L’indivision est une propriété collective et une institution fondamentalement temporaire.
Pourtant, il arrive que certaines indivisions se prolongent au-delà du raisonnable et connaissent quelques péripéties.
En effet, il n'est pas rare, dans le cadre des indivisions post-successorales, qu'au fil du temps certains indivisaires appréhendent tout ou partie des biens dépendant d'une indivision successorale et, à terme, tentent de se prévaloir de leur possession prolongée pour obtenir la reconnaissance d'une propriété privative par usucapion.
En principe, un indivisaire qui utiliserait de façon exclusive un immeuble sans l'accord de ses coïndivisaires, violerait le droit de ces derniers.
Les coïndivisaires ont alors la possibilité soit de réclamer à l’indivisaire occupant le paiement d’une indemnité d’occupation soit de saisir le juge pour obtenir la restitution du bien indivis sur le fondement de l’action possessoire.
Toutefois, si aucune action n'est intentée et que pendant plus de trente ans l'indivisaire accomplit sur l'immeuble des actes exclusifs du droit de ses coïndivisaires, il deviendra, par usucapion, seul propriétaire de l'immeuble indivis.
A cet égard, une jurisprudence, déjà ancienne et récurrente, admet l'usucapion dans le cadre successoral.
En effet, la jurisprudence admet l'usucapion chaque fois que les actes de possession démontrent l'intention manifeste du coïndivisaire de se comporter comme seul et unique propriétaire du bien indivis dont il établit avoir la possession exclusive.
Ainsi, la Cour de cassation a eu à juger que :
«la possession ne peut conduire un copropriétaire à l’usucapion que si elle est exclusive, c’est-à-dire si la preuve est rapportée de l’existence d’actes agressifs par rapport à ses coïndivisaires et incompatible avec la simple qualité de copropriétaire ». (Cass. Civ. I, 17 octobre 1966)
En outre, il a été jugé que :
«un coïndivisaire peut acquérir par usucapion la totalité de l’immeuble indivis des lors qu’il établit qu’il a exercé depuis plus de trente ans une possession conforme aux exigences de [la loi], sans avoir besoin de justifier d’une interversion de titre qui n’est exigée que du détenteur précaire » (Cass. Civ. III, 6 juin 1974, pourvoi n° 72-12423)
De même, la Cour de cassation a jugé que :
«Celui qui invoque la prescription acquisitive doit démontrer que sa possession répond aux exigences légales » (Cass. Civ. I, 17 mars 1987, pourvoi n° 85-13345).
Ainsi, l’usucapion conduira à reconnaître que l'indivisaire possesseur de l’immeuble indivis est devenu propriétaire, le bien qu'il a acquis n'appartenant plus d'aucune façon à la masse successorale à partager.
En conséquence, les coïndivisaires perdront tout droit sur l'immeuble usucapé et n'obtiendront aucune compensation financière.
Pour ce faire, l'héritier coïndivisaire qui invoque à son profit la prescription acquisitive doit respecter un certain nombre de conditions tenant :
- d’une part, à la qualité de la possession (article 2261 du Code civil) ;
- et, d’autre part, au délai de prescription en matière immobilière (article 2272 du code civil).
A cet égard, l’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».
Par conséquent, pour prescrire, la possession doit être exercée de manière :
- continue, c'est-à-dire non interrompue : ici, des attestations chronologiquement concordantes de témoins se révèleront nécessaires, de même que des constats d'huissier étalés dans le temps, par exemple ;
- paisible : autrement dit, le possesseur ne doit pas appréhender le bien immobilier par la force, la violence ou encore par une voie de fait ;
- publique : portée à la connaissance des tiers ou éminemment visible par nature sur les lieux ;
- et non équivoque ; il s’agit de la preuve d'actes manifestement exclusifs des droits des autres copropriétaires.
Cette possession doit se maintenir pendant un délai de trente ans (article 2272 du code civil).
Toutefois, si l'occupation du bien indivis était antérieure à la création de l'indivision successorale, il faudrait une modification du comportement de l'occupant, devenu héritier coïndivisaire, pour que l'on puisse constater, à un moment donné, qu'il agit en maître et faire courir à compter de cet instant la prescription acquisitive.
En effet, le jeu de la prescription acquisitive a été exclu par la Cour de cassation aux motifs que postérieurement au décès des parents propriétaires de l'immeuble, rien, chez les indivisaires occupants, « ne permettait de distinguer leur comportement en qualité de propriétaire ou en qualité de simples occupants, ce qui est exclusif d'une possession non équivoque, à titre de propriétaire, utile pour prescrire le droit de propriété ». (Cass. Civ. I, 5 mars 2014, pourvoi n° 12-28348)
En revanche, il a été jugé que :
«l’usucapion peut être valablement opposée à une demande en retrait successoral lorsque le cohéritier ou le cessionnaire qui s’en prévaut à substitué à la jouissance communiste une possession privative, exclusive et à titre de propriétaire.
Spécialement, après avoir constaté qu’un héritier ayant cédé ses droits successifs sur un domaine rural, puis le cessionnaire, ont pendant plus de trente ans, perçu les revenus de ce bien, sans trouble et de manière paisible, qu’ils l’ont loué seules sans opposition des coïndivisaires et sans que ces derniers aient jamais été appelés à sa gestion, les juges du fond admettent à bon droit qu’ils ce sont comportés comme propriétaires exclusifs et ont prescrit.» (Cass. Civ. I, 20 mars 1961) ;
Par conséquent, dans le cadre d’une indivision post-successorale, si l'héritier coïndivisaire prend possession de l'immeuble antérieurement à l'ouverture de la succession du propriétaire défunt, il doit se comporter aux yeux de tous comme le véritable propriétaire afin que la possession puisse être constituée et échapper alors au grief d'équivocité.
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Anthony Bem
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