Barrages, destructions : Comment réparer les dommages subis par les commerçants ?

Publié le 10/12/2018 Vu 2 566 fois 0
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Les commerçants n'étant pas assurés intégralement disposent, après les dégradations qui ont parfois suivi le mouvement des "gilets jaunes", de voies de recours pour se faire indemniser. Nous passons en revue les solutions qui s'offrent à eux.

Les commerçants n'étant pas assurés intégralement disposent, après les dégradations qui ont parfois suiv

Barrages, destructions :  Comment réparer les dommages subis par les commerçants ?

Barrages, destructions :

 Comment réparer les dommages subis par les commerçants ?

Dans le sillage de l’action des « gilets jaunes » de nombreuses surfaces d’alimentation ainsi que des centrales d’approvisionnement ont été bloquées par les manifestants. Ces barrages ont eu pour conséquence une diminution de la fréquentation des commerces et, par suite, une perte de chiffre d’affaires. Les commerçants ont parfois été victimes de pillages et de destruction sur l’ensemble du territoire national.

Les recours contentieux dont disposent les responsables de magasins en vue d’être indemnisés peuvent être dirigés soit contre l’Etat ou les collectivités locales devant la juridiction administrative (I), soit contre les manifestants, personnes physiques, devant les tribunaux judiciaires (II).

I Les activités de police sont de nature à engager la responsabilité de l’Etat ou des collectivités locales en démontrant l’existence d’une faute simple (a). Un régime de responsabilité sans faute, pour risque social permet également de rechercher la responsabilité de l’Etat (b).

I a) En dehors des communes où la police a été étatisée, le responsable de la police est le maire pour le territoire communal et le préfet pour la police générale concernant le territoire de plusieurs communes.

L’activité de maintien de l’ordre, lorsqu’elle se révèle défaillante peut engager la responsabilité de l’Etat ou de la commune sur le terrain de la faute simple.

La faute simple est requise dès lors que l’on considère que cette activité de police présente certaines difficultés dans sa mise en œuvre.

Au cas particulier des désordres relevés dans le cadre des manifestations des gilets jaunes, la faute sera toutefois difficile à caractériser dès lors que le préfet ou le maire n’aura reçu préalablement aucune déclaration préalable des manifestations prévues. En effet, seul le dossier de déclaration qui contient les informations utiles relatives à l’identité des organisateurs, les lieux de la manifestation, les heures de celle-ci, permet aux autorités de police de dimensionner leur dispositif en l’adaptant à l’importance de la manifestation et d’intervenir efficacement et rapidement en cas d’infraction.

Dans le cas des « gilets jaunes » la relative inorganisation du mouvement qui ne comporte pas de responsable véritablement identifiable et dont les mots d’ordre ont été diffusés essentiellement sur les réseaux sociaux, laisse à penser que peu de manifestations ont respecté les termes de la loi et ont donc fait l’objet d’une déclaration.

Dans ces conditions, les autorités de police ne sont pas nécessairement informées des lieux des rassemblements. En conséquence, le retard qui pourra être apporté aux interventions de la police pour libérer les ronds-points ou les voies d’accès aux centres commerciaux, ne permettra que marginalement, à notre sens, de satisfaire à la condition de faute exigée par la jurisprudence.

I-b) Si la faute des autorités de police ne peut être clairement rapportée, les commerçants victimes peuvent essayer de mettre en œuvre le mécanisme prévu par l’article L.211-10 du code de la sécurité intérieure lequel prévoit un régime de responsabilité sans faute et de solidarité dans l’hypothèse de dommages causés par des attroupements ou rassemblements.

Les attroupements ou rassemblements qui sont de nature à engager la responsabilité de l’Etat doivent résulter de crimes ou de délits.

Dans le cas des « gilets jaunes » il semble que le délit le plus facilement caractérisable serait celui de délit d’entrave à la circulation tel qu’il est prévu sous l’article L.412-1 du code de la route :

«  Le fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende. Toute personne coupable de l'une des infractions prévues au présent article encourt également la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l'activité professionnelle. Lorsqu'un délit prévu au présent article est commis à l'aide d'un véhicule, l'immobilisation et la mise en fourrière peuvent être prescrites dans les conditions prévues aux articles L. 325-1 à L. 325-3.Les délits prévus au présent article donnent lieu de plein droit à la réduction de la moitié du nombre maximal de points du permis de conduire. »

 Ainsi, la jurisprudence a considéré qu’un barrage opposant un obstacle physique au passage des automobiles ou camions était constitutif du délit d’entrave à la circulation (1,2)

Afin de caractériser ce type d’infraction on ne saurait trop conseiller aux commerçants de faire réaliser des constats d’huissier pendant toute la durée des barrages mis en place. Le constat d’huissier, des photos, des enregistrements vidéos sont également essentiels en cas de destruction des biens. Ces constats serviront lors de la déclaration de sinistre à l’assureur ou pourront être produits devant les juridictions à titre de preuves de la matérialité des infractions commises et de leur ampleur.

Il est à noter que la notion de rassemblement ou d’attroupement a été écartée par la jurisprudence dans des hypothèses où des individus avaient agi de façon préméditée en adoptant un comportement de casseurs. La jurisprudence considère dans ce cas, que ces phénomènes de violence ne peuvent être rattachés au comportement tranquille de la masse des manifestants et qu’ils ne peuvent donc être considérés comme se rattachant à l’attroupement ou au rassemblement (3,4).

De même, il a été jugé que des groupes structurés de producteurs de lait dont les actions étaient préméditées contre des plateformes d’approvisionnement ne pouvaient relever du champ d’application de la loi relative aux dommages causés par un rassemblement ou un attroupement (CE, 30 décembre 2016, Sté Generali IARD req. n°389835).  L’absence du caractère spontané des interventions des manifestants interdit ici d’assimiler leur violence à celle d’un groupe agissant collectivement et spontanément.

Depuis un arrêt Cofiroute, la nature des dommages qui peuvent être indemnisés par la juridiction administrative a été élargie.

Elle comprend désormais le préjudice commercial consistant en une perte de recettes d’exploitation ou un surcroît de dépenses d’exploitation (6).

La procédure devant les juridictions administratives étant écrite, il appartiendra aux commerçants de se constituer des preuves précises des préjudices financiers subis en faisant produire par leur expert-comptable des éléments de comptabilité incontestables.

II La mise en cause des personnes physiques participant aux blocages ou aux dégradations.

L’incrimination des personnes physiques se fera, le cas échéant, devant les tribunaux judiciaires.

La principale difficulté à laquelle on se trouve confronté réside dans la nature du mouvement des « gilets jaunes ».

En effet, le mouvement étant essentiellement composé d’anonymes participant à un mouvement spontané de mécontentement, il sera sans doute difficile d’identifier facilement les auteurs des infractions en vue de les poursuivre nominativement.

A l’appui des plaintes qui pourront être adressées au Procureur de la République contre X, il conviendra, alors, dans la mesure du possible, d’annexer des enregistrements vidéo ou des photos, permettant aux services d’enquête de mener leurs investigations afin d’identifier les auteurs des infractions.

On rappellera qu’une plainte dite simple doit d’abord être adressée au Procureur de la République par lettre recommandée avec avis de réception.

Si au bout de trois mois, la plainte n’a pas abouti à l’ouverture d’une information judiciaire, le plaignant peut alors se constituer partie civile auprès du Doyen des juges d’instruction pour être certain qu’une information judiciaire sera ouverte sur les faits dénoncés.

La nature des infractions visées par la plainte dépendra des faits dont les commerçants auront été les témoins.

Le délit d’entrave à la circulation sera sans doute l’infraction la plus commune. L’infraction qui pourra également être dénoncée se rapporte à la destruction de bien telle qu’elle est incriminée sous l’article 332-1 du code pénal :

« La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger.

Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger ».

La voie pénale n’est pas la seule permettant d’obtenir l’indemnisation des préjudices financiers et commerciaux subis.

Dans la mesure où les auteurs des dommages seraient identifiables, il est également possible d’engager leur responsabilité devant la juridiction civile sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil.

L’assignation en responsabilité devant le tribunal de grande instance devra obligatoirement être précédée d’une tentative de résolution amiable du litige.

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La conduite de cette procédure étant délicate, nous conseillons de la préparer avec un avocat.

Les indications qui précédent valent surtout pour les commerçants qui ne disposeraient pas d’assurances garantissant la perte de leur chiffre d’affaires ou les destructions de biens. Pour ceux qui ont la chance d’être assurés nous ne pouvons que leur conseiller de constituer rapidement leur dossier : des instructions ayant par ailleurs été données par le gouvernement pour accélérer les procédures d’indemnisation.

Jean-Yves TRENNEC.

Notes :

1. CAA Nantes, 12 avril 2013, req. n°11NT02607, Préfet du Calvados.

2. CE, 25 juillet 2007, req. n°286767, SNC Logidis).

3. CE, 25 mars 1992,Cie d’assurance Mercator, req. n°102632,

4. CE, 12 nov 1997 Cie Assurances Générales de France req. n°150224.

5. CE, 30 décembre 2016, Sté Generali IARD req. n°389835. 

6. CE, 6 avril 1990, Sté Cofiroute, req.n°112497.

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