La Polynésie française et son nouveau droit de la concurrence

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Par des lois du pays des 23 février et 14 avril 2015, l’assemblée de la Polynésie française a créé un droit polynésien de la concurrence et réformé le « petit » droit de la concurrence. Cette réforme importante, qui vise à introduire une concurrence réelle sur le marché, suscite nécessairement des interrogations et critiques. Aussi, ces lois du pays ainsi que les débats qu’elles provoquent méritent que l’on s’y attarde plus longuement, notamment quant aux outils spécifiques à la Polynésie française mis en place, à savoir le mécanisme de l’injonction structurelle et le contrôle concurrentiel des surfaces commerciales.

Par des lois du pays des 23 février et 14 avril 2015, l’assemblée de la Polynésie française a créé un

La Polynésie française et son nouveau droit de la concurrence

Le droit de la concurrence, aujourd’hui au cœur des relations économiques, n’en demeure pas moins un droit jeune et, ce faisant, en cours de formation et d’application. A cet égard, il suffit de relever qu’à l’inverse d’autres domaines du droit, tels que le droit de la famille ou le droit pénal, le droit de la concurrence, lié à un certain modèle économique, n’existe pas dans tous les pays ou peut y prendre des formes différentes. Néanmoins, il apparaît certain à l’heure actuelle que la réglementation des pratiques commerciales et concurrentielles connaît une expansion, tant du point de vue du fond du droit que de son champ d’application territorial.

Ainsi, il peut être noté, s’agissant de l’exemple qui nous intéresse, que par deux lois du pays adoptées les 25 juin et 27 novembre 2014 (devenues les lois du pays n° 2015-2 du 23 février 2015 et n° 2015-4 du 14 avril 2015), la Polynésie française s’est dotée d’un droit de la concurrence moderne, largement calqué sur le droit métropolitain. En effet, le code de commerce métropolitain, et notamment son titre IV issu de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ne trouvant pas à s’appliquer directement en Polynésie, les règles du droit de la concurrence pure ne faisaient, jusqu’ici, pas partie du droit polynésien. En outre, le caractère multi-insulaire de la Polynésie ainsi que son éloignement des centres de production et la taille relativement limitée de son marché n’en faisaient pas une terre d’élection naturelle de la concurrence, ses caractéristiques favorisant plutôt les oligopoles ou monopoles. Néanmoins, il est apparu impératif aux autorités polynésiennes de combler cette lacune, non pas dans une optique purement dogmatique mais dans l’espoir que cette introduction du droit de la concurrence puisse avoir une influence sur le niveau des prix. C’est pourquoi, par deux lois du pays n° 2015-2 du 23 février 2015 et n° 2015-4 du 14 avril 2015, l’assemblée de la Polynésie française a introduit le droit de la concurrence, mais a aussi rafraichi le droit des pratiques commerciales en créant un code de la concurrence polynésien réunissent ces deux branches du droit des marchés.

En effet, au-delà du droit de la concurrence, les lois du pays en question sont venues nourrir ce que l’on peut appeler le droit du marché (Y. Picod, Rapport introductif, in Droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998. 1) qui englobe non seulement le droit de la concurrence au sens stricte (la libre concurrence) mais aussi le « petit » droit de la concurrence (les pratiques commerciales). A cela s’ajoutent deux mécanismes également introduits par ces lois du pays qui touchent le commerce et le droit du marché : le mécanisme de l’injonction structurelle et celui des autorisations d’exploitation commerciale.

Ainsi, les autorités de Polynésie française se sont dotées d’un arsenal législatif leur permettant, en principe, de mettre en place une concurrence accrue sur leur territoire.

Plus précisément, s’agissant du droit de la concurrence au sens stricte, les principes de liberté des prix et d’interdiction des pratiques anti-concurrentielles (ententes et abus de position dominante) ont été posés par le législateur délégué. Afin d’assurer l’efficacité de ces interdictions, une autorité polynésienne de la concurrence a également été créée, à l’image de l’autorité métropolitaine.

Ensuite, la loi du pays du 27 novembre 2014 est venue compléter et rafraichir le droit des pratiques commerciales. Ce droit, généralement ignoré par la doctrine, concerne la réglementation du comportement pratique des opérateurs commerciaux les uns envers les autres (méthode de facturation, délais de paiement, etc.). Il existait d’ores et déjà en Polynésie française. Néanmoins, l’avènement du droit de la concurrence au sens strict a été l’occasion de rajeunir et d’unifier ce « petit » droit de la concurrence contenu dans différents textes pour certains anciens.

Par ailleurs, la loi du pays du 25 juin 2014 a introduit le mécanisme controversé de l’injonction structurelle. Cet outil, très puissant, créé par le droit métropolitain pour les départements d’outre-mer a également été introduit par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Il permet à l’autorité qui le détient (ici l’autorité polynésienne de la concurrence) d’aller, dans des hypothèses particulières, jusqu’au démantèlement des entreprises qui en font l’objet sans que celles-ci soient reconnues coupables de pratiques anti-concurrentielles, si leur position suscite des « préoccupations » de concurrence.

Enfin, le code de la concurrence nouvellement créé a mis en place un mécanisme d’autorisation préalable à l’ouverture de surfaces commerciales. Ce type d’autorisation, prévu par le droit métropolitain mais également par le droit polynésien antérieur, a été remanié par ces nouveaux textes.

C’est donc une réforme d’ampleur visant à moderniser le droit du marché polynésien qui a été adoptée par l’assemblée de la Polynésie française. Néanmoins, il est nécessaire de se pencher avec davantage de précision sur chacun des outils créés afin de déterminer ses apports réels, les questions demeurées en suspens et, ainsi, la portée pratique de ces dispositions.

Il convient donc d’étudier la consécration par ces lois du pays du droit de la concurrence (I.) et de ses outils annexes, spécifiques à la structure du marché polynésien (III.) ainsi que le rafraichissement et l’approfondissement du droit des pratiques concurrentielles (II.).

I. La création d’un droit de la concurrence moderne

La loi du pays n° 2015-2 du 23 février 2015, qui crée le code de la concurrence a posé la première pierre d’un droit des marchés structuré en Polynésie française. En effet, en instaurant un droit de la concurrence largement inspiré du droit métropolitain et du droit de l’Union, l’assemblée de la Polynésie française a introduit un pan du droit qui n’existait pas en tant que tel sur son territoire (A.). Néanmoins, il convient de relever les limites de cette révolution apparente (B.).

A. La création d’un cadre clair à l’exercice de la libre concurrence

La loi du pays du 23 février 2015, en créant les titres I à III et VI et VII du code de la concurrence, a doté les autorités polynésiennes d’un droit de la concurrence moderne dont la Polynésie était dépourvue jusqu’alors.

En effet, il convient tout d’abord de relever que, sur le territoire de la Polynésie française, le droit métropolitain de la concurrence tel qu’il résulte de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ne trouve pas à s’appliquer dans la mesure où la concurrence n’est pas au nombre des compétences qui relèvent de l’Etat en Polynésie. Sur ce point, la cour d’appel de Paris a pu juger, sous l’empire de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 (désormais remplacée par la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004), que cette ordonnance, puis le code de commerce au sein duquel elle a été codifiée, n’étaient pas applicables à la Polynésie française (CA Paris, 26 juin 2000, Société Telefenua c. Société TPS, n° 2000/23379), en relevant que le droit de la concurrence n’était pas au nombre des compétences de l’Etat sur le territoire de la Polynésie française. Cette solution, assez logique, ressortait sans ambiguïté des textes alors applicables comme l’avait d’ailleurs relevé la doctrine (Yves-Louis SAGE, « Le droit de la concurrence en Polynésie française – Quelques remarques à la lumière des contrats de concessions exclusives », Droit 21, 2001, ER 056).

L’on peut noter que l’intervention de la loi organique du 27 février 2004 n’a pas modifié la répartition des compétences entre la Polynésie française et l’Etat sur ce point. En effet, l’article 14 de la loi organique liste de façon limitative les compétences de l’Etat. Or, le droit de la concurrence ne fait pas partie de cette liste. Par ailleurs, il n’entre pas davantage dans la liste des matières de souveraineté qui trouvent à s’appliquer directement en Polynésie française (article 7 de la loi organique).

Ainsi, il est bien établi que les articles L. 410-1 et suivants du code de commerce ne sont pas applicables en Polynésie française.

S’agissant du droit de la concurrence issu du droit de l’Union européenne, la solution apparaît plus nuancée. En effet, les pays et territoire d’Outre-mer (ci-après PTOM) sont dans une situation particulière vis-à-vis du droit de l’Union européenne. Ils ne sont ni réellement membres, ni réellement tiers. C’est la décision n° 2013/755/UE du Conseil en date du 25 novembre 2013 qui vient réglementer les relations entre l’Union et les PTOM.

Or, en son article 60, cette décision impose « l’élimination des distorsions de concurrence » et apporte des précisions sur ces distorsions (abus de position dominante et entente).

Aussi, en vertu de leur statut, il est certain que les règles issues des directives ne trouvent pas à s’appliquer aux PTOM, pas plus que les articles 101 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Toutefois, eu égard à l’obligation faite par la décision de supprimer les distorsions de concurrence, l’on pouvait s’interroger sur l’opposabilité des interprétations retenues par la Cour de justice des notions d’abus de position dominante et d’entente, et plus généralement des principes du droit de la concurrence, par l’intermédiaire de l’article 60 de la décision du 25 novembre 2013.

Dans sa décision du 19 décembre 2014, le Conseil d’Etat tranche toutefois cette question par la négative en estimant que ni les règles, ni les principes du droit de la concurrence de l’Union ne trouvent à s’appliquer directement en Polynésie française (CE. SSR. 19 décembre 2014, Fédération générale du commerce et Société d’étude et de gestion commerciale, n° 383318, mentionnée aux tables).

Ainsi, en principe, le droit de la concurrence sous ses différentes formes ne trouvait – avant l’intervention de la loi du pays du 23 février 2015 – pas à s’appliquer sur le territoire polynésien. Cette loi a donc été l’occasion d’apporter deux outils majeurs sur le territoire de la Polynésie française : d’une part, des règles de fond et, d’autre part, une autorité de la concurrence chargée de les appliquer. Le texte contient un nombre important d’autres innovations qui seront étudiées infra.

  • Des apports de fond

S’agissant des règles de fond, la loi du pays n° 2015-2 du 23 février 2015a simplement repris les règles exposées dans le code de commerce et relatives à la liberté des prix, à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles et au contrôle des concentrations. Ainsi, les articles LP. 200-1 et LP. 200-2 du code de la concurrence nouvellement créé interdisent respectivement les ententes et les abus de position dominante. La rédaction retenue est d’ailleurs très proche de celle adoptée par l’ordonnance du 1er décembre 1986 (reprise par le code de commerce).

A cet égard, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que l’article LP. 200-2 du code de la concurrence qui prohibe les abus de position dominante doit s’entendre, en substance, de la même manière que l’article L. 420-2 du code de commerce en ce qu’il n’interdit pas la détention d’une position dominante mais, plus logiquement, son exploitation (CE. SSR. 19 décembre 2014, FGC et SEGC, n° 38318, mentionnée aux tables).

En outre, un contrôle des concentrations est également mis en place pour les opérations impliquant des entreprises réalisant, ensemble, au moins 2 milliards de francs CFP de chiffre d’affaire (soit environ 16.760.000 euros) et, individuellement, au moins 500 millions de francs CFP de chiffre d’affaire (soit environ 4.190.000 euros). Par ailleurs, dans le secteur de la distribution alimentaire, ces seuils sont ramenés à 1,5 milliards de francs CFP (soit environ 12.570.000 d’euros) et 200 millions de francs CFP (soit environ 1.676.000 euros).

Ils sont donc très inférieurs à ceux prévus par l’article L. 430-2 du code de commerce pour la France métropolitaine. Cette différence s’explique néanmoins assez aisément par la taille respective des marchés polynésien et métropolitain. En effet, la Polynésie française compte moins de 300.000 habitants, là où la métropole en compte plus de 65 millions. Dans ces conditions, des seuils identiques à ceux prévus en métropole aurait conduit le contrôle des concentrations à demeurer lettre morte ou, à tout le moins, à perdre l’essentiel de son utilité.

En revanche, le principe du contrôle demeure le même qu’en métropole : les entreprises entrant dans le champ de ces dispositions doivent notifier préalablement à l’opération leur intention à l’autorité de la concurrence qui doit donner son accord.

Enfin, toujours concernant les règles de fond instituées par le code de la concurrence, l’on peut relever que l’article LP. 200-3 du code interdit spécifiquement les accords portant sur des droits exclusifs d’importation. De prime abord, il pourrait paraître étonnant que ce type d’accord fasse l’objet d’une disposition et d’une interdiction spécifique. En effet, les accords d’importation exclusifs sont appréhendés au travers de l’interdiction des ententes.

Cependant, des raisons politiques et techniques liées aux caractéristiques du territoire et du marché polynésien, expliquent ce sort particulier réservé aux accords d’importation exclusifs. En effet, il convient de rappeler ici que la Polynésie française, qui s’étale sur une surface maritime d’environ 5 millions de km2 – soit un territoire aussi vaste que celui de l’Union européenne –, est composée d’une myriade d’îles (118 au total). Or, la population polynésienne ne dépasse pas les 270.000 habitants, sachant que la plus importante agglomération de Polynésie française est Papeete qui compte 26.000 habitants.

Aussi, ces spécificités géographiques (un territoire extrêmement vaste pour une population peu importante et peu concentrée ; des îles dispersées et éloignées les unes des autres) ont des effets sur la structure de l’économie polynésienne. Elles ont notamment pour conséquence de favoriser les accords d’importation exclusifs : d’une part, ceux-ci sont rendus possibles par les voies limitées de communication et, d’autre part, ils peuvent être justifiés par l’acheminement coûteux des produits vers toutes les îles des archipels, ce qui suppose un amortissement par le biais d’économies d’échelles importantes.

Cependant, comme tout système à tendance monopolistique, l’accord d’important exclusif – s’il peut avoir un intérêt pour le producteur, le distributeur et le consommateur – peut également avoir tendance à clore le marché en empêchant la concurrence par les prix et ainsi favoriser quelques entreprises au détriment des consommateurs.

Or, la Polynésie française, comme toutes les économies insulaires, est marquée par des prix élevés dans le secteur de la distribution alimentaire mais également dans d’autres domaines de la distribution. En outre, les systèmes d’importation exclusive sont courants sur ce territoire très vaste mais peu peuplé.

C’est ce qui explique l’introduction de dispositions spécifiques aux accords exclusifs d’importation prévoyant leur interdiction. En effet, par ces dispositions, les autorités polynésiennes ont entendu libéraliser le marché. Cet article n’est d’ailleurs qu’une transposition de l’article 5 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 dite Lurel qui, à la suite des émeutes en Guadeloupe liées à la cherté de la vie, a tenté de susciter une baisse des prix par l’introduction de différents mécanismes. Parmi ces outils se trouve notamment l’article L. 420-2-1 du code de commerce, très similaire à l’article LP. 200-3 du code de la concurrence polynésien.

D’ailleurs, ces deux textes posent les mêmes limites. En effet, la loi du pays du 23 février 2015 et la loi du 20 novembre 2012 prévoient que les accords ou pratiques dont les auteurs peuvent justifier qu’ils sont justifiés par des « motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte » ne sont pas soumis à ladite interdiction (article LP. 200-5 du code de la concurrence et article L. 420-4 du code de commerce). Cette limite apparait logique dans la mesure où, comme indiqué ci-dessus, les accords d’importation exclusifs ne sont pas nécessairement négatifs pour la concurrence ou le consommateur. D’ailleurs, le droit français n’interdit pas per se les clauses de distribution exclusive. Ainsi, le conseil de la concurrence (aujourd’hui, autorité de la concurrence) a pu rappeler que « les exclusivités de distribution ou d’achat n’étaient pas anticoncurrentielles par elles-mêmes » (décision n°08-C-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des Iphones, point 147).

Il était donc logique que cette interdiction générale fasse l’objet de limitations. Sans quoi, elle aurait pu être jugée disproportionnée à l’objectif poursuivi.

Enfin, un dernier apport – mais non des moindres – du point de vue du fond du droit est la consécration du principe de la liberté des prix. En effet, l’article LP. 100-2 du code de la concurrence a posé pour principe que « sauf dans les cas où les lois du pays en disposent autrement, les prix des biens, produits et services marchands sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ». S’en suit une série d’exceptions qui viennent limiter ce principe de liberté des prix en prévoyant que les autorités polynésiennes peuvent fixer le niveau des prix par la voie réglementaire.

Cet article vient donc introduire en droit polynésienne un principe né en droit métropolitain avec l’ordonnance du 1er décembre 1986. Cette transformation, essentiellement symbolique, a pour but principal de signifier le passage d’une économie dirigée avec réglementation des prix à une économie libérale avec liberté des prix, vue comme plus moderne.

L’on verra toutefois infra que, dans la pratique, si cette consécration induit un changement d’optique, elle n’aura pas d’influence décisive.

  • La création d’une autorité de la concurrence

La loi du pays du 23 février 2015 a également créé une autorité de la concurrence calquée sur le modèle métropolitain. En effet, ses pouvoirs et fonctions sont assez largement les mêmes que celles dévolues en métropole à l’autorité de la concurrence.

L’article LP. 620-1 du code de la concurrence prévoit ainsi qu’« elle veille au libre jeu de la concurrence et au bon fonctionnement du marché ».

Plus précisément, l’autorité est tout d’abord un conseil du Président de la Polynésie française et des juridictions puisqu’elle peut être consultée sur les textes ou les affaires relevant de sa compétence (certaines consultations sont d’ailleurs obligatoires). Elle peut, par ailleurs, de sa propre initiative, émettre des avis qu’elle communique au gouvernement sur les questions qui méritent, selon elle, une intervention.

Ensuite, l’autorité de la concurrence peut être saisie par différentes personnes physiques ou morales de certaines pratiques qu’elles estiment contraires à la concurrence. Dans ce cadre, l’autorité peut sanctionner les pratiques qui lui sont soumises. Ce pouvoir de sanction, qui est l’un des principaux apports de la création d’une autorité polynésienne de la concurrence suscite toutefois une remarque.

En effet, il apparaît que l’autorité de la concurrence peut s’autosaisir de faits ou pratiques susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles puisque l’article LP. 620-5 du code de la concurrence prévoit notamment que : « Le rapporteur général peut proposer au collège de l’Autorité de se saisir d’office de faits susceptibles de constituer de telles pratiques anticoncurrentielles ». L’autorité dispose donc d’un pouvoir large d’auto-saisine qui peut conduire à s’interroger sur sa compatibilité avec les règles du procès équitable et notamment avec la théorie des apparences (CEDH, 11 juin 2009, Dubus S.A. c. France, n° 5242/04). En effet, si le pouvoir d’auto-saisine ne pose pas de difficulté dans son principe et s’avère parfaitement nécessaire, ses modalités de mise en œuvre suscitent en revanche des questions.

Plus précisément, sur proposition du rapporteur général, le collège de l’autorité pourra s’autosaisir de pratiques avant de statuer sur leur bien-fondé. Or, pour déterminer s’il y a méconnaissance de la théorie des apparences, la Cour européenne des droits de l’homme examine, d’une part, la nature des décisions prises par le juge dans la procédure avant de prendre sa décision finale et, d’autre part, si la personne poursuivie peut avoir raisonnablement l’impression que ce sont les mêmes personnes qui l’ont poursuivie et jugée (CEDH, 11 juin 2009, Dubus S.A. c. France, n° 5242/04, paragraphes 57 à 60).

Or, au cas présent, il apparaît que le collège lance les poursuites puis juge les faits poursuivis. Certes, il ressort des textes susmentionnés que l’initiative appartient au rapporteur général qui propose au collège de se saisir d’office. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la décision de se saisir d’office appartient au collège qui jugera ultérieurement l’affaire. Dès lors, du point de vue de la théorie des apparences, il est fort probable que la personne poursuivie ait raisonnablement l’impression que les poursuites (réalisées par décision commune du rapporteur général et du collège), l’instruction (effectuée par le rapporteur général) et le jugement (prononcé par le collège) sont concentrés dans les mains des mêmes personnes.

Cependant, ce moyen, soulevé à l’occasion du recours formé avant la promulgation de la loi du pays du 23 février 2015 n’a pas convaincu le Conseil d’Etat qui a estimé : « que cette disposition ne conduit pas l’autorité à préjuger la réalité de telles pratiques ; que, contrairement à ce que soutiennent les intervenantes, l’instruction ultérieure de l’affaire, par le rapporteur général, et son jugement, par le collège de l’autorité, sont assortis des garanties nécessaires pour que ne s’opère, sous le contrôle de la juridiction compétente, aucune confusion entre les fonctions de poursuite et d’instruction et les pouvoirs de sanction administrative » (CE. SSR. 19 décembre 2014, FGC et SEGC, n° 38318, mentionnée aux tables). En effet, il semble que les procédures sont suffisamment encadrées pour éviter un préjugement. Toutefois, la question ne se plaçait pas sur le plan de l’impartialité objective mais sur celui de la théorie des apparences qui, à notre sens, présente une réelle difficulté.

Certes, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de valider le pouvoir d’auto-saisine de l’autorité métropolitaine de la concurrence (décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre), ce qui explique sans doute la position du Conseil d’Etat. Cependant, il est à noter que le pouvoir d’auto-saisine dont était saisi le Conseil constitutionnel portait uniquement sur l’exécution des décisions rendues par l’autorité. En effet, celle-ci, en cas d’inexécution peut s’autosaisir des manquements aux obligations imposées par ses décisions. Dès lors, il n’est pas certain que le raisonnement du Conseil constitutionnel, bien que général, puisse être étendu. En outre, et surtout, la Cour européenne des droits de l’Homme est généralement plus exigeante que les juridictions administratives et constitutionnelle françaises quant à l’application de la théorie des apparences. Aussi, il est loin d’être établi que la Cour, qui sera sans doute un jour amenée à se prononcer sur cette question, suive le même raisonnement que le Conseil d’Etat.

Toutefois, dans son principe, et comme évoqué supra, le pouvoir d’auto-saisine ne pose, en lui-même pas de difficulté dans l’hypothèse où la poursuite de l’infraction, l’instruction du dossier et le jugement de l’affaire sont suffisamment bien séparés.

Enfin, l’autorité de la concurrence nouvellement créée disposera de pouvoirs classiques de contrôle en matière de concentration et de pouvoirs, plus originaux, en matière d’ouverture de surfaces commerciales qui seront étudiés infra.

Ainsi, c’est une autorité de la concurrence complète quoi vient d’être créée par les autorités polynésiennes, donnant un cadre élaboré aux marchés en Polynésie. Toutefois, les différents pouvoirs attribués à l’autorité suscitent également une remarque.

En effet, qui dit pouvoirs de contrôle, dit contentieux. Il en va notamment ainsi des sanctions prononcées par l’autorité polynésienne de la concurrence ou des décisions prises en matière de concentration. L’on peut donc s’interroger sur le chemin contentieux que ces décisions devront suivre. La loi du pays reste muette sur la juridiction compétente pour statuer sur les litiges qui ne manqueront pas de naître à la suite des sanctions, et plus généralement des décisions, prononcées par l’autorité. Ce silence est parfaitement logique, la compétence en matière de justice appartenant à l’Etat en vertu du 2° de l’article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004.

Il convient de rappeler qu’en droit métropolitain, les sanctions prononcées par l’autorité de la concurrence sont déférées directement à la cour d’appel de Paris, à raison de ses compétences particulières en matière économique. Cependant, cette compétence ne ressort pas de la répartition classique des compétences entre juridictions mais a fait l’objet d’une attribution législative. En effet, c’est la loi n° 87-499 du 6 juillet 1987 qui a procédé à cette répartition des compétences par dérogation aux principes classiques en vertu desquels l’autorité de la concurrence (tant métropolitaine que polynésienne) est une autorité administrative émettant des actes administratifs déférés, sauf texte contraire, au tribunal administratif dans le ressort duquel elle se trouve. Il a été précisé à cet égard que la dérogation aux règles de compétence introduite par la loi du 6 juillet 1987 était conforme à la constitution (décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence). Cela signifie donc qu’il est loisible au législateur de modifier la répartition des compétences entre les deux ordres pour des raisons pratiques.

Au cas présent, si la loi du pays est muette sur le contentieux de la concurrence, il apparaît que par une résolution n° 2014-2 R/APF du 27 novembre 2014, l’assemblée de la Polynésie française a suggéré au législateur national d’adopter des dispositions similaires à celles relatives à l’autorité métropolitaine de la concurrence pour l’autorité polynésienne. En effet, l’assemblée a notamment proposé qu’un article LP. 642-3 soit ajouté au code de la concurrence prévoyant que les recours contre les sanctions prononcées par l’autorité polynésienne de la concurrence soient directement introduits devant la cour d’appel de Paris dans le délai d’un mois suivant leur notification.

S’agissant des décisions intervenues dans le cadre du contrôle des concentrations, l’assemblée de la Polynésie française a par ailleurs proposé que les recours soient introduits dans le Conseil d’Etat à l’instar de ce qui existe en droit métropolitain. En revanche, le texte proposé reste muet sur les recours formés contre les autorisations ou refus d’autorisation en matière d’ouverture des surfaces commerciales (articles LP. 320-1 et suivants du code de la concurrence), ce qui laisse supposer que les recours seront formés devant le tribunal administratif de Polynésie française.

Ainsi, le souhait de l’assemblée de la Polynésie française est le suivant : une compétence de la cour d’appel de Paris en matière de pratiques anticoncurrentielles, une compétence du Conseil d’Etat en matière de concentrations et une compétence du tribunal administratif de Polynésie française pour les autorisations d’ouverture de surfaces commerciales.

Toutefois, en l’état, et dans l’attente d’un texte du législateur national, la compétence pour connaître de l’ensemble de ces décisions appartient au tribunal administratif de Polynésie française. Nul doute cependant que les autorités polynésiennes insisteront auprès du gouvernement pour qu’un texte soit déposé devant le Parlement avant que l’autorité polynésienne de la concurrence ne commence à fonctionner effectivement.

B. Une avancée juridique réelle sans révolution

Si l’importance de la consécration d’un droit de la répression des pratiques anticoncurrentielles et la création de structures chargées de leur application quotidienne ne peut être minimisée, l’apport de fond de la réforme doit toutefois être légèrement nuancé.

En effet, comme indiqué brièvement supra, le droit des marchés ne couvre pas que le droit de la concurrence au sens strict mais englobe le droit de la libre concurrence (liberté des prix, pratiques anticoncurrentielles et concentrations), de la concurrence loyale (répression de la concurrence déloyale) et des pratiques commerciales (aussi appelé petit droit de la concurrence).

Aussi, le droit des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations, introduit par la loi du pays du 23 février 2015 n’est que l’un des piliers du droit des marchés sans en constituer l’unique composante.

Or, le droit de l’égale concurrence, par le biais de la répression de la concurrence déloyale trouvait déjà à s’appliquer en Polynésie française, faisant ainsi disparaître l’idée que la Polynésie passerait du « rien » au « tout » comme cela sera démontré infra.

En outre, s’agissant même du droit de la libre concurrence au sens strict, il sera également relevé que l’affirmation du principe de la liberté rencontre un certain nombre de limites qui viennent nuancer l’importance de cette affirmation.

  • L’interdiction ancienne de la concurrence déloyale

L’action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil, est une création jurisprudentielle ancienne antérieure à la naissance du droit des pratiques anticoncurrentielles. En effet, cette action a été créée pour limiter la liberté d’attirer la clientèle de ses concurrents. Ainsi, tout procédé concurrentiel déloyal qui cause à autrui un dommage engage la responsabilité de son auteur sur le fondement des principes classiques du droit de la responsabilité civile.

D’origine prétorienne, cette action s’applique donc tout naturellement à la Polynésie française. La jurisprudence donne d’ailleurs des exemples d’application de cette théorie sur le territoire polynésien (CA Papeete, 6 novembre 2008, S.A. Brasserie du Pacifique, n° 671/COM/05 ; CA Papeete, 2 avril 2009, SARL Rotopol, n° 12/COM/07 ; CA Papeete, 8 janvier 2015, M. Jean-François X., n° 12/00578).

Dès lors, il ne fait pas de doute qu’avant même l’intervention des lois du pays des 23 février et 14 avril 2015, la concurrence n’était pas, sur le territoire polynésien, anarchique et dénuée de tout contrôle.

A cet égard, il est intéressant de revenir rapidement sur la notion de concurrence déloyale. En effet, celle-ci renvoie à un abus de la liberté de concurrence par l’usage de procédés contraires à la morale professionnelle et commerciale. C’est ainsi que la convention de Paris du 20 mars 1883 sur la protection de la propriété industrielle définissait la concurrence déloyale comme « tout acte contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale ».

Cette notion est donc ouverte et ne fait pas, à l’inverse des pratiques anticoncurrentielles au sens strict, l’objet d’une définition précise. Ce qui permet à la jurisprudence d’intégrer sous l’appellation de procédés déloyaux de nombreuses pratiques.

Les frontières sont dès lors poreuses entre pratiques anticoncurrentielles et pratiques déloyales.

En effet, si l’action en concurrence déloyale et l’abus de position dominante ou l’entente ne se confondent pas, l’une protégeant les concurrents et les autres défendant l’ordre public économique (voir sur ce point : CA Paris, 23 mars 2010, Société GEG, n° 2009/09599), il n’en demeure pas moins que l’abus de position dominante et l’entente constituent des fautes civiles qui peuvent être sanctionnées sur le terrain de l’article 1382 du code civil, à l’instar de la concurrence déloyale. Par suite, lorsque ces fautes causent un dommage à un concurrent, elles peuvent donner lieu à une indemnisation puisqu’elles constituent un acte de concurrence déloyale.

Cela permet donc, de facto, de sanctionner civilement mais par un biais détourné, les ententes et abus de position dominante, sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur l’application de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ou du code de commerce.

C’est ainsi que la cour d’appel de Papeete a été amenée – certes en de rares occasions – à s’interroger sur l’existence d’ententes ou d’abus de position dominante pour statuer sur une action en concurrence déloyale (voir, par exemple : CA Papeete, 31 juillet 2008, S.A. J.A. Cowan & Fils, n° 755/COM/06 ; CA Papeete, 30 octobre 2014, Société Pacific Mobile Télécom, n° 13/00687).

Dans ce contexte, elle ne s’est pas interrogée sur l’application des textes métropolitains, les articles 1382 et 1383 du code civil trouvant nécessairement à s’appliquer.

Dès lors, il apparaissait possible, avant même l’adoption des lois du pays des 23 février et 14 avril 2015, de faire sanctionner une entente ou un abus de position dominante.

Néanmoins, il doit être reconnu que cette possibilité était pour le moins limitée. En effet, en l’absence d’autorité chargée exclusivement de faire respecter la concurrence, il est évident que la libre concurrence et les pratiques commerciales étaient moins encadrées qu’elles ne le seront lorsque les lois du pays susmentionnées auront été mises en œuvre. En outre, et surtout, la sanction d’une entente ou d’un abus de position dominante supposait jusqu’ici l’action d’un concurrent ayant subi un préjudice commercial démontré du fait de ces agissements. Or, force est de constater que la cour d’appel de Papeete n’a eu à se prononcer qu’en de très rares occasion sur de telles actions.

Aussi, l’apport des lois du pays susmentionnées sur ce point est donc important. Et ce, d’autant qu’il manifeste un changement d’optique des autorités qui se ressentira nécessairement sur le comportement des opérateurs économiques. Toutefois, cette possibilité de former une action en concurrence déloyale méritait que l’on s’y attarde brièvement afin de rappeler que les lois du pays des 23 février et 14 avril 2015 ne sont pas intervenues sur un terrain vierge du principe de libre concurrence.

  • Une liberté des prix à nuancer

La loi du pays du 23 février 2015 a posé le principe de la liberté des prix. En effet, à l’instar de ce qui prévalait en France métropolitaine jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la Polynésie française ne disposait pas de texte clair indiquant que les prix étaient librement fixés par les lois de l’offre et de la demande.

Aussi, l’article LP. 100-2 du code de la concurrence est venu remédier à cette lacune en posant un principe nouveau de liberté des prix en droit polynésien. Néanmoins, sa portée mérite d’être nuancée pour différentes raisons, et ce, malgré les attentes des différents agents économiques, et notamment des consommateurs.

Tout d’abord, il doit être relevé que même avant l’avènement de ce principe par l’article LP. 100-2 du code de la concurrence, la liberté des prix trouvait à s’appliquer en Polynésie française comme en métropole. En effet, ce principe peut aisément se rattacher à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui […] ». De cet article découle la liberté d’entreprendre, qui dispose d’un statut constitutionnel (décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation) et la liberté du commerce et de l’industrie, consacrée de longue date (CE. Sect. 30 mai 1930, Syndicat de commerce en détail de Nevers, n° 06781, publiée au Recueil ; voir, pour un exemple récent : CE. SSR. 16 octobre 2013, Société EDF, n° 365067, mentionnée aux tables).

Or, le fait de déterminer librement ses prix est une composante de la liberté du commerce et de la liberté d’entreprendre. De la sorte, si ce principe n’était pas expressément consacré en droit polynésien, il n’en demeure pas moins qu’il trouvait à s’appliquer sur ce territoire.

Aussi, avant l’adoption de ce texte, le principe était d’ores et déjà la liberté des prix et le contrôle l’exception.

Son affirmation présentant donc essentiellement un caractère théorique et idéologique.

Et ce, d’autant que l’économie de la Polynésie française est caractérisée – avant comme après l’adoption de la loi du pays du 23 février 2015 – par un contrôle relativement poussé des prix. Il en va ainsi du prix des œufs, du pain, des hydrocarbures, du riz, ou autre (voir, notamment, au sein d’une liste non exhaustive : décision n° 761 AE du 13 octobre 1978, décision n° 762 AE du 13 octobre 1978, décision n° 1366 AE du 2 avril 1981, décision n° 608 AE du 2 mai 1983, décision n° 1537 AE du 24 octobre 1983, décision n° 438 AE du 7 mars 1984, arrêté n° 336 CM du 16 avril 1985, arrêté n° 168 CM du 6 février 1990, arrêté n° 447 CM du 23 avril 1990, arrêté n° 898 CM du 27 août 1990, arrêté n° 697 CM du 8 juillet 1996, arrêté n° 1626 CM du 15 décembre 1998, arrêté n° 119 CM du 24 août 2004, arrêté n° 128 VP du 26 juin 2006, arrêté n° 1208 CM du 29 août 2007, arrêté n° 1906 CM du 22 décembre 2008, arrêté n° 2557 CM du 30 décembre 2009, arrêté n° 213 CM du 25 novembre 2010, arrêté n° 223 CM du 24 février 2011, arrêté n° 224 CM du 24 février 2011).

Plus généralement, l’arrêté n° 171 CM du 7 février 1992 est venu fixer le régime général des prix et des marges des produits en Polynésie française. Aussi, les prix des produits de première nécessité et de grande consommation se trouvent encadrés aux différents stades de la commercialisation.

Or, l’avènement du principe de la liberté des prix n’aura, semble-t-il, que peu d’influence sur la portée de ce contrôle. A cet égard, l’article LP. 100-2 du code de la concurrence précise que le conseil des ministres peut toujours réglementer les prix après avis de l’autorité de la concurrence. Cette réglementation peut être durable ou temporaires, en ne dépassant pas six mois (en cas de situation de crise, de circonstances exceptionnelles, de calamité publique ou de situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé).

Autrement dit, le conseil des ministres conservera un pouvoir total de réglementer les prix mais devra solliciter au préalable l’avis de l’autorité polynésienne de la concurrence.

L’idée poursuivi par les autorités polynésiennes est qu’en instituant un droit de la concurrence et une concurrence effective, la loi de l’offre et de la demande fera, à terme, naturellement baisser les prix réduisant ainsi l’intérêt du contrôle des prix et permettant aux autorités polynésiennes de diriger moins fortement le marché.

Néanmoins, eu égard aux caractéristiques du marché polynésien évoquées supra, à savoir son étalement géographique, son éloignement des autres marchés et le nombre limité de consommateur, l’on peut douter de l’effet des règles de concurrence instituées par la loi du pays du 23 février 2015 et des règles encadrant les pratiques commerciales réformées par la loi du pays du 14 avril 2015. Certes, le renforcement de la concurrence sera certainement porteur d’avancées pour les consommateurs polynésiens en matière de prix. Toutefois, ses effets ne doivent pas être surestimés.

Dès lors, il apparaît bien que la consécration du principe de la liberté des prix, si elle revêt un caractère symbolique fort, ne semble pas devoir emporter des conséquences sensibles sur la pratique.

II. Une réforme importante de la réglementation des pratiques commerciales

Comme évoqué supra, la loi du pays adoptée le 27 novembre 2014 (loi du pays n° 2015-4 du 14 avril 2015) avait pour objet de réformer et d’unifier le droit des pratiques commerciales. Toutefois, avant de se pencher sur le fond de cette loi du pays (B.), il est nécessaire de s’attarder sur ce que recouvre ce droit qui existait d’ores et déjà en Polynésie française (A.).

A. Un droit peu connu, consacré de longue date par le droit polynésien

Le droit des pratiques commerciales, plus prosaïquement appelé « petit » droit de la concurrence, recouvre un certain nombre d’interdictions et d’obligations qui visent non seulement à assurer une certaine égalité et des rapports loyaux entre commerçants mais également à fluidifier le commerce en simplifiant les relations via des règles simples et applicables à tous (comme, par exemple, l’instauration de délais de paiement).

Ce droit, essentiellement pratique, suscite moins d’intérêt doctrinal que son grand frère, le droit de la concurrence stricto sensu. En effet, la plupart des règles énoncées par ce droit laissent peu de prise à un débat juridique nourri. Aussi, la doctrine semble moins encline à disserter sur les questions qu’elles suscitent que par celles posées par le droit de la concurrence.

Néanmoins, étant donnée la portée pratique de ces règles, appliquées quotidiennement par les opérateurs économiques, son intérêt ne peut être minimisé.

D’autant, que la règlementation des relations commerciales implique nécessairement, à l’instar du droit de la concurrence, une restriction de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre. Certes, dans ces deux hypothèses, l’atteinte portée est en principe justifiée par des motifs forts d’intérêt général. Toutefois, s’agissant de certaines des interdictions, par principe per se, de pratiques commerciales déterminées, l’on peut s’interroger sur leur but ou leur utilité réelle.

Aussi, l’étude de ce domaine du droit ne doit pas être négligée.

En droit métropolitain, les dispositions relatives à la réglementation des pratiques commerciales sont insérées dans le code de commerce aux articles L. 441-1 et suivants. Ces dispositions, comme celles relatives au droit de la concurrence ne trouvent pas à s’appliquer directement en Polynésie française et ne relèvent pas de la compétence de l’Etat mais de celle de la Polynésie française.

A cet égard, les autorités polynésiennes ont, depuis longtemps, fait usage de leur pouvoir en la matière. A l’inverse de ce qui prévalait jusqu’ici s’agissant du droit de la concurrence, des textes existaient antérieurement à 2014 pour réglementer les pratiques commerciales sur le territoire (il en va notamment ainsi des arrêtés l’arrêté n° 170 CM du 7 février 1992, n° 173 CM du 7 février 1992 et n° 692 CM du 16 juillet 1997, partiellement ou totalement abrogés par la loi du pays).

Toutefois, un besoin de réforme de ce droit des pratiques commerciales s’est fait ressentir. C’est pourquoi, en 2013, un texte a été élaboré pour créer le droit de la concurrence et réformer le droit des pratiques commerciales. C’est, plus précisément, un projet de loi du pays portant « réglementation de la concurrence » n° DAE1301977LP, qui prévoyait non pas la création d’un code de la concurrence mais la réunion des dispositions relatives au droit de la concurrence et aux pratiques commerciales au sein d’une même loi du pays, qui a été préparé.

Toutefois, ce projet de loi du pays très dense a fait l’objet de critiques, notamment de la part du conseil économique, social et culturel de la Polynésie française dans son avis n° 152 du 3 octobre 2013. En effet, celui-ci préconisait la suppression des dispositions du « petit » droit de la concurrence, ce dernier étant qualifié de « peu novateur, contre-productif et inutile ». Selon le conseil, ce droit inutile et largement contourné par les grands groupes devait faire l’objet d’une réforme par un processus distinct de celui lié à la création du droit de la concurrence stricto sensu.

Le conseil semble avoir été entendu sur la forme puisque le nouveau projet de loi qui lui a été soumis en 2014 et qui a donné lieu à un avis n° 7 du 27 mai 2014 s’est concentré sur le droit de la concurrence tandis que la réforme du droit des pratiques commerciales a fait l’objet d’un texte distinct (qui n’a pas été à nouveau soumis au conseil).

Toutefois, sur le fond, les appels du conseil économique, social et culturel n’ont pas été pris en compte. En effet, le droit des pratiques commerciales a finalement été réformé par la loi du pays du 14 avril 2015 sans que le projet initialement soumis au conseil ne soit réellement modifié.

Aussi, par la loi du pays susmentionnée, l’assemblée de la Polynésie française a réformé les pratiques commerciales en les insérant dans le code de la concurrence et, plus précisément, dans son titre IV intitulé « la transparence et la loyauté des relations commerciales ».

Il convient donc de se pencher sur les apports et les limites de ce texte.

B. Un droit réformé par la loi du pays du 14 avril 2015

Il apparaît difficile de reprendre ici l’ensemble des modifications apportées par la réforme au droit antérieur et de discuter de l’utilité de toutes les mesures contenues dans le droit des pratiques commerciales. En effet, les apports et modifications (dont certaines assez marginales) de ce texte étant particulièrement nombreux, il semblerait rébarbatif et relativement inutile de lister l’ensemble de ces évolutions ou, au contraire, de ces confirmations du droit antérieur. C’est pourquoi, ne seront vues ici que les questions principales soulevées par ce texte.

  • La mise en place d’un cadre claire en matière de facturation

L’objet principal du droit des pratiques commerciales est, comme évoqué ci-dessus, de faciliter la fluidité du commerce en prévoyant des règles simples de bonne pratique et de transparence.

Aussi, il n’est pas étonnant qu’à l’instar de ce que prévoit le code de commerce métropolitain, la loi du pays du 14 avril 2015 ait introduit et réformé les règles applicables en matière de facturation, de conditions générales de vente et de délais de règlement.

S’agissant de la facturation, l’obligation de délivrer une facture était d’ores et déjà imposée par l’arrêté n° 692 CM du 16 juillet 1997 (reprenant lui-même la décision n° 765 AE du 13 octobre 1978). Aussi, l’article LP. 410-2 du code de la concurrence n’a fait, sur ce point, que reprendre une réglementation déjà existante en l’inscrivant dans la loi du pays. En effet, seules des modifications marginales sont intervenues en ce domaine, s’agissant des informations devant figurer sur les factures émises.

En outre, concernant les conditions générales de vente, le texte impose aux producteurs, prestataires, grossistes ou importateurs de les communiquer à leurs clients professionnels, si ceux-ci le demandent.

Au-delà de cette obligation, l’article LP. 410-6 du code de la concurrence encadre les conditions générales de vente, en précisant leur contenu, et notamment les obligations qui pèsent sur les professionnels en matière de communication des prix ou de leur méthode de calcul. Ce faisant, les conditions générales de ventes, telles qu’elles résulteront de ces dispositions, permettront une plus grande transparence.

En effet, ledit article laisse fort heureusement la possibilité de prévoir des conditions particulières.

Enfin, et toujours dans le but de créer un cadre clair à la facturation, le texte prévoit des délais de règlement à l’article LP. 410-7 du code de la concurrence dont certains peuvent être aménagés par les conditions générales de vente ou être revus (à la baisse) par des accords des professionnels du secteur, susceptibles d’être étendus.

Le texte fixe, en outre, pour les produits frais locaux de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage, des délais brefs de règlement. En effet, ces délais sont fixés à 10 jours à compter de la réception des marchandises ou 15 jours si le chiffre d’affaire mensuel réalisé avec le fournisseur en question dépasse les 500.000 francs CFP, étant précisé qu’il demeure possible d’effectuer une facturation périodique (au maximum mensuelle) qui ne peut être mise en œuvre que si elle porte, pour chaque facture, sur au moins 10 livraisons.

Ainsi, l’article LP. 410-7 encadre très strictement la facturation en matière d’agriculture, de pêche et d’élevage locaux puisqu’il impose des délais indérogeables et brefs. Toutefois, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité de ces délais impératifs en estimant qu’ils ne portent pas atteinte à la liberté d’entreprendre (CE. SSR. 1er avril 2015, SEGC et FGC, n° 386768, 386849).

  • L’interdiction des réductions commerciales sur les produits de première nécessité et les produits de grande consommation

La réforme des pratiques commerciales a introduit une interdiction générale des remises commerciales sur les produits de première nécessité et les produits de grande consommation (qui représentent, rappelons-le, environ 70 % des biens vendus en Polynésie française par la grande distribution).

En effet, les autorités polynésiennes ont décidé d’interdire, pour ces produits, toutes les réductions commerciales. L’objectif poursuivi par cette interdiction – énoncée à l’article LP. 410-1 du code de la concurrence – est, selon le rapport de présentation de ce texte, de protéger les producteurs locaux contre leurs partenaires commerciaux.

C’est pourquoi, ledit article prévoit également que les produits locaux non transformés de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture ne peuvent faire l’objet de remises différées, de droits d’entrée, de primes ou commissions de référencement.

Ces interdictions sont absolues dans la mesure où aucune dérogation n’est prévue par les textes. Ainsi, ce dispositif apparaît beaucoup plus restrictif que les solutions retenues par le droit métropolitain ou le droit néo-calédonien.

En droit métropolitain, il est prévu que les remises, rabais ou ristournes doivent, pour les produits agricoles périssables, être prévus dans un contrat écrit (article L. 441-2-1 du code de commerce métropolitain). S’agissant plus spécifiquement des fruits et légumes frais ces pratiques sont interdites mais cette interdiction ne s’oppose pas à ce qu’un accord conclu par une organisation professionnelle mette en place une réfaction tarifaire en cas de non-conformité du produit (article L. 441-2-2 du code de commerce métropolitain).

L’encadrement des remises commerciales par le droit métropolitain est donc plus souple que celui institué par la loi du pays du 14 avril 2015. En effet, non seulement le champ d’application de l’interdiction est plus réduit puisqu’il concerne, in fine, uniquement les fruits et légumes frais mais, de plus, cette interdiction n’est pas absolue puisqu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un accord signé par une organisation professionnelle permette des réfactions tarifaires en cas de non-conformité.

Ainsi, l’interdiction apparaît beaucoup plus étendue en droit polynésien puisque tous les produits de première nécessité et les produits de grande consommation – qui recouvrent des biens aussi divers que l’alimentation ou les pesticides – sont concernés.

L’on peut d’ailleurs s’interroger sur l’opportunité et l’utilité d’une interdiction aussi large et surtout aussi générale qui ne semble pas nécessairement imposée par la situation particulière du marché polynésien.

A cet égard, il apparaît que la Nouvelle-Calédonie – dont la structure du marché est similaire à celle du marché polynésien – a limité l’interdiction des remises commerciales aux seuls produits frais, réfrigérés ou surgelés locaux, non transformés, de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture.

En outre, le texte néo-calédonien prévoit que ces dispositions ne s’opposent pas ce que des accords interprofessionnels approuvés par arrêté puissent prévoir de telles remises, primes de référencement ou droits d’entrée (article 74-2 de la délibération n° 14 du 6 octobre 2004, devenu l’article LP. 441-2-1 du code de commerce créé par la loi du pays n° 2014-7 du 14 février 2014).

Ce texte semble donc permettre un meilleur équilibre dans la mesure où si, eu égard à la situation du marché néo-calédonien, un contrôle strict des remises, primes et droits d’entrée est institué, il n’en demeure pas moins que ces pratiques peuvent être autorisés.

A l’inverse, le texte polynésien prévoit une interdiction générale et absolue des remises commerciales et autres pratiques sans laisser de place à une éventuelle survivance lorsqu’elles sont justifiées par les caractéristiques d’un marché spécifique ou ont un effet positif sur la concurrence. Aussi, une interdiction aussi stricte n’apparaît pas réellement justifiée eu égard à l’objectif poursuivi par ces dispositions.

Toutefois, le Conseil d’Etat a estimé qu’étant donné l’objectif d’intérêt général poursuivi par ces dispositions (l’équilibre dans les relations entre les distributeurs et fournisseurs ainsi que le bon fonctionnement du marché), l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle n’était pas disproportionnée à l’objectif poursuivi (CE. SSR. 1er avril 2015, SEGC et FGC, n° 386768, 386849). Plus précisément, la Haute juridiction a considéré que l’insularité de la Polynésie française, les risques de déséquilibre dans les relations commerciales, de contournement de la réglementation des prix et de substitution des importations à la production locale justifiaient cette limitation à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle.

Ce raisonnement peut apparaître contestable sur plusieurs points.

Tout d’abord, l’insularité du marché polynésien et le risque de substitution des importations à la production locale sont des considérations qui semblent étrangères à la justification de la réglementation des pratiques de remises commerciales.

En effet, interdire toutes les remises commerciales n’est pas de nature à prémunir le marché polynésien, certes insulaire, contre les importations. En effet, cette interdiction n’empêche nullement d’importer. D’ailleurs, l’objectif assigné à l’article L. 410-1 du code de la concurrence par les autorités polynésiennes n’est pas d’instituer des barrières aux échanges mais d’assurer des relations équilibrées entre distributeurs et fournisseurs. Aussi, ces arguments, ne semblent pas avoir d’influence sur la justification de l’interdiction générale et absolue des remises commerciales.

Ensuite, concernant le respect de la réglementation sur les prix et, plus particulièrement, du contrôle des marges maximales de commercialisation, il est certain que cet objectif – fort légitime – ne justifie pas une telle interdiction. En effet, pour s’assurer que les pratiques de remises commerciales (notamment différées) ne puissent pas être utilisées pour contourner la marge maximale de commercialisation, il aurait suffi d’interdire les remises différées et d’imposer, dans les autres cas, que toute remise soit répercutée sur le consommateur. Toutefois, et comme le laissait présager sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat n’a pas considéré que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre était disproportionnée à l’objectif poursuivi.

Néanmoins, le raisonnement du Conseil d’Etat, conforme à sa jurisprudence, paraît critiquable en ce que la nécessité d’une telle atteinte était largement discutable (voir, sur le principe de proportionnalité et sa division tripartite : R. Bousta, « La « spécificité » du contrôle constitutionnel français de proportionnalité », revue internationale de droit comparé, 2007, n°4, p. 859).

Enfin, s’il n’est pas douteux que la protection de l’équilibre entre les fournisseurs et distributeurs est un objectif légitime justifie des restrictions à la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, les mêmes remarques que celles formulées à propos de la réglementation sur les prix doivent être formulées. En effet, des mesures moins attentatoires aurait pu permettre d’atteindre les mêmes objectifs (comme le montrent les droits métropolitain et néo-calédonien).

En tout état de cause, rien ne peut justifier d’interdire les réfactions tarifaires en cas de non-conformité du produit. En effet, celles-ci peuvent être encadrées pour s’assurer qu’elles ne soient pas détournées de leur objet. Toutefois, il n’est pas compréhensible qu’elles soient purement et simplement interdites, le résultat étant qu’une non-conformité ne pourra plus avoir de conséquences financières.

Certes, le texte ne les interdit pas expressément. Néanmoins, la rédaction volontairement différente de la loi du pays par rapport aux textes métropolitain et néo-calédonien laisse supposer que de telles réfactions tarifaires ont également été visées par le texte. Il appartiendra néanmoins à la jurisprudence de trancher ce point et, peut-être, d’utiliser le silence du texte pour faire survivre cette possibilité qui relève de l’exécution loyale des obligations contractuelles.

Aussi, il résulte de ce qui précède que malgré les critiques que peuvent susciter cette mesure, il n’en demeure pas moins qu’à l’issue de son contrôle, le Conseil d’Etat a considéré que l’article L. 410-1 du code de la concurrence ne méconnaissait pas les libertés contractuelle et d’entreprendre.

  • L’encadrement de la coopération commerciale

L’article LP. 410-8 du code de la concurrence prévoit désormais une définition de la coopération commerciale ainsi que les obligations formelles qui pèsent sur les parties à cette coopération afin de s’assurer qu’elle n’est pas, en réalité, imposée.

Ainsi, la coopération commerciale, au sens de cet article, s’entend comme la convention « par laquelle un distributeur ou un prestataire de services s’oblige envers un fournisseur à lui rendre, à l’occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs, des services propres à favoriser leur commercialisation qui ne relèvent pas des obligations d’achat et de vente ». Elle concerne et encadre donc les services propres à favoriser la commercialisation des produits du fournisseur.

En effet, il est prévu que le contrat, qui doit être passé par écrit et préalablement à la délivrance des prestations, ne peut concerner que des services liés à la mise en avant promotionnelle des produits, à l’offre d’espaces promotionnels et à des campagnes publicitaires. Par ailleurs, et fort logiquement, le contrat doit prévoir les modalités de la rémunération.

Ces obligations apparaissent donc assez logiques dans l’optique d’un renforcement de la transparence des relations commerciales et d’un rééquilibrage des rapports de force. Toutefois, ce texte appelle plusieurs critiques.

D’une part, d’un point de vue rédactionnel, le texte ne brille pas par sa clarté. En effet, le texte indique que « toute forme de coopération commerciale ne peut concerner que des services liés à la mise en avant promotionnelle des produits, à l’offre d’espaces promotionnels et à des campagnes publicitaires ». En première lecture, l’on pourrait aisément en déduire que toute autre forme de coopération commerciale est interdite.

Plus précisément, l’article LP. 410-8 du code de la concurrence semble interdire aux prestataires de rendre des services propres à favoriser la commercialisation à moins que ces services aient été énoncés par le texte. A cet égard, la différence de rédaction du texte avec le code de commerce métropolitain (article L. 441-7) corrobore cette analyse puisque le texte national prévoit que les contrats relatifs à la négociation commerciale peuvent prévoir « tout service » ne relevant pas des obligations d’achat et de vente propre à favoriser la commercialisation. Or, le texte polynésien énonce quant à lui une liste de services qui apparaît limitative. Une telle restriction serait très certainement injustifiée dans la mesure où elle ne reposerait sur aucune motivation.

Cependant, le Conseil d’Etat, en se prononçant sur cette loi du pays, a considéré que le texte n’excluait pas les formes de services favorisant la commercialisation qu’il ne mentionne pas expressément (CE. SSR. 1er avril 2015, SEGC et FGC, n° 386768, 386849, considérant n° 12). Néanmoins, cette interprétation du texte n’allait pas de soi comme le relevait Aurélie Bretonneau dans ses conclusions. Il semble donc que le Conseil d’Etat a, par cette interprétation que l’on pourrait qualifier de contra legem, réécrit le texte de l’article PL. 410-8 du code de la concurrence, initialement mal rédigé.

Demeure toutefois une difficulté qui n’a pas été réglée par la décision du Conseil d’Etat. En effet, si le texte n’interdit pas les autres formes de coopération commerciale, ce qui est heureux, il n’est pas possible de déterminer si ces autres formes de coopération commerciale sont soumises aux obligations prévues à l’article LP. 410-8 du code ou si elles ne sont soumises à aucun formalisme. La logique irait, eu égard à la rédaction du texte, davantage dans le sens d’une liberté dans la passation des autres formes de coopération commerciale. Toutefois, cette interprétation stricte (qui semble nécessaire dans le cadre d’une disposition encadrant la liberté contractuelle) aurait pour conséquence de réduire la portée de ce texte et serait très certainement contraire à l’intention de l’assemblée de la Polynésie française.

Face à ce texte peu clair, il conviendra donc d’attendre les premières décisions de justice qui devront déterminer comment entendre ces dispositions.

D’autre part, le texte indique que, dans le cadre de la coopération commerciale, la rémunération des prestations doit être proportionnées au service rendu. A première vue, rien de choquant à l’instauration de cette règle qui vise à assurer une égalité entre les différents acteurs commerciaux.

Cependant, en examinant avec davantage de précision cette disposition, l’on s’aperçoit qu’elle diffère de son pendant métropolitain. En effet, l’article L. 441-7 du code de commerce prévoit que la rémunération des obligations ne doit « pas être manifestement disproportionnée […] par rapport à la valeur de ces obligations ». Le texte polynésien va, dès lors, beaucoup plus loin puisque le terme « manifestement » a disparu. Et ce, d’autant, que le texte polynésien poursuit en indiquant que : « la charge de la preuve revient à l’opérateur qui a facturé ces services ; il doit justifier de la réalité et de la proportionnalité du service facturé […] ».

Il ressort donc de ces dispositions que tout opérateur ayant facturé des prestations de coopération commerciale doit justifier de la proportionnalité de sa facturation, étant précisé que la méconnaissance de cette obligation emporte l’application d’une amende administrative.

Au vu de ces éléments, il semble bien que ce texte institue non un contrôle de proportionnalité « manifeste » mais un contrôle de proportionnalité qui donne à l’administration un pouvoir de contrôle poussé des prix pratiqués dans le contrat en imposant une exacte adéquation entre le service et la somme payée.

Certes, le Conseil d’Etat a estimé que ces dispositions « n’ont pas pour effet d’interdire aux distributeurs de bénéficier d’une marge » (CE. SSR. 1er avril 2015, SEGC et FGC, n° 386768, 386849). Cette précision est déjà importante dans la mesure où un doute pouvait exister sur ce point, la disparition du terme « manifestement » dans le texte polynésien n’étant pas anodine. En effet, à la lecture de ce texte l’on pouvait légitimement s’interroger sur les composantes de ce prix proportionné. Ainsi, grâce à cette précision du Conseil d’Etat, l’on sait désormais que la marge est intégrée à ce prix proportionné. Néanmoins, cette précision ne fait pas tout.

L’existence d’un contrôle de proportionnalité du prix et non de disproportion manifeste crée une insécurité puisqu’elle donne à l’administration une marge d’appréciation importante. En effet, à partir de quel seuil la marge sera-t-elle regardée comme disproportionnée ? Quels seront les éléments que l’entreprise pourra faire entrer dans la composition du prix pour que celui demeure réel et proportionné selon l’administration ?

Cette situation donnera donc une prise importante à l’administration en cas de contrôle et lui permettra, somme toute, une intrusion dans la détermination du prix. Or, la manière dont l’administration exercera ce contrôle est, pour l’heure, impossible à prévoir.

Aussi, même s’il est probable que, dans la pratique, l’administration procède à un contrôle qui s’apparente davantage à un contrôle de la disproportion manifeste qu’à un contrôle minutieux de la disproportion et de la composition du prix, il n’en demeure pas moins que la rédaction du texte laisse planer un doute qui n’aurait pas existé si le texte avait repris, comme en droit métropolitain, le terme de « manifestement ».

  • L’interdiction des prix minimums

La loi du pays du 14 avril 2015 interdit, sous peine d’amende administrative, d’imposer directement ou indirectement à ses partenaires un prix minimum de revente. Avec cette interdiction (reprise de l’arrêté n° 173/CM du 7 février 1992), posée en tête du titre intitulé « de la loyauté », l’on se rapproche du droit de la concurrence proprement dit, de sorte que cette question relève tant du « petit » droit de la concurrence que du droit de la concurrence stricto sensu.

En effet, les obligations évoquées jusqu’ici concernaient certes le marché et les relations commerciales. Toutefois, elles ne relevaient pas clairement du droit de la concurrence. A l’inverse, les prix minimums, relèvent quant à eux manifestement du droit de la concurrence dont ils sont une question centrale.

Plus précisément, cette question a fait l’objet d’évolutions importantes ces dernières années.

Jusqu’à une période récente, les autorités de concurrence américaine, européenne et nationales considéraient que l’application de prix minimums de revente (accords sur les prix) constituait une infraction per se aux règles de concurrence, puisqu’elle avait par essence pour effet de conduire à une augmentation des prix.

Toutefois cette position a évolué au cours de la dernière décennie dans la mesure où les autorités de concurrence ont assoupli leur position en relevant que dans certaines hypothèses – certes limitées – l’imposition de prix minimums pouvait avoir un impact positif sur la concurrence.

C’est ainsi que la Cour suprême des Etats-Unis a initié un revirement est estimant dans un arrêt Leegin du 28 juin 2007, que cet infraction n’était plus une infraction per se mais qu’il convenait d’apprécier ses effets pro- et anti-concurrentiels.

Cette solution est également retenu par la Commission européenne qui, dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales du 10 mai 2010 (§ 225), a relevé que les prix minimums pouvaient avoir un effet positif sur la concurrence en entrainant des « gains d’efficience » par exemple lorsqu’un fabricant lance de nouveaux produits ou dans le cadre de systèmes de franchise ou de distribution. Cette position ressort également du règlement n° 330/2010 du 20 avril 2010 qui, tant dans ses considérants que ses dispositions, reprend cette idée selon laquelle les ententes sur les prix peuvent avoir des effets économiques positifs.

Ainsi, du point de vue concurrentiel, l’existence d’un prix plancher n’est plus considérée comme une infraction per se du fait de ses effets potentiellement pro-concurrentiels.

Or, l’article LP. 420-1 du code de la concurrence (qui reprend sur ce point l’article L. 442-5 du code de commerce), interdit de telles pratiques indépendamment de leurs effets, de leur objet ou des relations qui unissent les parties au contrat prévoyant un prix minimum.

Certes, ledit article mentionne que n’est interdit que le fait « d’imposer » ou de tenter d’imposer des prix minimums, ce qui laisse penser, de prime abord, que ces dispositions ne visent pas les accords sur les prix minimums, étant précisé que ce sont ces accords qui font l’objet de l’assouplissement jurisprudentiel précité. En effet, la rédaction laisse entendre que seul l’abus de position dominante serait visé, de sorte que l’article LP. 420-1 du code de la concurrence n’irait pas à contre-courant des évolutions du droit de la concurrence.

Toutefois, une telle interprétation s’avère erronée.

L’utilisation du terme « imposer » ne restreint pas le champ d’application de ces dispositions dans la mesure où, très généralement, lorsque des prix minimums existent, ceux-ci sont imposés par l’une des parties à la relation commerciale (le fournisseur par exemple). Or, cela ne s’oppose pas à la qualification d’entente, l’« accord » donné à un système étant entendu très largement par les autorités de concurrence. Ce n’est que dans l’hypothèse où la société « victime » a adopté un comportement qui « était indispensable pour écarter un péril dont l’entreprise était menacée, si les menaces étaient directes, si le péril était imminent et si aucune autre voie légale ne permettait d’y parer » (CJCE, 16 nov. 2000, aff. C-279/98 P, Cascades c. Commission, Rec. CJCE 2000, I, p. 9693) qu’elle est regardée comme n’ayant pas participé volontairement à l’entente.

Cette hypothèse est donc particulièrement restrictive. Dans la pratique, cela signifie donc que même imposés, des prix minimums seront regardés comme relevant d’une entente.

D’ailleurs, il est révélateur que dans ses lignes directrices sur restrictions verticales, la Commission parle de « prix de vente imposés » alors qu’elle fait référence à des systèmes relevant de l’entente.

Ainsi, même si le prix est imposé par un partenaire commercial, il s’agit bien d’une entente. Or, selon le droit de la concurrence, un accord sur des prix minimums n’est pas nécessairement une pratique anti-concurrentielle.

Dans ces conditions, il est établi que l’interdiction posée par l’article LP. 420-1 du code va à l’encontre de cette évolution du droit de la concurrence. A cet égard, la décision du Conseil d’Etat précitée qui s’est prononcée sur la légalité de la loi du pays du 14 avril 2015 n’est pas très satisfaisante sur ce point. En effet, les requérants affirmaient que les accords sur les prix minimums n’étant pas des infractions per se, ledit article portait une atteinte inutile à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle. Toutefois, la réponse de la Haute juridiction est particulièrement lacunaire puisqu’elle se borne à relever qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que, eu égard à l’objectif d’intérêt général de préservation d’une concurrence effective qui la justifie, la mesure critiquée porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ». Or, tout le débat portait justement sur la justification de cette interdiction générale et absolue par la « préservation d’une concurrence effective », les autorités de concurrence jugeant désormais que dans certaines hypothèses, ladite pratique avait des effets pro-concurrentiels. Cependant, le Conseil d’Etat semble avoir préféré ne pas répondre à cette question, pourtant importante en matière de droit de la concurrence.

  • L’interdiction de certaines pratiques commerciales

Enfin, l’article LP. 420-2 du code de la concurrence énonce un certain nombre de pratiques (sous forme d’un inventaire à la Prévert) qui constituent des fautes et doivent conduire à une indemnisation des partenaires commerciaux qui en font l’objet et récapitule, par ailleurs, une série de clauses regardées comme nulles.

Une partie de cette liste paraît inutile dans la mesure où certains comportements rappelés étant manifestement fautifs (obtenir sous la menace des conditions commerciales manifestement abusives, obtenir un avantage ne correspondant à aucun service, etc.), ils peuvent d’ores et déjà être réprimés par les textes généraux sur la responsabilité.

En revanche, ledit article apporte des précisions intéressantes sur d’autres fautes de nature à engager la responsabilité de leurs auteurs qui n’allaient pas forcément de soi (comme, par exemple, le fait de ne pas communiquer ses conditions générales de vente).

Toutefois, leur étude n’aurait ici que peu d’intérêt, la plupart de ces dispositions étant guidées par la logique.

Il résulte donc de ce qui précède que, s’agissant du droit des pratiques commerciales, c’est un texte relativement fournis, et proche des dispositions métropolitaines, qui a été adopté par l’assemblée de la Polynésie française.

Il est toutefois dommage que ce rafraichissement n’ait pas été l’occasion d’une réflexion plus poussée sur l’utilité et la forme du droit des pratiques commerciales, appelée par une partie de la doctrine et des opérateurs économiques.

A cet égard, les critiques exposées ci-dessus démontrent qu’une réflexion approfondie sur certaines des interdictions n’aurait pas été vaine.

En effet, le texte de la loi du pays est finalement une transposition très ressemblante du « petit droit de la concurrence » métropolitain en droit polynésien, à laquelle s’ajoute une compilation partielle de textes déjà existants. Il n’est donc, par conséquent, pas très innovant. Toutefois, il dispose du mérite de clarifier le droit applicable à cette matière.

III. L’instauration d’outils de contrôle du marché spécifiques à la Polynésie française

La loi du pays du 23 février 2015, a, comme indiqué supra, introduit en droit polynésien le droit de la concurrence mais, surtout, créé des outils spécifiques à la Polynésie française, largement inspirés de ceux prévus pour les départements d’outre-mer et la Nouvelle-Calédonie. En effet, en parallèle de la transposition du droit classique de la concurrence, deux outils, à savoir le mécanisme de l’injonction structurelle (A.) et d’autorisation d’implantation des surfaces commerciales (B.), ont été intégrés au droit polynésien.

A. L’injonction structurelle, un outil puissant intégré au droit polynésien

Le mécanisme de l’injonction structurelle n’a pas été introduit ex nihilo en droit polynésien. En effet, il est largement inspiré des dispositifs similaires applicables dans les départements d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie (a.). Cet outil souffre toutefois de nombreuses imperfections qui n’ont pas été corrigées dans sa version polynésienne (b.).

a.         Un outil préexistant sur d’autres territoires de la République

Le mécanisme de l’injonction structurelle a été créé en droit français au lendemain des émeutes dans les Antilles, par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dite loi Lurel.

Son but est de permettre à l’autorité de la concurrence, en cas de préoccupation de concurrence dans un domaine caractérisé par une position dominante et des prix ou des marges élevées, de demander des explications et garanties à l’entreprise concernée. Si ces précisions ne satisfont pas l’autorité, elle peut adopter des mesures coercitives à l’encontre de l’entreprise allant jusqu’à la cession forcée d’une partie de ses actifs pour garantir une concurrence effective.

C’est donc un outil fort, donnant des prérogatives très importantes à l’autorité de la concurrence qui lui est conféré. Elles vont au-delà de celles habituellement dévolues dans d’autres domaines puisque si l’autorité dispose, en toutes matières, de pouvoirs puissants, ils se limitent à la répression des pratiques, comportements ou systèmes mis en place par les opérateurs économiques.

Or, ici, le mécanisme de l’injonction structurelle permet à l’autorité de prendre des mesures coercitives importantes allant jusqu’à imposer à l’entreprise de céder des actifs et ce, alors qu’aucune infraction au droit de la concurrence ne peut être constatée.

Ainsi, l’outil créé par le législateur métropolitain pour les départements d’outre-mer est un outil nouveau et puissant mis à la disposition de l’autorité de la concurrence.

Ce mécanisme a été repris en droit néo-calédonien par une loi du pays du 3 mai 2013, à la différence près que cette loi du pays ne donne pas compétence à l’autorité de la concurrence pour prononcer lesdites injonctions mais réserve cette possibilité au gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

Cette loi du pays a été déférée au Conseil Constitutionnel qui a rendu une décision n° 2013-3 LP le 1er octobre 2013 au terme de laquelle le Conseil a estimé qu’elle était conforme à la Constitution.

Toutefois, il convient de relativiser l’importance de cette introduction en droit métropolitain et néo-calédonien. En effet, à l’heure actuelle, ni l’autorité métropolitaine de la concurrence, ni le gouvernement de Nouvelle-Calédonie n’a mis en œuvre ses pouvoirs. Il semble que, pour l’instant, ce mécanisme ait davantage servi d’effet d’annonce que d’outil réel de contrôle de la concurrence et des positions dominantes.

De la sorte, l’importance et l’utilité de l’injonction structurelle pouvaient être questionnées, ce qui aurait dû conduire les autorités polynésiennes à étudier avec attention ses implications avant de prévoir d’ajouter au texte sur la concurrence, un article relatif aux injonctions structurelles. En effet, il aurait semblé opportun de s’assurer que ce mécanisme n’entre pas dans l’arsenal législatif polynésien pour se diriger directement vers le cimetière des outils juridiques non utilisés par les pouvoirs publics. Toutefois, aucune interrogation de cet ordre quant à l’utilité réelle de la mesure ne semble avoir été engagée.

Aussi, c’est dans ces conditions qu’en parallèle de l’instauration d’un droit de la concurrence, les autorités de la Polynésie française ont décidé d’introduire ce mécanisme en droit polynésien.

Littéralement, il résulte des dispositions du II. de l’article LP. 641-3 du code de la concurrence que dans le cadre d’une position dominante, et en présence de préoccupations de concurrence (liées à des prix ou des marges élevées) ou lorsqu’une entreprise dépasse les 35 % de parts de marchés dans une zone de chalandise, l’autorité polynésienne de la concurrence peut faire connaître ses préoccupations à l’entreprise qui doit lui proposer des engagements dans les deux mois. Si ces engagements sont insuffisants, l’autorité peut alors lui enjoindre par décision motivée de mettre un terme aux accords qui lui ont permis de constituer sa puissance économique ou de céder des actifs s’il s’agit du seul moyen de garantir une concurrence effective.

Toutefois, cette interprétation littérale du texte n’est pas celle qu’il convient de retenir.

En effet, le Conseil d’Etat, dans la décision précitée, a été amené à se prononcer sur la légalité de la loi du pays instituant le mécanisme d’injonction structurelle. A cette occasion, il a partiellement réécrit ce texte par une interprétation constructive de certaines de ces dispositions. Cependant, cette décision laisse en suspens certaines questions pour lesquelles les réponses apportées par la Haute juridiction n’apparaissent pas satisfaisantes.

b.         Un outil contestable, partiellement amendé par le Conseil d’Etat

Le texte adopté par l’assemblée de la Polynésie française pose plusieurs difficultés en termes de champ d’application et soulève des interrogations de fond.

  • Un champ d’application partiellement indéfini

Comme évoqué ci-dessus, certaines des notions et solutions retenues par l’article LP. 641-3 du code de la concurrence posent problème du fait de leur caractère indéfini ou erroné. Il en va ainsi de la position des entreprises qui peuvent se voir adresser des injonctions – point sur lequel le Conseil d’Etat a apporté de précieuses précisions (et rectifications) – mais également des notions de « préoccupations » ou de « secteur économique concerné » pour lesquelles la décision de la Haute juridiction ne donne, en revanche, pas de clefs de compréhension.

Ainsi, comme indiqué supra, par une lecture littérale du texte, l’on en déduit que le mécanisme de l’injonction structurelle peut être mis en œuvre dans deux hypothèses, d’une part, lorsqu’une entreprise est en position dominante et suscite des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevées et, d’autre part, lorsqu’une entreprise dispose de parts de marché supérieures à 35 % dans une zone de chalandise.

De cette première lecture, l’on pourrait déduire, assez étonnement, que dès lors qu’une entreprise dépasse les 35 % de parts de marché dans une zone de chalandise, elle peut se voir infliger une injonction structurelle, sans même que des préoccupations de concurrence émergent. Cette solution serait pour le moins étonnante puisqu’une entreprise qui ne serait pas nécessairement en position dominante (et n’abuserait pas de cette position) pourrait être démantelé si elle dépasse les 35 % de parts de marché.

Néanmoins, cette interprétation littérale ne cadre pas avec les autres alinéas du II. de l’article LP. 641-3 du code de la concurrence. En effet, le 3ème alinéa est relatif aux engagements qui doivent être proposés et aux mesures qui peuvent être prises pour faire cesser les préoccupations de concurrence. Cela suppose donc – assez logiquement – que les entreprises susceptibles de se voir appliquer ce texte suscitent des préoccupations de concurrence.

L’apparente contradiction du texte vient, en réalité, d’une rédaction approximative du 1er alinéa du II. de l’article. Aussi, le Conseil d’Etat est venu préciser que ce mécanisme « ne peut être mis en œuvre ni au seul motif qu’une entreprise ou qu’un groupe d’entreprise détiendrait une position dominante, ni au regard du seul critère de la part de marché détenue par cette entreprise ou ce groupe » (CE. SSR. 19 décembre 2014, Fédération générale du commerce et Société d’étude et de gestion commerciale, n° 383318, mentionnée aux tables).

Cette précision peut paraître, d’un certain point de vue, évidente. Néanmoins, elle était nécessaire eu égard à la rédaction pour le moins sibylline du texte initial. Il est à cet égard regrettable que les auteurs du texte n’aient pas fait davantage attention à sa qualité rédactionnelle.

Ensuite, comme évoqué plus haut, les « préoccupations » de concurrence ne sont pas définies par le texte. En effet, celui-ci fait seulement référence aux « préoccupations » que pourrait ressentir l’autorité de la concurrence du fait de prix ou de marges élevés en comparaison des moyennes habituelles du secteur.

L’on comprend donc que les préoccupations de concurrence sont relatives aux prix ou aux marges élevées pratiquées par un opérateur économique dans une zone de chalandise par rapport aux prix ou aux marges réalisées dans le secteur.

Toutefois, le texte ne donne pas davantage d’explications, notamment sur le caractère élevé des marges ou des prix (étant rappelé que les marges sont, en vertu des textes polynésiens, plafonnées en matière de produits de première nécessité et de grande consommation). Sur ce point, la décision du Conseil d’Etat précitée n’apporte pas d’éléments de réponse.

Il incombera donc à l’autorité polynésienne de la concurrence, si elle décide de mettre en œuvre ces pouvoirs, de définir ces « préoccupations ». En effet, cette dernière devra nécessairement établir des critères ou des indices lui permettant de considérer que des prix ou des marges sont élevées et que cette différence suscite des « préoccupations » dans la mesure où le terme de préoccupation renvoie simplement à un « souci », qui n’est qu’une impression subjective.

Il n’est donc pas douteux que l’autorité polynésienne de la concurrence – et dans son sillage, le juge, qui ne manquera pas d’être saisi – tentera d’établir une définition plus précise des « préoccupations » de concurrence par la forme ou les conséquences de ces marges ou prix élevés. Cependant, il aurait été préférable que le législateur délégué définisse avec plus de précision ce terme duquel découle le régime des injonctions structurelles pourtant très intrusif dans la gestion des entreprises.

Enfin, comme indiqué en incise, les marchés pertinents du « secteur économique » par rapports auxquels devront être comparés les prix et les marges ne sont pas non plus désignés par la loi du pays. Plus précisément, l’on ne sait pas si le « secteur économique » qui fera l’objet de la comparaison est le secteur économique au niveau local, polynésien ou national. Or, c’est là que ce se trouve toute la question.

En effet, il convient de rappeler que le mécanisme de l’injonction structurelle a pour but, comme le relève le rapport de présentation du texte, « d’inciter fortement les entreprises à agir spontanément pour rétablir le jeu effectif de la concurrence ». Cela laisse donc entendre qu’en Polynésie française (comme en Nouvelle-Calédonie ou dans les départements d’outre-mer dans lesquelles ce mécanisme a également été mis en place), le jeu de la concurrence ne fonctionne pas et doit être rétabli.

En conséquence, étant donné cet objectif d’établissement de prix conformes aux prix concurrentiels sur tout le territoire de la collectivité, il semble impossible de comparer les prix ou marges pratiqués dans une zone de chalandise par rapport à ceux pratiqués dans le secteur au niveau local ou polynésien. En effet, il y a fort à parier que le secteur local ou polynésien soit affecté de la même apathie concurrentielle. Autrement dit, en procédant à de telles comparaisons, les prix et les marges ne paraîtraient jamais élevés.

En revanche, si les prix et marges du « secteur économique » qui feront l’objet de la comparaison sont ceux du secteur au niveau national, à l’inverse, les prix seront systématiquement regardés comme élevés dans la mesure où, en métropole, les prix sont très généralement inférieurs à ceux pratiqués en Polynésie.

Aussi, ce ce choix – très politique – du marché de référence dépend en grande partie l’efficacité de la mesure. Or, du fait de l’imprécision de ce texte et du silence du rapport de présentation sur cette question, il reviendra à l’autorité polynésienne de la concurrence de décider entre les différentes options. Il aurait donc été préférable, eu égard à l’importance des conséquences de ce choix, que l’assemblée de la Polynésie française aille au terme de son raisonnement et donne, à tout le moins, des clefs de lecture quant au « secteur économique » concerné.

L’autorité de concurrence devra donc procéder à un travail conséquent de définition préalable.

  • Un outil imposant de lourdes sujétions aux entreprises

Sur le fond, ce mécanisme peut conduire, en premier lieu, à la modification ou à la résiliation des accords ou actes qui ont permis la mise en place des marges ou des prix suscitant les préoccupations de concurrence.

De prime abord, ce type d’injonction ne semble pas appeler de remarques particulières puisqu’il s’agit du même type de mesures que celles qui peuvent être prises en matière d’abus de position dominante.

Toutefois, il existe une différence fondamentale qui ne doit pas être oubliée et qui relativise la justification de l’emploi de mesures aussi radicales. En effet, dans le cadre d’un abus de position dominante, l’entreprise s’est rendue coupable de pratiques anticoncurrentielles alors que s’agissant des « préoccupations » de concurrence, l’entreprise n’a nullement commis d’abus de position dominante et se borne à être en position dominante.

Le résultat peut donc être qu’une entreprise qui n’a eu aucun comportement réprimé par la loi se voit enjoindre de rompre des accords légalement formés. Cette situation soulève donc des interrogations du point de vue du principe de confiance légitime. Et ce, d’autant, qu’à l’heure actuelle les préoccupations de concurrence ne sont pas définies par le texte.

Par ailleurs, et surtout, une seconde série de prérogatives a été confiée à l’autorité de la concurrence. En effet, il a été prévu, comme évoqué supra, que l’autorité puisse enjoindre aux entreprises de céder des actifs s’il s’agit du seul moyen de garantir une concurrence effective.

Si, une nouvelle fois, l’objectif poursuivi est légitime, l’on peut s’interroger sur la légalité d’une telle atteinte au droit de propriété. Plus précisément, que cette atteinte soit regardée comme une privation de propriété ou une simple atteinte à ce droit, il est certain que la proportionnalité de cette privation ou atteinte peut être questionnée.

Toutefois, le Conseil d’Etat qui était saisi de ce moyen a, dans décision susmentionnée du 19 décembre 2014, balayé les arguments fondés sur la méconnaissance des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, sans davantage de précision. En effet, au considérant 29 de la décision, la Haute juridiction rappelle l’objectif poursuivi et les conditions dans lesquelles peuvent être mises en œuvre ces injonctions, puis se borne à affirmer que ces mesures sont proportionnées à l’objectif poursuivi, ne font pas obstacle au paiement d’un prix au cédant et ne constituent pas une privation de propriété.

Ce raisonnement, particulièrement bref, est critiquable en ce qu’il ne permet pas de comprendre pourquoi la Haute juridiction conclut à la conformité du texte à la Constitution, alors que ce dernier demeure très évasif sur son champ d’application.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat n’explique pas pourquoi cette atteinte au droit de propriété ne constitue pas une privation de propriété. Certes, l’on verra ci-dessous que cette position est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Toutefois, il aurait été préférable que le Conseil d’Etat soit plus explicite. Et ce, d’autant que si sa conclusion est juste, les arguments qu’il met en avant pour la justifier sont partiellement erronés.

En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière est particulièrement nuancée. Ainsi, dans une décision du 6 février 2015 (n° 2014-449 QPC), le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions qui donnaient à l’autorité de contrôle prudentiel la possibilité de transférer d’office un portefeuille de contrat, en qualifiant ce pouvoir de privation de propriété.

Pour faire prévaloir cette qualification – plutôt que celle d’atteinte au droit de propriété (alors soumise au respect de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) –, le Conseil constitutionnel relève au considérant 7. de sa décision, deux éléments, à savoir que « le transfert […] s’opère sur décision de l’Autorité de contrôle prudentiel » mais « sans que soit laissée à la personne visée la faculté, pendant une période préalable, de procéder elle-même à la cession ». L’on peut donc en déduire que, dans ce type d’hypothèse, deux critères doivent être étudiés pour qualifier un mécanisme de privation de propriété. Il s’agit, d’une part, de la personne qui procède au transfert : l’autorité publique elle-même ou l’entreprise concernée, et, d’autre part, la possibilité offerte ou non à cette entreprise de procéder elle-même à la cession.

Certes, cette distinction instituée par le Conseil constitutionnel peut apparaître artificielle dans la mesure où procéder à un transfert de propriété et ordonner un transfert de propriété n’a – pour l’entreprise concernée – pas beaucoup d’incidence. Le fait qu’elle puisse choisir ou non le concurrent auquel elle devra céder ses actifs aura, pour l’entreprise, assez peu d’importance. Toutefois, et dans le sens du Conseil constitutionnel, l’on pourra relever qu’il existe effectivement une différence importante entre un transfert autoritaire par la personne publique à une personne non-choisie et l’obligation, certes peu agréable, de devoir vendre son bien mais en choisissant le bénéficiaire de cette vente et en pouvant négocier avec lui le prix de cession.

Quelles que soient les critiques qui peuvent porter sur bien-fondé de ce raisonnement, il n’en demeure pas moins que c’est à cette distinction qu’il convient de se référer. Or, au cas présent, il apparaît que l’injonction ne peut être qualifiée de privation dans la mesure ce ne sera pas l’autorité polynésienne de la concurrence qui procèdera elle-même à la cession mais l’entreprise qui se verra enjoindre de céder une partie de ses actifs, après avoir pu proposer elle-même des mesures.

Ainsi, la conclusion du Conseil d’Etat selon laquelle le II. de l’article LP. 641-3 du code de la concurrence n’institue pas de privation du droit de propriété est juste. L’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme n’est donc pas applicable à ces dispositions.

En revanche, son appréciation quant au caractère proportionné de la mesure (au regard de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme) semble plus critiquable.

En effet, si cette solution s’inscrit dans la logique de la décision du Conseil constitutionnel rendue à propos de la Nouvelle-Calédonie (décision n° 2013-3 LP le 1er octobre 2013) – les juges de la rue Montpensier ayant estimé que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre était proportionnée à l’objectif poursuivi – cette solution a été adoptée en raison du cadre économique de la Nouvelle-Calédonie, et uniquement pour cela.

A cet égard, le Conseil constitutionnel a censuré un dispositif analogue applicable en métropole (décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015). De la sorte, ce n’est pas le mécanisme en lui-même qui apparaît proportionné mais cet outil rapporté à la situation économique et concurrentiel du territoire sur lequel il s’applique.

Or, le Conseil d’Etat évacue cette question – pourtant centrale – de son raisonnement alors que les structures de l’économie en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française sont différentes. En effet, la Polynésie, constituée de très nombreuses îles peu peuplées ne se prête pas nécessairement à la même concurrence que la Nouvelle-Calédonie où la population est beaucoup plus concentrée.

Sans préjuger de ce qu’aurait donné une étude plus approfondie de l’économie polynésienne, il apparaît que le Conseil d’Etat ne s’interroge pas dans sa décision sur la structure économique et concurrentielle de la Polynésie. En effet, la Haute juridiction, à travers son rapporteur public, se borne à rappeler des considérations générales sur le manque de concurrence en Polynésie sans s’interroger sur ses causes (le comportement des entreprises ou la géographie et la démographie du territoire).

Aussi, en l’état, rien n’indique que la mesure de l’injonction structurelle soit propre à atteindre l’objectif poursuivi et soit, dès lors, proportionnée. Par conséquent, le raisonnement du Conseil d’Etat apparaît critiquable par son caractère lacunaire.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que les juges du Palais-Royal ont validé ces dispositions de sorte que des injonctions structurelles pourront désormais être adressées aux entreprises polynésiennes en cas de « préoccupations » de l’autorité polynésienne de la concurrence non suivie d’engagements suffisants de la part des entreprises concernées. Il est cependant probable que, comme dans les Antilles ou en Nouvelle-Calédonie, cet outil ne soit finalement pas réellement utilisé.

B. Un contrôle des surfaces commerciales renforcé

Le contrôle des surfaces commerciales est une pratique ancienne sur le territoire de la Polynésie française. Toutefois, la loi du pays du 14 avril 2015 transforme ce mécanisme en s’inspirant de l’exemple néo-calédonien (a.) bien que l’efficacité de cette mesure et sa légalité demeurent sujettes à débat (b.).

a.         Une réforme du contrôle des surfaces commerciales, inspirée de l’exemple néo-calédonien

Le contrôle de l’implantation des surfaces commerciales est ancien en Polynésie française et plus généralement en droit français. En effet, les autorités publiques ont anciennement estimé qu’il était nécessaire de contrôler l’implantation des commerces et plus particulièrement des grandes surfaces dans un but d’aménagement du territoire et, plus précisément, pour assurer un maillage en principe raisonné en surface commerciales.

Ainsi, avant l’intervention de la loi du pays du 14 avril 2015 un contrôle des surfaces commerciales existait d’ores et déjà en droit polynésien. La délibération n° 94-163 AT du 22 décembre 1994 instituait un régime d’autorisation préalable pour les surfaces commerciales dépassant une seuil allant de 300 m2 à 1.000 m2 selon les types de commerces et les lieux. L’autorisation était alors donnée par le Président de la Polynésie française après avis de la commission d’implantation des grandes surfaces commerciales. Cette dernière devait fonder son avis sur l’impact du projet en termes concurrentiels, d’emploi, d’animation de la vie urbaine, d’équilibre et d’organisation du commerce.

Ce système faisait lui-même suite à un précédent régime prévu par la délibération n° 89-97 AT du 26 juin 1989.

Toutefois, ce type de régime – similaire à celui applicable en métropole et en outre-mer – a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de l’autorité métropolitaine de la concurrence, celle-ci estimant que ce contrôle : « n’[étai]t pas pertinent au regard des objectifs assignés au droit de la concurrence, dans la mesure où cela pourrait brider l’expansion des entreprises les plus efficaces » (avis n° 07-A-12 du 11 octobre 2007).

De même, en 2009, elle a pu rappeler « […] qu’il, n’est pas souhaitable de rétablir un contrôle ex-ante des opérations d’urbanisme commercial visant à empêcher un opérateur d’acquérir, sur une zone de chalandise donnée, une position dominante ou prééminente par l’établissement de nouvelles surfaces commerciales » (avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009).

Dans le même ordre d’idée, l’autorité de la concurrence a estimé en 2010 que ces procédures étaient contre-productives dans la mesure où leur lourdeur favorisait la concentration des entreprises et constituait une barrière à l’entrée de nouvelles enseignes sur le marché (avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010).

Enfin, l’autorité a confirmé ses craintes dans un avis n° 13-A-20 du 7 novembre 2013 relatif à Saint-Barthélemy dans le cadre du contrôle de l’implantation d’une surface commerciale.

De la sorte, l’autorité de la concurrence semblait favorable à la suppression d’un tel contrôle ex-ante des surfaces commerciales.

L’on peut donc s’étonner de voir un tel système demeurer et être étendu en droit polynésien et néo-calédonien.

Cette contradiction apparente vient de ce que l’autorité métropolitaine de la concurrence a fait preuve d’une appréciation plus nuancée à propos de la Nouvelle-Calédonie, utilisée par les autorités néo-calédoniennes et polynésiennes pour renforcer les systèmes d’autorisation existants.

En effet, dans un rapport du 21 septembre 2012 « relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation en Nouvelle-Calédonie », commandé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l’autorité a rappelé ses craintes quant aux effets néfastes des régimes d’autorisation préalable (barrière à l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché). Toutefois, elle a nuancé son propos en indiquant qu’une suppression pure et simple du système pourrait avoir pour conséquence de renforcer les deux groupes présents sur ce marché duopolistique de par leurs moyens et leur expérience dudit marché. C’est pourquoi, elle a conseillé de maintenir un système d’autorisation en le remplaçant par un « test de concurrence » fondé sur les parts de marché du groupe souhaitant s’implanter, et ce pour les surfaces de vente supérieures à 600 m2 (pour ne viser que les plus gros magasins). En outre, l’autorité de la concurrence préconisait de confier le pouvoir de décision aux commissions qui, jusque-là, ne rendaient qu’un avis à l’autorité administrative.

Ainsi, dans le contexte particulier de la Nouvelle-Calédonie, l’autorité métropolitaine de la concurrence a invité les pouvoirs publics à mettre en place un contrôle tourné vers les impératifs de concurrence.

C’est pourquoi, dans le cadre de la loi du pays n° 2013-2 relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, le système a été maintenu mais en s’éloignant toutefois des préconisations de l’autorité de la concurrence. En effet, le seuil finalement choisi a été abaissé à 350 m2 et le pouvoir de décision est demeuré entre les mains du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. En revanche, le but assigné à cette procédure est conforme à l’esprit des conseils de l’autorité de la concurrence : éviter que l’opération porte atteinte à la concurrence, notamment par renforcement d’une position dominante ou d’une puissance d’achat plaçant les fournisseurs en position de dépendant économique.

C’est de ce mécanisme que s’est inspiré le gouvernement de la Polynésie française en rédigeant le projet de loi du pays.

En effet, il a été prévu aux articles LP. 320-1 et suivants du code de la concurrence que les projets de création, extension et transformation de surfaces de ventes de plus de 300 m2 devaient être notifiés à l’autorité polynésienne de la concurrence, cette dernière devant « notamment » examiner si l’opération crée ou renforce une position dominante ou une puissance d’achat plaçant les fournisseurs en situation de dépendance économique.

Ainsi, le système mis en place s’inspire des préconisations de l’autorité de la concurrence en ce que le pouvoir de décision a été transféré à l’autorité de concurrence. En outre, celle-ci doit apprécier l’impact concurrentiel du projet.

Cependant, la solution retenue s’éloigne sur d’autres points des conseils de l’autorité métropolitaine de la concurrence.

En effet, l’autorité polynésienne doit « notamment » prendre en compte l’impact concurrentiel. Cela laisse donc le champ libre à l’introduction d’autres impératifs (au demeurant indéfinis) là où l’autorité métropolitaine de la concurrence préconisait un véritable « test de concurrence » basé uniquement sur l’impact concurrentiel du projet. D’ailleurs, il a finalement été indiqué à l’article LP. 320-3 du code de la concurrence que l’autorité pouvait également veiller à ce que les projets répondent aux exigences d’aménagement du territoire.

Ainsi, cette réforme s’inspire du modèle néo-calédonien et des préconisations de l’autorité de la concurrence mais s’en éloigne également.

b.         La légalité et l’efficacité du dispositif à nuancer

Le dispositif mis en place est au final quelque peu décevant. En effet, les divergences avec les préconisations de l’autorité de la concurrence et la relative imprécision du texte ne permettent pas de connaître avec certitude l’impact réel de cette réforme ainsi que son efficacité. De plus, ce mécanisme suscite des interrogations quant à sa compatibilité avec le droit de l’Union européenne.

Tout d’abord, et comme indiqué ci-dessus, le mécanisme mis en place n’est pas le test de concurrence souhaité par l’autorité métropolitaine de la concurrence puisque l’impact concurrentiel n’est pas le seul élément qui sera pris en compte par l’autorité polynésienne de la concurrence.

Sur ce point, l’utilisation du terme « notamment » et le rappel des exigences d’aménagement du territoire laisse une très large marge d’interprétation à l’autorité de la concurrence dans son appréciation mais interdit en principe à cette dernière de ne prendre en compte que la concurrence. En effet, sans cela, ce n’est pas le terme « notamment » qui aurait été utilisée.

Il est donc possible que l’autorité effectue, in fine, un contrôle similaire à celui exercé auparavant et qui prenait en compte l’impact du projet en matière : « de relations concurrentielles ; d’emploi ; d’animation de la vie urbaine ; d’équilibre et d’organisation du commerce ».

Tout dépendra en somme de l’orientation prise par l’autorité de la concurrence dans ses premières décisions et de l’interprétation qui sera retenue par les juridictions de ces dispositions. En effet, l’autorité comme le juge pourrait faire prévaloir les impératifs de concurrence ou, au contraire, maintenir un équilibre entre les différents impératifs.

Ensuite, même à supposer que le contrôle institué soit un réel test de concurrence, l’efficacité de cette mesure demeure à démontrer dans la mesure où l’autorité de la concurrence a elle-même relevé la barrière à l’entrée que pouvait constituer un tel mécanisme.

Et ce, d’autant, que le seuil fixé par le texte polynésien est égal à la moitié de ce que préconisait l’autorité métropolitaine de la concurrence. De la sorte, un nouvel entrant sur le marché se verra contraint de mettre en œuvre la procédure lourde d’autorisation même s’il souhaite commencer par implanter de petites surfaces commerciales.

Dans ces conditions, le risque demeure que le mécanisme mis en place soit, au final, contre-productif et favorise les opérateurs déjà bien implantés sur le marché. Aussi, il aurait sans doute été opportun de lancer une étude plus poussée avant de mettre en place ce mécanisme.

Enfin, et toujours dans le même ordre d’idée, il n’est pas certain que le principe d’une autorisation préalable soit compatible avec le droit de l’Union européenne et plus précisément avec la liberté d’établissement prévue par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

En effet, sur le fondement de cet article, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) a jugé que les autorisations préalables à l’implantation d’une entreprise ou d’un établissement constituaient des restrictions à la liberté d’établissement, même dans l’hypothèse où elles étaient indistinctement applicables aux ressortissants de l’Etat membre et aux autres ressortissants de l’Union (CJUE, 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C-570/07 et C-571/07, publié au Recueil, point 54).

Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que pour être compatibles avec le droit de l’Union européenne, ces restrictions doivent être propres à garantir la réalisation des objectifs impérieux d’intérêt général poursuivis et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs (CJUE, 10 mars 2009, Hartlauer, C 169/07, Rec. p. I 1721, point 44 ; CJUE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C-171/07 et C-172/07, Rec. p. I-4171, point 25 ; Blanco Pérez et Chao Gómez, susmentionné, point 61), étant précisé que des objectifs de nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général (CJUE, 15 avril 2010, CIBA, C-96/08, publié au Recueil, point 48).

Ainsi, la Cour a pu préciser que les mécanismes d’autorisation des surfaces commerciales affectent de manière significative les possibilités d’ouvrir de grands établissements et qu’ainsi, de telles restrictions doivent être accompagnées d’une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive sur la base d’éléments précis (CJUE, 24 mars 2011, Commission c. Espagne, C-400/08, point 83).

Faisant application de ces principes, la Cour a censuré le mécanisme mis en place par l’Espagne en estimant que cette atteinte à la liberté d’entreprendre n’était pas suffisamment justifiée.

Eu égard à cette jurisprudence de la Cour, un moyen similaire avait été soulevé dans le cadre du recours jugé le 19 décembre 2014 par le Conseil d’Etat.

Aussi, étant donnée la similitude entre les dispositions censurées par la Cour et le mécanisme mis en place en Polynésie française, une véritable question se posait quant à sa compatibilité avec le droit de l’Union européenne.

Toutefois, dans la décision du 19 décembre 2014, l’argument est balayé par le Conseil d’Etat sans question préjudicielle à la CJUE comme le préconisaient les requérants. En effet, la Haute juridiction estime que les particularités économiques et géographiques de la Polynésie française justifient l’atteinte à la liberté d’établissement, à supposer que cette dernière soit opposable.

Ce raisonnement apparaît critiquable dans la mesure où les exigences de la Cour pour justifier une atteinte à cette liberté sont bien plus importantes que celles du Conseil d’Etat en l’espèce. En effet, la Cour a pu rappeler dans l’arrêt Commission c. Espagne précité que « les raisons susceptibles d’être invoquées par un État membre afin de justifier une dérogation au principe de la liberté d’établissement doivent être accompagnées d’une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État membre ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation ». Ainsi, la Cour exige que l’Etat, avant de restreindre la liberté d’établissement, se soit plié à une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure.

Or, en l’espèce, cette analyse est absente. En effet, les autorités polynésiennes ne se sont pas livrées à une étude de l’opportunité et de l’efficacité de la mesure. Elles se sont bornées à reprendre ce qui existait en droit néo-calédonien. A cet égard, bien que le Conseil d’Etat affirme dans sa décision que les « particularités économiques et géographiques de la Polynésie française ressortant des pièces versées au dossier », le dossier versé aux débats n’était accompagné d’aucune analyse des effets économiques ou concurrentiels de la mesure.

Dans ces conditions, un doute certain quant à la compatibilité du mécanisme d’autorisation d’implantation commercial pouvait exister. C’est pourquoi un renvoi à la CJUE aurait paru opportun.

La décision du Conseil d’Etat est sur ce point décevante, et ce, d’autant, qu’elle ne tranche pas la question clef impliquée par ce moyen, à savoir l’applicabilité de la liberté d’établissement issue du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en droit polynésien. En effet, avant de se prononcer sur le bien-fondé des arguments soulevés, le Conseil d’Etat a dû s’interroger sur la possibilité de se prévaloir de l’article 49 du Traité à l’encontre d’une loi du pays polynésienne.

De prime abord, ce débat ne paraissait pas nécessairement avoir lieu d’être dans la mesure où la Haute juridiction, comme la Cour, se sont déjà prononcés dans le sens d’une applicabilité de la liberté d’établissement aux PTOM conformément à l’article 199 du traité (pour le Conseil d’Etat : CE. SSR. 2 février 2011, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, n° 343991, publiée au Recueil ; pour la Cour : CJCE, 7 septembre 2006, N c. Inspecteur van de Belastingdienst Oost/kantoor Almelo, affaire C-470/04).

Toutefois, dans ses conclusions, le rapporteur public s’interrogeait sur l’applicabilité de tous les volets de la liberté d’établissement. En effet, selon lui, s’il ne faisait pas de doute que le volet non-discrimination de cette liberté trouvait à s’appliquer en vertu de la décision n° 2013/755/UE du Conseil en date du 25 novembre 2013 relative à l’association des PTOM à l’Union européenne, l’on pouvait s’interroger sur l’applicabilité des autres volets de cette liberté.

Néanmoins, le Conseil d’Etat ne répond pas à cette question, pourtant importante, dans sa décision et l’évacue en écartant le moyen après avoir simplement mentionné que le moyen n’est pas fondé « à supposer » que cette liberté soit applicable en Polynésie française.

Sur ce point, la décision est donc décevante, et ce, d’autant, que si la Cour est un jour saisie de la question, il n’est pas certain qu’elle aura la même appréciation (souple) que celle adoptée par le Conseil d’Etat, si – au préalable – elle estime la liberté d’établissement applicable dans sa totalité comme le laissent supposer les conclusions de l’avocat général M. Pedro Cruz Villalòn (points 35 et suivants) présentées dans le cadre de l’affaire Prunus SARL (CJUE, 5 mai 2011, C 384/09).

En conclusion, après cet inventaire de certains des nombreux apports des lois du pays n° 2015-2 du 23 février 2015 et n° 2015-4 du 14 avril 2015, il apparaît que, par ces textes, les autorités polynésiennes ont mis en place un cadre claire à l’exercice de la libre concurrence qui, désormais, s’applique en principe en Polynésie française.

C’est donc une étape importante dans la mesure où jusqu’ici les textes et la jurisprudence ne venaient encadrer que de manière parcellaire les relations entre commerçants et l’exercice de la concurrence.

Toutefois, et comme évoqué à de nombreuses reprises dans le cours de cette analyse, l’institution du droit de la concurrence et la réforme du droit des pratiques commerciales en Polynésie laisse une légère impression d’inachevé. En effet, le droit de la concurrence est un droit encore relativement jeune et, ce faisant, en évolution. Ce qui aurait pu donner l’occasion à la Polynésie française d’innover, notamment pour adapter certains concepts et outils à son territoire et à sa structure concurrentielle très particulière. Néanmoins, au final, la réforme, si elle est d’importance, donne surtout l’impression d’être peu ou prou une reprise du droit métropolitain de la concurrence.

Certes, en agissant de la sorte, les autorités polynésiennes n’ont pas pris de risque.

En transposant un droit qui fonctionne au quotidien de manière relativement efficace en métropole, le gouvernement polynésien est certain de ne pas introduire des mesures incontrôlées. Toutefois, l’occasion aurait pu être saisie pour adapter le droit de la concurrence à ce territoire et tenter de nouveaux outils.

Ce sentiment se ressent tout particulièrement à propos du droit des pratiques commerciales dont, à l’inverse du droit de la concurrence classique, l’efficacité est discutable et largement discutée. Aussi, dans ce domaine, une réflexion d’ensemble aurait été particulièrement utile.

Il conviendra donc d’être attentifs aux effets pratiques de cette réforme.

Une attention tout particulière devra être portée à la nouvelle autorité polynésienne de la concurrence et à sa pratique décisionnelle. En effet, comme indiqué précédemment, certains outils et concepts demeurent assez flous dans le texte de ces lois du pays. Aussi, l’apport de l’autorité polynésienne de la concurrence sera fondamental pour orienter le droit de la concurrence et pour conditionner son efficacité. A cet égard, la personnalité des membres qui seront choisis pour la composer et la place que lui laissera, dans les faits, le gouvernement de la Polynésie française déterminera, en grande partie l’efficacité des dispositifs mis en place.

Ainsi, c’est avec une certaine impatience que les premières décisions de l’autorité pourront être attendues.

Septembre 2015

Bruno Roze

Avocat au Barreau de Paris

5, rue Cambon 75001 Paris

contact@bruno-roze-avocat.com

www.bruno-roze-avocat.com

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