Par un jugement en date du 11 mai 2017, le tableau d’avancement au grade de brigadier de police 2015 et vingt-deux arrêtés de nomination de policiers à ce grade ont été annulés (1).
Le tableau d’avancement des personnels de police est élaboré chaque année suivant la procédure prévue pour les fonctionnaires de l’Etat à l’article 58 de la loi du 11 janvier 1984.
En théorie, la confection de ces tableaux doit être la plus objective possible et refléter la valeur professionnelle des fonctionnaires qui y sont inscrits.
La sélection des agents s’opère d’abord dans les commissions administratives paritaires interdépartementales puis, ensuite, après l’avis de la commission administrative paritaire nationale.
Il reste que, la pratique du ministère de l’intérieur s’éloigne souvent de l’objectivité théorique quant au choix des personnels figurant au tableau.
La sélection opérée pour l’inscription au tableau ne reflète pas toujours les mérites des personnels : certains bénéficiant d’un traitement de faveur qui viole directement le principe d’égalité des fonctionnaires devant la loi.
La promotion au grade de brigadier de police 2015 illustre ce travers déjà dénoncé (cf. « les tableaux d’avancement sont-ils toujours établis avec impartialité »).
Un gardien de la paix avait contesté sa non inscription au tableau d’avancement au grade de brigadier de police en considérant que ses mérites étaient supérieurs à certains de ses collègues bénéficiant pourtant d’une promotion
Pour apprécier la validité du tableau d’avancement contesté le juge opère une comparaison des mérites propres des gardiens de la paix promus avec ceux du policier qui n’a pas été inscrit au tableau.
Au point 6 du jugement, le tribunal prend en considération les notations obtenues les trois dernières années d’exercice des fonctions et l’ancienneté dans les affectations dans des secteurs et des unités d’encadrement prioritaires. Il constate que, sur tous ces points, la valeur du policier requérant était supérieure à trois de ses collègues inscrits complaisamment au tableau d’avancement.
Il en conclut que la confection de ce tableau d’avancement par le ministre de l’intérieur est entachée d’une erreur grossière, ce qui, en termes juridiques, se traduit par l’expression : « erreur manifeste d’appréciation ».
Le tableau d’avancement une fois annulé, le tribunal avait également à examiner le sort à réserver aux nominations des vingt-deux gardiens de la paix devenus brigadiers.
En effet, le requérant avait non seulement contesté le tableau d’avancement mais encore les décisions individuelles de nomination au grade de brigadier de certains de ses collègues.
Le régime juridique du tableau d’avancement et des décisions de nomination mérite ici d’être précisé.
Le tableau d’avancement présente la particularité de n’être ni un acte individuel, ni un acte réglementaire mais de relever de la catégorie particulière des actes collectifs. En fait, il convient de considérer le tableau d’avancement comme constitué d’une collection d’actes individuels solidaires les uns des autres.
C’est la raison pour laquelle l’arrêté qui porte tableau d’avancement présente un caractère indivisible, c’est-à -dire, qu’au contentieux, on ne peut jamais en demander l’annulation partielle (2).
Lorsqu’on attaque un tableau d’avancement on ne peut le faire que dans son intégralité.
Contrairement à ce que l’intuition pourrait suggérer, l’annulation d’un tableau d’avancement n’entraîne pas non plus automatiquement l’annulation des décisions de promotion qui en sont issues.
En effet, les décisions de nomination sont considérées juridiquement comme des actes individuels distincts du tableau d’avancement. Les décisions individuelles de nomination sont également créatrices de droit.
Leur régime juridique impose donc que les décisions de nomination soient attaquées distinctement du tableau d’avancement dans le délai de recours contentieux.
Au cas particulier, le fait que les décisions de promotion aient été contestées dans le délai du recours contentieux a permis au requérant de critiquer ces nominations par la voie de l’exception d’illégalité du tableau d’avancement.
Le tribunal le souligne au point 8 du jugement :
« Le moyen tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité de ce tableau doit être accueilli à l’encontre des mesures individuelles de nomination intervenues en exécution de ce tableau qui ont été contestées dans le délai du recours contentieux » Â
L’exception d’illégalité est ce moyen juridique qui permet au requérant d’exciper de l’illégalité d’un acte administratif au motif de l’illégalité d’un autre acte administratif réglementaire, collectif, ou individuel dont il est la conséquence.
Dans le jugement commenté, le tribunal administratif de Paris tire donc la conséquence de l’annulation du tableau d’avancement au grade de brigadier de police pour annuler l’ensemble des décisions individuelles de nomination attaquées.
La portée du jugement est considérable.
L’administration du ministère de l’intérieur, laquelle doit tirer les conséquences de l’annulation du tableau d’avancement, est tenue de reconsidérer les mérites des gardiens de la paix pour l’année 2015 en prenant en considération les motifs de l’annulation qui sont indiqués au point 6 du jugement.
Les arrêtés de nomination étant annulés rétroactivement, la carrière des vingt-deux policiers dont la promotion a été annulée est suspendue à la révision de leur carrière qui résultera des effets du nouveau tableau d’avancement. Cette révision pouvant entraîner des effets négatifs sur leur carrière (3) (4).
Quant au requérant lésé, compte-tenu des énonciations du jugement relatives à la situation de trois fonctionnaires qui ne méritaient pas de figurer au tableau et dont la nomination a été annulée, il a toutes les chances de bénéficier, grâce au nouveau tableau, d’une nomination rétroactive dans le grade de brigadier de police.  Â
Jean-Yves TRENNECÂ Â
Notes :
- TA de Paris, 11 mai 2017 req. n°1511371 http://www.scp-arents-trennec.com/?p=1426.
- CE, 27 avril 2011 req. n°326936.
- CE, Ass. 5 juin 1970, Sieur Puisoye Rec.p.385.
- CE, 25 mai 1979 Secrétaire d’Etat aux universités c/ Mme Toledano-Abitbol, Rec. p 228.Â