Le commentaire du jugement du tribunal administratif de Montreuil en date du 28 février 2024 met un coup de projecteur sur la douloureuse situation des élèves handicapés dans le système scolaire (1).
Le jeune Christopher est un élève en situation de handicap scolarisé en classe de 5ème dans un établissement sous contrat : le collège Fénelon de Vaujours. Ses parents ont entrepris l’ensemble des démarches administratives nécessaires pour l’aider au mieux dans le déroulement de ses études.
Les enfants en situation de handicap ont théoriquement le droit de bénéficier de la solidarité nationale afin qu’ils puissent développer toutes leurs capacités et s’épanouir au sein du système éducatif français.
Les principes juridiques qui servent cette noble cause ne manquent pas.
Le code de l’éducation proclame que le service public de l’éducation veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants sans aucune distinction. Il prescrit que tout enfant a droit à une formation scolaire, que l’Etat met en place des moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap.
L’accès égal à l’instruction est également garanti par le préambule de la constitution de 1946 auquel se réfère celui de la Constitution de 1958 en ces termes : « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d’Etat. »
Enfin, aux termes de l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »
En dépit de l’ensemble des garanties juridiques encadrant le droit des personnes handicapées à être intégrées au système éducatif, les obstacles administratifs dressés par l’éducation nationale réduisent à néant leur mise en œuvre.
Revenons un instant au cas du jeune Christopher.
Cet élève, après une instruction minutieuse de son dossier, s’est vu attribuer par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées une aide humaine individuelle de 18 heures hebdomadaires.
Normalement il est indiqué dans le code de l’éducation que la décision de la commission s’impose aux établissements scolaires (2).
Dans la réalité les choses se passent différemment.
L’éducation nationale refuse fréquemment d’appliquer les décisions de la commission en opposant aux parents le prétexte de l’absence de moyens humains et financiers pour appliquer la loi.
Ainsi, dans le cas particulier du jeune Christopher, l’administration de l’éducation nationale n’a offert qu’une aide limitée de 12 heures mutualisée avec d’autres élèves alors même que l’accompagnement de l’élève devait être individualisé. La décision de la commission est ainsi restée lettre morte.
Il se produit dans l’Education nationale pour les handicapés, ce que l’on a pu déplorer avec les préfectures pour le droit au logement. Si le droit au logement est inscrit dans la loi, la pénurie de constructions rend ce droit bien souvent inopérant.
Comme pour le logement, le recours au juge administratif devient alors la seule voie qui s’impose pour obtenir de l’Education nationale l’exécution des décisions qu’elle aurait dû spontanément mettre en œuvre.
Ce recours peut d’abord prendre la forme d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre la décision des instances académiques de refuser de respecter la décision de la commission tant dans le volume horaire dévolu à l’élève handicapé que dans ses modalités.
Ainsi, pourra notamment être contesté le fait de mutualiser l’aide apportée par l’accompagnant avec d’autres élèves alors que la commission a spécifié le caractère individualisé de l’aide requise.
La jurisprudence documente également le cas où le rectorat refuse de remplacer l’accompagnant malade ou indisponible (3). La jurisprudence oblige également l’Etat à mettre un accompagnant au service de l’élève handicapé et de sa famille pendant le temps périscolaire (4).
Au cas où ce recours serait insuffisant pour obtenir satisfaction, il convient alors d’engager la responsabilité de l’Etat pour lui demander le paiement d’une indemnité correspondant à la carence dans la prise en charge par l’administration de l’enfant handicapé et aux préjudices subis par celui-ci dans le bon déroulement de sa scolarité (5).
La mise en jeu de la responsabilité de l’Etat est également la porte de sortie habituelle des personnes revendiquant un droit au logement que les pouvoirs publics sont dans l’incapacité de faire respecter.
Le parallèle entre les deux contentieux suggère l’existence d’une pénurie d’outils prévisionnels dans les ministères qui aboutit à une négation des droits les plus fondamentaux comme celui des enfants handicapés.
Dans son rapport de 2022, le défenseur des droits avait souligné cette carence qui conduit les académies à rationaliser la mise à disposition des accompagnants sans se préoccuper des besoins réels des élèves handicapés.
Ses recommandations dans ce domaine ne semblent malheureusement pas encore avoir été suivies d’effet (5).
Jean-Yves TRENNEC.
Notes :
1 Jugement du tribunal administratif de Montreuil en date du 28 février 2024.
https://urlz.fr/qzMg
2 TA Poitiers, 20 nov 2013, req. n°1102417.
3 TA de Nantes, 4 juin 2021, req.n°2106010.
4 CAA de Nantes, 25 juin 2018, req.n°17NT02962.
5 CE, 8 avril 2009, req. n°311434 ; CAA Versailles, 27 janvier 2023, req. n°20VE01805.
6 Rapport du défenseur des droits, août 2022 : « l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap »https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/2023-07/ddd_rapport_accompagnement-eleves-handicap_2022_20220825.pdf.