Saisi par le tribunal administratif d’Orléans dans le cadre de la procédure de l’article
L.113-1 du code de justice administrative qui permet à un tribunal administratif de soumettre au Conseil d’Etat une question présentant une difficulté sérieuse, la Haute juridiction administrative a rendu le 10 février 2016 un avis sur le principe même de la sélection des étudiants en Master.
Les universités se trouvent depuis l’été dernier sous la pression des étudiants qui contestent, pour l’essentiel, les décisions des présidents d’université leur refusant l’accès en seconde année de master. Beaucoup ont porté leur différend devant les tribunaux administratifs qui, dans toute la France, ont eu à statuer sur la légalité de la sélection.
Les tribunaux administratifs adoptant des positions divergentes sur ce problème, le tribunal administratif d’Orléans a eu l’idée d’interroger le Conseil d’Etat sur cette question juridique.
Il y a tout d’abord lieu de s’interroger sur la pertinence de l’initiative du tribunal administratif d’Orléans au regard des critères qui permettent à une juridiction inférieure de saisir le Conseil d’Etat.
Le texte de l’article L.113-1 du code de justice administrative dispose : « avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre au Conseil d’Etat, qui l’examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, jusqu’à l’expiration de ce délai. »
Or, au cas particulier, le caractère nouveau de la question juridique posée est contestable.
En effet, dans un arrêt du 27 juin 1994 aux conclusions Schwartz, le Conseil d’Etat avait déjà eu à se prononcer au contentieux sur la légalité de la sélection dans le second cycle des universités.
A l’occasion de cette décision le Conseil d’Etat avait considéré, qu’en l’absence de l’intervention du décret énonçant les formations limitatives dans lesquelles une sélection était possible, la décision du Président d’université décidant d’organiser une telle sélection était irrégulière
(CE, 27 juin 1994 req.n°100111, Université Claude Y, concl. Schwartz).
L’affaire semblait donc entendue depuis longtemps et la solution du Conseil d’Etat était juridiquement simple dans son fondement puisqu’elle énonçait que toute forme de sélection dans le second cycle universitaire constituait une violation de la loi.
La saisine du Conseil d’Etat sur la légalité de la sélection a donc sans doute peu à voir avec la difficulté juridique réelle de la question à résoudre mais répond plutôt à la pression des présidents d’université cherchant une réassurance sur leur pratique sélective.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que la position du Conseil d’Etat dans l’avis du 10 février 2016 est en tout point conforme à la solution contentieuse qu’il avait dégagée dans son arrêt du 27 juin 1994.
La question précisément posée par le tribunal administratif d’Orléans consistait à savoir : si les dispositions de l’article L.612-6 du code de l’éducation excluent toute possibilité de sélection au cours du deuxième cycle.
Pour répondre, le Conseil d’Etat reprend les termes de l’article L.612-6 :
« L'admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte à tous les titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle (...) / La liste limitative des formations dans lesquelles cette admission peut dépendre des capacités d'accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat, est établie par décret après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (...) ».
Il énonce ensuite, qu’une sélection qui reposerait sur les capacités d’accueil d’un établissement ou serait subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier des candidats devrait s’appuyer sur la liste mentionnée par les dispositions législatives.
Or, sur ce point, on sait que le décret prévu pour indiquer la liste des formations permettant aux présidents d’université d’organiser une sélection des étudiants n’a jamais été édicté par le gouvernement : la question de la sélection étant trop sensible pour que le pouvoir politique ose finalement répondre à la volonté du législateur et prendre le règlement qu’imposait la loi.
Faute d’intervention du texte réglementaire le Conseil d’Etat conclut logiquement que la sélection conditionnelle prévue par la loi ne peut que rester lettre morte et les présidents d’université se retrouvent ainsi privés du contrôle d’accès à leurs masters.
Au passage le Conseil d’Etat en profite pour faire un sort à l’arrêté du 25 avril 2002 sur lequel les présidents d’université s’appuyaient en désespoir de cause pour justifier leurs prétentions à sélectionner. L’arrêté du 25 avril 2002 autorisait en effet les présidents d’université à opérer une forme de sélection entre le Master 1 et le Master 2.
Rappelant l’existence d’une hiérarchie des normes, le Conseil d’Etat censure l’arrêté du 25 avril 2002 en considérant que ce texte, qui n’a qu’une valeur réglementaire et donc mineure, ne pouvait juridiquement prévaloir sur un texte de valeur législative.
A la suite de cet arrêt, la conférence des présidents d’université, a élevé la voix et sommé le gouvernement de prendre les dispositions réglementaires nécessaires à l’organisation de la sélection (communiqué du 10 février 2016).
Toutefois, avec la perspective d’une prochaine manifestation d’étudiants contre le projet de loi portant sur la réforme du code du travail, il n’est pas sûr que le pouvoir politique s’empresse de faire adopter le texte que les présidents d’université réclament à cor et à cri.
Jean-Yves TRENNEC |