Le permis à points a été institué par la loi n° 89-469 du 10 juillet 1989 intervenue en matière de sécurité routière et de contravention. Cette réforme crée un système beccarien qui prévoit le retrait automatique d’un nombre de points prédéterminé dès lors que la réalité de l’infraction est établie. En contrepartie de cette relative automaticité, est prévue la délivrance d’un certain nombre d’informations jugées nécessaires pour le contrevenant au moment de la constatation de l’infraction.
C’est dans ce cadre textuel renouvelé que M. Charton a été verbalisé le 6 octobre 1994 pour défaut de port de la ceinture de sécurité, infraction emportant la perte d’un point. L’intéressé forma alors un recours en annulation contre la décision du ministre de l’intérieur lui retirant ce point. Au soutien de son recours, il affirmait notamment que la décision avait été prise à l’issue d’une procédure irrégulière, l’agent verbalisateur ne lui ayant pas délivré les informations énoncées par les articles L. 11-1, L. 11-3 et R. 258 code de la route (respectivement devenus les articles L. 223-1, L. 223-3 et R. 223-3 du même code). Le tribunal administratif de Nancy, saisi du litige, devait donc, avant de statuer sur ce moyen, déterminer si l’information prévue par lesdits articles présentait un caractère substantiel. Cette question n’ayant pas encore été tranchée par le Conseil d’Etat, le tribunal fît usage de la procédure de demande d’avis prévue à l’article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 (devenu l’article L. 113-1 du code de justice administrative) pour interroger la Haute juridiction.
Celle-ci estima que la délivrance des informations énoncées par le code de la route constituait une formalité substantielle et, conséquemment, que son omission entachait d’irrégularité la procédure de retrait de points.
Cette solution, conforme à l’esprit des textes, s’explique par le caractère essentiel de la garantie que constitue l’information des contrevenants (I). Il a toutefois été jugé depuis que la méconnaissance de cette formalité n’entraînait pas, dans tous les cas, l’annulation de la décision de retrait de points (II).
I. – Une information prescrite à peine de nullité
S’il était prévu, dès l’institution du permis à points, que la réduction du capital devait être précédée de la délivrance d’un certain nombre d’informations, il n’était pas précisé quelles conséquences donner au défaut d’information. La solution retenue par le Conseil d’Etat, dans le respect de la ratio legis du texte (A.), se fonde sur la qualification de garantie essentielle accordée à cette information préalable (B.).
A. – Une solution conforme à l’esprit des textes
Avec la loi du 10 juillet 1989, c’est un système simple qui a été introduit dans le domaine du permis de conduire. En effet, à chaque type d’infraction correspondait une sanction pénale (amende) et administrative (la perte d’un certain nombre de points), selon une gradation établie par les textes. Ce nouveau système a donc été conçu pour opérer une répression de masse en limitant les débats contentieux. Le juge, tant administratif que judiciaire, n’est en principe pas appelé à intervenir dans le prononcé de la sanction, le montant de l’amende ainsi que le nombre de points perdus étant déterminés au préalable.
Dans ce contexte renouvelé, le rôle de l’agent verbalisateur est donc de tout premier plan, puisqu’il sera en principe le seul contact entre l’autorité publique et l’automobiliste. Il doit informer le contrevenant des conséquences de l’infraction sur son permis de conduire afin qu’il puisse, le cas échéant, exercer la possibilité qui lui a été donnée par le législateur de contester la réalité de l’infraction devant les juridictions judiciaires, cette faculté étant la « seule garantie donnée aux intéressés » (concl. P. Frydman sur le présent avis). En tout état de cause, cette information doit également permettre à l’intéressé d’apprécier l’impact de son infraction sur son titre de conduite et de modifier son comportement en conséquence (concl. D. Chauvaux sur l’avis de Section M. Verdier du 31 janvier 2007, n° 295396).
Dès lors, le formulaire transmis au contrevenant doit lui permettre, notamment, de choisir de façon éclairée entre le paiement de l’amende et la contestation de la réalité de l’infraction. En effet, la seule possibilité de débat se trouvant à ce stade, il est important que l’automobiliste puisse mesurer les conséquences de ses décisions. Néanmoins, la loi ne précise pas si la délivrance de ces informations présente un caractère substantiel.
Partant, il incombait à la jurisprudence de déterminer si la méconnaissance de cette obligation emportait des conséquences sur la légalité de la décision de retrait de points.
Dans l’avis commenté – confirmé au contentieux (voir, notamment : CE. SSR. 4 juin 1997, Ministre de l’intérieur c. M. Mitermite, n° 168620) – la Haute juridiction estime que la délivrance des informations énoncées par le code de la route constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité la procédure de retrait de points.
Dans ses conclusions sur cet avis, et au soutien de cette solution, le commissaire du gouvernement P. Frydman évoquait quatre arguments qui ne seront pas repris ici. L’on doit toutefois noter qu’il relevait, notamment, que cette position découlait de la volonté du législateur. En effet, ce dernier ayant pris soin de détailler les informations qui devaient être données à l’intéressé, cette précision ne pouvait qu’avoir pour but de donner une portée à la méconnaissance de l’obligation d’information. En outre, le commissaire du gouvernement rappelait que, sans cette information, l’intéressé ne serait pas en mesure de saisir le juge judiciaire – faute de mesurer la conséquence du paiement. Il serait ainsi privé de « toute possibilité réelle d’accès au juge ». Enfin, et surtout, comme l’a repris le Conseil d’Etat, cette information constitue une garantie essentielle et, partant, une formalité substantielle.
Cette solution de principe a, depuis lors, été appliquée au cas des contraventions adressées au titulaire du certificat d’immatriculation à la suite de la constatation de l’infraction par radar automatique (sans interception du véhicule). Les juges du Palais Royal ont, en effet, précisé que lors de l’envoi de l’avis de contravention, celui-ci doit également contenir les informations énoncées par le code de la route (CE. SSR. Avis, 26 juillet 2006, M. Orio, n° 292750, publié au Recueil ; D. 2006.2207 ; AJDA 2006.1525). Il est également à noter que la Cour de cassation a confirmé le caractère substantiel de cette information dans un avis du 6 octobre 2008 (Cass. 6 octobre 2008, n° 08-00011, bull. crim. 2008 n° 4).
Dès lors, c’est de façon constante et unanime qu’est affirmé le caractère substantiel de cette formalité. Reste donc à voir plus en détail le motif principal de cette qualification.
B. – Une garantie essentielle du contrevenant
Le motif principal retenu par les différentes juridictions tient à la nature de l’obligation d’information, qui constitue, comme évoqué supra, une garantie essentielle pour le contrevenant. Dans l’avis commenté, le Conseil d’Etat retient que cette garantie permet à l’intéressé de contester, le cas échéant, la réalité de l’infraction et d’en mesurer les conséquences sur la validité de son permis de conduire. Elle a donc un double objet informatif.
Ainsi, elle permet à la personne verbalisée de faire un choix éclairé entre le paiement de l’amende et la contestation de l’infraction. Comme le relève le commissaire du gouvernement P. Frydman, cela permet à l’intéressé de ne pas « adopter un comportement défavorable à ses intérêts ».
En effet, au moment où le contrevenant est interpelé (ou peu après), il doit choisir entre payer l’amende en reconnaissant automatiquement l’infraction ou contester sa réalité. Pour que ce choix soit raisonné, le contrevenant doit pouvoir mesurer l’impact de la reconnaissance de l’infraction sur son permis de conduire (à savoir la perte de points), l’intérêt d’une action pénale ou, à l’inverse, l’intérêt du paiement.
En outre, comme le rappellent les conclusions de D. Chauvaux sur l’avis M. Verdier (concl. D. Chauvaux, AJDA 2007.739), le but premier de l’information est de faire prendre conscience au contrevenant qu’il va perdre des points afin qu’il adapte son comportement. Ainsi, l’information a également un fort objet pédagogique.
Prenant acte de l’importance de la délivrance de ces informations, le Conseil d’Etat et, à sa suite, la Cour de cassation, ont qualifié cette formalité de substantielle.
L’importance de cette formalité a également été reconnue par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme. D’une part, le Conseil constitutionnel a estimé dans une décision du 16 juin 1999 (§20-21 ; décision n° 99-411 DC ; D. 1999.589 ; Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 1999-7, p. 13 ; AJDA 1999.694) que les garanties procédurales, et notamment celle d’information, du contrevenant conditionnaient le respect de la liberté d’aller et de venir, l’exercice des droits de la défense et le droit au recours.
Partant, au terme de cette décision, l’obligation d’information qui pèse sur l’administration trouve une protection constitutionnelle (non pas en tant que telle mais en tant que garantie légale de droits et libertés constitutionnels). En effet, le système du permis à points est une restriction à la liberté d’aller et de venir, qui est, toutefois, compatible avec la Constitution en raison des garanties légales accordées aux automobilistes. Dès lors, au-delà de l’avis commenté, l’information prévue par les articles L. 223-1 et L. 223-3 du code de la route dispose d’une assise constitutionnelle.
D’autre part, la Cour européenne des droits de l’Homme a également relevé l’importance de cette information. Elle a estimé sur ce point que l’information mettait le contrevenant en mesure « de contester les éléments constitutifs de l’infraction pouvant servir de fondement à un retrait de points » (§47, CEDH, 23 septembre 1998, Malige c. France, n° 68/1997). Cette remarque de la Cour prenant place dans son raisonnement sur le respect de l’article 6§1 de la Convention, par le traitement du contentieux du permis à points, l’on peut aisément en déduire que cette formalité conditionne le respect de la Convention. Au demeurant, le Conseil d’Etat lui-même a repris cet élément dans l’avis M. Rouxel par lequel il a considéré que le système du permis à points respectait l’article 6§1 de la Convention.
Néanmoins, pour certains, la formalité de l’information préalable constitue aujourd’hui une « comédie » dont il serait opportun de se passer (F. Coquet et G. Robillard, « Etat des lieux du contentieux du permis à points », AJDA 2009.576). Selon ce courant, le système du permis à points serait suffisamment bien connu de la population pour que l’information ne soit plus nécessaire et que les contrevenants puissent opérer un choix éclairé. Cette affirmation apparaît pourtant largement erronée. En effet, si certains ont certes bien compris le principe et le fonctionnement du permis à points et utilisent aisément ses failles, il n’en demeure pas moins que bon nombre d’automobilistes sont persuadés qu’en matière d’amende comme en matière fiscale, il faut payer d’abord puis contester ensuite. Aussi, l’information préalable – qui serait peut-être une « comédie » pour les personnes biens informées – demeure fondamentale pour le commun des automobilistes.
Cependant, signe que cette position commence à être reçue par la Haute juridiction ou simple précision apportée par le Conseil d’Etat, il a en tout cas été jugé récemment que la méconnaissance de l’obligation d’information n’entrainait pas l’annulation de la décision de retrait de points dans toutes les hypothèses.
II. – Une nullité au champ d’application désormais encadré
Par deux décisions postérieures à l’avis M. Charton, le Conseil d’Etat a estimé qu’en l’absence d’information préalable, l’annulation de la décision de retrait de point n’était pas encourue dès lors que le juge pénal est intervenu. Cette solution, qui peut s’analyser comme un revirement (A.) tend à affaiblir de façon contestable la portée de l’obligation d’information (B.).
A. – Une restriction du champ d’application initial de l’avis M. Charton
Dès l’origine, au moment de l’adoption de l’avis M. Charton, la question s’était posée de savoir si, à défaut d’information, la décision de retrait de points encourait l’annulation quand la réalité de l’infraction était établie non par le paiement de l’amende mais par une condamnation du juge judiciaire. Selon le commissaire du gouvernement P. Frydman, deux éléments venaient au soutien de l’inopérance du moyen tiré d’un vice de procédure dans cette hypothèse. D’une part, si le contrevenant n’avait pas acquitté l’amende, alors l’absence d’information ne l’avait privé d’aucune garantie puisqu’il n’avait pas reconnu l’infraction. D’autre part, l’administration serait en situation de compétence liée pour en tirer les conséquences de la condamnation pénale prononcée par le juge judiciaire.
Néanmoins, toujours selon P. Frydman, trois raisons devaient finalement faire considérer qu’il n’y avait pas lieu de distinguer selon le mode d’établissement de la réalité de l’infraction. Tout d’abord, il relevait que l’information prévue par les textes ne se limitait pas aux effets du paiement mais s’étendait également au retrait de points et à ses conséquences. Partant, elle conservait un intérêt puisque ces questions n’étaient pas discutées par le juge pénal. Ensuite, le commissaire du gouvernement précisait que le code de la route imposait l’information du contrevenant dans toutes les hypothèses et subordonnait, ainsi, la légalité de la perte de points à son accomplissement même dans l’hypothèse d’une condamnation pénale. Enfin, ce haut magistrat rappelait que la censure du retrait de points en cas d’irrégularité ne portait pas atteinte à la chose jugée par le juge pénal, celui-ci se prononçant sur des questions différentes de celles soumises à l’administration et au juge administratif.
Au vu de ces éléments, l’avis M. Charton et les solutions postérieures, notamment l’avis M. Verdier, ne pouvaient être interprétés que comme ayant posé une obligation générale qui s’imposait même quand le juge pénal était intervenu dans l’établissement de la réalité de l’infraction. En effet, jusqu’ici, la jurisprudence n’établissait aucune distinction et précisait, au contraire, que l’information permettait non seulement au contrevenant de contester la réalité de l’infraction devant le juge pénal mais également de mesurer ses conséquences sur la validité de son permis de conduire.
C’est dans ce contexte jurisprudentiel que par une décision du 9 juin 2011, le Conseil d’Etat a estimé que si l’information conservait son caractère essentiel, la méconnaissance de l’obligation d’information n’entraînait pas l’annulation de la décision de retrait de point lorsque la réalité de l’infraction avait été établie par le juge pénal (CE. SSR. 9 juin 2011, Ministre de l’intérieur c. M. Sanz, n° 335469, mentionnée aux tables ; concl. J.-P. Thiellay, AJDA 2011.1568 ; voir pour un exemple d’application : CAA Marseille, 3 octobre 2013, n° 11MA03840). Cette solution a, depuis, été élargie au cas dans lequel le juge pénal statue sans débat par le biais d’une ordonnance pénale (CE. SSR. 11 juillet 2012, M. Phillipe A., n° 349137, mentionnée aux tables ; AJDA 2012.1431 ; JCP Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 23 Juillet 2012, act. 523).
Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation d’information est désormais inopérant contre les décisions de retrait de points intervenues à la suite d’une condamnation pénale.
Selon le rapporteur public sur la décision Ministre de l’intérieur c. M. Sanz, l’information prévue par le code a – seulement – pour objet de permettre au contrevenant de renoncer au juge pénal ou, au contraire, de choisir un débat contradictoire. Dès lors, si l’intéressé choisit le débat contradictoire, la méconnaissance de l’obligation d’information est sans influence sur la légalité de la décision de retrait de point. Toujours selon J.-P. Thiellay, la solution adoptée par la Haute juridiction serait un complément et non une inflexion de la position adoptée dans l’avis M. Charton.
Néanmoins, comme cela vient d’être rappelé, le commissaire du gouvernement P. Frydman avait largement étudié ce point dans ses conclusions sur l’avis M. Charton et avait, en toute vraisemblance, été suivi par la formation de jugement. De plus, l’avis M. Charton comme les conclusions de son commissaire du gouvernement précisaient expressément que l’information prévue par le code ne se limitait pas à la possibilité de saisir le juge pénal mais devait surtout permettre à l’intéressé de faire un choix éclairé entre le paiement et la contestation. En outre, il est établi que l’information a également pour objet de permettre au contrevenant de mesurer les conséquences de l’infraction sur la validité de son permis de conduire.
Dès lors, par cette restriction de l’objet et des conséquences du défaut d’information, les deux décisions susmentionnées constituent bien une inflexion de la jurisprudence M. Charton.
Or, ce revirement conduit à restreindre substantiellement les garanties accordées aux justiciables, ce qui apparaît critiquable.
B. – Une restriction critiquable en droit
La restriction apportée à la jurisprudence M. Charton par la décision Ministre de l’intérieur c. M. Sanz ignore une grande partie de l’objet de l’information prévue par le code. En effet, cette dernière a, certes, pour but de permettre à l’intéressé de contester la réalité de l’infraction s’il le souhaite mais là n’est pas son unique objet. Comme le rappelait le commissaire du gouvernement P. Frydman, l’information vise à éviter que le contrevenant n’adopte un comportement défavorable à ses intérêts.
Or, ce comportement défavorable n’est pas nécessairement le paiement de l’amende forfaitaire. La décision Ministre de l’intérieur c. M. Sanz et les conclusions de J.-P. Thiellay partent du postulat que la garantie réside uniquement dans le procès pénal. Pourtant, il peut, suivant les circonstances, être de l’intérêt de l’intéressé de ne pas aller devant le juge pénal et de payer l’amende. Ainsi, très prosaïquement, il peut être moins coûteux de payer une amende que de s’offrir les services d’un avocat si l’affaire est mal engagée. Cette nuance n’avait d’ailleurs pas échappé au commissaire du gouvernement P. Frydman qui relevait que sans l’information, le contrevenant pouvait se méprendre sur « l’enjeu réel d’une saisine du juge judiciaire ».
En outre, l’intéressé doit également être informé qu’il est susceptible de perdre des points et de l’existence d’un traitement automatisé. Ces informations étant elles aussi jugées essentielles, leur absence prive sans le moindre doute le contrevenant de la possibilité d’exercer un choix réellement éclairé entre le paiement de l’amende et la saisine du juge judiciaire.
De plus, comme le rappellent les conclusions de D. Chauvaux sur l’avis M. Verdier susmentionnées, l’objet premier de l’information est de faire prendre conscience à l’intéressé, dès sa verbalisation, de la diminution de son capital de points pour qu’il adapte son comportement en conséquence.
Ainsi, c’est bien sur un postulat erroné qu’a été restreinte la portée de l’avis M. Charton.
Par ailleurs, et en tout état de cause, il ressort clairement de la lettre des textes que les garanties vont bien au-delà de la simple possibilité de contester l’amende. En effet, l’article L. 223-3 du code de la route prévoit la délivrance de l’information préalable même dans les cas où le contrevenant ne peut pas échapper au juge pénal par le paiement de l’amende (c’est-à-dire pour les infractions les plus graves). Or, si l’information ne servait qu’à contester l’amende devant le juge pénal, pourquoi le législateur aurait-il pris le soin de préciser les informations à dispenser dans l’hypothèse où le paiement de l’amende n’est pas possible ?
Cela démontre bien que l’intention du législateur était d’imposer une obligation d’informer le contrevenant de façon complète.
L’esprit de la décision Ministre de l’intérieur c. M. Sanz et des conclusions de J.-P. Thiellay semble imprégné par la jurisprudence M. Danthony (CE. Ass. 23 décembre 2011, n° 335033, Rec. 649 ; concl. G. Dumortier, RFDA 2012.284 ; AJDA 2012.195 ; RFDA 2012.296, note P. Cassia ; X. Domino et A. Bretonneau, « Jurisprudence Danthony : bilan après 18 mois », AJDA 2013.1733). C’est l’idée que l’intéressé n’aurait été privé d’aucune garantie qui irrigue le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat dans cette affaire. Or, d’une part, comme cela vient d’être rappelé, l’absence d’information prive l’intéressé de nombreuses garanties. D’autre part, la « danthonysation » (X. Domino et A. Bretonneau, « Jurisprudence Danthony : bilan après 18 mois », précité) paraît mal adaptée au contentieux du permis à points qui relève de la matière pénale (CEDH, 23 septembre 1998, Malige c. France, n° 68/1997) où le respect du formalisme procédural dispose d’une importance capitale. Certes, il ne s’agit pas d’un contentieux pénal au sens strict. Néanmoins, il apparaît quelque peu regrettable que sa qualification de contentieux administratif ait pour conséquence que l’omission d’une formalité jugée substantielle n’ait aucune influence sur sa légalité. Il serait donc préférable dans un tel contentieux répressif de privilégier le principe rappelé par Rudolf von Jhering selon lequel « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » plutôt que le réalisme de la jurisprudence M. Danthony.
A ce titre, il est paradoxal que dans l’hypothèse où le contrevenant est interpellé avant d’être déféré au juge pénal – cas dans lequel la perte de points et la peine sont généralement les plus fortes –, il ne dispose pas des garanties maximales puisqu’il n’est désormais plus nécessaire de lui délivrer la moindre information.
En outre, établir une distinction entre les cas dans lesquels la réalité de l’infraction est établie par le juge pénal et les autres revient à créer une distinction qui n’était pas prévue par les textes. Or, selon l’adage classique ubi lex non distinguit, il n’appartient pas au juge administratif de créer une distinction là où la loi ne l’a nullement prévu. C’est d’ailleurs, en substance, ce que relevait le commissaire du gouvernement P. Frydman dans ses conclusions en rappelant que l’article R. 258 du code de la route (devenu R. 223-3) ne réservait pas de sort particulier à l’hypothèse d’une condamnation par le juge. Ainsi, cette restriction ne paraît pas conforme aux dispositions du code de la route.
Au demeurant, il est pour le moins étonnant d’affirmer qu’une garantie est essentielle tout en estimant que sa méconnaissance n’emporte aucune conséquence. Ce type de raisonnement peut, certes, exister en droit administratif (c’est ce qui sous-tend par exemple la jurisprudence M. Danthony). Néanmoins, il repose sur une analyse in concreto au cas par cas comme le prévoit la jurisprudence M. Danthony. Or ici, bien qu’il s’agisse d’une formalité substantielle, il est jugé que si l’autorité judiciaire a statué, le défaut d’information sera sans effet. Ce n’est donc pas une analyse in concreto mais bien un raisonnement de jure. Dès lors, le Conseil d’Etat affirme qu’une formalité substantielle peut être systématiquement omise sans qu’aucune conséquence n’en soit tirée. Cette solution pose donc un réel problème d’un point de vue théorique et pratique.
Malgré cela, il est à noter que cette restriction de la portée de l’avis M. Charton ne semble pas remettre en cause la conventionnalité du dispositif du permis de conduire. En effet, dans l’arrêt Malige c. France la Cour a estimé que le requérant avait pu contester la réalité de l’infraction en présentant au juge pénal les moyens de droit et de fait qu’il jugeait utiles à sa cause et qu’ainsi l’article 6§1 n’avait pas été méconnu. Dès lors, on peut en déduire que dans l’hypothèse où le juge pénal est intervenu, l’information peut être omise sans violer l’article 6§1 de la Convention. Cette restriction de la jurisprudence M. Charton ne remet pas en cause la conventionnalité du système du permis à point.
Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’elle constitue une limitation critiquable des garanties du contrevenant.
Décembre 2013
Bruno Roze
Avocat au Barreau de Paris
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