LES SERVICES PUBLICS DANS L’ETAU DU DROIT DE LA CONCURRENCE DE LA CEMAC
Par :
Edouard GNIMPIEBA TONNANG
Habilité à Diriger des Recherches (HDR) dans les Facultés de Droit de
L’institut du Droit de la Paix et du Développement (IDPD), Université de Nice-Sophia Antipolis,
Docteur en Droit Communautaire et en Droit appliqué à l’Economie et au Financement du Développement,
Chargé de cours au Département de Droit
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang
Et
Marien Ludovic NDIFFO KEMETIO
Doctorant, Assistant
Département de Droit
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang
INTRODUCTION
L’avènement du droit communautaire est, sans nul doute, l’un des évènements qui affectent l’évolution de nos systèmes juridiques et qui en détermineront encore le cours. Ce droit supranational est en train de tracer discrètement, lentement mais progressivement, dans le champ juridique interne des Etats, de profonds «sillons» dont on ne peut pas encore mesurer toutes les conséquences, ni l’ampleur des difficultés probables de leur mise en œuvre[1]. Un exemple majeur est ici fourni par les rapports entre le droit de la concurrence de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)[2] et le droit national des services publics.
Considéré à juste titre comme l’une des principales innovations du législateur sous régional, le droit communautaire de la concurrence CEMAC a vu ses bases fixées par la Convention de l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC) du 16 juillet 1996. Ces bases ont été, trois ans plus tard, développées et précisées par deux instruments du droit communautaire dérivé : les Règlements n°1/99/UEAC-CM-639 du 28 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles[3] et n°4/99-CM-639 du 14 août 1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats membres[4]. Tout comme le droit de la concurrence de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)[5], le nouveau droit de la concurrence de la CEMAC qui laisse transparaître une grande influence du droit européen de la concurrence[6] comprend ainsi un «ensemble de dispositions juridiques qui régissent les rapports entre les professionnels dans leur activité concurrentielle pour réguler la concurrence»[7].
L’infiltration du nouveau droit communautaire de la concurrence[8] dans l’ordre juridique interne des Etats a d’importantes répercussions sur le droit administratif national[9]. Le Professeur Jürgen SCWARZE souligne fort pertinemment que: le droit communautaire, « étant en grande partie un droit administratif économique, il n’est donc pas surprenant que les systèmes juridiques administratifs nationaux soient de plus en plus exposés aux influences (…) en raison de l’importance économique et politique croissante de la Communauté »[10]. En réalité, du fait que les règles de la concurrence sont destinées à orienter et à façonner profondément les actions des Etats et des entreprises dans le domaine économique et social, elles auront inéluctablement d’importantes répercussions particulièrement sur le régime juridique des services publics, expression privilégiée de l’interventionnisme économique des Etats.
Activité d’intérêt général assumée par une personne publique ou sous son contrôle par une personne privée et qui est soumise à des degrés variables suivant les cas à un régime exorbitant du droit privé[11], le concept de service public, mais surtout son régime juridique se trouve en effet aujourd’hui directement affecté par la naissance et la pénétration du droit communautaire de la concurrence dans les ordres juridiques internes. La question des rapports entre ce droit supranational et le service public, procédé d’organisation ou de gestion administrative que partagent les Etats membres de la CEMAC est à la fois actuelle, récente et importante[12]. Car, elle oppose deux logiques antinomiques : celle d’une part de l’interventionnisme publique sur le marché au nom de l’intérêt général pour ce qui concerne le service public ; et celle, d’autre part, du libéralisme qui inspire le droit de la concurrence de la CEMAC.
Appelé à s’appliquer dans un cadre particulier, le droit CEMAC de la concurrence a une conception large des comportements susceptibles d’affecter la concurrence. Il est, en effet, basé sur une dichotomie entre les règles applicables à l’action des Etats et des entreprises ; lesquelles règles jouent un rôle complémentaire dans la poursuite de l’objectif central de l’Union Economique qu’est l’établissement d’un marché commun[13]. Le moyen essentiel pour atteindre cet objectif étant surtout l’abolition des barrières économiques d’origine étatique et des obstacles de la part des entreprises. Si, comme on l’a relevé[14], le droit communautaire de la concurrence s’applique donc aux Etats et aux entreprises, il ne contient par contre pas de régime communautaire particulier pour les services publics. Ces derniers seraient–ils assimilés à l’Etat ou au contraire aux entreprises, ou alors est-ce que leur régime juridique échapperait, faute de dispositions expresses, au droit de la CEMAC ?
Contrairement aux apparences premières, il n’y a pas une absence de règles communautaires applicables aux activités de service public. Le service public est appréhendé par le droit de la CEMAC. Il entre dans le champ d’application du droit de la concurrence de la CEMAC. En effet, à l’analyse des textes juridiques de la Communauté, notamment en matière de concurrence, il se dégage que les services publics sont tantôt considérés comme des émanations des Etats pour autant qu’ils agissent sous leur contrôle ; et tantôt comme des entreprises pour autant qu’ils exercent des activités économiques[15]. Si l’assimilation des services publics à l’Etat ne semble pas poser de problème, leur assimilation « assez systématique » à la catégorie d’entreprise est toutefois problématique. Car, elle fait peser sur les services publics, leur périmètre d’action et leurs relations avec l’Etat, d’importantes conséquences[16]. Ces conséquences posent plus fondamentalement la question de la compatibilité des règles communautaires de la concurrence avec les modes de définition et d’expression de l’intérêt général. Facteur de limitation des libertés et de nature à gêner le libre jeu de la concurrence, le service public, expression de l’intérêt général national doit-il s’effacer devant l’intérêt général communautaire dont la concurrence en est l’agent ?
Quoi qu’il en soit, la CEMAC a fait le choix du marché, c’est-à-dire de la concurrence comme le moteur principal du progrès économique et social des Etats membres au détriment d’autres impératifs. Dans le souci de protection de ce marché, l’encadrement des interventions économiques des personnes publiques, détenteurs de privilèges exorbitants de droit commun, s’imposait. L’idée étant de s’assurer que ces dernières ne disposent d’aucun moyen exorbitant leur permettant de fausser la concurrence sur le marché. C’est dans cette optique que, niant la spécificité des activités de service public, le législateur africain a développé à leur égard l’emprise du droit commun de la concurrence (I). Toutefois, compte tenu de l’importance des services publics dans la politique économique et social des Etats membres, il a également, quoique de manière exceptionnelle, intégré dans ce droit commun de la concurrence les préoccupations du service public. Ainsi, la concurrence n’en est pas moins susceptible d’être sacrifiée quand l’intérêt public que les services publics poursuivent est menacé (II)
I - Le développement de l’emprise du droit communautaire de la concurrence à l’égard des services publics
L’objectif d’instauration d’une libre concurrence sur toute l’étendue du marché commun ne pouvait être atteint si les Etats membres conservaient le droit de conférer sur leur sol une situation spécifique et préférentielle à des entreprises relevant directement ou indirectement du secteur public. C’est la raison pour laquelle le législateur de la CEMAC a, en encadrant les aides étatiques et les monopoles nationaux, démantelé le statut privilégié des entreprises du secteur public. A vrai dire c’est la manière par laquelle le droit communautaire appréhende le service public (A) qui est à l’origine de cette situation, notamment, de la soumission de cette activité à toutes les règles communautaires de la concurrence (B).
A - L’appréhension des services publics par le droit communautaire
En droit communautaire de la concurrence, le service public n’est pas saisi directement. Son intégration ne se fait pas sur la base des principes clairement établis. On pourrait même penser qu’il est exclu du champ d’application de ce droit supranational de la concurrence. Pourtant, il en va autrement. En effet, il est saisi de toute part : tantôt assimilé à un «Etat», tantôt à une «entreprise», le service public a donc un caractère polymorphe en droit communautaire (2). Parce qu’un même mot est porteur d’un sens différent selon qu’il tire sa source de l’ordre juridique national ou de l’ordre juridique communautaire[17], il est nécessaire, pour s’en convaincre, de définir, au préalable, les notions d’«Etat» et d’«entreprise» en droit communautaire (1).
1°) La définition des notions d’Etat et d’entreprise en droit communautaire de la concurrence
L’examen de la notion d Etat (a) précèdera celle d’entreprise (b).
a) La notion d’Etat
Les textes fondamentaux de la CEMAC et les Règlements n°1/99 et n°4/99 précités contiennent de nombreuses obligations à la charge des « Etats membres ». Ces règles s’appliquent-elles uniquement aux institutions politiques, c’est-à-dire à l’Etat central et aux collectivités territoriales, ou également à certains services publics ? Malheureusement les droits communautaires de la CEMAC et même de l’Union européenne restent muets sur la question. En raison de ce silence, c’est à travers principalement l’analyse de la jurisprudence que nous allons pouvoir cerner cette notion. Mais seulement, la Cour de justice de la CEMAC n’a pas encore, à notre connaissance, été amenée à se prononcer sur la question. Dès lors, nous nous tournerons vers la jurisprudence assez dense et riche de la Cour de Justice des Communautés Européennes (ci-après CJCE) qui pourra, probablement, inspirer utilement la Cour de justice de la CEMAC[18].
La Cour et la Commission européennes ont eu tendance à donner une interprétation fort large de la notion d’ «Etats membres». Ainsi, au sens du droit communautaire, l’Etat englobe tous les organes publics, même autonomes tels que les juridictions, les parlements ou les collectivités territoriales. Cette notion s’étend même aux entités qui, malgré leur forme privée, ne sont en réalité que des instruments des pouvoirs publics, qui les ont créés dans le but de satisfaire un besoin d’intérêt général et les contrôlent ou leur ont conféré des pouvoirs exorbitants du droit commun[19]. De cette jurisprudence claire, importante et riche d’enseignements, on peut déceler, sans peine, que le service public, activité assurée ou assumée par une personne publique en vue d’un l’intérêt public[20], rentre dans la notion communautaire d’«Etats membres». D’ailleurs le législateur africain se serait inscrit dans cette logique, car il a réglementé les monopoles de service public dans le Règlement n°4/99 censé s’appliquer aux pratiques étatiques. En tout cas, la Commission et la Cour européennes ont, sans ambages, précisé que les services publics étaient considérés comme des émanations de l’Etat et devraient donc être soumis au droit communautaire. Cette conception large de la notion d’Etat traduit inéluctablement la volonté du législateur communautaire d’éliminer le plus grand nombre possible d’obstacles à l’établissement du marché commun ou, plus largement, à la pleine mise en œuvre du droit communautaire. Le même souci l’a animé dans la définition de la notion d’entreprise.
b) La notion d’entreprise
Contrairement au traité de Rome qui est muet sur la définition de la notion d’entreprise, l’article 1er du Règlement CEMAC n°1/99 la définit comme «toute personne physique ou morale du secteur public ou privé exerçant une activité à but lucratif». Cette définition quelque peu laconique et succincte nécessitera l’intervention de la Cour de justice de la CEMAC pour l’interpréter. L’annexe n°1 du Règlement n°3/2002 de l’UEMOA sur la procédure applicable aux ententes et abus de position dominante est plus précise. L’entreprise y est définie comme «une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels, exerçant une activité économique, à titre onéreux, de manière durable, indépendamment de son statut juridique, public ou privé, et de son mode de financement, et jouissant d’une autonomie de décision». Toutes ces définitions s’inspirent de celle donnée part la CJCE dans trois arrêts de principe qui en donnent une définition identique : «est considérée comme entreprise, toute entité exerçant une activité à caractère économique indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement»[21].
La notion d’entreprise parait avoir également un contenu large. Il pourrait s’agir, en réalité, d’une personne physique, d’une société civile ou commerciale, ou encore d’une entité juridique ne revêtant pas la forme de société comme les établissements publics, groupement d’intérêt économique, fondation, association…[22]. L’inclusion des établissements publics conduit à conclure qu’en droit communautaire, la notion d’entreprise englobe, entre autres, les services publics. Toutefois, parce que la notion d’entreprise exige l’exercice d’une activité économique, c'est-à-dire de toute activité de production ou d’échange de biens ou de service exercée à titre onéreux ou à but lucratif, on peut penser que seuls les services publics notamment industriels et commerciaux, à l’exclusion des services publics administratifs, sont concernés. Seulement, ce qui importe n’est pas le statut juridique de l’entité, mais la nature économique de l’activité exercée. Aussi, les services publics exerçant des activités économiques en dépit de leur qualification par les textes juridiques nationaux, de services publics administratifs, rentrent dans la notion d’entreprise.
Le droit communautaire européen a quant à lui adopté une conception plus large de la notion, laquelle englobe tout à la fois les services publics au sens générique du terme, mais aussi les services délégués, en procédant notamment à une extension de la notion aux techniques juridiques de la concession et de la délégation de service public. Même si le traité CE n’a pas pendant longtemps défini la notion d’entreprise publique de manière globale, la Commission a très tôt invité à considérer comme publiques toutes les entreprises sur lesquelles «les pouvoirs publics peuvent exercer, directement ou indirectement, une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent»[23]. De cette définition, le juge européen a été progressivement amené à préciser les termes des traités fondateurs et à dégager les caractères que ces derniers contenaient.
En premier lieu, il doit s’agir d’une entreprise, dotée d’une autonomie patrimoniale et comportementale par rapport à la personne publique[24]. La C.J.C.E a ainsi défini l’entreprise publique dans une espèce Höfner et Elser[25] comme «toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement». Comme on peut le constater, l’entreprise publique ne se confond pas normalement avec la personne publique elle-même. Le juge européen a dans ce sens jugé qu’une entreprise pouvait être intégrée à l’administration et dépourvue de personnalité juridique, pourvue qu’elle ait une fonction économique propre à l’intérieur de cette dernière[26]. Depuis lors, on a considéré qu’un simple service administratif exerçant des activités industrielles ou commerciales, sans être pourvu d’une personnalité juridique distincte, n’en était pas moins une entreprise publique au sens du Traité[27]. Il importe donc peu en effet de savoir par le truchement de quelle entité l’Etat intervient sur le marché. Ce qui importe en effet n’est pas le statut juridique de l’entité, mais la nature économique de l’activité exercée.
En second lieu, il doit s’agir d’une activité économique. Il en est ainsi lorsqu’elle entre en concurrence avec les entreprises privées, et exerce une activité économique de fabrication, de vente ou de production[28]. Cette condition a permis de considérer qu’une activité fondée sur le principe de solidarité nationale ne constituait pas une activité économique. De son côté et comme on l’a vu, un organisme dont les règles de fonctionnement se rattachent à l’exercice des prérogatives de puissance publique ne présente pas, selon le juge européen, un caractère économique susceptible de se voir appliquer les dispositions de l’article 86 CE (ex-article 90), même si ses activités font l’objet d’une délégation à une entité que l’administration a investie de droits spéciaux ou exclusifs[29]. En revanche, des limites de l’expansion de la notion d’entreprise sont apparues en droit positif européen à l’occasion de l’espèce Poucet dans laquelle la C.J.C.E affirme que «les caisses de maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent des fonctions de caractère exclusivement social. Cette activité est, en effet, fondée sur le principe de la solidarité nationale et dépourvue de tout but lucratif»[30].
Enfin, il doit exister un lien entre l’entreprise et la personne publique. En effet, pour lever un certain nombre de difficultés liées au contenu de la notion d’entreprise publique, la Commission européenne, dans une Directive du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les Etats et les entreprises publiques, a tenu à préciser la nature des liens entre les entreprises publiques et les collectivités publiques.
Sous l’angle de ces liens, la Directive sus citée a, la première, appelé à considérer à la suite des critères traditionnels, comme publique «toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent»[31]. A partir de cette consécration des autorités de la Commission, la C.J.C.E décide que tout service public sera désormais considéré comme une entreprise dès l’instant où [et pour autant que] elle exerce des activités économiques. Pour elle, le caractère économique d’une activité est à rechercher dans les agissements mêmes de l’entité en cause. Ainsi, elle a pu décider que l’activité de placement avait une connotation économique et que, par conséquent, les offices publics d'emploi étaient soumis aux règles communautaires de la concurrence pour cette activité. Dans cette hypothèse, l’entreprise publique perd en conséquence son autonomie sur le marché pour ne représenter qu’une forme d’intervention de la puissance publique dans la vie économique[32].
La clarté de cette définition a, plus tard, conduit le législateur européen à la consacrer solennellement dans le nouveau dispositif conventionnel de Maastricht[33]. Appliquée au droit communautaire CEMAC, la notion d’influence exercée sur l’entreprise par la puissance publique (notamment du fait des règles qui lui sont imposées par les statuts, les contrats ou les réglementations) est importante en ce sens qu’elle élargit de manière significative le champ d’application du concept d’entreprise publique à des situations ou les législations nationales pertinentes[34] seraient tentées de voir des entreprises privées, notamment les entreprises délégataires ou concessionnaires[35]. Par ailleurs, il faut rappeler que le dispositif CEMAC relatif au droit de la concurrence ne concerne que les entreprises publiques de dimension communautaire, c’est-à-dire les structures nationales intervenant ou capables d’intervenir dans les marchés nationaux des autres Etats membres de la Communauté. C’est dans cette logique que la CJCE a précisé clairement que, si le statut juridique et les modalités de financement d’un organisme ainsi que l’absence d’un but lucratif ne sont pas en soi pertinents, il est néanmoins toujours nécessaire que l’organisme en question exerce une activité susceptible d’être exercée au moins en principe, par une entreprise privée dans un but lucratif[36]. A la suite de cette motivation, elle a estimé qu’une activité exercée gratuitement, et qui plus est qualifiée de service public administratif en droit interne, peut être qualifiée d’entreprise[37]. L’on a donc conclu que «la notion d’entreprise en droit communautaire englobe non seulement les services publics industriels et commerciaux, mais également des services publics administratifs»[38].
Comme on peut le constater, le service public peut être confondu soit à une entreprise, soit à un Etat. Ce qui confirme son caractère polymorphe en droit communautaire.
2°) Le caractère polymorphe du service public en droit communautaire
Dans le contexte communautaire, le caractère polymorphe du service public se saisit lorsque ce dernier est, tantôt assimilé à une entreprise, tantôt à un Etat. Le service public peut donc se trouver dans l’un et l’autre bout, selon le cas, en fonction de la nature de son activité concrète. Il n’y a pas une contradiction en tant que telle, puisque ce sont des activités différentes qui tomberont sous le coup des deux types de règles : celles applicables à l’Etat et celles applicables à l’entreprise. Toutefois, le service public peut se trouver aux deux bouts : par exemple comme bailleur de fonds étatiques ou comme bénéficiaire d’une telle aide.
On ne peut donc manquer de relever à ce sujet que le droit communautaire fait preuve d’un grand dynamisme. D’une part, le législateur communautaire donne des définitions très extensives des notions d’Etat et d’entreprise. D’autre part, et en conséquence, en raison de l’autonomie des définitions des notions communautaires par rapport aux droits nationaux. En effet, les notions d’Etat et d’entreprise ne sauraient être comprises à la lumière des droits nationaux en raison, notamment, du caractère autonome et spécifique de l’ordre juridique communautaire. L’apparence formelle identique des concepts employés ne doit donc pas faire oublier que nous sommes en présence de deux ordres juridiques complets qui ne reposent pas vraiment sur la même finalité[39]. Même lorsque les textes communautaires renvoient à des concepts apparemment identiques, leur interprétation communautaire peut être distincte des définitions et interprétations nationales. Comme le soulignait justement le Conseil d’Etat en 1982, dès lors « que les dispositions des traités contiennent des expressions désignant de tels concepts… dont les interprétations incombent aux autorités communautaires, il n’est pas exclu d’envisager que celles-ci en imposent une conception qui, au regard de l’acception nationale, constitue une dénaturation »[40] La doctrine – surtout la doctrine publiciste- devrait donc être assez prudente dans l’appréhension et la perception des concepts du droit communautaire. On peut aussi s’interroger sur un point : en appréhendant le service public par des références indirectes – Etat et entreprise notamment -, peut-on penser que le droit communautaire nie le concept de service public[41] ?
Quoi qu’il en soit, le droit communautaire a donné au service public une signification communautaire qui prend, à l’égard des conceptions nationales des distances qui impliquent son autonomie et la vocation spécifique qu’elle exprime. Si son assimilation à une émanation de l’Etat ne nie pas sa spécificité[42], il en va autrement de son assimilation à une entreprise ordinaire. Car, il doit être soumis, au même titre qu’une entité privée, au droit commun de la concurrence.
B - La soumission des services publics au droit communautaire de la concurrence
Dès lors qu’une entreprise «ordinaire» ou «de service public» exerce une activité économique, la logique fondamentalement égalitaire et unitaire du droit communautaire de la concurrence postule qu’il s’applique (1). Cette philosophie ou ce principe n’est que la traduction du socle néolibéral sur lequel repose la Communauté (2).
1°) Le principe de l’application du droit communautaire de la concurrence aux services publics
C’est désormais un fait acquis en droits national[43] et communautaire que, dès qu’ils adoptent un comportement d’entreprise, les services publics doivent respecter, comme les autres entités du secteur privé rentrant dans la notion d’ «entreprise», les dispositions du droit de la concurrence, et spécialement celles prohibant les pratiques anticoncurrentielles. La soumission des services publics au droit communautaire de la concurrence découle clairement des dispositions du paragraphe 1 de l’article 8 du Règlement n°4/99 : «les entreprises en situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles régissant les pratiques anticoncurrentielles et notamment à celles relatives à l’abus de position dominante», prévues dans le Règlement n°1/99 précité. Le paragraphe 2 de cet article 8 détermine ce qu’il faut entendre par monopole légal. «Un monopole est dit légal lorsque l’Etat accorde des droits exclusifs à une entreprise privée ou publique pour exploiter un service public ou pour produire des biens et services». Dans les Etats africains francophones en général et au Cameroun en particulier, en dépit des politiques de désengagement de l’Etat des secteurs productifs, certaines activités d’intérêt général bénéficient d’un aménagement légal sous forme d’un monopole ou de la reconnaissance des droits exclusifs. Ces avantages sont très souvent accordés par voie de concessions ou d’autorisations aux services publics.
Le droit communautaire de la concurrence soumet donc le monopole, apanage du service public[44], au même régime juridique que toute entreprise « ordinaire », particulièrement au régime de l’entreprise qui se trouve en position dominante dans le marché commun. Ainsi, sans toutefois interdire les monopoles de services publics, le droit communautaire aménage suffisamment ces derniers.
D’une part, ils doivent respecter toutes les règles régissant les pratiques anticoncurrentielles contenues dans les Règlements n°1/99 et n°4/99 précités[45]. Ils doivent s’abstenir particulièrement de pratiquer des ventes liées, d’imposer des conditions de vente discriminatoires injustifiées, de procéder à un refus de vente, de pratiquer des ruptures injustifiées des relations commerciales, d’utiliser les recettes qu’ils tirent de leurs activités soumises à monopole pour subventionner leurs ventes dans d’autres secteurs[46].
D’autre part, «quand un service public fait naître un monopole naturel, les Etats (doivent mettre) en place des moyens de régulation de ce monopole. Le cas échéant, il crée un organe de régulation avec la participation du secteur privé et de la société civile»[47]. Le droit communautaire impose ou du moins favorise donc la création des institutions d’un type nouveau[48] chargées d’assurer de manière autonome une mission de régulation sectorielle[49]. L’utilité de cette formule est à notre sens d’assurer la séparation entre les régulateurs et les opérateurs, mais aussi d’assurer l’impartialité de la fonction de régulation, car les Etats sont toujours suspectés d’interventionnisme.
Toutefois, le droit communautaire prévoit que les pratiques anticoncurrentielles pour être interdites ou contrôlées, doivent être susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun, ou dans une partie de celui-ci. Cela signifie-t-il que l’affectation d’une partie, aussi petite soit-elle, suffit pour mettre en œuvre le droit communautaire de la concurrence ? L’on a affirmé qu’il importe peu que cette affectation dépasse les frontières d’un seul Etat membre[50]. Aussi, le fait que les services publics ont une vocation typiquement nationale, limitée au territoire d’un Etat, ne leur permet donc pas d’échapper à l’application du droit communautaire de la concurrence. Le principe de l’application du droit de la concurrence est donc désormais incontestable. Dominé par les principes de neutralité, d’unité et d’égalité de traitement, ce droit de la concurrence postule que les opérateurs publics et privés soient soumis au même traitement. Cette évolution met fin à l’état du droit existant : l’existence de traitements différents pour des situations identiques. Le régime juridique des services publics a donc été davantage « commercialisé » ces dernières années avec l’emprise croissante du droit communautaire de la concurrence[51]. Le principe de « même activité même droit » qui fonde l’application du droit communautaire de la concurrence manifeste en même temps le triomphe de l’idéologie néolibérale qui irradie la CEMAC.
2°) Le soubassement néolibéral du principe
Pour réaliser ses objectifs, la nouvelle Communauté s’est appuyée incontestablement sur des principes économiques, sur des leviers efficaces : le droit et le marché. Le principe d’une «économie de marché ouverte et concurrentielle »[52] est une des clefs d’explication de la CEMAC. La philosophie générale de cette construction est, sans nul doute, le libéralisme économique[53]. La doctrine libérale, réinterprétée et présentée aujourd’hui comme « la loi d’airain de l’économie moderne » qui préside au droit CEMAC de la concurrence, n’est pourtant pas déconnectée de la vieille problématique du célèbre arrêt du Bac d’Eloka.[54]
Le droit communautaire manifeste la volonté de considérer les services rendus par les services publics comme des marchandises identiques à celles des entreprises ordinaires sans tenir compte des spécificités ni des besoins sociaux auxquels ils répondent. Toutes les activités sont saisies en fonction des considérations économiques. Ainsi, tout comme l’arrêt du Bac d’Eloka[55], le droit CEMAC de la concurrence procède d’une vision économique et non pas juridique ; matérielle et non pas organique des activités des personnes publiques. Pour conclure à l’unité du droit applicable, il se fonde sur l’identité d’objet des activités administratives et des activités privées, c’est-à-dire sur un critère économique.
Cette solution, reflet de la doctrine professée par les économistes libéraux de l’époque, avait considérablement influencé les juristes français eux-mêmes[56]. Dans l’esprit des uns et des autres, l’Etat idéal est un Etat minimum qui se cantonne à ses activités naturelles. Toute intervention en dehors de cette sphère est accidentelle et doit demeurer résiduelle ; elle n’est au surplus acceptable qu’à la condition de respecter la règle de jeu économique, c’est-à-dire le droit commun pour ne pas fausser la concurrence[57]. Or, c’est très probablement la préoccupation des auteurs du droit africain de la concurrence et la logique qui l’anime. L’application des règles communautaires de la concurrence aux personnes et services publics ne constituerait donc pas une innovation, mais la simple extension d’une pratique déjà consacrée en droit français. Comme l’a si bien souligné la doctrine, la philosophie qui préside au nouveau droit de la concurrence n’est nouvelle ni dans son principe ni dans sa mise en œuvre. Elle constituait déjà le soubassement de l’arrêt du Bac d’Eloka et trouve aujourd’hui application en droit communautaire[58].
Dès lors, cette réalité apparaît comme l’implication nécessaire du libéralisme économique actuel qui intègre désormais le fait de l’interventionnisme des personnes publiques. En vérité, l’assujettissement des autorités publiques au mécanisme de la concurrence n’est pas un phénomène purement juridique, mais s’inscrit dans cette évolution plus globale des idées et des institutions qui a été l’occasion ces dernières années d’une réévaluation de l’intervention publique en matière économique[59]. Il est indéniable que, en s’appuyant sur des considérations économiques, le droit communautaire de la concurrence est soucieux d’une approche qualitative basée sur la volonté de faire en sorte que les personnes publiques ne fassent pas obstacle au développement sur le marché d’une compétition par le mérite.
Seulement, s’il est incontestable que la concurrence tant recherchée et protégée a des vertus indéniables, elle ne suffit pas à faire le bonheur des consommateurs. Elle peut aboutir à des situations socialement insupportables. Ainsi, certaines activités sociales, en fonction de la nature des objectifs et des intérêts qu’elles mettent en jeu, doivent échapper à l’application de la logique marchande et à la recherche du profit pour être gérées selon des critères spécifiques, permettant un accès de tous à certains biens et services et concourant ainsi à l’équilibre et à la cohésion économique, social et culturel[60]. C’est en tenant compte de cette nécessité que le législateur de l’Afrique centrale a ouvert une «passerelle» aux règles de la concurrence, reconnaissant ainsi la spécificité des services publics.
II - L’intégration exceptionnelle des exigences du service public dans le droit communautaire de la concurrence
Il existe des mots qui s’avèrent irremplaçables, même si leur sens s’est distendu à l’usage, parce qu’ils conservent étymologiquement une puissance d’évocation sans pareil[61]. Ainsi en est-il du vocable « service public » qui, malgré les assauts et avatars du droit communautaire de la concurrence, a incontestablement gardé toute sa force incantatoire.
En effet, à travers le tableau peint plus haut, la construction communautaire a sans conteste exalté les exigences du marché. Seulement, une ouverture prévue (A), bien que contrôlée et potentiellement restrictive (B), reconnaît ainsi le régime particulier des services publics. Cependant, en raison de l’idée que l’on se fait du service public dans la Communauté, la place et le rôle à lui concédés sont fort critiquables. En réalité, loin d’être perçu comme un obstacle à la construction communautaire, il devrait, à notre avis, être plutôt perçu comme une opportunité pour assurer l’objectif de cohésion et de solidarité sous régionales tant prônées par le préambule du traité de la CEMAC (C).
A - L’ouverture prévue : La reconnaissance exceptionnelle du statut particulier du service public
Il importait que le principe d’égalité de concurrence tienne compte des finalités particulières qui peuvent être assignées aux activités publiques, même lorsque celles-ci présentent un caractère économique. Car, l’inégalité des fins ne saurait s’accommoder à une absolue égalité de moyens[62]. L’article 8 du paragraphe 1 du Règlement n°4/99 tient compte de cette réalité en posant une limite à l’application du droit de la concurrence. En effet, « les entreprises en situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles régissant les pratiques anticoncurrentielles et notamment à celles relatives à l’abus de position dominante, sous réserve de limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique ». L’éviction des règles du marché doit donc être motivée par des « raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique ». Mais alors, quelles sont la signification et la portée de ces notions si vagues ? Leur interprétation par la Cour de Justice de la CEMAC est encore attendue et d’ailleurs souhaitable tant elles laissent planer l’incertitude. Ce qui, pour certains, ne semble pas très inconfortable, car les éléments qui sont une source d’incertitude sont aussi ceux qui, à la fois, assurent la stabilité du système[63].
Toutefois, le droit communautaire constituant un ordre juridique distinct et autonome, avec ses concepts et définitions propres, il est important de se poser la question de la définition et des fonctionnalités du concept d’ordre public dans cet ordre juridique communautaire. Notion générale –pouvant englober la sécurité et la santé publiques-, l’ordre public apparaît quasiment toujours avec ses « deux petites sœurs » jumelles que sont la santé et la sécurité publiques. Ces concepts sont, en réalité, un aménagement, par exception, d’un espace d’expression à la norme nationale. Il s’agit de créer en faveur de la norme nationale un espace de liberté dans l’ordre communautaire : c’est un «ordre public national communautarisé»[64].
Cependant, la difficulté resurgit quant au contenu du concept. L’ordre public exprime un contenu axiologique, c’est-à-dire des valeurs quelques fois subjectives, changeantes, évolutives, bref innombrables, donc peu définissables ne variatur[65]. Sa généralité rend la notion finalement voisine de celle d’intérêt public ou d’intérêt général[66]. L’utilisation de la notion d’« ordre public » pour désigner l’intérêt public ou général ne parait-il pas, dans l’esprit du législateur, correspondre aux missions régaliennes de l’Etat ou à la détention de ce que l’on pourra nommer la véritable « puissance publique » ? C’est sûrement au nom d’une saine concurrence que le législateur communautaire cherche à borner l’Etat dans son rôle de puissance publique et l’oblige à motiver, par l’intérêt général, la mise en place d’un régime dérogatoire au droit commun : un régime administratif.
Si, pris à la lettre, la dérogation prévue à l’article 8 du Règlement n°4/99 s’adresse aux entreprises particulières, notamment les entreprises en situation de monopole qui sont des entreprises publiques ou privées auxquelles l’Etat accorde des droits exclusifs pour exploiter un service public ou pour produire des biens et services, on peut conclure que dans l’hypothèse où l’application des règles de la concurrence fait échec à l’accomplissement de la mission particulière d’intérêt public impartie à ces monopoles de service public, cette application doit être écartée. C’est donc admettre concrètement que l’intérêt du service public justifie une limitation à l’application des règles de la concurrence, à toutes les règles communautaires de la concurrence : c’est la reconnaissance du statut particulier des services publics. L’utilité publique que présentent l’activité et l’incapacité d’être assurée dans les conditions du marché par ces monopoles de service public leur permettent donc de bénéficier d’une immunité. C’est la conciliation, par le législateur communautaire, de deux intérêts : la promotion de la concurrence au niveau communautaire pour réaliser un marché intégré et le souci des Etats de préserver les fonctions d’intérêt général qu’ils exercent par leurs services et dont ils se sentent responsables. Toutefois, cette ouverture en faveur des services publics est à la fois contrôlée et potentiellement restrictive.
B - Une ouverture contrôlée et potentiellement restrictive
L’article 8 du Règlement n°4/99 ne concerne que les situations dans lesquelles les entreprises chargées de la gestion d’un service public adoptent un comportement restrictif de concurrence et cherchent à le justifier en invoquant la nature particulière de leur mission. Une précision s’impose toutefois : cet article vise à moduler plutôt qu’à écarter automatiquement l’application des règles de la concurrence aux monopoles de service public. En effet, l’article 8 précité repose sur une approche fonctionnelle, car l’application du droit de la concurrence n’est écartée que sous la réserve des justifications liées aux missions d’intérêt public dont ils ont été chargés par les Etats. Plus clairement, l’application n’est écartée que si elle empêcherait les monopoles en cause d’accomplir leurs tâches.
La légitimation d’un monopole de service public contraire aux principes du droit communautaire suppose donc la réunion de plusieurs conditions.
D’abord, l’entreprise bénéficiaire de ce monopole doit être chargée par « un acte de puissance publique » d’une mission particulière, notamment d’intérêt public. Ces obligations légales imposées par l’Etat et incombant à cette entreprise peuvent découler d’une loi, d’une réglementation, d’une concession, d’un cahier de charge ou d’une combinaison de ces actes.
Ensuite, les Etats membres ou les monopoles de service public doivent démontrer que l’application des règles de concurrence fait échec à une gestion adéquate du service public. L’application du principe de proportionnalité ressort du libellé même de cet article 8. Grosso modo, ce principe signifie que, lorsqu’un Etat membre invoque un intérêt public pour justifier une dérogation aux règles de concurrence, il doit prouver non seulement que la dérogation permet effectivement d’atteindre l’objectif recherché, mais aussi qu’il ne serait pas possible d’atteindre ce même objectif en utilisant un procédé plus respectueux des lois de l’économie de marché[67].
Ce sont donc ces différentes justifications apportées par les Etats ou par les monopoles de service public qui permettront au Conseil Régional de la Concurrence (CRC) d’accorder l’immunité prévue. Chargé de veiller particulièrement à l’application de l’article 8 du Règlement n°4/99, le CRC pourra adresser, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres, pour les informer qu’une mesure donnée est contraire aux prohibitions édictées à cet article 8 et leur demander d’y mettre fin[68].
Par ailleurs, la dérogation accordée aux services publics peut sembler large dans la mesure où la détermination de l’ « ordre public » ou de l’intérêt public relève de chaque Etat membre. En effet, nul ne peut contester que les Etats disposent d’un pouvoir d’appréciation pour réglementer certaines matières et, par conséquent, d’une marge discrétionnaire pour déterminer le profil de tel ou tel monopole de service public. Toutefois, étant donné que les dispositions de l’article 8 ne constitue qu’une dérogation, dans l’attente d’évolutions jurisprudentielles ou textuelles, tout laisse penser qu’elles seront d’interprétation stricte et que leur application ne pourra être laissée à la discrétion des Etats membres. D’ailleurs, les termes utilisés à l’article 23 (c) paragraphe 2 de la convention de l’UEAC annoncent déjà les couleurs : « ces Règlements (n°4/99 et n°1/99 déjà adoptés) précisent les interdictions (des pratiques anticoncurrentielles) et peuvent prévoir des exceptions limitées… ». Il ne sera donc guère étonnant que, comme la Cour et la Commission européennes, la Cour de justice[69] et la Commission[70] de la CEMAC aient une approche restrictive et privilégient le principe sur l’exception[71].
Si la Communauté s’est engagée à respecter l’identité des Etats membres[72], pour qu’elle s’épanouisse sans trop de tensions déstabilisatrices, il est souhaitable, à notre avis, que l’interprétation et l’application des dispositions de l’article 8 du Règlement n°4/99 se caractérisent par une certaine souplesse de la Cour et de le Commission de la CEMAC, au nom de la grandeur des fins que les services publics poursuivent dans les Etats membres encore sous développés. Car, il ne faut pas oublier que ces services publics ont permis d’asseoir la position des Etats membres dans la vie sociale en leur conférant une certaine légitimité. Il ne faudrait donc pas, en vérité, réduire la notion d’intérêt général en une sorte d’ordre public minimal [73] ! Vivement, que soit incluse une solution « plus compréhensive » pour les services publics. Sinon, il ne resterait plus qu’une « survivance de service public minimum » dans la CEMAC. Ce qui renforcerait l’idée selon laquelle le service public parait comme un obstacle à la construction communautaire. Cette vision ne devrait-elle pas être réellement revisitée ? Les services publics ne pourraient-ils pas jouer un rôle plus noble dans la construction communautaire ?
C - L’importance d’une définition précise des fonctions des services publics dans la Communauté
Potentiellement, l’intégration sous régionale porte en elle-même la remise en cause de la notion même de service public, car le terme « service public » ne figure nullement dans les textes constitutifs de la CEMAC.
D’une part, l’intégration du service public dans le droit communautaire, notamment dérivé, ne se fait pas sur la base de principes clairement établis, mais au travers d’un certain nombre de références indirectes[74]. Elle se fait par une sorte de « politique d’encerclement », le droit communautaire multipliant les points d’ancrage pour saisir le service public[75].
D’autre part, lorsque la notion de service public semble directement appréhendée par le droit communautaire, elle ne l’est que par dérogation au principe de la concurrence.
Facteur de limitation des libertés, et de nature à gêner le libre jeu de la concurrence, le service public doit donc être, sinon supprimé totalement, du moins sérieusement refoulé. Telle est la philosophie du droit communautaire qui considèrerait le service public comme un obstacle à la construction communautaire.
Pourtant, le service public pourrait, à notre sens, jouer un rôle plus noble dans cette entreprise. En effet, il pourrait davantage être perçu comme une opportunité que comme un obstacle dans la construction communautaire. A savoir l’opportunité pour les instances communautaires de fonder une solide source de légitimité dans l’émergence de nouvelles « fonctions collectives », assurées par la Communauté. Car, si le service public est considéré sur le plan national comme vecteur d’un certain nombre de solidarité, de correction des inégalités, d’intégration de la collectivité nationale, de maintien du tissu social, le raisonnement est transposable sur le plan régional. Le service public serait ainsi essentiel pour l’existence d’un consensus social basé sur l’égalité d’accès, la sécurité et la solidarité dans la Communauté. Ceci amène à considérer une autre dimension des services publics. Ainsi, l’intérêt collectif n’est plus seulement local ou national, mais souvent transnational[76] : c’est l’émergence des « services publics sans frontières »[77]. Ainsi le principe de l’utilité publique pourrait être reconnu comme un élément très puissant pour assurer l’objectif de cohésion régionale et de solidarité prônée dans le préambule du traité de la CEMAC.
La Communauté pourrait alors introduire dans ses législations[78] des références aux spécificités des services publics, de manière à définir une approche communautaire claire. Comme on l’a si bien relevé ailleurs, il conviendrait d’avoir une approche plus réaliste de l’institution prenant en considération tant sa dimension « entreprise » (et la nécessaire efficacité de gestion) que son caractère public (et ses fonctions d’intérêt général). Il serait alors possible de la concevoir dans un autre cadre que celui de la seule politique de la concurrence, admettant qu’elle est aussi un instrument de la politique économique[79]. A notre sens, devrait se faire clairement jour, l’idée que la construction communautaire ne se ferait pas contre les Etats et leurs services publics, mais avec eux, et même grâce à eux.
CONCLUSION
Déjà secoué sur le plan interne[80], le service public l’est également, aujourd’hui, sur le plan communautaire. En droit CEMAC de la concurrence notamment, il est pris dans un véritable étau. D’abord, les définitions nationales des services publics et leurs sous catégories ne joueraient qu’un rôle mineur dans l’application du droit communautaire. Ensuite, saisi par le droit communautaire par des références indirectes, assimilé à une entreprise « ordinaire », le service public est soumis au droit commun de la concurrence, sauf dans la mesure exigée par la satisfaction de la mission d’intérêt général. Enfin, la définition et l’étendue de son champ d’application dépendront de la rigueur ou de la souplesse des interprétations faites par les autorités communautaires, des dispositions juridiques communautaires laconiques, succinctes et imprécises[81].
Les services publics apparaissent désormais comme un complément aux lois du marché. Dépouillés de toute idée de supériorité, ils se présentent comme un moyen adéquat destiné à suppléer les défaillances du marché dès lors que celles-ci ne sont plus à même de servir de manière efficiente le bien être de la collectivité[82]. Seulement, comme le souligne sagement le Professeur Charles DEBBASCH, «(s’) il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre la concurrence et le service public. Il faut (cependant) trouver un point d’équilibre entre les deux, sans consacrer pour autant une solution établissant un service public minimaliste (trop de concurrence tue la concurrence)»[83].
[1]Voir Maurice KAMTO, «La participation des personnes morales de droit public à l’arbitrage OHADA», in l’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, Bruylant, Bruxelles, 2000, pp.89-100 ; Célestin KEUTCHA TCHAPNGA, «Le doit public camerounais à l’épreuve du droit communautaire de l’UDEAC/CEMAC : l’exemple du contrôle de la profession d’expert-comptable et de comptable agrée», Revue Africaine de Droit International et Comparé (RADIC), 1999, pp.474-491 ; Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, «Droit communautaire d’Afrique centrale et Constitutions des Etats membres : la querelle de primauté», Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang, Tome 13, 2009, pp.109-134 ; Marien Ludovic NDIFFO KEMETIO, L’influence du droit communautaire de la CEMAC sur le droit administratif camerounais, Mémoire de DEA, Université de Dschang - Cameroun, Février 2008, 120 p.
[2]Signé le 16 mars 1994, entré en vigueur en juin 1999, le traité de la CEMAC a été révisé le 30 janvier 2009.
[3]Modifié par le Règlement n°12/05-UEAC-639 U-CM du 25 juin 2005.
[4]Tous ces textes sont disponibles sur le site Internet de la CEMAC (www.izf.net) et commentés par Yvette KALIEU et Rolande S. KEUGONG WATCHO dans les Juridis Périodique (J.P.), Avril-Mai-Juin 2003, pp. 95-101 et n° 80, Octobre-Novembre-Décembre 2009, pp.107-114.
[5]Pour une étude suffisamment détaillée de ce droit, voir Abou Saïb COULIBALY, «Le droit de la concurrence de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine», Revue Burkinabé de Droit, n°43-44, 1er et 2ème semestre 2003, OHADATA, D-05-27.
[6]Les règles communautaires européennes en droit de la concurrence ont été établies surtout par le traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté Economique Européenne (CEE) et le traité de Maastricht du 07 février 1992 sur l’Union Européenne (UE). Ce dernier traité qui reprend, pour l’essentiel, les règles posées par le traité de Rome opère un changement de numéros des anciens articles de ce dernier consacrés à la concurrence. Ainsi, l’ancien article 37 (ex article 37) consacré aux monopoles nationaux devient le nouvel article 31 du traité UE ; l’ancien article 86 portant sur les abus de position dominante est devenu l’article 82 du traité UE ; l’ancien article 85 traitant des ententes est devenu l’article 81 du traité UE ; l’ancien article 90 sur les entreprises publiques devient l’article 86 du traité UE ; les anciens articles 92,93 et 94 consacrés aux aides d’Etats deviennent respectivement les articles 87,88 et 89 du traité UE.
[7]Yves SERRA, Le droit français de la concurrence, Paris, Dalloz, 1993, p.9.
[8]Pour une étude de ce droit voir Edouard GNIMPIEBA TONNANG, Droit matériel et intégration régionale en Afrique centrale : contribution à l’étude des mutations du droit communautaire CEMAC, Thèse en droit communautaire, droit appliqué de l’Economie et du Financement du développement, Institut du Droit, de la Paix et du Développement, Université de Nice – Sophia Antipolis, 2004, 474p. ; René NJEUFACK TEMGWA, la protection de la concurrence dans la CEMAC, Thèse Droit, Université de Dschang, Décembre 2005, 379 p., notamment pp.14-16 ; Samuel Jacques PRISO-ESSAWE, «L’émergence d’un droit communautaire africain de la concurrence : double variation sur une partition européenne», Revue Internationale de Droit Comparé (R.I.D.C.), n°2, Avril-Juin 2004, pp.329 et s. ; Yvette KALIEU et Rolande S. KEUGONG WATCHO, op. cit. ; Sara NANDJIP MONEYANG, «Les concentrations d’entreprises en droit interne et en droit communautaire CEMAC», Juridis Périodique, n°73, Janvier – Février – Mars 2008, pp.65-79.
[9]Pour une étude des répercussions du droit de la CEMAC sur le droit public national, l’on consultera, entres autres, Célestin KEUTCHA TCHAPNGA, «Le droit public…», article précité, pp.474-491 ; Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, article précité; Marien Ludovic NDIFFO KEMETIO, Mémoire de DEA précité.
[10]Jürgen SCHWARZE, Le droit administratif sous l’influence de l’Europe, Bruylant, Bruxelles, 1994, 845 p., p.791.
[11]C’est l’approche matérielle du service public qui s’attache plus à l’activité accomplie. Elle prévaut d’ailleurs dans sa définition contemporaine et retiendra par conséquent notre attention dans cette étude.
[12]La question s’insère dans la problématique plus générale des rapports plus ou moins heurtés entre l’Etat et le marché. V. J.P. HENRY, « La fin du rêve prométhéen ? L’Etat contre le marché », RDP, 1991, pp.631-643 ; B. BELLON, G. CAIRE, L. CARTELLIER, J.P. FAUGERE, C. VOISIN (Coordonné par), L’Etat et le marché, Paris, Economica, 1994, 243p. ; P. BAUBY et J.C. BOUAL, « Les services publics entre l’Etat et le marché », in B.BELLON et autres, ouvrage précité, pp.133-143.
[13]V. art.13 de la Convention de l’UEAC.
[14]V. Bruno De WITTE, «L’encadrement communautaire des services publics : le chevauchement des notions d’Etat et d’entreprise», in Gérard MARCOU (Sous la direction de), Les mutations du droit de l’administration en Europe : pluralisme et convergence, Paris, l’Harmattan, 1995, pp.295-314.
[15]Ibidem, p.296.
[16]V. B. de la première partie de la présente étude.
[17]S. POILLOT PERUZZETTO, « Ordre public et droit communautaire », Dalloz Sirey (D.S.), 1993, pp.177-182 notamment p. 177.
[18]Ce d’autant plus que, ainsi que nous l’avons déjà relevé, le droit de la CEMAC s’inspire fortement du droit européen.
[19]CJCE, 9 Septembre 1999, aff. C-108/98, RI. SAN Srl c/ Commune d’Ishia. A ce sujet, voir aussi le livre vert de la Commission européenne adopté le 26 novembre 1996.
[20]V. René CHAPUS, Droit administratif général, tome1, 13ème édition, Paris, Montchrestien, 1999, p. 553.
[21]CJCE, 23 avril 1991, aff 41/90, Höfner, Rec., 1991, p. 1979 ; CJCE, 17 février 1993, aff 159 et 160/91, Poucet, Rec, 1993, p. 637 ; CJCE, 19 janvier 1994, aff 364/92, Sav. Eurocontrol, Rec, 1994.
[22]Commentaire J. MEGRET, Le droit de la CE, la concurrence, 2e éd. Etudes Européennes, 1997, 1098 pages, p. 35.
[23]Commission européenne, Directive n°80/723 du 25 juin 1980.
[24]Il ne faut cependant pas perdre de vue que les entités économiques sans personnalité juridique distincte de l’Etat et intégrées à l’administration publique, dès lors qu’elles exercent une activité économique, peuvent être qualifiées d’entreprises publiques. Ce fut pendant longtemps le cas des administrations nationales de télécommunication avant leur privatisation à la fin des années quatre vingt dix, c’est encore le cas des services postaux dans tous les Etats membres.
[25]C.J.C.E, aff. n°41/90, Klauss Höfner et Fritz Elser, 23 avril 1991, Rec.
[26]C.J.C.E, aff. n°118/85, Commission c/ Italie, 16 juin 1987, Rec., p. 2599.
[27]L’absence de personnalité morale ne s’oppose donc pas à la qualité d’entreprise publique ; CJCE, aff. n°69/91, Decoster, 27 octobre 1993, Rec. 1993.
[28]C.J.C.E, aff. n°89-104-114-117-125 et 129/85, Ahlstöm Oiakeytiö, 27 septembre 1988, Rec., p. 5193, note n° 811, p. 244.
[29]C.J.C.E, aff. n°364/92, SAT, 19 janvier 1994, Rec., p. 60.
[30]C.J.C.E, Aff. jointes C-159/91 et C-160/91, Christian Poucet c/ AGF et Camulrac et Daniel Pistre c/ Cancava, 17 février 1993, Rec. 1993, p. I-637 ; même si le caractère social d’une activité n’est pas, par lui seul susceptible de la faire échapper à la qualification d’entreprise (C.J.C.E, aff. T-106/95, Fédération française des sociétés d’assurances, 27 février 1997, Rec., p. II-229). De même, dans un arrêt de janvier 1994, le juge européen a décidé qu’une organisation internationale chargée du contrôle du trafic aérien n’était pas “une entrepris” au sens du droit communautaire de la concurrence – C.J.C.E, Aff. C-364/92, Eurocontrol, Rec. 1994, p. I-43.
[31]Directive n°80/723/CEE de la Commission européenne du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les Etats et les entreprises publiques. Cette influence est présumée lorsque par rapport aux pouvoirs publics les conditions suivantes sont réunies :
- ils détiennent la majorité du capital souscrit,
- disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l’entreprise ou
- peuvent désigner plus de la moitié des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de l’entreprise.
[32]Et à la doctrine d’admettre notamment que dans le cas des entreprises publiques, «le postulat de l’exercice indépendant de l’activité d’entreprise est (…) mis en échec» - cf. ASSIS de ALMEIDA (J.-G), La notion d’entreprise publique en droit communautaire de la concurrence, Thèse ss. Dir. GAUDEMET-TALLON (H), Paris II, 1994, p. 4. Aussi : DEBENE (M), Entreprises publiques et marché unique. Entre assimilation et suspicion, A.J.D.A, 1992, p. 243 ; LOPEZ MUÑIZ (M), Indiferencia de la forma juridica para el concepto de empresa pública, Noticias C.E.E, 1988, p. 163.
[33]Article 86§3 Traité CE (ex-article 90§3).
[34]Relevons que le droit communautaire européen ne tient pas compte des définitions internes de l’entreprise publique. En effet, la diversité des situations nationales le conduit à faire prévaloir la définition communautaire construite sur la base le l’article 86§3 du traité CE qui reprend la définition proposée par la Directive n°80/723/CEE de la Commission européenne du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les Etats et les entreprises publiques.
[35]Pour plus de précision sur les notions de concession et de délégation de service public, cf. KEUTCHA TCHAPNGA (C), L’autorisation tacite, cinq ans après sa consécration en droit positif camerounais, R.J.P.I.C n°3, septembre-décembre 1997, n°3, Paris, pp. 320-336.
[36]CJCE, 23 Avril 1991, Aff. Höfner, p. 1979.
[37]Arrêt Höfner précité.
[38]Bruno De WITTE, «L’encadrement communautaire des services publics : le chevauchement des notions d’Etat et d’entreprise», in G. MARCOU, ouvrage précité, p. 305. La doctrine utilise de plus en plus l’expression «services publics marchands» pour désigner indistinctement, en droit de la concurrence, ces deux grandes catégories de services publics.
[39]Henri OBERDORFF, « Des incidences de l’Union européenne et des Communautés européennes sur le système administratif français », RDP, pp.25-49, p.43.
[40]Conseil d’Etat, Droit communautaire et droit français, la Documentation française, 1982, p.232.
[41]Cette interrogation est importante, car la notion de service public ne figure nullement dans les textes constitutifs de la CEMAC.
[42]Il doit respecter la politique d’encadrement des aides étatiques (voir art.2-7 du Règlement n°4/99) ; et les règles régissant les marchés publics (voir art.11-18 du Règlement n°4/99).
[43]V. par exemple en droit camerounais, la loi n°98/13 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence ; voir surtout, M. NJAMPOU JAMPA, Le renouveau du droit camerounais de concurrence, Mémoire de Maîtrise, FSJP/UDs, 2002, 64p. Il faut noter que les législations nationales de la concurrence ne sont pas abrogées avec l’émergence du droit communautaire. Ce dernier qui est un ordre juridique autonome se superpose sur celui-là et, s’appuyant sur des principes cardinaux de primauté et d’effet direct, prévaut sur les droits nationaux. Cette coexistence ne manquerait pas, en tout cas, de poser des problèmes de compatibilité avec le droit national maintenu.
[44]Francis HAMON, « Les monopoles de services publics français face au droit communautaire : le cas d’EDF et GDF », Recueil Dalloz Sirey, 1993, pp.91-96, p.91.
[45]Pour une étude de ces pratiques, V. notamment, R. NJEUFACK TEMGWA, Thèse précitée ; E. GNIMPIEBA TONNANG, Thèse précitée ; du même auteur, « Recherches sur le nouvel encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des entreprises en Afrique centrale », J.P. n°68, Octobre - Décembre 2006, pp.150-173 ; S.-J. PRISO ESSAWE, « L’émergence d’un droit communautaire africain de la concurrence : ‘’double variation sur une partition européenne », Revue Internationale de Droit Comparé (RIDC), n°2, Avril-Juin 2004, pp.329 et s ; Y.R. KALIEU, R.S. KEUGONG, article précité.
[46]Paragraphe 4 de l’article 8 précité.
[47]Article 14, Paragraphe 4 du Règlement n°17/99/CEMAC-020-CM-03 du 17 décembre 1999 relatif à la Charte des investissements de la CEMAC.
[48]Le Professeur Gérard MARCOU les qualifie à juste titre d’ « autorités administratives indépendantes ». Pour d’amples informations, cf. son ouvrage précité, pp. 76 et s.
[49]L’Etat camerounais, par exemple s’est engagé, ces dernières années, dans une multiplication sans cesse croissante d’Agences de régulation dans des secteurs d’activités, notamment les postes, télécommunications, électricité (cf. respectivement, la loi n°2006/019 du 29 décembre 2006 régissant l’activité postale au Cameroun modifiant la loi n°99/002 du 07 avril 1999 ; le décret n°98/197 du 08 septembre 1998 portant organisation et fonctionnement de l’Agence de régulation des Télécommunications ; loi n°98/002 du 24 décembre 1998 régissant le secteur de l’électricité.
[50]Ainsi, une pratique qui touche sensiblement une ville comme Douala et ses environs doit nécessairement relever du droit communautaire, a-t-on ajouté. V. Y.R.KALIEU et R.S.KEUGONG, article précité, p. 93.
[51]C. BARBIER, « L’usager est-il devenu le client du service public ? », La semaine juridique (JCP), n° 3, 1995, pp. 31-35, p. 32.
[52]V. Préambule de la Convention de l’Union Economique de l’Afrique Centrale.
[53]Pour d’amples informations sur le socle libéral de la CEMAC, lire Marien Ludovic NDIFFO KEMETIO, Mémoire précitée, pp.30 et s.
[54]V. Maurice KAMTO, « Mondialisation et droit », in L’Afrique face aux défis de la mondialisation, Actes du colloque préparatoire à la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement d’Afrique et de France, Vol.6, Yaoundé, 2000, pp.96-101, p.86.
[55]Il a été rendu le 22 janvier 1921 par le Tribunal des Conflits (in Rec. P.91 – D. 1921. 3. 1, conclusion MATTER). L’idée générale de cette jurisprudence être ainsi résumée : parce que les services publics industriels et commerciaux fonctionnent dans des conditions analogues à celles des entreprises des particuliers, ils doivent être en principe soumis au droit privé : « Considérant qu’en effectuant, moyennant rémunération, des opérations de passage d’une rive à l’autre la Colonie exploite un service de transports dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire… ». Pour une étude de cet arrêt, voir Alain Serge MESCHERIAKOFF, « L’arrêt du Bac d’Eloka. Légende et réalité d’une gestion privée de la puissance publique », RDP, 1988, pp.1059 et s.
[56]V. François LLORENS, Pierre SOLER – COUTEAUX, « La soumission des personnes publiques au droit de la concurrence », Recueil Dalloz, Sirey, 1989, pp.67-76, p.68.
[57] Ibidem.
[58]V. François LLORENS, Pierre SOLER-COUTEAUX, op. cit, p.68 ; Alain Serge MESCHERIAKOFF, « Le droit applicable aux interventions économiques de l’Etat », Revue Concurrence Consommation, n°96, Mars-Avril 1997, pp.40-43, p.41 ; Eric DELACOUR, « La concurrence des personnes publiques aux entreprises privées », Gazette du Palais,1997, pp.2-7, p.5.
[59]V. Michel BAZEX, « Le droit public économique », RFDA, Juillet - Août, 1998, pp.781-800, p.781.
[60]P. BAUBY et J. C. BOUAL, « Les services publics entre l’Etat et le marché », B.BELLON et autres, ouvrage précité, p.141.
[61]B. JEANNEAU, « Du service de l’Etat au service public », Projet, n°220, Décembre 1989, pp 10-13, p. 10.
[62]Georges ECKERT, « L’égalité des opérateurs publics et privés sur le marché », in Gouverner, administrer, juger, Mélanges Jean WALINE, Dalloz, 2002, pp.207-221, p.219.
[63]Gérard MARCOU, « Intégration juridique et logiques nationales », in Gérard MARCOU (Sous la direction de), Les mutations du droit de l’administration en Europe : pluralisme et convergence, Paris, l’Harmattan, 1995, p.17.
[64]Sylvianne POILLOT PERUZZETO, op. cit., p.180; Georges KYRADIS, « L’ordre public dans l’ordre juridique communautaire », Revue Trimestrielle de Droit Européen (RTDE), Janvier - Mars 2002, pp.1-26, p.2.
[65]C. VIMBERT, «L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RDP, 1994, p.701.
[66]S. POILLOT PERUZZETTO, « Ordre public et droit communautaire », article précité, p. 180. A titre de droit comparé, la rigueur des règles de la concurrence ( articles 85, 86 et 90(1) du Traité des Communautés européennes ) est quelque peu tempérée par le deuxième alinéa de l’article 90 qui revêt une grande importance pour les services publics : « Les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt économique général (…) sont soumises aux règles du présent Traité ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie… » . Sur la très abondante littérature consacrée à l’épineuse question des relations entre le service public et le droit de la concurrence, voir, entre autres, Nicole BELLOUBET-FRIER, « Service public et droit communautaire », AJDA, 1994, pp.270 et s. ; Luc GYSELEN, « Service public », Répertoire Communautaire Dalloz, 1998, pp.1-28 ; LYON-CAEN, « Les services publics et l’Europe : quelle union », AJDA, 1997, pp.36 et s. ; B. THIERRY, J. VANDAMME (Sous la direction de), Les entreprises publiques dans l’Union européenne : entre concurrence et intérêt générale, A. Pedone, Paris, 1995, 173p. ; P. BAUBY, J.C. BOUAL, article précité ; J.P. COLSON, Droit public économique, Paris, LGDJ, 1995, 449p. ; Charles DEBBASCH, Droit administratif, 6e éd., Paris, Economica, 883p. , pp.436 et s.
[67]Francis HAMON, « Les monopoles de services publics français face au droit communautaire : le cas d’EDF et GDF », Recueil Dalloz Sirey, 1993, pp.91-96, p.92.
[68]Article 9 du Règlement n°4/99. Ces monopoles auraient d’ailleurs du être notifiés au CRC par les Etats membres depuis 2000 (v. art.19 du Règlement n°4/99).
[69]Son pouvoir est fondé à l’article 4 de la Convention la régissant.
[70]La Commission qui a remplacé le Secrétariat Exécutif depuis 2007 tient son pouvoir de l’article 25 de la Convention de l’UEAC.
[71]Pour d’amples informations, V. L. GYSELEN, « Service public », Répertoire Communautaire Dalloz, Septembre 1998, pp 1-28.
[72]V. Paragraphe 5 du préambule du traité constitutif de la CEMAC.
[73]V. Marc DEBENE, « Entreprises publiques et marché unique », AJDA, 1992, pp.243-252, p.252.
[74]Notamment les termes tels que « personne physique ou morale du secteur public » ; « ordre public ».
[75]Stéphane RODRIGUES, « Prospective du service public en Europe », in L’Europe à l’épreuve de l’intérêt général, in C. STOFFAES, Collection I.S.U.P.E., éd. ASPE, Europe, 1994, pp. 335-380, p. 369.
[76]La suppression des frontières nationales envisagée dans la CEMAC conforte d’ailleurs cette idée.
[77]L’expression est de Alain JACQUEMIN, « Compétitivité et intérêt général », in C. STOFFAES (sous la direction de), L’Europe à l’épreuve de l’intérêt général, , Collection ISUPE, éd. ASPE Europe, 1994, pp. 324-332, p.321.
[78]On pourrait l’introduire par exemple dans le cadre des règles du marché commun prévues aux articles 13 et suivants de la convention de l’UEAC. De la sorte, le service public serait élevé au rang de principe tout comme la libre concurrence. Cette vision n’est pas totalement exclue des prévisions des chefs d’Etats de la sous région puisqu’ils ont décidé dans la Déclaration de Malabo de 1999 de « l’interconnexion des réseaux électriques (qui) sera encouragé là ou elle s’avère possible et rentable, notamment entre le nord du Cameroun et le Tchad ». V. page 5 de la Déclaration disponible sur le site Internet de la CEMAC précité. Voir, en Europe, les propositions faites par Stéphane RODRIGUES, in « Comment intégrer les principes du service public dans le droit positif communautaire (quelques propositions) », RFDA, 1995, pp.35 et s.
[79]Marc DEBENE, « Entreprises publiques et marché unique, entre assimilation et suspicion », AJDA, 1992, pp.243-252, p.252. Le Chapitre 1, Section 1 du Titre II (intitulée Les actions de l’Union Economique) de la convention de l’UEAC, introduit fort opportunément l’idée de politique économique générale.
[80]Il faut se souvenir de la politique de privatisation des entreprises publiques menée dans le monde, particulièrement en Afrique subsaharienne depuis les années quatre vingt. Pour d’amples précisions, voir, entres autres, Jean Du Bois De GAUDUSSON, « Crise de l’Etat interventionniste et libéralisation de l’économie en Afrique », RJPIC, 1984, pp.1-11 ; Jean-Pierre PETIT, « La privatisation des services publics dans le monde », Problèmes Economiques, n°2578, 1998, pp.15-20 ; Célestin KEUTCHA TCHAPNGA, « Désétatisation et nouvelles configurations du pouvoir en Afrique subsaharienne », Afrique Juridique et Politique, La revue du CERDIP, Vol.3, n°5, Janvier- Juin 2007, pp.35-77, pp.67-70.
[81]Tout comme la Commission, la Cour de justice de la CEMAC aura un rôle essentiel à jouer. Le droit européen de la concurrence, par exemple, a donné lieu à une abondante jurisprudence. Le droit CEMAC de la concurrence, par les caractères vague et succinct de ses dispositions, laisse présager la nécessité d’une intervention jurisprudentielle. Le juge communautaire africain pourra ainsi être le principal révélateur de toute la richesse (cachée ?) du droit communautaire de la concurrence.
[82]Dominique BERLIN, « Droit communautaire et régimes exorbitants du droit commun », AJDA, 1996, pp.39-54, p.54.
[83]Charles DEBBASCH, Droit administratif, 6e éd., Paris, Economica, 883p. , p.437.