A la suite de l’assassinat de Samuel Paty, le gouvernement, par l’intermédiaire de son ministre de l’intérieur, a entendu prendre des mesures rapides et coercitives à l’égard des personnes et des institutions diffusant des idées ou encourageant des activités de nature à provoquer la haine, la violence ou l’apologie du terrorisme.
C’est à la suite de ces directives du gouvernement que le préfet de Seine–Saint-Denis a été conduit à prendre un arrêté de fermeture de la mosquée de Pantin pendant une durée de six mois.
Cet arrêté a fait l’objet d’un recours en référé liberté introduit par le recteur de la mosquée devant le tribunal administratif de Montreuil lequel, par une ordonnance en date du 26 octobre 2020, a décidé de le rejeter (1).
Les motifs de la décision juridictionnelle méritent d’être explicités.
On rappellera que le référé-liberté est une procédure particulière codifiée sous l’article L.521-2 du code de justice administrative et qui permet dans une situation d’urgence de demander au juge de prendre toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité publique ou un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
Pour que le juge saisi puisse accueillir le recours en référé liberté, il ne suffit donc pas que la mesure contestée porte atteinte à un droit quelconque, il faut que l’acte administratif contesté s’en prenne à un droit éminent, considéré par la jurisprudence comme une liberté fondamentale.
En outre, l’atteinte portée à cette liberté fondamentale ne suffit pas par elle-même, l’atteinte doit être importante puisque le texte exige que cette atteinte soit qualifiée et revête à la fois un caractère grave et manifestement illégal.
Qu’en est-il de ces conditions posées par le reféré-liberté si on les rapporte à la mesure de fermeture de la mosquée de Pantin ?
On observera en premier lieu qu’on se trouvait bien ici en présence d’une atteinte à une liberté fondamentale. Dans le point 4 de son ordonnance en date du 25 février 2016, statuant sur la fermeture de la salle de prière de Lagny, le Conseil d’Etat a rappelé en effet que la liberté de culte faisait partie des libertés fondamentales en insistant qu’elle ne se limitait pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle avait également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice de ce culte. Il en a déduit que l’arrêté portant fermeture d’une salle de prière était susceptible de porter une atteinte à cette liberté fondamentale (2).
Dans le cas de la mosquée de Pantin, le caractère de l’atteinte ne présentait pas non plus à priori de difficulté quant à sa qualification. La fermeture d’un lieu de culte interdit de fait aux croyants d’exercer leur pratique religieuse habituelle. La mesure prenant effet pour une durée de six mois, on pouvait considérer qu’une telle interdiction revêtait dans sa modalité un caractère de gravité suffisant pour répondre à la seconde condition posée par l’article L.521-2 du code de justice administrative.
Si les premières conditions posées par l’article L.521-2 pour que le référé liberté fût accueilli par le tribunal semblaient réunies encore convenait-il de s’assurer que la mesure de fermeture dénoncée pût être regardée comme une atteinte manifestement illégale.
C’est au regard de cette condition, qui n’a pas été considérée comme satisfaite, que l’ordonnance du tribunal administratif de Montreuil a finalement rejeté le recours contentieux.
Deux considérations d’ordre juridique ont guidé le tribunal dans sa décision sur ce point.
Le tribunal a d’abord vérifié l’existence d’un fondement textuel à la décision de fermeture administrative.
Celui-ci réside désormais dans l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure issu de la loi Silt visant à renforcer la sécurité intérieure et adopté en octobre 2017 (3).
Ce texte, introduit dans le code après l’état d’urgence, a eu pour finalité de fortifier les pouvoirs de police administrative en temps ordinaire en élargissant les instruments mis à la disposition des autorités pour combattre le terrorisme.
A cet effet, le texte indique en substance que le préfet dispose du pouvoir de fermer les lieux de culte dans lesquels les propos tenus, les idées diffusées, les activités conduites, sont de nature à provoquer à la violence, à la haine, à la discrimination ou à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes.
Le fondement juridique de la fermeture de la mosquée de Pantin étant vérifié, il appartenait ensuite au tribunal de s’assurer que les faits reprochés au lieu de culte et à son responsable justifiaient bien une fermeture d’une durée de six mois, en appréciant si une telle mesure était nécessaire, proportionnée et adaptée aux circonstances de la situation.
Au cas particulier, le préfet de Seine–Saint-Denis avait justifié la fermeture du lieu de culte en avançant essentiellement le fait que la mosquée avait relayé sur son compte Facebook la vidéo du père de la collégienne mettant en cause l’enseignement de Samuel Paty. De plus il avait été relevé sur le site Facebook de la mosquée le message d’un internaute révélant l’identité et le lieu d’exercice de l’enseignant. Ces informations n’avaient fait l’objet d’aucun contrôle ni désaveu. Il avait également dénoncé les liens entretenus par la mosquée de Pantin avec le mouvement salafiste en considération des positions religieuses adoptées par l’imam du lieu de culte : Monsieur Ibrahim Doucouré. Enfin, il était reproché au responsable de la mosquée d’avoir tenu des propos disqualifiant l’école publique et incitant les parents à en retirer leurs enfants.
L’ordonnance rendue le 26 octobre 2020 a considéré que l’ensemble de ces faits et comportements étaient d’une nature suffisamment grave pour justifier, dans les circonstances de l’affaire, une mesure de fermeture de six mois qui constitue la sanction la plus lourde prévue par le texte de l’article L.227-1 du code de la sécurité intérieure.
Dans sa décision du 25 février 2016 relative à la fermeture de la salle de prière de Lagny, le Conseil d’Etat avait déjà retenu l’enseignement du salafisme au nombre des griefs justifiant la fermeture d’un lieu de culte (2).
Dans la même ligne de jurisprudence, on peut se référer à la décision du Conseil d’Etat du 31 janvier 2018, dans laquelle le contenu discriminant et haineux des prêches de l’imam avait été incriminé pour motiver la fermeture de la mosquée (4).
Au cas particulier de la mosquée de Pantin, Il est évident qu’a nécessairement pesé dans la décision du juge, le contexte particulièrement terrifiant dans lequel se sont inscrits les faits reprochés. Indépendamment de cet arrière-plan dont le juge ne pouvait humainement s’abstraire, le contenu des prêches de l’imam, la diffusion de la vidéo jetant le discrédit sur la personne même de l’enseignant ont été considérés comme de nature à attiser la haine et la violence et justifier la mesure de fermeture et par conséquent le rejet de la requête en référé liberté.
Dans son ordonnance, le juge a par ailleurs considéré que cette mesure n’était pas disproportionnée dès lors que les fidèles pourront se rendre dans d’autres lieux de culte soit à Pantin soit dans d’autres communes avoisinantes.
La décision rendue est susceptible d’un appel devant le Conseil d’Etat dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. Les enjeux du dossier sont tels, qu’il est probable que ce soit la Haute juridiction qui ait finalement le dernier mot dans cette affaire.
Jean-Yves TRENNEC.
Notes :
1. TA de Montreuil, 27 octobre 2020, Fédération musulmane de Pantin req. n°2011260.
2. CE, 25 février 2016 req. n° 397153.
3. Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
4. CE, 31 janvier 2018 req. n°417332.