Cette reflexion pose la question essentielle qui surgit lorsqu’est en cause le principe de l’autorité de la chose jugée : En ce qui concerne le contenu de la décision de justice devenue irrévocable, quelle est la partie de la décision qui est dotée de l’autorité de la chose jugée ? C’est toute la question du domaine de l’autorité de la chose jugée qui en constitue la réponse.
Comme l’a si bien dit J. HERON, le jugement ressemble à un champ de bataille sur lequel s’affrontent la volonté et le formalisme. Il revêt ainsi un double visage :
- c’est “un acte juridique, c’est-à-dire une manifestation de volonté à laquelle la loi attache des effets de droit ; c’est donc la volonté du juge qu’il faut rechercher par priorité” ;
- c’est “aussi une norme de droit dont les parties sont les destinataires ; le jugement a un caractère “opérationnel”, qui appelle le formalisme”. [ Lire : J. HERON, "Localisation de l’autorité de la chose jugée ou rejet de l’autorité positive de la chose jugée ?", in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?, Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Dalloz 1995, p. 131].
Que ce formalisme veut que toutes les énonciations du jugement ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée. Seules les questions litigieuses effectivement tranchées par le juge, qui ont donné lieu à un débat entre les parties et contenues dans le dispositif ont, en principe, autorité de la chose jugée. La règle veut que seuls les points qui ont été effectivement tranchés dans le dispositif disposent de cette force. [ Lire à cet effet : J. NORMAND, La chose jugée - L’étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif, Rencontres Université- Cour de cassation, 23 janvier 2004, 2è chambre civile de la Cour de cassation in BICC, Hors série n° 3, p. 13 et suiv, spéc. p. 14].
L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
A la suite de l’article 23 du code de procédure civile en RDC, traitant des effets du jugement dans leur livre de Procédure Civile, MUKADI BONYI et KATUALA KABA KASHALA, soutiennent - a la lueur de la jurisprudence - a la page 124 que : « Mais l’autorité – de la chose jugée – ne s’attache qu’au dispositif du jugement et non aux motifs ». [ Voir notamment : Ruanda-Urundi 02/04/1957, JTO 1958, p.104 ; 1ere Inst. Stan. 16/12/1953, RJCB 1954, p.179 ; Leo 6/7/1954, RJCB 1954, p.314 ; Leo 23/11/1954, RJCB 1955, p. 149.] Le jugement énonce la décision sous forme de dispositif : c’est donc à cette partie qu’il échet de se référer pour déterminer la portée de l’autorité de la chose jugée.
La lecture de la jurisprudence qui s’est développée au sujet des jugements révèle que le dispositif est la seule partie du jugement qui fait foi jusqu'à inscription de faux et la seule qui a l'autorité de la chose jugée. Que seul le dispositif stricto sensu de la décision concernée est pris en considération pour déterminer si l’autorité de la chose jugée s’y attache. [Soc., 16 janvier 2008, Bull., V, n° 2 ; Soc., 30 janvier 2008, Bull., V, n° 28 ; 3e Civ., 1er octobre 2008, pourvoi n° 07-17.051]
Ainsi, motifs décisoires et motifs décisifs sont dépourvus de l’autorité de la chose jugée, laquelle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui est tranché dans le dispositif.
Que le célèbre juriste J. NORMAND renchérit à ce sujet que l’on ne confère l’autorité de la chose jugée qu’à ce qui a été tranché dans le dispositif, et “le jugement énonce la décision sous forme de dispositif”, en somme à “la logique pragmatique des textes qui, dans un souci de clarté et pour mettre fin aux difficultés, ont imposé une conception extrêmement formaliste du domaine de la chose jugée”. [J. NORMAND, La part des motifs dans la détermination de la chose jugée, RTDCiv. 1988, p. 386 et suiv., spéc. p. 389]
Cette solution permet une détermination évidente de l’étendue de l’autorité de la chose jugée; elle a le “mérite de la clarté et de la simplicité” en ce qu’elle présente l’avantage de permettre aux justiciables de savoir à quoi s’en tenir : “on a voulu que le justiciable sache aisément et sûrement, à la seule lecture du dispositif, ce qui avait été effectivement jugé, sans être contraint de poursuivre ses investigations dans le dédale de la motivation” [Lire à ce sujet : J. NORMAND, La chose jugée -L’étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif, Rencontres Université- Cour de cassation, 23 janvier 2004, 2è chambre civile de la Cour de cassation in BICC, Hors série n° 3, p. 13 , spéc. n° 12 ; Droit et pratique de la procédure civile, ss. dir. S. GUINCHARD, Dalloz Action 2006-2007, spéc. n° 421-64 et ; R. PERROT & N. FRICERO, JurisClasseur Procédure civile, Fasc. 554 - Autorité de la chose jugée - Autorité de la chose jugée au civil sur le civil, 1998, spéc. n° 114]
Dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour de cassation française, au sujet de motifs décisoires, rappelle que seul le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, mais en prenant le soin de préciser qu’il en est ainsi même lorsque la motivation constitue le soutien nécessaire du dispositif, formule qui marque, par la même occasion, l’abandon de la thèse des motifs décisifs. [2e Civ., 10 juillet 2003, Bull., II, n° 238 ; 2e Civ., 22 janvier 2004, Bull., II, n° 15 ; 2e Civ.,12 février 2004, Bull., II, n° 55 ; Com., 31 mars 2004, Bull., IV, n° 64 ; 2e Civ., 6 avril 2004, Bull., II, n° 152 ; 1ère Civ., 22 novembre 2005, Bull., I, n° 425 ; 1re Civ., 17 janvier 2006, Bull., I, n° 12 ; 2e Civ., 6 avril 2006, n° 04-17.503 ; 2e Civ., 13 juillet 2006, Bull., II, n° 208 ; 1ère Civ., 20 février 2007, Bull.,I, n° 66 : "les motifs de l’arrêt, eussent-ils été le soutien nécessaire du dispositif, n’ont pas l’autorité de la chose jugée" ; 2e Civ.,7 mai 2008, pourvoi n° 06-21.724 : "les motifs d’un jugement, fussent-ils le soutien nécessaire du dispositif, n’ont pas l’autorité de la chose jugée"]