JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE ANNOTEE
LE RENOUVEAU DU CONTENTIEUX DE LA PRATIQUE CONTRACTUELLE PUBLIQUE AU CAMEROUN
Par :
Edouard GNIMPIEBA TONNANG,
Habilité à Diriger des Recherches (HDR) dans les Facultés de Droit,
Docteur (NR) en Droit de l’Institut du Droit de la Paix et du Développement (IDPD),
Université de Nice-Sophia Antipolis,
Chargé de Cours, Département de Droit Public, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Université de Dschang-Cameroun
1°) Contrats administratifs - Qualification - Critères - Clauses exorbitantes - Régime exorbitant - Oui - Exécution du service public - Oui - Compétence du juge administratif - Oui
CS/CA, Jugement n°147/04-04-ADD du 31 Août 2005, Um Ntjam François c/. Etat du Cameroun
Par une convention du 07 mai 1999, le Ministère de l’Environnement et des Forêts du Cameroun, représenté pour la circonstance par le Coordonnateur du Projet Information Center on Environment (ICE), confiait aux Etablissements Francis Ntjam et Fils les travaux de l’animation culturelle de la célébration de la journée internationale de l’environnement. Aux termes de cette convention, les Etablissements Francis Um Ntjam et Fils se voyaient confier la mission d’animation culturelle de la Journée Mondiale de l’Environnement sur toute l’étendue du territoire nationale ; par la même Convention, le MINEF autorisait le cocontractant à négocier et à signer des précontrats avec des artistes musiciens, les groupes de danses traditionnelles, scolaires et universitaires, précontrats tout aussi relatifs à la rémunération de ces derniers. Plus tard, voulant se faire régler une partie des factures ayant servi au financement des activités de ladite journée, les Etablissements Um Ntjam vont être confrontés à un refus de paiement du MINEF. Face à ce refus répété de la puissance publique, le cocontractant va saisir le juge administratif aux fins de voir condamner l’Etat du Cameroun au paiement de sa créance. Dans son mémoire en réponse, le représentant de l’Etat va soulever l’incompétence de la juridiction des céans à connaître dudit recours, excipant que le contrat le liant au cocontractant est un contrat de droit privé.
La décision rapportée objet du jugement Avant-Dire-Droit n°147/04-05/ADD du 31 Août 2005 illustre ce souci du juge administratif de préciser de façon définitive les critères matériels d’identification des contrats administratifs. La banalité des faits de l’espèce contraste ainsi radicalement avec la pertinence et la portée des critères d’identification des contrats administratifs consacrés par le juge de l’espèce, critères venant au secours des qualifications législatives pertinentes relatives aux contrats de droit public.
Traditionnellement, un contrat est administratif soit lorsque, à travers lui, dans ses clauses ou son régime, se manifeste la puissance publique, soit lorsque, par son objet, il vise directement à la réalisation d’une mission de service public. Tel est du moins le schéma dans le cas général, à savoir lorsque le contrat est passé entre une personne publique d’un côté et une personne privée de l’autre. La jurisprudence a ainsi contribué à l’émergence du double critère de qualification des contrats publics. Qualifiée de vague à l’origine, la distinction considérations organiques-considérations matérielles est apparue progressivement comme fondamentale dans la recherche des critères du contrat administratif. Le jugement rapporté insiste sur les critères matériels. Pour le juge de l’espèce, pour qu’un contrat soit administratif, encore faut-il qu’il ait pour objet la satisfaction de l’intérêt, qu’il mette en relation la puissance publique et son cocontractant dans l’exécution d’un service, ou enfin qu’il contienne des clauses exorbitantes du droit commun.
Ces critères matériels, à l’origine qualifiés de supplémentaires par la pratique française, sont aujourd’hui appelés critères matériels ou alternatifs. Il est vrai encore aujourd’hui qu’un contrat ne peut être administratif que si au moins une personne publique y est partie, soit directement, soit indirectement (hypothèses du mandant et de l’action pour le compte de…). La participation d’une personne publique est donc une condition nécessaire, une condition sine qua none, une condition invariablement exigée. Mais cette condition n’est pas suffisante. Pour être administratif, un contrat doit satisfaire en plus à l’un des triples critères matériels exigés par la jurisprudence. Mais, il ne s’agit là que d’un principe. N’oublions pas que certains contrats sont toujours de droit privé même s’ils remplissent les conditions supplémentaires jurisprudentiellement exigées pour la qualification des contrats administratifs. On doit donc dire que «sauf exception, un contrat auquel est effectivement partie une personne publique et qui de surcroît satisfait à un des critères matériels exigés par la jurisprudence est un contrat administratif». Ces critères que rappelle la présente espèce méritent que l’on les revisite pour mieux saisir leur régime.
En premier lieu, pour qu’il soit administratif, le contrat en cause doit obéir à l’un des critères matériels alternatifs qu’il prend la peine d’énumérer, notamment le critère de la participation du cocontractant à l’exécution même du service public. Ensuite, le contrat doit avoir pour objet même l’exécution du service publique, et comme le rappelle fort opportunément le juge, «l’exécution du contrat [doit avoir] pour but la satisfaction de l’intérêt général». Ces deux critères ont été qualifiés par la doctrine de régime exorbitant, qui encadre le contrat. En passant, elle établit une distinction entre la clause exorbitante et le régime exorbitant. Si la clause exorbitante est perçue comme une disposition interne, un élément du contrat en cause, le régime exorbitant est en revanche constitué d’éléments extérieurs au contrat. C’est «l’ambiance juridique» dans lequel baigne le contrat. C’est la qualité des parties au contrat (la puissance publique et son cocontractant privé), c’est l’objet du contrat c’est-à-dire sa relation avec l'exécution même du service publique. Ici, selon une célèbre formule jurisprudentielle française, le contrat doit faire assister, directement ou indirectement le cocontractant à l’exécution même d’un service public (CE, …, Etablissements Peyrot c/. Société d’exploitation des autoroutes du sud Esterelle Côte d’Azur). En pratique, cette relation peut prendre l’une des trois formes suivantes : L’habilitation ou l’association à gérer un service public : est administratif un contrat qui a pour objet soit de confier au cocontractant d’une personne publique la gestion d’un service public, soit de l’y associer directement (CE, 20 avril 1956, Epoux Bertin), le contrat de recrutement d’une personne privée en vue de la gestion d’un service public administratif. Enfin, les contrats conclus avec les usagers d’un service public administratif mais non avec un service public industriel et commercial.
Au secours de ce régime exorbitant, la jurisprudence a imaginé un troisième critère, qualifié de majeur, celui de la présence dans le contrat des clauses exorbitantes du droit commun. Ce critère a été très tôt consacré par le juge administratif à l’occasion d’une espèce du 31 juillet 1912, Société des Granits Porphyroïdes des Vosges (GAJA, 1995, p. 114). Ce critère est très vite apparu comme essentiel dans la qualification des contrats administratifs. L’existence dans le contrat de clauses exorbitantes du droit commun a été par la suite définie aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence respectivement comme «celles qui sont généralement constitutives, inusuelles, anormales par rapport à celles qui font partie de la vie privée, mais non nécessairement illicites ou impossibles» (Georges Vedel in Les Mélanges Mestre) ou celles «ayant pour effet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à celles qui sont susceptibles d’être librement consenties par quiconque dans le cadre des relations civiles et commerciales (CE, 20 octobre 1950, Notes Stein). C’est cette posture certes paresseusement mimétique mais adroitement opportuniste qu’adopte le juge de l’espèce pour finalement qualifier le contrat en cause d’administratif.
Mais les clauses exorbitantes peuvent également être découvertes dans un ensemble de prérogatives conférées à l’administration dans l’exécution des contrats administratifs notamment le pouvoir de modification unilatérale des contrats ou encore les divers pouvoirs de sanction.
2°) Contrat administratif - Exécution - Pouvoir de résiliation unilatérale - Oui - Rupture abusive - Oui - Faute - Responsabilité de la puissance publique contractante - Oui - Dommages-Intérêts - Oui.
CS/CA, Jugement n°62/94-95 du 29 juin 1995, The Big Brothers Trading Company c/. Etat du Cameroun (MINDIC)
«Un contrat conclu dans l’intérêt général peut être résilié si l’intérêt général s’impose. Cette résiliation est certainement coûteuse pour l’Administration. En effet, le pouvoir de résiliation unilatérale a pour contrepartie l’obligation d’indemniser intégralement le préjudice causé. Il s’agit là d’une application de la théorie générale de la responsabilité contractuelle sans faute pour fait de prince» (v. Laurent RICHER, Droit des contrats administratifs, 6ème édition, Paris, LGDJ, 2008, p.254). Tel est, semble-t-il, le principal enseignement de ce jugement qu’un exposé des faits suffit à mettre en évidence.
En l’espèce, le 09 décembre 1992, en vue d’assurer la sécurité de l’immeuble abritant ses services, le Ministre du développement industriel et commercial passe un contrat de prestation de services pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction avec l’entreprise The Big Brothers Trading Company (BBTC). Aux termes dudit contrat, la BBTC s’engage à fournir cinq (05) vigiles pour la surveillance physique de l’immeuble ministériel. A peine signé par les parties et alors même que la BBTC avait déjà commencé à fournir sa prestation le 29 janvier 1993, l’Administration contractante va résilier le contrat aux motifs du manque d’expérience de l’entreprise et de la mauvaise conjoncture économique. Après un recours gracieux préalable infructueux, la BBTC va contester l’usage abusif de son pouvoir de résiliation unilatérale par l’Administration devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Ce faisant, l’entreprise requérante invitera la juridiction administrative de déclarer abusive la rupture du contrat le liant à l’Administration et, par conséquent, de condamner le MINDIC au paiement de la somme de 8.000.000 de francs CFA à titre de dommages-intérêts.
Par une motivation dense et solide, la Chambre administrative va démonter, l’un après l’autre, les arguments de du représentant du MINDIC et se ranger du côté de l’entreprise requérante en faisant droit à la quasi intégralité de ses conclusions. Relevant à la fin de son argumentation, sur un ton accusatoire que «la résiliation est intervenue par la faute de l’Administration (…)», la haute juridiction a adjugé, à la BBTC, le bénéfice de ses conclusions à savoir la recevabilité du recours et la condamnation de l’Etat au paiement, à l’entreprise requérante, de dommages-intérêts. Incidemment, elle a invoqué au soutien de sa décision, que nul aléa -surtout prévisible- ne pouvait fonder, au profit de l’administration, un droit unilatéral de rompre, sans conséquence, ses engagements contractuels.
Du pouvoir de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général : Depuis le XIXe siècle, le juge reconnaît à l’administration le pouvoir de mettre fin, pour l’avenir (résiliation), à un contrat administratif, en l’absence de faute du cocontractant, pour un motif tiré de l’intérêt général. En ce cas, l’administration a l’obligation d’indemniser son cocontractant des préjudices subis du fait de cette résiliation. C’est l’un des pouvoirs que l’administration détient «en vertu des règles générales applicables au contrat» (Laurent Richer, Droit des Contrats Administratifs, LGDJ, Collection Manuel, 6ème édition, 2008, p.267), qu’elle peut donc exercer en l’absence même de stipulations contractuelles expresses et, même, malgré l’existence d’une clause contraire qui sera réputée non écrite. Seule la loi pourrait l’exclure. Il faut toutefois que l’administration démontre l’existence réelle d’un intérêt général. C’est le cas lorsque le projet pour lequel il a été contracté est abandonné, lorsque la réglementation a changé rendant le contrat sans objet ou lui faisant perdre son motif déterminant, lorsque le service public en vue duquel le contrat a été passé est réorganisé ou supprimé, voire, dans des conditions cependant restrictives, pour des motifs financiers (Article 21 du Cahier des Clauses Administratives Générales-CCAG).
Le cocontractant, n’étant pas fautif, a droit, dans ce cas, à la réparation intégrale de son préjudice, c’est-à-dire à l’indemnisation des pertes subies (damnum emergens) comme à celle des gains manqués, qu’il faut déterminer et dont il faut démontrer le caractère certain (lucrum cessans). C’est sous le fondement de cette jurisprudence progressivement construite par le juge administratif camerounais depuis la présente espèce et consolidée par sa jurisprudence postérieure (CS/CA, Jugement n°59/04-05, 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS BTP c/. Etat du Cameroun (Ministère des Travaux Publics, infra) que la puissance publique est désormais condamnée à réparer intégralement le préjudice subi par le cocontractant dans l’exécution des contrats administratifs. Et pourtant, comme l’affirme le juge de cette affaire, cette réparation intégrale n’est pas automatique. Pour bénéficier de cette dernière, encore que la demanderesse est appelée à apporter la preuve de sa prétention. Dans l’impossibilité de prouver ces préjudices extérieurs au contrat en cause, le juge administratif refuse d’ordonner une réparation intégrale («Attendu que le requérant n’ayant pas produit des pièces justificatives incontestables de sa demande (…) des chefs des immobilisations et des engagements financiers, doit en être débouté»).
3°) Contrats administratifs - Exécution - Aléas - Pouvoirs de sanction - Résiliation unilatérale - Abus - Indemnités compensatrices - Oui – Préjudice matériel - Oui - Réparation partielle - Préjudice moral - Réparation - Oui.
CS/CA, Jugement n°59/04-05 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS BTP c/. Etat du Cameroun (Ministère des Travaux Publics).
A la suite d’un appel d’offres restreint, l’entreprise LIPA-SPORTS a été adjudicatrice d’un marché pour l’entretien mécanisé des routes Paro-Tignère et Tignère-Kontcha. Si l’ordre de commencer les travaux a été notifié à l’entreprise le 23 mars 1999, le marché n’a été signé que le 10 mai 1999 pour une durée d’exécution de six (6) mois. Si le maître d’ouvrage a modifié substantiellement ledit marché par sa lettre du 11 mai 1999 en l’étendant du reprofilage-compactage prévu à la réparation du radier du Mayo-Djaolé et des passages busés, ce n’est que le 14 mai 1999 que notification a été servie à l’entreprise. Malgré cette situation, l’entreprise a immédiatement commencé les travaux comme l’ont attestés la correspondance et l’avis favorable pour la poursuite des travaux du maître d’ouvrage et la mission de contrôle. Pendant ce temps, par une décision du 27 septembre 1999, le Ministre résiliait le contrat, sans attendre le rapport de la mission de contrôle qu’il avait désignée.
L’entreprise LIPA-SPORTS saisit alors le Ministre des Travaux Publics d’un recours gracieux préalable aux fins de l’annulation de cette dernière décision et d’ordonner l’achèvement des travaux. Tentative infructueuse, elle se trouve obligée de saisir la Chambre administrative d’un recours, tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer les sommes de 90.631.243 francs CFA représentant le montant hors taxes du marché soldé, de 30.830.645 francs CFA de préjudice financier et de 10.000.000 de francs CFA de préjudice moral, soit au total la somme de 131.461.888 francs CFA.
Le représentant de l’Etat conteste vigoureusement la réclamation de l’entreprise requérante. Il appuie son argumentation sur deux éléments de forme et de fond. Sur la forme, il conteste la recevabilité du recours contentieux en raison de son introduction concomitante à sa requête gracieuse adressée à l’administration contractante. Sur le fond, il excipe le non-respect des délais contractuels pour justifier la résiliation du contrat en cause, et relève l’absence d’une quelconque faute de la puissance publique contractante.
Le juge administratif, après un examen minutieux et méthodique des faits et prétentions des parties, va démonter systématiquement, l’un après l’autre, les arguments du représentant de l’Etat et en tirer des conclusions. D’une part, il constate que le recours contentieux a été formé dans les délais prescrits par la loi, que le protocole d’accord dont fait allusion le représentant de l’Etat est un document faux et «juridiquement inopposable» au cocontractant. D’autre part, l’inexécution des engagements contractuels par le cocontractant soulevé par le représentant de l’Etat pour justifier la résiliation unilatérale est rejetée par le juge motif pris de ce que les divers aléas ayant influencé le contrat en cause dans son exécution sont du fait exclusif de l’administration défenderesse et délégitiment les diverses sanctions imposées au contractant par cette dernière. C’est donc justement que le juge des contrats a été convaincu par les allégations de l’entreprise. Aussi, a-t-il reçu son recours, et condamner l’Etat au paiement de la somme de 36.000.000 de francs CFA, dont 30.000.000 à titre d’indemnité compensatrice et 6.000.000 pour préjudice moral.
Cette espèce a permis au juge administratif de mettre en exergue l’étendue et surtout les limites des pouvoirs de la puissance publique contractante dans l’exécution des contrats administratifs, notamment l’encadrement des pouvoirs de modification et de résiliation unilatérales. En effet, certaines des modalités du pouvoir de sanction peuvent s’exercer même en l’absence de clauses contractuelles, c’est-à-dire en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs. Les autres, et notamment les sanctions pécuniaires (pénalités) ne peuvent être infligées que si elles sont expressément stipulées par le contrat : avec ces sanctions, c’est la situation financière du cocontractant qui est en jeu et c’est elle qui est protégée. En outre, si des pénalités non prévues pouvaient être infligées, quelles seraient les règles de leur calcul ? Leur montant serait indéterminé. Ainsi les sanctions pécuniaires ne sont possibles que si elles ont fait l’objet de stipulations contractuelles expresses.
En revanche, l’administration contractante peut prononcer un certain nombre de sanctions non pécuniaires à l’égard de son cocontractant même sans clauses :
- Résiliation pour faute : ce pouvoir existe même dans l’hypothèse de silence du contrat, à une exception, à savoir dans le cas de la concession de service public. L’administration ne saurait prononcer unilatéralement la résiliation pour faute (dans ce cas l’on parle de «déchéance») d’une concession de service public en dehors des prévisions du contrat. Si les fautes de son concessionnaires sont telles que l’exploitation du service ne peut plus être poursuivies dans le cadre de la convention de concession, il appartient à l’administration de saisir le juge du contrat qui pourra prononcer la déchéance. Cette protection du concessionnaire est justifiée par le fait qu’il a effectué les premiers investissements nécessaires à l’exploitation du service et que l’amortissement de ces investissements suppose la garantie du respect de la durée de la concession. Dans les autres types de contrats, la résiliation peut être prononcée en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, mais s’agissant de la sanction la plus sévère elle suppose de la part du cocontractant une faute lourde dans l’exécution du contrat. Constitue une faute lourde, par exemple, l’interruption du service public de la part de l’entrepreneur, comme le consacrait déjà dans la décennie quatre vingt le juge administratif camerounais à l’occasion de l’espèce de principe, s’agissant de la résiliation pour faute d’un «marché d’entreprise de travaux publics». La même règle vaut pour le fonctionnement défectueux du service ou, par exemple, l’interruption du chantier de travaux publics (Voir CS/CA, Jugement n°50/84-85, TAMEGHI Boniface, 1er février 1985, TAMEGHI Boniface - Amsecom-Amseconcom c/. Etat du Cameroun (Ministère de la défense). Ces conditions sont placées sous le contrôle du juge. Puisqu’il s’agit d’une sanction, il n’y aura évidement pas réparation des préjudices subis par l’entrepreneur fautif : il supportera les conséquences onéreuses de la résiliation en principe. Cependant, l’équité impose que la collectivité lui rembourse les investissements faits par lui et dont elle pourra profiter à l’avenir : il y aurait, dans le cas contraire, enrichissement sans cause.
- Sanctions coercitives : ce sont celles qui permettent d’obtenir, aux frais du cocontractant défaillant, la prestation prévue au contrat et que, par sa faute, il ne fournit pas. On parle de «mise sous séquestre» dans le cas de la concession : le service sera provisoirement assuré par un tiers ou par l’administration aux frais du concessionnaire défaillant. On parle de «mise en régie» des travaux publics ou de l’«exécution par défaut» d’un marché de fournitures : le principe est toujours le même, assurer l’exécution correct d’un contrat qui n’est pas ou est mal exécuté, aux frais de l’entrepreneur défaillant. Ces sanctions peuvent être prononcées en l’absence même de clauses, en vertu des règles applicables aux contrats administratifs.
Il faut remarquer, pour conclure sur ce point, que l’administration a l’obligation de respecter un certain nombre de règles procédurales typiques des sanctions administratives et qui protège le cocontractant privé : sauf urgence caractérisée, une mise en demeure doit être adressée préalablement à toute sanction ; le partenaire passible de sanctions doit être entendu en sa défense par l’administration ; la sanction doit être motivée. Le cocontractant sanctionné pourra saisir le juge du contrat qui contrôlera outre le respect de la procédure, l’existence effective de la faute reprochée et la proportionnalité de la gravité de la sanction à la gravité de la faute.
4°) Marchés Publics - Exécution - Travaux supplémentaires - Droit au paiement - Oui - Indemnité compensatrice - Oui - Intérêts moratoires - Oui - Condamnation de l’Etat - Oui.
CS/CA, Jugement n°139/04-05 du 27 juillet 2005, Société SOTRACOME c/. Etat du Cameroun (METPS)
Les droits du cocontractant de l’administration ne sont pas en droit administratif aussi mis en relief comme dans les relations civiles et commerciales de ce dernier. En effet, il bénéficie dans l’exécution des contrats publics, et malgré l’avantage naturel et la stature particulièrement protectrice de la puissance publique au détriment de son partenaire, de diverses prérogatives dont les plus importantes sont les multiples obligations qui incombent, à la réalisation des contrats administratifs, au cocontractant de fragilisé qu’il est dans un contrat génétiquement déséquilibré. Ainsi, il va disposer de certains droits radicalement protecteurs. La décision objet du présent jugement est fort révélatrice à ce propos, et les faits en sont tout aussi déterminants.
En effet, dans la phase d’exécution d’un marché portant sur la construction de l’immeuble abritant les bureaux du Centre Provincial de Prévoyance Sociale du Sud à Ebolowa qu’elle a gagné, l’entreprise SOTRACOME s’est vue imposer un changement des portes en bois prévues dans ledit marché par celles en aluminium vitrées. A la demande de l’ingénieur-conseil de la CNPS qui lui a également imposé un sous-traitant avec des prix exorbitants. Le coût des travaux supplémentaires présenté à la direction générale de la CNPS et évalué à 132.053.000 de francs a été ramené à 129.948.000 de francs suite à un contrôle des experts de la CNPS. La somme de 82.512.321 de francs amputée étant considérée comme le montant de la réclamation au titre des travaux d’huisseries en aluminium.
Après les correspondances échangées entre le Directeur général de la CNPS, le Ministre chargé de l’emploi, du travail et de la prévoyance sociale et le Premier Ministre, le Directeur de la CNPS a été autorisé à signer un avenant intégrant le coût des travaux supplémentaires. A ce titre, il lui a été prescrit de prendre attache de la DGTC pour la mise en forme de cet avenant devant intégrer l’ensemble des travaux supplémentaires réalisés pour la somme de 160.513.113 de francs. Dans l’avenant préparé, il a été surprenant que ne soit pas intégré le coût des huisseries en dépit des instructions de la hiérarchie. Par ailleurs, la CNPS a donné tardivement la mainlevée de la caution bancaire fournie par la Société SOTRACOME Sarl pour garantir l’exécution du marché litigieux, lesquels agios ont été évalués par la BICEC à la somme de 59 155 248 de francs que cette banque a intégralement retenue sur le dernier décompte de l’entreprise demanderesse.
La Société SOTRACOME s’est donc trouvée dans l’obligation de saisir le juge administratif des contrats pour que justice soit faite. C’est ainsi qu’elle a introduit, en date du 24 février 2004, un recours tendant à obtenir la condamnation de l’Etat (METPS) au paiement de la somme de 209 533 936 de francs ainsi ventilée : - valeur des travaux supplémentaires non payés : 82.512.312 francs ; - intérêts moratoires : 67.866.976 francs ; - Agios bancaires : 59.155.248 francs. Puis, par requête séparée datée du 28 juin 2005, la Société SOTRACOME a appelé en garantie la CNPS au fin de s’entendre prononcer solidairement sa condamnation avec l’Etat au paiement des sommes réclamées.
Sans véritablement contester la pertinence de la réclamation de la Société SOTRACOME, le représentant de l’Etat invite plutôt la Chambre administrative à renvoyer l’entreprise à renégocier le paiement des sommes dues devant les instances adéquates, notamment la CNPS.
Le juge administratif, dans une argumentation brève mais logique, s’est rangé du côté de l’entreprise SOTRACOME. Après avoir retenu la résistance de l’Administration constitutive d’abus de pouvoir et qui a causé un préjudice énorme à l’entreprise requérante, il a fait droit à l’intégralité des conclusions des Etablissements SOTRACOME à savoir, d’une part, la recevabilité du recours contentieux et de l’appel en garantie de la CNPS et de l’Etat ; d’autre part, la condamnation de l’Etat solidairement avec la CNPS au paiement de 209 533 936 francs à la Société SOTRACOME.
Comme le démontre à suffisance cette espèce, le cocontractant a fondamentalement un droit au respect de l’équilibre financier du contrat. L’administration a la garde des intérêts généraux, mais le particulier a fondamentalement des intérêts patrimoniaux qui doivent être protégés. Avant d’examiner comment ce droit à l’équilibre financier du contrat est mis en œuvre dans certaines hypothèses particulières, il faut insister sur un droit que, contrairement aux principes applicables en droit privé, n’a pas la partie privée à un contrat administratif.
L’exclusion de l’exceptio non adimpleti contractu. L’administration a sans aucun doute l’obligation d’exécuter ses engagements contractuels. Mais, à la différence de l’administration, le cocontractant privé ne dispose d’aucun moyen de réaction unilatérale, il ne peut se faire justice lui-même, autrement dit il ne peut refuser d’exécuter sa prestation au motif que l’administration ne remplit pas ses obligations (par exemple, ne verse pas à la date prévue les avances prévues au contrat). Si dans un tel cas il cessait l’exécution, il commettrait lui-même une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle et de justifier la sanction unilatérale de l’administration. On voit ici clairement l’inégalité des parties au contrat administratif. En cas d’inexécution de ses obligations par l’administration, le cocontractant n’a d’autre possibilité que de saisir le juge du contrat pour mettre en jeu devant lui la responsabilité contractuelle de l’administration.
Relativement à la diversité des droits du cocontractant, il a droit aux prestations stipulées au contrat ou impliquées par celui-ci. Ce sont entre autre le droit au matériel promis par l’administration et le droit au règlement du prix qui constitue la rémunération d’un service rendu. En principe, le prix est définitif (articles 74 et 75 Décret n°2004/275 portant Code des Marchés Publics) mais les parties peuvent inclure dans le contrat une clause de variation ou de révision du prix. La première est automatique, au contraire de la seconde qui est obligatoirement négociée.
Ensuite, il a droit à certaines indemnités même non prévues par le contrat : une indemnité pour responsabilité contractuelle de l’administration, une indemnité pour survenance de faits nouveaux, en application des théories de l’équation financière, du fait du prince, de l’imprévision ou encore pour sujétions imposées et imprévues et une indemnité dernière pour prestations supplémentaires, encadrée par un avenant, indispensable et spontanée.
Sans ordre émanant de l’administration et accord subséquent, le cocontractant a exécuté des travaux imprévus au contrat d’origine. Comme on l’a dit, indemnité lui est due, si les travaux exécutés étaient indispensables pour la bonne exécution des prestations commandées. Le juge administratif français suivi plus tard par le législateur camerounais ont posé ce principe respectivement à l’occasion d’une espèce du CE du 14 mai 1970, Administration Générale de l’Assistance Publique de Paris et des dispositions des articles 72 et suivants du Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004 portant Code des Marchés Publics au Cameroun. Il s’agit-là d’une simple application du principe de l’enrichissement sans cause qu’il ne serait pas déraisonnable d’étendre aux modifications unilatérales du contrat, décidées par l’administration elle-même. Au fond, ces travaux supplémentaires spontanés correspondent à une modification unilatérale de fait opérée par le cocontractant dont la finalité légitime reste une meilleure exécution de l’ouvrage public ou une meilleure garantie du service public. Le caractère prévisible des travaux supplémentaires indispensables est propre à minorer l’indemnité versée au cocontractant.
Quelques précisions concernent le règlement du prix : les sommes dues en exécution d’un marché sont payées dans un délai prévu par le cocontractant ou à défaut, dans un délai maximum fixé par voie réglementaire. Comme le précise l’article 74 al. 2 du Décret n°2004/275, les prestations faisant l’objet des marchés publics sont réglées soit par des prix forfaitaires appliqués à tout ou partie quelque soient les quantités, soit par des prix unitaires appliqués aux quantités réelles exécutées.
Le dépassement du délai de paiement ouvre de plein droit et sans autre formalité, pour le titulaire du contrat ou de son sous-traitant, le bénéfice d’intérêts moratoires à compter du jour d’expiration du délai. Enfin, un marché peut prévoir une clause d’actualisation de prix, indépendamment de celle de révision dudit prix (article 77 al. 6 du Décret n°2004/275. Relativement à la sous-traitance, les dispositions des articles 63 et 64 précisent que le titulaire d’un marché public peut céder une partie de ce dernier à la sous-traitance. Les marchés sous-traités sont tous, précise l’article 63 al. 2 et 3, des contrats par lesquels le titulaire d’un marché cède à des tiers l’exécution d’une partie de ses marchés. Quant à la sous commande, elle est une commande faite à des tiers par les titulaires d’un marché en vue soit de la fabrication d’un objet ou de matières devant entrer dans la composition de la prestation, soit de l’exécution de certaines opérations conditionnant la réalisation de ces prestations
5°) Fonction publique - Arrêté portant révocation d’un fonctionnaire - Recevabilité du recours contentieux - Oui - Excès de pouvoir dû à la non motivation de la décision - Annulation - Oui
CS/CA, Jugement n°55/89-90 ; CS-CA du 02 juillet 1990, Affaire Kon Abondo Gérard c/ Etat du Cameroun (Ministère de la défense)
Admis à l’infirmerie de la garnison de Bafoussam pour cause de maladie, Sieur KON ABONDO Gérard, sans obtenir l’autorisation de sa hiérarchie, est enlevé par sa famille et conduit chez un guérisseur indigène à l’Est du pays. Sa présence sur le sol d’Abong-Bang est portée à la connaissance du Commandant de la Brigade de cette localité qui s’est chargé d’informer son Chef d’unité à Bafoussam. Suite à cette information, Kon Abondo est arrêté, ramené à son unité de Bafoussam ; puis poursuivi, tant sur le plan disciplinaire que sur le plan pénal pour désertion en temps de paix. Par un jugement du 02 avril 1985, il est condamné à trois (03) mois de détention militaire avec sursis pendant trois (03) ans. Il interjette appel auprès de la Cour d’Appel de l’Ouest qui, par arrêt en date du 28 février 1986, a infirmé ledit jugement, relaxant le requérant pour délit non caractérisé.
Sur le plan disciplinaire, le Sieur Kon est révoqué de la Gendarmerie par arrêté du 27 juillet 1985 du Ministre d’Etat chargé de Forces Armées. Estimant que cet arrêté est entaché d’excès de pouvoir pour motif évoqué inexistant, va décider de saisir le juge administratif pour annulation. Il a alors tout d’abord, conformément à la procédure en la matière, adressé le 30 novembre 1985, un recours gracieux préalable au Ministre délégué à la Présidence chargé de la défense. Curieusement, le 30 janvier 1986, sans attendre l’écoulement du délai de trois (03) mois imparti à l’Administration pour répondre à la demande du recours gracieux, il saisit la Chambre administrative d’un recours contentieux. Mais très rapidement, il introduit une nouvelle demande de désistement qui a abouti à un jugement rendu dans ce sens le 11 septembre 1986. Après le rejet implicite du recours gracieux, alors que le jugement de désistement n’était pas encore rendu, le requérant introduit, en date du 12 mai 1986, un nouveau recours contentieux devant la Cambre administrative en vue d’obtenir l’annulation de l’arrêté querellé. L’Etat du Cameroun s’oppose à cette prétention en avançant deux arguments, l’un sur la forme et l’autre sur le fond.
Sur la forme, il revendique l’irrecevabilité de ce recours en raison du désistement du requérant à sa première requête et notamment du risque de contrariété entre la décision rendue à l’occasion du désistement et celle que la Chambre administrative pourrait être appelée à rendre à la suite du nouveau recours. Le juge administratif ne retient pas ce moyen. Il note, à juste titre, que si le requérant a introduit une demande de désistement, c’est parce qu’il s’est rendu compte que son recours exercé avant l’écoulement du délai imparti à l’Administration, sera purement et simplement rejeté pour violation de la procédure. Il déclare que la nouveau recours contentieux est recevable, à partir du moment où il a été exercé dans les forme et délai de la loi.
Sur le fond, l’Etat du Cameroun soutient qu’il n’y a pas excès de pouvoir du Ministre de la défense, d’autant que le pouvoir de contrôle du juge administratif se trouve paralysé par le pouvoir discrétionnaire de l’Administration d’apprécier l’opportunité de l’acte. Le juge administratif rejette également ce moyen. Il affirme que «s’il est de règle que le juge de l’excès de pouvoir ne peut remettre en cause l’exercice du pouvoir d’appréciation du pouvoir discrétionnaire reconnu à l’Administration, il demeure cependant que le juge a un pouvoir de contrôle de l’exactitude des motifs ayant justifié l’intervention de la décision administrative». En effet, l’Administration en situation de pouvoir discrétionnaire dispose d’une plus grande liberté de choix dans son action. Elle est libre d’édicter ou de ne pas édicter un acte administratif. Lorsqu’elle choisit d’intervenir, elle dispose encore ici de la liberté d’édicter, en fonction des circonstances, tel ou tel acte. Néanmoins, cette liberté lui est évidemment laissée dans les limites de la légalité, compétence discrétionnaire ne pouvant assurément se confondre à arbitraire. Ainsi, comme le rappelait très tôt le juge administratif camerounais, dès lors que des faits fautifs sont reprochés à un agent public, des sanctions ne peuvent lui être infligées que si ces dernières sont expressément prévues par la Statut générale de la fonction publique (CS/CA, jugement n° 33 du 31 mars 1977, Kobena Samuel c/Etat du Cameroun, CS/CA, jugement n° 17 du 03 février 1977, Bernard Marie Mineli Elomo c/ Etat du Cameroun).
Le juge va par la suite observer que la désertion qui fondait la révocation du Sieur Kon Abondo a été déclaré inexistante par la Cour d’appel, avant de conclure «qu’en fondant son arrêté sur des faits matériellement inexistants, le Ministre des Forces Armées dont la décision devait être motivée a, sans conteste, excédé ses pouvoirs exposant son acte à la censure de la Chambre administrative de la Cour Suprême». il prononce alors l’annulation de l’arrêté du Ministre. En effet, le contenu des actes administratifs doit être conforme au contenu des normes qui leur sont supérieures. De même tout acte administratif doit reposer sur des motifs de droit et sur des motifs de fait. Même si l’administration n’est tenu de faire figurer expressément ses motifs de fait dans son acte, ces derniers n’en doivent pas moins exister et le juge administratif camerounais a progressivement développé son contrôle des motifs de fait (CS/CA, jugement n° 55 du 22 avril 1979, Mbarga Emile c/ Etat du Cameroun). Ce contrôle des motifs de fait encore appelé contrôle des faits matériellement inexacts ou inexistants est l’hypothèse la plus souvent rencontrée et le juge administratif camerounais a constamment considéré que l’inexistence ou encore l’inexactitude matérielle des faits suffisaient à elles seules comme justificatives de l’annulation pour excès de pouvoir.
Ce jugement, comme d’autres qui l’ont précédé (voir TE, arrêt n° 21 du 23 décembre 1960, Ngueyang Jean c/ Etat du Cameroun oriental, CS/CA, 22 avril 1976, Belinga Ndo Paul c/ Etat du Cameroun, CS/CA, jugement n°73/88-89 du 29 juin 1989, Mbarga Raphaël c/ Etat du Cameroun) ou suivi (voir CS/CA, 31 janvier 1991, Ewono Fouda Joséphine c/ Etat du Cameroun, CS/CA, 30 mars 1995, Nyam Charles c/ Etat du Cameroun, CS/CA, jugement n°48/94-95 du 27 avril 1995 Ijambe Hako Prosper c/ Etat du Cameroun, CS/CA), met en exergue l’importance de la motivation des décisions administratives comme moyen de protection des administrés contre les abus de l’Administration. Notons néanmoins que les difficultés d’exécution de ce jugement ont poussé le Sieur Kon Abondo à saisir à nouveau la Chambre administrative pour solliciter un arbitrage de sa part (voir note Célestin Sietchoua Djuitchoko sous jugement n°22/2001-2002, CS/CA du 28 février 2002, Kon Abondo Gérard c/ Etat du Cameroun (MINDEF), in Juridis Périodique n°77, janvier-février-mars 2009, pp. 50-51).
6°) Marché public - Exécution - Résiliation unilatérale du contrat - Non-respect des obligations contractuelles - Faute de l’administration - Oui - Droit a une indemnisation compensatrice du cocontractant : Oui
CS/CA, Jugement n°96-97, CS-CA du 05 décembre 1996 ; Affaire Dzongang Albert c/Etat du Cameroun (MTPT)
Voici un jugement qui va allonger la jurisprudence administrative relative à la responsabilité contractuelle de l’Administration pour résiliation unilatérale sans faute. En l’espèce, après un recours gracieux infructueux, sieur Dzongang introduit devant la Chambre administrative de la Cour Suprême un recours tendant à obtenir la condamnation de l’Etat (MTPT) au paiement de la somme global de 560.000.000 de francs à titre de réparation du préjudice subi du fait de la rupture unilatérale d’un contrat de fabrication de plaques d’immatriculation.
Le requérant expose qu’à la suite d’un échange de correspondances entre le Ministre des transports et lui, il a été informé en date du 31 mai 1983 que sa société avait été adjudicatrice du marché de fabrication de plaques d’immatriculation pour véhicules au Cameroun. Par la suite, un cahier de charges fut signé par les parties contractantes notamment le Ministre des transports et le sieur Dzongang. Après la conclusion du contrat, le sieur Dzongang entreprit de commencer à exécuter sa part d’obligations en menant une série d’actions. D’abord, il a demandé et obtenu auprès du Ministre des transports une dispense de licence. Ensuite, il a sollicité de la BICIC un crédit de 21.000.000 de francs et s’est endetté auprès des particuliers à hauteur de 250.000.000 de francs. Ces sommes d’argent devaient servir à l’avance de la somme de 597.289.000 de francs représentant les frais de livraison de l’outillage faite par la société française FAAB Industrie, nécessaire à la mise en place de l’usine. Pendant ce temps, le Ministre des transports demandait à son cocontractant de différer la date de début de l’opération sans explication. Aucune suite ne fut donnée aux diverses correspondances de sieur Dzongang en difficultés à l’endroit du Ministre.
Le représentant de l’Etat ne conteste pas les allégations du requérant. Il soutient, à l’appui des articles 11, 16, et 21 du cahier de charges que puisque Dzongang Albert n’a pas respecté les délais contractuels, l’Administration était autorisée à résilier unilatéralement le contrat à la seule condition d’en informer l’entrepreneur. De plus, appuie le représentant de l’Etat, l’entrepreneur ne s’est pas conformé à toutes les instructions écrites à lui adressées par l’Administration.
Dans une argumentation nourrie et minutieuse, la Chambre administrative, après avoir déterminé la nature administrative du contrat et retenu, par conséquent, sa compétence, n’a pas suivi l’Etat et s’est plutôt rangée du coté du requérant. En effet, elle a mis en lumière l’absence de faits établis à l’encontre de l’entrepreneur. Au contraire, elle a retenu le comportement fautif de l’Administration. C’est donc à bon droit que la juridiction administrative a condamné cette dernière à verser au sieur Dzongang la somme de 530.000.000 de francs à titre de dommages-intérêts.
Cette espèce met en lumière de façon claire le souci constant du législateur et du juge d’encadrer les pouvoirs exorbitants détenus par la puissance publique à l’exécution des contrats administratifs. En effet, depuis le XIXe siècle, le juge reconnaît à l’administration le pouvoir de mettre fin, pour l’avenir (résiliation), à un contrat administratif, en l’absence de faute du cocontractant, mais seulement pour un motif tiré de l’intérêt général. Dans cette hypothèse, l’administration a l’obligation d’indemniser son cocontractant des préjudices subis du fait de cette résiliation. C’est l’un des pouvoirs que l’administration détient «en vertu des règles générales applicables au contrat», qu’elle peut donc exercer en l’absence même de stipulations contractuelles expresses et, même, malgré l’existence d’une clause contraire qui sera réputée non écrite. Seule la loi pourrait l’exclure.
Il faut toutefois que l’administration démontre l’existence réelle d’un intérêt général. C’est le cas lorsque le projet pour lequel il a été contracté est abandonné, lorsque la réglementation a changé rendant le contrat sans objet ou lui faisant perdre son motif déterminant, lorsque le service public en vue duquel le contrat a été passé est réorganisé ou supprimé, voire, dans des conditions cependant restrictives, pour des motifs financiers. Le cocontractant, n’étant pas comme on l’a vu fautif, a droit, dans ce cas, à la réparation intégrale de son préjudice, c’est-à-dire à l’indemnisation des pertes subies -damnum emergens- comme à celle des gains manqués (qu’il faut déterminer et dont il faut démontrer le caractère certain -lucrum cessans-, Jugement n°62/94-95 du 29 juin 1995, The Big Brothers Trading Company c/. Etat du Cameroun- Op.cit, n°2). C’est sous le fondement de cette jurisprudence progressivement construite par le juge administratif camerounais que le juge de l’espèce Etablissements LIPA-SPORTS BTP a condamné l’Etat du Cameroun à réparer intégralement une entreprise de travaux publics victime d’une résiliation unilatérale et non fondée du fait de l’administration contractante - CS/CA, Jugement n°59/04-05, 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS BTP c/. Etat du Cameroun (Ministère des Travaux Publics).
7°) Contrats administratifs - Actes détachables - Retard dans l’exécution des obligations du cocontractant - Résiliation unilatérale du contrat - Annulation de la décision de résiliation par l’administration - Oui - Recours contentieux sans objet - Poursuite de l’exploitation de la boutique par le cocontractant - Oui.
CS/CA, Jugement n°27/ 2002-2003 ; CS-CA du 28 novembre 2002, Affaire Pemite Jean Calixte c/ Communauté Urbaine de Douala
Le sieur Pemite est attributaire de la boutique n°704 au marché central de Douala en vertu d’une attestation de cession de Monsieur le Délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala établie le 20 novembre 1987, attestation issue du contrat d’exploitation signée entre la Communauté Urbaine et certains commerçants en vue de la gestion du marché central. Il exploite paisiblement ladite boutique jusqu’en mai 1997. Le 02 mai 1997, le Délégué du Gouvernement, par une décision contenue dans la lettre, informe le Sieur Pemite de la résiliation dudit contrat et, plus précisément, lui signifie l’affectation de sa boutique à un autre attributaire, motif pris de ce que le requérant ne respectait plus les obligations que lui imposait le cahier de charges, notamment le paiement des loyers et des quittances d’électricité. Il est donc, par conséquent, invité à libérer la boutique dès réception de ladite lettre au plus tard dans les quarante huit (48) heures.
Le Sieur Pemite expose qu’il a saisi la Communauté Urbaine de Douala d’un recours gracieux pour obtenir le retrait de sa décision de résiliation du contrat et la possibilité d’exécution de ses obligations de paiement des quittances auprès de Monsieur le Régisseur des marchés de Douala. Ce recours est resté infructueux. Par ailleurs, par requête du 11 juin 1999, il a sollicité et obtenu du Président de la Chambre administrative de la Cour Suprême, le sursis à exécution de la décision contestée. Puis, le 24 mars 1998, le Sieur Pemite a décidé de saisir la Chambre administrative de la Cour Suprême d’un recours tendant à l’annulation de la décision de son Délégué de Gouvernement contenu dans la lettre de ce dernier en vertu duquel il occupe la boutique n°704 du marché central de Douala.
Le représentant de l’Etat conteste la recevabilité du recours au motif qu’il n’a pas été précédé d’un recours gracieux préalable. La juridiction administrative a pris le contre-pied de l’Etat en faisant observer que la requête du Sieur Pemite qui sollicite l’autorisation du Délégué au Régisseur du marché aux fins de percevoir les loyers exigés et qui implique nécessairement la demande de l’annulation de la décision querellée, constitue pour le requérant le recours gracieux préalable prescrit par la loi. Par ailleurs, le juge des contrats déclare le recours contentieux sans objet en raison de la survenance en novembre 2001 d’une «notification» du Délégué du Gouvernement qui, en revenant sur sa décision du 02 mai 1997, reconnaît Monsieur Pemite comme l’attributaire reconnu par la Communauté Urbaine de Douala de la boutique n°704 du marché central de Douala. Constatant cette situation, le juge n’avait donc plus qu’a déclaré le recours sans objet et, par conséquent, décider que le recourant Pemite Jean Calixte continuera l’exploitation paisible de la boutique n°704 du marché central de Douala.
8°) Marche public - Conclusion litigieuse du marché - Incompétence du Ministre de l’Education Nationale - Jugement par défaut - Condamnation de l’Etat - Oui - Opposition au jugement par défaut - Recevabilité de l’opposition - Opposition non fondée - Oui
CS/CA, Jugement n°55/2001-2002 ; CS-CA du 19 août 2002, Affaire Etablissements Le Paysan c/ Etat du Cameroun (MINEDUC)
Le 03 mai 1997, des lettres de commande pour un montant de 13 millions chacune, soit 26 millions de francs pour les deux, avaient été signées par le Gouverneur de la Province du sud pour la construction de deux salles de classe au Collège d’enseignement secondaire de Nyété et deux autres salles de classe au Collège d’enseignement secondaire d’Ebolowa. Après enregistrement de ces lettres de commandes, des ordres de commencer les travaux ont été servis à l’entreprise Le Paysan le 12 mars 1997. Alors que cette entreprise avait commencé les travaux, il lui a été notifié que le Ministre de l’Education nationale lui retirait l’exécution desdits travaux par deux fax du 17 mars 1997.
Saisi par requête en date du 215 avril 1997 par les Etablissements Le Paysan, le juge des référés administratifs, par une ordonnance du 03 juillet 1997 du Président de la Chambre administrative de la Cour Suprême, avait ordonné la continuation des travaux par l’entreprise requérante. À la suite de cette ordonnance, l’entreprise a régulièrement exécuté les travaux de construction des deux salles de classe du Collège d’Ebolowa, mais les travaux de construction des deux salles de classe du Collège de Nyété avaient été attribués à l’entreprise African Trust par lettre-commande du 19 février 1997 du Ministre de l’Education nationale.
La Chambre administrative de la Cour Suprême a alors été saisie par l’entreprise Le Paysan d’un recours tendant à condamner l’Etat camerounais à lui octroyer des dommages-intérêts. Par le jugement par défaut n° 63/99-2000 du 27 juillet 2000, la juridiction administrative a donné gain de cause à la requérante en condamnant l’Etat.
Le 20 décembre 2000, une opposition a été formulée contre ce jugement par le représentant de l’Etat. Ce dernier, à la suite d’une argumentation exagérément longue et, à la limite, fatigante pour le Tribunal, a demandé à la juridiction administrative de bien vouloir infirmer son jugement par défaut, de débouter les Etablissements «Le Paysan» de son recours au fond en dommages-intérêts concernant le litige concernant les travaux de construction du Collège d’Enseignement Secondaire de la Nyété, et, enfin, condamner le requérant à dédommager l’Etat à concurrence du dommage subi pour montant des travaux non exécutés et les vices cachés nés de l’exécution des travaux de construction du Collège d’Enseignement Secondaire (CES) d’Ebolowa rural.
En réponse auxdites conclusions du représentant de l’Etat, les Etablissements Le Paysan ont demandé au juge administratif de déclarer l’opposition non fondée, de rejeter les conclusions du représentant de l’Etat, de l’y dire sans objet, de tenir compte de la position du Ministre de l’éducation nationale qui est contre la décision de son représentant de s’opposer contre le jugement de la juridiction administrative.
A la vérité, la question juridique qui se pose dans le cas d’espèce est de savoir si Le Ministre de l’éducation nationale avait le pouvoir d’annuler par ses fax les lettres-commandes signées par le Gouverneur de la Province du sud. Autrement dit, quelle est, du Ministre et du Gouverneur, l’autorité compétente pour signer un marché public dont le montant est inférieur à 200.000.000 francs ? Pour le juge administratif, conformément aux articles 78 et 79 du décret n°86/903 du 18 juillet portant réglementation des marchés publics, ce pouvoir revient au Gouverneur de Province. Ce dernier détient ce pouvoir, précise justement le juge des contrats, en vertu d’un texte de droit et non, comme l’affirmait le représentant de l’Etat, par délégation de pouvoir du Ministre.
Le contrat administratif étant un formé par un accord de volontés dont l’une au moins émane d’une personne publique, la question est ici de savoir quels sont les organes compétents, au sein de la personne publique considérée, pour exprimer la volonté de cette personne, pour vouloir pour elle. Au niveau de l’État, il revient en principe aux ministres de signer les contrats de l’État au niveau central, et au niveau déconcentré, aux gouverneurs et préfets. La signature ou le pouvoir peuvent être délégués dans les conditions ordinaires. Il faut signaler que certains types de contrat suppose, pour qu’ils entrent en vigueur, outre la signature par l’organe compétent, une approbation spéciale, par voie législative (ex. : emprunts d’État) ou par décret (concessions d’autoroutes).
S’agissant des collectivités territoriales, le principe veut que l’assemblée délibérante autorise préalablement la signature du contrat, signature qui est donnée, au nom de la collectivité, par l’exécutif de celle-ci. Toutefois l’assemblée délibérante peut donner, pour des contrats de faible importance, une délégation générale qui permettra à l’exécutif de signer les contrats courants et sans enjeux politiques locaux, sans avoir à préalablement obtenir une autorisation spéciale pour chaque contrat. Il faut également rappeler que les contrats des collectivités territoriales n’entrent en principe en vigueur qu’après leur transmission à l’autorité de contrôle, au préfet.
S’agissant des établissements publics, les solutions sont assez proches de celles qui s’appliquent aux collectivités locales. Les statuts prévoient généralement que l’exécutif des établissements publics peut conclure seul les petits contrats, quand les contrats importants supposent l’approbation du Conseil d’Administration. A signaler toutefois que la tutelle sur les établissements publics et donc le contrôle de l’autorité de rattachement de ces derniers sur les conventions passées par ceux-ci est plus étendu et contraignant que le contrôle de l’Etat sur les collectivités locales
Il faut ajouter quelques remarques sur la compétence ratione materiae. Les personnes publiques ne peuvent contracter que dans le domaine de leurs compétences, ce qui vise les collectivités territoriales (elles peuvent contracter pour les besoins de leurs services et sur des objets d’intérêt local) et les établissements publics (dans le respect du principe de spécialité). Par ailleurs, il est interdit de contracter sur certains objets :
- la police administrative, c’est-à-dire l’activité de prévention des troubles à l’ordre public (sécurité, tranquillité, salubrité publiques : cf. infra, titre 4). Article classique : J. Moreau, «De l’interdiction faite à l’autorité de police d’utiliser des techniques d’ordre contractuel», AJ 1965, p. 3. Arrêt de principe : CE 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, D. 1932.3.27, concl. Josse : une commune ne peut confier, par contrat, le service de la police à une société privée. De même un maire ne saurait s’engager par un contrat signé au nom de sa commune, de faire à l’avenir tel usage déterminé de son pouvoir de police. Le contrat ou, si elles sont séparables de l’ensemble du contrat, les clauses portant sur l’exercice du pouvoir de police sont nuls.
- l’impôt : l’impôt n’est pas un objet d’arrangements contractuels. En droit français par exemple, les «contrats fiscaux» ne créent pas d’«avantages fiscaux» mais se bornent à constater qu’un contribuable remplit les conditions définis par la loi lui permettant de bénéficier d’un certain régime fiscal.
- Le statut des fonctionnaires est légal et réglementaire. La situation personnelle d’un fonctionnaire ne saurait donc être valablement définie par contrat. Un tel contrat ou de telles clauses seraient nuls.
L’organisation du service public n’est pas non plus une matière contractuelle. Toutefois, il n’est pas prohibé de définir des règles d’organisation d’un service public dans une convention.
En définitive, c’est très justement que le juge administratif, après avoir reçu l’opposition, a décidé qu’elle n’était pas fondée, et que le jugement n°63/99-2000 rendu le 27 juillet 2000 devait, par conséquent, produire son entier et plein effet.