1) Définition légale de l’abus de biens sociaux
Il constitue une infraction pénale spéciale définie aux articles L241-3-4° et L242-6-3° du code de commerce, selon qu’il s’agit respectivement de SARL ou de SA.
Selon le code pénal, l'abus de biens sociaux consiste à « faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».
La cour de cassation a eu l'occasion d'étendre l'infraction dans son principe en considérant que « quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation » (Cass. crim., 27 oct. 1997: Bull. crim. n°352)
Il ressort de ce qui précède qu'un certains nombres d'arguments peuvent permettre au mieux d’échapper aux poursuites ou à une condamnation du chef d’abus de biens sociaux et au pire en limiter les éventuelles sanctions.
Enfin, il conviendra d’observer que le même détournement des biens de la société sera qualifié soit d’abus de biens sociaux s’il est le fait d’un dirigeant soit d’abus de confiance s’il est le fait d’un salarié, d’un fournisseur ou de toute autre personne.
2) Les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux
L'abus de biens sociaux suppose la réunion des conditions suivantes :
- La présence d’une société à risques limités, à savoir :
- une société anonyme (SA),
- une société à responsabilité limitée (SARL ou EURL),
- une société en commandite par actions (SCA),
- une société coopérative,
Ainsi, les sociétés en nom collectif (SNC), les sociétés en commandite simple (SCS), les sociétés civiles autres que les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), les associations, les groupements agricoles ou les groupements d'intérêt économique (GIE), ne sont pas concernées par cette infraction.
- La présence d’une société ayant son siège sociale en France (Cass. crim. 3 juin 2004).
- Le fait d’un dirigeant social (de droit ou de fait) : dans les sociétés anonymes il s’agira des présidents de Conseil d'administration, des administrateurs, des directeurs généraux, des directeurs généraux délégués, des présidents du directoire, des membres du directoire, des membres du conseil de surveillance ; dans les sociétés à responsabilité limitée il s’agira des gérants ; dans les sociétés par actions simplifiées il s’agira des présidents (personnes physiques ou morales).
- Un usage des biens tel que l’appropriation ou la dissipation de biens sociaux, une omission d’action, les actes sans aucune contrepartie tel que cautionnement, cession, dons, acquisition, prêt etc… ou sans justification économique ainsi que les actes faisant courir à la société un risque disproportionné ou un risque d’une perte ou d’un appauvrissement sans contrepartie ou un usage des pouvoirs ou des voix accordés par la loi ou les statuts aux dirigeants sociaux.
- Un usage à des fins personnelles directes ou indirectes pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle le dirigeant est intéressé directement ou indirectement ». Peu importe l’intérêt personnel : intérêt matériel, politique, relationnel, etc …
- La conscience du caractère abusif et contraire à l’intérêt social de l’acte commis par le dirigeant. Celle-ci peut se matérialiser par une tenue irrégulière de la comptabilité, la non convocation des assemblées etc…
3) Les illustrations jurisprudentielles de l’abus de biens sociaux
La jurisprudence a jugé qu’il y a abus de biens sociaux lorsque :
- le dirigeant se fait octroyer par la société des rémunérations excessives au regard des capacités de trésorerie de cette société (Cass. crim., 7 mars 1968, Cass. crim., 19 oct. 1971, Cass. crim., 6 oct. 1980) ;
- le dirigeant se fait octroyer par la société des rémunérations injustifiées par rapport aux services rendus à celle-ci (Cass. crim., 20 juill. 1982).
La jurisprudence a jugé qu’il n’y a pas abus de biens sociaux mais complicité d’abus de biens sociaux lorsque le dirigeant facilite ou s’abstient de dénoncer les agissements illicites sans toutefois en avoir personnellement profité (Cass. crim., 5 sept. 1988, Cass. crim., 15 mai 1974).
4) Les sanctions encourues du chef de l’abus de biens sociaux
Les sanctions encourues sont :
- 5 ans d'emprisonnement (maximum) ;
- 375.000 euros d'amende (maximum) ;
- notamment les peines complémentaires de :
- la faillite personnelle (lire : « La faillite personnelle : une sanction civile et professionnelle des dirigeants sociaux ») ;
- l’interdiction de gérer si la société se retrouve en état de cessation des paiements et que les détournements d’actifs sont qualifiés de banqueroute.
5) Les moyens de défense susceptibles d'exclure l'abus de biens sociaux ou d'en limiter les sanctions
Bien que certaines situations permettent de justifier les agissements, il faut faire la part des choses entre les arguments utiles et ceux qui ne le sont pas.
• Le quitus social est inopérant selon les dispositions de l’article L225-253 du code de commerce qui dispose qu'« Aucune décision de l’assemblée générale ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les administrateurs ou contre le directeur général pour faute commise dans l’accomplissement de leur mandat. »
• Le remboursement ou la compensation du préjudice subit n’effacent pas le délit d’abus de biens sociaux mais peuvent permettre d’obtenir soit un non lieu à poursuite soit une dispense de peine.
• L’ignorance ou l’incompétence du dirigeant en matière comptable ou son éloignement des tâches comptables ou administratives de la société ne sont pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité pénale du chef d'abus de biens sociaux.
• La transparence, le respect de la procédure relative aux conventions réglementées ou l'inscription en comptabilité des détournements litigieux n’excluent pas le délit d’abus de bien sociaux mais permettront de faire partir le délai de prescription de la poursuite (3 ans) qui, le cas échéant, empêchera toute poursuite pénale de ce chef.
• La contrainte extérieure ou l'obéissance à la volonté des actionnaires peuvent influencer le quantum de la peine mais n’ont aucun effet sur la constitution du délit d’abus de bien sociaux.
• La délégation de pouvoir est inopérante lorsque le dirigeant participe personnellement à l’infraction, en profitant des biens mis à sa disposition de manière injustifié par le détenteur de la délégation de pouvoir, mais la délégation de pouvoir peut permettre de démontrer la qualité de dirigeant de fait de son détenteur lorsque celui-ci ne fait pas partie des personnes visées par la loi.
• La pratique courante ne peut constituer en soit un fait justificatif, mais l’existence d’une pratique courante peut contribuer à écarter la mauvaise foi du dirigeant et donc l’infraction, tels par exemple :
- le remboursement de certains frais modestes de déplacements et de représentation, inscrits en comptabilité et entrant dans la pratique courante qui autorisait les administrateurs à les faire prendre en charge par la société.
- le versement de primes à un dirigeant et à des membres de sa famille, dès lors que ces rémunérations étaient d’usage dans l’entreprise pour tout le personnel.
• Les groupes de sociétés et la notion de d’intérêt social :
Aux termes de l’arrêt « Rozemblum », du 4 février 1985, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation a jugé que :
« pour échapper aux prévisions des articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de Commerce, le concours financier apporté par les dirigeants d’une société, à une autre entreprise du même groupe dans laquelle ils dont intéressé directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe et ne doit ni être démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge ».
6) Les auteurs de l'action civile aux fins d'indemnisation des préjudices subis
L’action civile de la société victime est exercée par son représentant légal (Président-directeur général, gérant, et en cas de procédure collective, administrateur judiciaire ou liquidateur).
L’action civile des associés exige que ces derniers puissent justifier d'un préjudice personnel, nécessairement distinct de celui subi par la société du fait de l'abus de biens sociaux.
Ils ont donc également la possibilité de se constituer partie civile et de demander réparation.
La justification d'un préjudice propre leur rend toutefois l'exercice de leur action particulièrement difficile.
Outre l'action pénale initiée par le ministère public, une action civile au pénal peut être exercée, d'une part, par la société victime de l’abus de biens sociaux et, d'autre part, par les associés à titre personnel.
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Anthony Bem
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