L’annulation par le juge administratif d’un tableau d’avancement entraîne des conséquences qui relèvent à la fois des règles générales concernant l’exécution d’une décision juridictionnelle (I) et des règles propres à l’objet juridique particulier que constitue un tableau d’avancement (II).
I D’une façon générale, L’annulation par le juge d’une décision administrative oblige l’administration à statuer à nouveau en purgeant l’acte annulé des vices qu’il contenait.
Ainsi, un acte annulé par le juge pour un vice de forme ou de procédure devra être corrigé par l’administration qui, en refaisant l’acte, lui appliquera la forme correcte et la procédure adéquate. Par exemple, dans l’hypothèse où le juge aura relevé une insuffisance de motivation de l’acte annulé, il appartiendra à l’administration de reprendre l’acte en l’assortissant des considérations de droit et de fait suffisantes. Dans le même esprit, au cas où le juge aura considéré la procédure comme irrégulière faute de consultation d’un organe consultatif, l’administration devra, préalablement à l’édiction de la nouvelle décision, reprendre la procédure en consultant régulièrement l’organe ignoré précédemment.
Lorsqu’un acte administratif est annulé pour un motif de fond, il appartient alors à l’administration de prendre attentivement connaissance des motifs de la décision juridictionnelle et d’édicter un nouvel acte en substituant au motif censuré un motif valable.
Ainsi, dans le cas d’un refus opposé à un administré, l’annulation de cette décision par le juge pourra se traduire par une décision qui donnera satisfaction au requérant.
Cette solution n’est cependant pas systématique, l’administration pouvant aussi bien, après avoir réexaminé la demande, reprendre une nouvelle décision de refus en s’appuyant cette fois sur un nouveau motif juridique (CE, 24 janvier 2007 req. n°288153).
Les cas de figure d’exécution d’une décision juridictionnelle illustrés ci-dessus sont relativement simples, la matière des tableaux d’avancement présente des situations plus délicates à gérer pour l’administration.
II L’annulation d’un arrêté de tableau d’avancement présente en matière d’exécution de la chose jugée les mêmes contraintes que celles qui s’imposent pour un acte administratif ordinaire mais recèle aussi de ce point de vue des particularités qui lui confère une certaine originalité.
Les caractéristiques d’un tableau d’avancement méritent d’être rappelées car elles sont complexes.
Le tableau d’avancement est d’abord un acte mixte, ni individuel ni réglementaire dont l’objet est de classer par ordre de mérite des fonctionnaires ayant vocation à accéder à un grade supérieur. L’arrêté portant tableau d’avancement n’est pas un acte qui se suffit à lui-même, il est suivi d’arrêtés individuels relatifs aux agents qui sont nommés dans l’ordre du tableau au grade de promotion.
Le tableau d’avancement a également pour trait distinctif d’être un acte indivisible, ce qui a pour conséquence importante, qu’un agent ne peut attaquer un tableau d’avancement seulement en tant qu’il n’y figure pas, il doit déférer au juge administratif l’ensemble du tableau, sous peine de voir son recours contentieux frappé d’irrecevabilité (CE, 27 avril 2011 req.n°326936).
Ces caractéristiques se traduisent par des contraintes différenciées pour l’administration dans la phase d’exécution du jugement d’annulation d’un tableau d’avancement.
Lorsque l’annulation d’un tableau d’avancement résulte d’un motif de forme et de procédure, l’administration aura seulement l’obligation, comme de façon générale, de procéder à la réfection du tableau d’avancement en respectant les éléments de légalité externe nécessaires à sa confection. Cette exécution de la décision d’annulation n’aura aucune portée sur la liste des bénéficiaires de l’avancement qui sera reconduite dans le nouveau tableau. L’annulation du tableau d’avancement pour un motif de légalité externe n’aura provoqué aucun préjudice pour les fonctionnaires promus.
Les obligations de l’administration seront en revanche d’inégale intensité dans l’hypothèse d’une annulation du tableau d’avancement sur le fond.
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Si l’on veut obliger l’administration à confectionner un nouveau tableau d’avancement en modifiant la liste des bénéficiaires, il convient non seulement de déférer l’arrêté de tableau d’avancement au juge de l’excès de pouvoir mais il faut contester aussi dans le même temps les arrêtés individuels de nomination des fonctionnaires inscrits au tableau.
En effet, les arrêtés de promotion au grade supérieur sont des décisions individuelles qui confèrent des droits acquis à leurs bénéficiaires s’ils ne sont pas contestés dans le délai du recours contentieux.
Autrement dit les fonctionnaires promus se trouvent protégés par leur arrêté de nomination qui est autonome par rapport à l’arrêté de tableau d’avancement.
L’annulation d’un tableau d’avancement par le juge sans que les arrêtés individuels aient été attaqués doit dès lors être assimilé à un coup d’épée dans l’eau puisqu’il permet à l’administration de s’affranchir de toute obligation de refaire un tableau d’avancement en invoquant le fait que les arrêtés de nomination des fonctionnaires figurant au tableau annulé sont devenus définitifs.
Le requérant pense ainsi avoir triomphé en obtenant une annulation juridictionnelle alors qu’en réalité, celle-ci s’avèrera dépourvue d’effets concrets.
A l’inverse, dans l’hypothèse où le tableau d’avancement et les décisions individuelles de nomination auront fait l’objet d’un recours commun, alors l’annulation de l’arrêté portant tableau d’avancement entraînera ipso facto, l’annulation par voie de conséquence de l’ensemble des arrêtés de nomination critiqués et obligera l’administration à préparer un nouveau tableau.
Dans cet exercice, l’administration devra réexaminer la situation des fonctionnaires dont les arrêtés de nomination ont été annulés et les réinscrire sur le nouveau tableau d’avancement si leurs mérites le justifie.
Pour décider du choix des fonctionnaires méritant de figurer à nouveau au tableau d’avancement, il appartiendra à l’administration d’apprécier leurs chances d’avancement comparativement avec les autres fonctionnaires. Elle sera guidée dans ce choix par les éléments de notation qui sont les critères les mieux à même de traduire la manière de servir des fonctionnaires justifiant d’être promus.
Le refus de l’administration d’élaborer un nouveau tableau d’avancement en y inscrivant les fonctionnaires les mieux notés est censuré par la juridiction administrative (TA de Paris 8 février 2022 req. n°2001223).
On aura compris au regard de ces brèves observations que les conséquences de l’annulation d’un tableau d’avancement sont étroitement dépendantes de la qualité du recours contentieux qui aura été introduit : la marge de manœuvre de l’administration dans l’exécution de la décision juridictionnelle d’annulation dépendant ici du point de savoir si l’annulation concerne le seul arrêté du tableau d’avancement ou concerne également les arrêtés individuels qui procèdent du tableau.
En outre, les fonctionnaires dont la promotion aura été annulée, ne doivent pas pour autant désespérer, puisque l’administration a l’obligation de reconstituer rétroactivement leur carrière en les faisant figurer sur le nouveau tableau si leurs mérites sont avérés.
Jean-Yves TRENNEC.