Les faits
Un employé est invité par son employeur de mettre fin à leur contrat de travail. Un accord est signé mais l’employé signe sous réserve et dénonce cet accord quelques jours après. Sans insinuer que sa bonne foi a été surprise par l’employeur mais il apparaît en filigrane que la convention dite de résiliation de commun accord fut conclue sur toile de fond d’un dol caractérisé (motif de rescision article 592 CCL III).
D’ailleurs dans sa lettre de dénonciation sus évoquée, l’employé avait démontré que l’employeur avait usé des manœuvres dolosives et l’avait placé dans une situation de vulnérabilité, surtout sous une forte pression morale pour arracher son consentement. Ce qui sans nul doute s’analyse en une violence (cause de nullité) au sens des articles 10 à 12 du code civil Congolais LIII. Pour ces raisons, l’employé avait émis des réserves de droit lors de la signature dudit acte, en espérant opportunément l’attaquer en temps utile.
Discussion en droit
Même si cette convention dite de résiliation de contrat dressée à l’initiative unilatérale de l’employeur fut signée par toutes les parties, l’une d’elle en l’occurrence la partie économiquement faible, l’employé l’avait signé à son corps défendant et « sous réserve ». Son attitude présageait déjà l’absence d’un consentement libre et éclairé et l’existence possible de certains de ses droits latents à faire valoir. Et donc, cet acte ne pouvait pas à ce stade bénéficier de l’apposition d’une formule exécutoire suite à la simple requête du seul employeur.
Le Professeur A. Mazeaud synthétise parfaitement la notion de la transaction appliquée au droit du travail, en la qualifiant de « faux-ami » il enseigne que : « la transaction permet aux parties à un contrat de travail de régler rapidement et efficacement les conséquences pécuniaires de leur rupture, ce en quoi elle constitue une amie ; cependant, l’une des parties au contrat , généralement l’employeur, peut utiliser la transaction pour tromper le salarié en lui donnant moins que ce à quoi il a normalement droit, et c’est pour cela que M. Mazeaud la considère comme un « faux-ami » car elle peut être préjudiciable pour le salarié ; cette idée de protection du salarié explique parfaitement les exigences de la Cour de cassation concernant la validité de la transaction en droit du travail. »[1]
Aussi, poursuit Maître MABANZA N’SEMY : « La distinction entre rupture amiable et transaction tient donc à la différence de leur objet respectif. Cette divergence qui nous paraît aujourd’hui évidente ne l’était pas il y a quelques années. Une doctrine expliqua fort bien les raisons de cette confusion. C’est ainsi qu’elle affirmait que « chacun sait qu’en pratique la transaction et la rupture d’un commun accord sont fréquemment confondues car, en définitive, ce qui compte pour les parties, c’est de rompre la convention de travail en s’évadant des contraintes du licenciement et en évitant que cette rupture ne puisse être remise en cause par des recours devant une juridiction ». En 1988, la Chambre sociale de la Cour de cassation fit même une osmose entre transaction et rupture amiable du contrat de travail mais la solution est isolée. »[2] ;
MUKADI BONY quant à lui, paraphrasant l’annotateur d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe, le 28/03/1991 sous RTA 1914 WANGATA c/ MARSAVCO, écrit que : « Les parties à un contrat de travail ont le droit de se mettre d’accord pour défaire ensemble ce qu’elles avaient fait ensemble. La seule précaution qu’elles doivent prendre dans leur accord est de ne pas porter atteinte aux dispositions d’ordre public et de ne pas prévoir des avantages inférieurs à ceux prescrits par la loi. L’accord des parties sur la rupture conventionnelle du contrat de travail fait obstacle à l’allocation des dommages et intérêts pour rupture abusive, à moins que l’une d’elles ne démontre que son consentement a été vicié par l’erreur, la violence ou le dol. La rupture du contrat de travail par l’accord amiable des parties peut être décidée dans le seul cadre de l’entreprise tout comme elle peut se faire constater par un procès-verbal de conciliation ou par un jugement d’expédient. Dans tous les cas l’engagement du travailleur est censé être donné sous réserve du respect de ses droits légaux et conventionnels »[3]
Il va donc sans dire que la rupture dite de commun accord dans cette espèce, quoique l’employé ait émis des réserves, l’a été dans le seul cadre de l’entreprise et donc l’acte constatant un tel accord devait être un expédient. (Possibilité du contradictoire) ;
En sus, l’Ordonnance précitée prise par un président du TGI est contraire à l’esprit du Code du travail en ses articles 300 et 301 ;
En effet, aux termes de l’article 301, Code du Travail, il est pertinemment disposé que : « En cas de conciliation, la partie la plus diligente fait apposer la formule exécutoire sur le procès-verbal auprès du président du tribunal de travail compétent …… » ;
Il résulte de l’économie générale de cette disposition (étant entendu ici que les dispositions du Code du Travail sont impératives), que la formule exécutoire doit être apposée sur le Procès Verbal de conciliation dressé par l’Inspecteur du travail et non sur un accord sous signature privé pouvant être dressé dans des conditions contestables ;
Ceci implique inéluctablement une instance de conciliation devant l’Inspecteur du travail ;
Et ce dernier qui, après avoir procéder à l’échange des vues sur l’objet du litige et vérifier si les parties sont disposés à se concilier conformément aux normes fixées par la législation, la convention collective et/ou le contrat de travail, qui en dresse procès verbal constatant la conciliation et qu’il signe avec les parties. Ce n’est qu’en ce moment que la partie la plus diligente fera apposer la formule exécutoire sur l’ampliation du Procès verbal lui remise par l’Inspecteur du travail ;
L’explication qui doit être faite des articles 300 et 301 du Code du travail, c’est que le législateur a, en prescrivant que la conciliation soit constatée par un écrit d’un Officier Ministériel, entendu protéger davantage l’employé qui peut se laisser abuser ou impressionner par la toute puissance de son employeur. Et c’est à ce niveau qu’un travailleur dont le consentement a été surpris par toute sorte d’artifices de l’employeur, peut le dénoncer devant l’Inspecteur du travail. D’ailleurs il a été jugé que : « La signature sans réserve et libre d’une transaction par le travailleur qui n’a pu l’attaquer ni pour erreur de droit, ni pour lésion ni pour un quelconque vice de consentement ne donne droit à aucune contestation de celle-ci.[4] En revanche, n’est pas fondé le moyen tiré de la transaction voire de la convention de commun accord dès lors que plusieurs pièces du dossier font état de réserves émises et même réitérées par le travailleur au sujet des dommages-intérêts. »[5];
Au demeurant, ladite ordonnance - apposant la forme exécutoire a malencontreusement consolider un accord très contesté- est sortie des prescrits légaux. La solution ne serait que d’être rapportée.
[1] Aubin N. MABANZA, Droit congolais, africain et international du travail, L’Harmattan, Paris 2009, P. 120 ;
[2] Aubin MABANZA, op cit., p. 132 ;
[3] (RT n° 16, 1992, p. 21) ; MUKADI BONY, Droit du travail, CRDS 842, Bruxelles, PP 376, 380 ;
[4] Kinshasa/Gombe, RTA 4965 du 12 mai 2005, Mbiya c/ Bralima, inédit
[5] Kinshasa/Gombe, RTA 5185 du 20 avril 2006, Sté 2xT.com sprl c/ Wadia, inédit