L’adoption de la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 et du décret n° 2003-642 du 11 juillet 2003 est à l’origine d’une évolution de la pratique administrative en matière d’information du contrevenant lors de la constatation des infractions au code de la route. En effet, jusque-là, le code prévoyait clairement que l’intéressé devait être informé du nombre exact de points susceptibles de lui être retirés si la réalité de l’infraction était établie. Avec l’intervention des textes précités, l’administration a estimé qu’il était désormais seulement nécessaire d’informer le contrevenant de ce qu’il était susceptible de perdre un certain nombre de points en raison de l’infraction.
Cependant, le texte – ainsi que l’intention du législateur – n’étaient pas d’une absolue clarté. C’est pourquoi, M. Verdier, poursuivi pour un excès de vitesse dépassant de 40 km/h la limite autorisée, avait saisi les juridictions administratives d’un recours tendant à l’annulation du retrait de points afférent à cette infraction, ce dernier étant intervenu sans que soit indiqué à l’intéressé le nombre exact de points susceptibles de lui être retirés. Il soutenait donc que l’information qui lui avait été délirée ne répondait pas aux exigences du code la route.
Saisi de ce moyen, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand décida de faire application de l’article L. 113-1 du code de justice administrative. Cette question délicate n’ayant pas été tranchée par le Conseil d’Etat, il était préférable de demander à la Haute juridiction de se prononcer. En effet, une éventuelle illégalité de cette pratique administrative aurait eu pour conséquence l’annulation en série de tous les retraits de points intervenus depuis la réforme de 2003.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat, réuni en formation Section, eut à déterminer si le code de la route, telle que modifié le 12 juin 2003, imposait toujours que le contrevenant soit informé du nombre exact de points susceptibles de lui être retirés.
Dans l’avis commenté, les juges du Palais-Royal répondent que, depuis l’intervention de la loi du 12 juin 2003, il n’est plus nécessaire d’informer le contrevenant du nombre exact de points qu’il est susceptible de se voir retirer, qu’il soit ou non fait application de la procédure d’amende forfaitaire ou de composition pénale.
Cette solution, qui découle, sans ambiguïté, des textes et de l’intention du législateur s’agissant des infractions donnant nécessairement lieu à un règlement judiciaire (I.) était plus délicate à l’égard des infractions faisant l’objet de la procédure d’amende forfaitaire ou de composition pénale (II.).
I. – Une précision du nombre de point jugée préjudiciable à l’égard des infractions établies par un règlement judiciaire
La précision du nombre exact de points susceptibles d’être retirés faisait l’objet d’un certain nombre de critiques par l’administration. Considérée comme responsable d’un trop grand nombre d’annulations (A.), cette formalité a donc été allégée s’agissant des infractions donnant nécessairement lieu à un règlement judiciaire (B.).
A. – Un droit antérieur jugé trop strict par l’administration
La version initiale du code de la route prévoyait que lors de la constatation de l’infraction, le contrevenant devait être informé « de la perte de points qu’il [était] susceptible d’encourir ». Cette rédaction, en accord avec l’intention du législateur, avait conduit le Conseil d’Etat à estimer que l’intéressé ne pouvait se voir retirer des points que s’il avait été préalablement et exactement informé du nombre de points dont la perte était encourue (CE. SSR. 4 juin 1997, M. Montel, n° 168292, mentionnée aux tables). Partant, si le procès-verbal indiquait un nombre de points qui ne correspondait pas au nombre de points finalement retirés, la décision de retrait était annulée.
Ainsi, les agents verbalisateurs devaient faire preuve d’une certaine attention au moment de la rédaction des procès-verbaux et ne pas se tromper en indiquant le nombre de points retirés.
Cette charge étant jugée excessive par l’administration, le gouvernement souhaita contrer la jurisprudence qui menait à un certain nombre d’annulations. C’est donc dans ce contexte qu’a été élaboré le projet à l’origine de la loi du 12 juin 2003.
Le nouveau texte, d’une clarté limitée, opérait semble-t-il une distinction entre infractions donnant nécessairement lieu à des poursuites judiciaires et infractions conduisant à la procédure d’amende forfaitaire ou de composition pénale.
En effet, jusqu’alors, l’article L. 223-3 du code disposait que : « Lorsque l’intéressé est avisé qu’une des infractions entraînant retrait de points a été relevée à son encontre, il est informé du retrait de points qu’il est susceptible d’encourir, de l’existence d’un traitement automatisé de ces points et de la possibilité pour lui d’exercer le droit d’accès. Ces mentions figurent sur le formulaire qui lui est communiqué […] ». Par suite, il ne faisait pas de doute que l’information délivrée au contrevenant ne variait pas selon son mode de transmission (procès-verbal d’audition ou procès-verbal de contravention).
Avec la nouvelle rédaction de l’article, un raisonnement en deux temps est suivi par le législateur : dans un premier alinéa, sont énoncées les informations dues dans tous les cas puis, dans un second, les informations exigées lorsqu’il est fait application de la procédure d’amende forfaitaire ou de composition pénale.
Dès lors, il convient de voir successivement ces deux points, chacun suscitant des questions différentes.
B. – Une réforme claire en cas de comparution du contrevenant
S’agissant des infractions les plus graves, visées au premier alinéa de l’article L. 223-3 du code de la route, il ne fait pas de doute qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 12 juin 2003, il n’était plus nécessaire d’indiquer au contrevenant le nombre exact de points qu’il était susceptible de perdre mais seulement de l’informer d’une perte de point.
En effet, cette évolution ressort clairement de la rédaction de l’article L. 223-3 du code qui dispose désormais que « l’intéressé est avisé qu’une des infractions entraînant retrait de points a été relevée à son encontre ». Cette formulation ne laisse, semble-t-il, pas de place à hésitations.
Par ailleurs, l’intention du législateur sur ce point est claire puisque ce sont les infractions donnant lieu à comparution du contrevenant qui ont motivé le projet de loi. En effet, devant le Parlement, c’est sur cet argument que s’est appuyé le gouvernement (bien que les motifs avancés par ce dernier aient été fondés sur une interprétation contestable de la jurisprudence du Conseil d’Etat selon le commissaire du gouvernement D. Chauvaux) pour justifier la réforme.
De plus, c’est cette interprétation du texte qui ressort du rapport de présentation fait à l’Assemblée nationale.
Partant, il est établi que la loi nouvelle dispense l’agent verbalisateur d’indiquer le nombre de points que le contrevenant se verra retirer dans cette hypothèse. Ainsi, l’agent doit désormais délivrer plusieurs informations à l’intéressé : qu’il encourt une perte de points (avec un rappel des dispositions de l’article L. 223-2 du code de la route), qu’il existe un traitement automatisé des retraits points et qu’il peut exercer un droit d’accès.
Dès lors, pour les infractions les plus graves, une information spécifique a été instituée par ce texte. Généralement, cette information est donnée à l’occasion de l’interpellation du contrevenant et sa preuve est rapportée par le procès-verbal d’audition de l’intéressé.
Reste donc à se pencher sur le cas, moins évident, dans lequel il est fait application de la procédure d’amende forfaitaire ou de composition pénale.
II. – Une loi difficile à interpréter en cas de règlement non judiciaire
La loi du 12 juin 2003 ne brille pas par sa clarté s’agissant de l’information à délivrer en cas de règlement non judiciaire du litige (A.). Face à cette ambiguïté, la solution retenue par les juges du Palais-Royal apparaît emprunte d’opportunité (B.).
A. – Une réforme ambigüe lorsque le règlement non judiciaire est possible
Le texte adopté par les parlementaires et qui n’a pas été modifié depuis n’est pas d’une grande clarté. En effet, comme cela vient d’être rappelé, les nouvelles dispositions de l’article L. 223-3 du code la route traitent par deux alinéas distincts de l’information qui doit être indiquée dans le procès-verbal d’audition et de celle qui doit être donnée lors de la remise du procès-verbal de contravention.
Or, si l’alinéa relatif aux infractions donnant lieu à comparution du contrevenant exclut la nécessité d’informer l’intéressé du nombre exact de points qu’il va perdre, l’alinéa relatif à la procédure d’amende forfaitaire utilise, quant à lui, une formule ambigüe qui laisse place à l’interprétation. C’est ce qui a, d’ailleurs, justifié le renvoi de la question à la Section du contentieux.
Il était donc nécessaire de s’intéresser à la ratio legis de ce texte pour l’interpréter, ce qu’a fait le commissaire du gouvernement D. Chauvaux dans ses conclusions. Au cours de son raisonnement, il relevait la volonté claire du gouvernement d’exclure une telle information dans toutes les hypothèses. Toutefois, la volonté du législateur – qui, au final, est la seule à devoir entrer en ligne de compte – était moins marquée. Bien au contraire, le rapport rendu par M. Dell’Agnola à l’Assemblée nationale mentionnait que le nouveau texte avait pour objet de conserver une « information exacte » sur le nombre de points en cas d’application de la procédure d’amende forfaitaire.
Au vu de cette phrase, il aurait en principe dû être considéré que l’Assemblée nationale sur la base de ce rapport avait entendu conserver l’information sur le nombre exact de point en cas d’amende forfaitaire.
Cependant, telle n’a pas été l’interprétation retenue par le commissaire du gouvernement, suivi par la Section du contentieux. En effet, jouant sur les divers sens du mot « exact », D. Chauvaux a estimé que l’information donnée par l’administration était exacte, bien que ne portant pas sur le nombre de point. Mettant le contrevenant à même d’aller se renseigner sur le nombre de points perdu, l’information restait « exact » bien qu’indirecte.
Ce raisonnement sophistique ne convainc pas eu égard à la clarté des lignes du rapporteur du texte au nom de l’Assemblée nationale. A ce titre, il est douteux que les intéressés puissent dans tous les cas retrouver le nombre exact de points qui leur est retiré en utilisant la référence faite dans le procès-verbal aux dispositions y relatives du code de la route. C’est d’ailleurs ce que note le commissaire du gouvernement lui-même, admettant ainsi, en quelque sorte, que l’information donnée n’est pas forcément exacte dans le sens « précis » qui était clairement celui donné par le rapporteur de l’Assemblée nationale à ce terme.
Cette solution, étonnante eu égard à la rédaction du texte, s’explique sans doute par deux éléments. L’un, qui ne peut plus être nié aujourd’hui, est que les textes sont élaborés par le gouvernement et, somme toute, enregistrés par le Parlement. Dans ces conditions, il peut être tentant de recherche la ratio legis auprès du véritable auteur du texte, à savoir le gouvernement. C’est d’ailleurs sans doute ce qui explique que certaines juridictions du fond aient précédé le Conseil d’Etat dans l’interprétation des dispositions nouvelles de l’article L. 223-3 (voir, par exemple, pour la cour de Douai : 22 juin 2006, Ministre de l’Intérieur c. M. Delattre, n° 05DA01462 ; 21 septembre 2006, Ministre de l’Intérieur c. M. Bajard, n° 06DA00406 ; 19 octobre 2006, Ministre de l’Intérieur c. M. Demeyer, n° 06DA00458).
En outre, et surtout, des considérations d’opportunité ont dû conduire le Conseil d’Etat à choisir cette solution.
B. – Une solution emprunte d’opportunité
Les conclusions du commissaire du gouvernement sur cet avis montrent les hésitations de ce dernier et, sans doute, un certain embarras à l’égard de cette solution. En effet, il conclut finalement que la position gouvernementale est « grammaticalement possible et présente une certaine vraisemblance ». Nous sommes donc loin d’une conformité de la solution à la lettre et à l’esprit du texte de loi, le commissaire du gouvernement se fondant plutôt sur une simple compatibilité grammaticale.
Si cette interprétation a finalement été validée, il y a fort à parier que des considérations d’opportunité ont pesé dans le sens de la légalité des dispositions de l’article R. 223-3 du code.
D’une part, comme cela vient d’être rappelé, si l’objectif du législateur n’était pas évident, celui du gouvernement était, en revanche, sans ambiguïté. Dès lors, si l’interprétation retenue avait été celle du maintien de l’obligation d’informer le contrevenant du nombre exact de points dont la perte est encourue, il ne fait pas de doute que le gouvernement, courroucé de ce contretemps, aurait immédiatement présenté un nouveau projet au Parlement afin qu’il modifie sa copie en supprimant toute ambiguïté dans le texte. Partant, la solution adoptée dans le présent avis peut être regardée comme ne faisant qu’éviter une étape supplémentaire dans un processus qui aurait sans doute conduit au même résultat.
Néanmoins, en toute rigueur juridique, il était nécessaire que la Haute juridiction s’en remette seulement à l’intention du législateur, quitte à ralentir les projets gouvernementaux dans ce domaine.
D’autre part, et surtout, si l’illégalité des dispositions de l’article R. 223-3 du code de la route avait été reconnue par cet avis, un très grand nombre de retraits de points auraient été regardés comme illégaux. En effet, les nouvelles dispositions ayant été appliquées avec une grande promptitude, la quasi-totalité des retraits intervenus depuis l’intervention du décret du 11 juillet 2003 aurait été vouée à l’annulation.
Or, comme le rappelle longuement le commissaire du gouvernement, la jurisprudence Association « AC ! » (CE. Ass. 11 mai 2004, Association AC !, n° 255886, Rec. 197 ; AJDA 2004. 1183, chron. C. Landais et F. Lenica ; D. 2004. IR. 1499 ; RFDA 2004. 454, concl. C. Devys) ne trouve pas à s’appliquer en matière d’avis contentieux. De la sorte, les conséquences de l’illégalité de la nouvelle pratique administrative ne pouvaient être limitées à l’avenir. Selon D. Chauvaux, une évolution était certes possible en s’inspirant de la pratique de la Cour de Justice (CJCE, 12 octobre 2000, Cooke & Sons, aff. C-372/98, Rec. I p. 8633). Néanmoins, en retenant les mêmes conditions que la Cour s’agissant de la modulation dans le temps des effets d’un avis contentieux, celles-ci n’auraient pas été réunies en l’espèce.
Ainsi, au terme du raisonnement suivi par le commissaire du gouvernement, il n’existait aucun moyen de limiter dans le temps les effets d’un tel avis. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat avait le choix entre valider cette interprétation (peu orthodoxe) du texte ou la censurer en permettant une annulation certaine de la quasi-totalité des retraits de points intervenus depuis l’application du décret du 11 juillet 2003.
Il est donc très probable que cet enjeu a pesé en faveur de l’interprétation retenue par le gouvernement.
Cette solution, adoptée dans le cadre d’un avis a, depuis lors, été reprise par le Conseil d’Etat dans un certain nombre de décisions (voir, par exemple : CE. SSJS. 5 octobre 2007, Ministre de l’Intérieur c. M. Delmas, n° 306371 ; CE. SSR. 22 octobre 2010, Ministre de l’Intérieur c. M. Savoie, n° 321456, mentionnée aux tables) entérinant ainsi cette interprétation. Il n’en demeure pas moins qu’elle ne présente pas la rigueur juridique que l’on pourrait attendre de la Haute juridiction dès lors qu’elle se fonde sur l’intention du gouvernement et sur des considérations de pure opportunité.
Janvier 2013
Bruno Roze
Avocat au Barreau de Paris
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