conviendrait de ne pas tirer les conséquences de la modification de la règle, l’infraction conservant toute sa gravité.

Cette solution, d’une grande logique, proposée par le rapporteur public n’a toutefois pas été retenue par la formation de jugement. En effet, comme évoqué supra, celle-ci a exclu toute application du principe de la rétroactivité in mitius en cas de modification de la règle locale. L’on doit, dès lors, s’interroger sur ses raisons dans la mesure où, sur le plan théorique, comme le rappelle le rapporteur public, rien ne s’oppose à la mise en œuvre de ce principe.

L’on peut donc supposer que deux éléments ont, sans doute, pesé dans la balance. D’une part, adopter la solution proposée par le rapporteur public aurait conduit à une contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation, celle-ci considérant que la modification de la règle locale n’a pas d’influence sur la réalité de la sanction. Cette contradiction pourrait conduire à des situations dans lesquelles, par exemple, le juge pénal refuserait de tenir compte d’une modification de la règle locale avant sa décision, tandis que le juge administratif, saisi postérieurement, la prendrait en considération pour appliquer le principe de la rétroactivité in mitius. De la sorte, les deux juridictions, amenées à se prononcer dans les mêmes conditions auraient des positions opposées. D’autre part, le Conseil d’Etat a peut-être souhaité ne pas nourrir le contentieux du permis à points en amenant le juge (unique) à porter des appréciations poussées sur la réglementation en vigueur. En effet, la volonté actuelle affichée par le Conseil d’Etat et le gouvernement est de limiter le contentieux du permis de conduire et non de l’étendre. Aussi, ouvrir un nouveau champ de débat susceptible de faire augmenter le contentieux serait contreproductif par rapport à l’objectif poursuivi.

Toutefois, plusieurs arguments peuvent être soulevés face à ce raisonnement.

S’agissant des raisons politiques tenant à la simplification du contentieux du permis à points, l’on peut aisément écarter ces considérations (si elles ont pesé dans la balance) dans la mesure où il n’est pas acceptable qu’un principe tel que celui de la rétroactivité in mitius souffre des limitations afin de réduire le « stock » des dossiers pendants devant les juridictions administratives. En revanche, s’agissant du souhait, légitime, de ne pas contredire la jurisprudence de la Cour de cassation, deux éléments doivent être rappelés.

En premier lieu, si la Cour de cassation est maîtresse de l’application du principe de la rétroactivité in mitius en droit pénal et de son interprétation, rien ne s’oppose à ce qu’en droit administratif, la conception de la rétroactivité in mitius diffère légèrement. En effet, le juge administratif ne manque pas de rappeler qu’il n’est pas tenu par les condamnations pénales prononcées par l’autorité judiciaire mais seulement par ses constatations de fait (voir, en ce sens : CE. Sect. 19 avril 1972, Sieur Vittori, n° 80813, publiée au Recueil ; CE. SSR. 5 mai 1986, M. Zémouli, n° 51149, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 11 mars 1987, Office national d’immigration, n° 53984, publiée au Recueil ; CE. SSR. 9 décembre 1987, Ministre délégué au budget, n° 47765, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 17 octobre 2014, n° 365325, mentionnée aux tables). Ainsi, les qualifications de faute pénale et de faute disciplinaire ou administrative sont distinctes. Certes, lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à l’existence d’une infraction pénale, l’autorité de la chose jugée par le juge pénal s’attache également à la qualification juridique des faits (CE. SSR. 10 octobre 2003, Commune de Soisy-sous-Montmorency, 242373, publiée au Recueil ; CE. SSR. 10 octobre 2012, SARL Le Madison, n° 345903, mentionnée aux tables ; CE. SSJS. 27 août 2014, SAS Valette Foie, n° 364585). Or, il semble en aller ainsi des retraits de points (CAA Nantes, 12 novembre 2008, Ministre de l’intérieur c. M. Henrion, n° 08NT00567). Ce qui pourrait plaider dans le sens d’une compétence liée de l’administration et du juge administratif. Toutefois, une telle interprétation irait au-delà de la portée dudit principe. En effet, l’obligation pour l’administration de respecter la qualification retenue par le juge pénal n’a pas d’influence sur l’éventuelle constitution de la faute administrative qui peut parfaitement, même en présence d’une infraction, ne pas être établie. Aussi, ce principe ne s’oppose nullement à une interprétation différente du principe de la rétroactivité in mitius en matière pénale et en matière de sanctions administratives.

Il serait donc envisageable que les deux types de sanctions (pénale et administrative) se voient appliquer une conception légèrement différente de la rétroactivité in mitius. Bien au contraire, le principe de la rétroactivité immédiate de la loi « plus douce » a nécessairement une acception différente dans le cadre rigide du droit pénal et dans le droit des sanctions administratives, qui laisse une place importante au règlement et à la jurisprudence. Il en va ainsi pour tous les principes pénaux qui ont été appliqués au droit des sanctions administratives. A titre d’exemple, il peut être rappelé que les fautes disciplinaires des fonctionnaires ne font l’objet d’aucune liste exhaustive et que l’article 29 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 se borne à indiquer que « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ». Ce qui démontre bien que les principes pénaux, comme la légalité des délits et des peines, sont adaptés en droit des sanctions administratives. Aussi, la notion de loi « plus douce » ne peut être exactement la même en matière administrative et en matière pénale. Et ce, d’autant, que la notion de « loi » est également différente.

En second lieu, il n’est pas inutile de rappeler que, comme évoqué supra, le principe de rétroactivité de la loi « plus douce » a été consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt de grande chambre particulièrement remarqué. De la sorte, l’application et le contenu de ce principe échappent désormais partiellement à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat. En effet, la Cour de Strasbourg sera désormais amenée à contrôler selon ses propres standards la notion de rétroactivité in mitius. Or, la Cour a clairement estimé en consacrant ledit principe qu’ : « il est cohérent avec le principe de la prééminence du droit, dont l’article 7 constitue un élément essentiel, de s’attendre à ce que le juge du fond applique à chaque acte punissable la peine que le législateur estime proportionnée. Infliger une peine plus forte pour la seule raison qu’elle était prévue au moment de la commission de l’infraction s’analyserait en une application au détriment de l’accusé des règles régissant la succession des lois pénales dans le temps » (§ 108, CEDC. GC. 17 septembre 2009, Scoppola c. Italie, n° 10249/03). La Cour justifie donc notamment son raisonnement pas le caractère proportionné de la sanction par rapport à ce que le législateur (au sens large) estime nécessaire. De plus, elle précise bien que le juge doit appliquer ce principe à « chaque acte punissable ». Par ailleurs, il convient de préciser, comme le rappelle d’ailleurs la Cour au paragraphe 99 de cette même décision, que, par le terme de « loi », la Convention et la jurisprudence qui en découle entendent l’ensemble des règles de droit et non pas uniquement la règle établie par le pouvoir législatif.

Par conséquent, il est certain qu’à l’avenir, la Cour s’attachera à regarder si, au moment où le juge se prononce, le droit estime toujours que la peine est nécessaire. Elle ne regardera pas, comme le fait la Cour de cassation si le texte réglementaire a été simplement abrogé et le texte législatif maintenu, ou, comme le fait le Conseil d’Etat, si l’incrimination et la sanction générales demeurent tandis que la règle locale est modifiée. Il y a fort à parier que la Cour n’entrera pas dans de telles considérations conceptuelles mais s’interrogera pour déterminer si, au vu des textes applicables, l’« acte punissable » particulier qui lui est soumis était toujours sanctionné à la date à laquelle le juge s’est prononcé. Cette logique sera celle, classique, qui guide la jurisprudence de la Cour pour donner un effet concret et utile aux garanties qu’elle protège.

A la lumière de ces éléments l’on s’aperçoit aisément que le raisonnement suivi par le rapporteur public du Conseil d’Etat était d’une parfaite logique, au vu des principes qui ont guidé la consécration de la rétroactivité in mitius. En effet, en vérifiant si la modification locale de la règle a été décidée à données constantes ou a données factuelles différentes pour déterminer si ce principe trouve à s’appliquer, le juge se bornerait à étudier si la sanction est toujours considérée comme nécessaire par le pouvoir réglementaire à la date à laquelle il statue.

Dès lors, au vu de ces éléments et de l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’on peut s’interroger sur l’opportunité et, surtout, la pérennité de cette solution lorsque les juridictions administratives seront amenées à se prononcer sur la méconnaissance de l’article 7 de la Convention par l’autorité administrative.

Cette question est d’ailleurs d’importance car, en pratique, en matière de permis de conduire, la modification de la règle locale est le seul domaine où il existe une éventuelle application du principe de la rétroactivité in mitius. En effet, il particulièrement peu probable qu’une infraction soit, dans ce domaine, supprimée ou que la peine y afférente soit revue à la baisse. Aussi, sur ce point, l’applicabilité du principe de la rétroactivité in mitius est essentiellement théorique. En revanche, il arrive que les autorités locales modifient, par exemple, une limitation de vitesse si celle-ci apparaît mal adaptée. C’est donc là le seul domaine où, en pratique, la rétroactivité in mitius pourrait être appliquée, si elle était applicable.

Décembre 2014

Bruno Roze

Avocat au Barreau de Paris

5, rue Cambon 75001 Paris

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