A mesure que l’épidémie s’étend sur l’ensemble du territoire et que le nombre de décès augmente de façon inquiétante, les victimes directes et leurs proches sont légitimement en droit de s’interroger sur la qualité de la gestion de la crise sanitaire par les autorités publiques françaises.
Les informations parcellaires qui commencent à émerger laissent peut-être penser que l’impréparation des pouvoirs publics face à l’épidémie, la pénurie de moyens notamment en masques, en gels hydroalcooliques, en tests et en matériels de réanimation ont contribué à l’accélération de la contamination et à la multiplication du nombre des victimes.
Cette contamination a déjà produit des effets très concrets sur la vie quotidienne de tout un chacun et est à l’origine de préjudices corporels, économiques, moraux qui prennent aujourd’hui une ampleur démesurée. Je pense notamment à la situation sanitaire dans les Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EPHAD).
Dans ce contexte, existe-t-il pour les victimes directes et indirectes des fondements juridiques pour rechercher la responsabilité des autorités administratives et obtenir réparation des préjudices résultant de l’atteinte par le virus ?
Certains soignants ont lancé une pétition et ont porté plainte contre des ministres devant la Cour de Justice de la République du chef de mise en danger d’autrui. Si cette procédure peut susciter un intérêt médiatique, elle présente tout de même un inconvénient majeur qui réside en l’impossibilité pour la victime de se constituer partie civile et donc d’obtenir réparation. En outre, le bilan de la Cour de Justice de la République n’est guère encourageant. Les instructions des dossiers sont longues et celles qu’elle a diligentées n’ont donné lieu, jusqu’à maintenant qu’à très peu de condamnations.
Les procédures classiques de mise en cause de la responsabilité administrative me semblent présenter de meilleures chances d’aboutissement.
Une première piste de recherche consisterait évidemment à mettre en jeu la responsabilité pour faute de l’Etat et de la Direction Générale de la Santé devant la juridiction administrative.
Les carences des pouvoirs publics dans gestion de la crise pourraient être soulignées en mettant l’accent sur sa prévisibilité. La France avait déjà connu des alertes sanitaires sur son territoire : grippe de Hong-Kong en décembre 1969 pour laquelle on a eu à déplorer plus de 17 000 décès directs ; grippe H1N1 de 2009 ayant donné lieu à un vaste plan de vaccination.
Au cas particulier du coronavirus, l’intensité des effets de la grippe en Chine dès le mois de janvier 2020 laissait présager que sa virulence ferait de nombreuses victimes en Europe dès sa contamination.
Dans ces conditions, il appartenait à l’Etat de prendre les dispositions nécessaires pour doter en moyens de prévention suffisants et en matériels les structures de soins et celles accueillant les populations les plus fragiles. Les pénuries constatées objectivement de ce point de vue pourraient donc être regardées comme autant de fautes de nature à engager la responsabilité de l’Etat . La responsabilité de l’Etat dans l’exercice de sa mission sanitaire a déjà été mise en cause avec succès dans le cas de la contamination d’un verger par un virus (1°).
Une seconde piste de réflexion pourrait consister à rechercher la responsabilité directe des hôpitaux en mettant en cause les fautes commises dans leur organisation du service de soins.
A ce titre, pourraient être sources de responsabilité : l’absence de séparation suffisante entre les patients ordinaires et ceux atteints par le coronavirus, l’absence de mise en quarantaine, l’insuffisance des moyens de protection individuels disponibles, la pénurie de personnels, leur insuffisante qualification lorsqu’il a été fait appel à « la réserve sanitaire »
Dans les cas extrêmes où un tri a dû être opéré entre les malades pour choisir ceux pouvant bénéficier des dispositifs de réanimation, l’organisation du service rendue défectueuse par la raréfaction des matériels pourrait être regardée comme fautive.
Pour que les préjudices subis à la suite de ses dysfonctionnements puissent être réparés, il conviendra d’être attentif sur la qualité des preuves rapportées. Les manquements dénoncés devront, dans la mesure du possible, être documentés pour permettre d’établir le lien de causalité entre les préjudices subis et leur fait générateur.
Un développement particulier mérite d’être consacré aux fonctionnaires des hôpitaux publics et des EPHAD publics lesquels peuvent être contaminés sur leur lieu de travail.
La contamination par le virus dans l’exercice de leurs fonctions devra être considérée comme un accident de service lequel est soumis un régime particulier de responsabilité.
Ces fonctionnaires auront droit à titre de réparation, et à condition de satisfaire aux critères d’obtention en vigueur, à une allocation temporaire d’invalidité s’ils sont en mesure de conserver leur activité ou à une rente viagère d’invalidité s’ils sont considérés comme inaptes à occuper toute fonction.
En plus de ces prestations, et même dans l’hypothèse où aucune faute ne pourrait être retenue à l’encontre de l’employeur public, les fonctionnaires pourront obtenir réparation de leurs préjudices personnels c’est-à-dire des préjudices d’agrément, des déficits fonctionnels et permanents, des souffrances physiques ou morales.
Aucune faute de l’employeur public n’aura à être démontrée, car on considère, dans ce cas particulier, que les risques pris par ces fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions justifient l’application d’un régime de responsabilité sans faute.
Enfin, dans le cas où une défaillance du service d’organisation des soins aura pu être mise en évidence, le fonctionnaire pourra solliciter, en plus de son allocation temporaire d’invalidité ou de sa rente viagère d’invalidité, la réparation de l’ensemble des autres préjudices dans les conditions du droit commun de la responsabilité administrative.
On rappellera que le délai d’action à l’encontre des personnes publiques est de quatre ans.
Jean-Yves TRENNEC
Note :
1. Cour administrative d’appel de Marseille, 10 janvier 2005 req. n° 00MA01810.