En principe, le droit de propriété est un droit absolu auquel il est impossible de porter atteinte.
En effet, la protection matérielle du droit de propriété a pour fondement juridique les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui précise que :
«la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul le peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment ; et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »
Ainsi, le droit de propriété a été consacré par le Conseil constitutionnel en tant que droit fondamental à valeur constitutionnelle.
A cet égard, le juge constitutionnel a considéré en 1971 que :
«Les principes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété, dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique. » (Cons. const., décembre 16 juillet 1971, n° 71-44)
Par ailleurs, dans une décision en date du 16 janvier 1982 relative aux lois de nationalisation, le Conseil constitutionnel a reconnu le caractère éminent du droit de propriété, au même titre que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression.
Selon le Conseil constitutionnel, ces droits figurent « au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique ». (Cons. const., décembre 16 janvier 1982, n° 81-132 DC)
Néanmoins, le droit de propriété souffre de quelques limites notamment :
- les servitudes,
- les règles juridiques en matière d’urbanisme et d’environnement,
- l’expropriation pour cause d’utilité publique,
- les démembrements de propriété (usufruit, nue-propriété),
- ou encore les rapports de voisinage (troubles anormaux et abus du droit de propriété).
Toutefois, l’usucapion ou la prescription acquisitive constitue l’atteinte la plus grave au droit de propriété.
En effet, l’usucapion ou prescription acquisitive est le fait pour le possesseur d’un bien immobilier (appartement, maison, terrain, immeuble, etc.) d'acquérir juridiquement un droit réel (droit de propriété) sur ce bien, après l'écoulement d'un certain délai durant lequel il s’est comporté comme le propriétaire, sans en avoir le titre.
A cet égard, l’article 2258 du Code civil dispose que :
«La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »
Par ailleurs, la Cour de cassation a jugé que :
« la prescription acquisitive n’a ni pour objet ni pour effet de priver une personne de son droit de propriété ou d’en limiter l’exercice mais confère au possesseur, sous certaines conditions, et par l’écoulement du temps, un titre de propriété correspondant à la situation de fait qui n’a pas été contestée dans un certain délai ; que cette institution répond à un motif d’intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire. » (Cass. civ. III, 12 octobre 2011, n° 11-40.055)
Ainsi, il ressort de cette décision de la Cour de cassation que la prescription acquisitive doit répondre à un certain nombre de conditions tenant à la qualité de la possession.
A cet égard, l’article 2261 du Code civil dispose :
« pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».
Par conséquent, nous envisagerons ci-après :
- Une possession continue (1)
- Une possession paisible (2)
- Une possession publique (3)
- Une possession non équivoque (4)
- Une possession exercée à titre de propriétaire (5)
1. Une possession continue
La possession continue implique qu’il doit exister une certaine continuité dans l’exercice du droit, sans toutefois aller jusqu’à exiger un exercice de tous les instants.
Ainsi, le possesseur doit accomplir tous les actes matériels ou juridiques aux époques auxquelles normalement le titulaire du droit aurait agi.
En ce sens, la Cour de cassation estime que la possession doit être « exercée dans toutes les occasions comme à tous les moments où elle devait l’être après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue ». (Cass., 11 janvier 1950)
En ce sens, la Cour de cassation juge que, pour caractériser une possession continue dans cet intervalle, le possesseur devra prouver qu’il a exercé plusieurs actes de droit et qu’il a continué à les exercer jusqu’au moment de l’ouverture du procès (Cass, civ III., 19 mai 2004, n° 02-19.800).
2. Une possession paisible
Pour pouvoir bénéficier de la prescription acquisitive sur un bien immobilier, le possesseur ne doit pas appréhender le bien immobilier par la force, la violence, ou encore par la voie de fait.
En effet, l’article 2263 prévoit que « Les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d’opérer la prescription. La possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé.»
A cet égard, la Cour de cassation considère qu’il ne peut y avoir de possession violente.
Ainsi, « viole l’article 2229 du Code civil la cour d’appel qui, pour rejeter une action en revendication fondée sur l’usucapion trentenaire, retient l’absence de possession paisible, sans constater que le demandeur avait conservé la possession des terres qu’il revendiquait au moyen de voies de fait accompagnées de violences matérielles ou morales ». ( Cass. civ. III,15 février 1995, n° 93-14.143)
Par conséquent, le possesseur qui se maintient avec violence durant l’exercice de sa possession ne pourra pas se prévaloir de la règle de la prescription acquisitive.
3. Une possession publique
La prescription acquisitive doit nécessairement revêtir un caractère public.
En effet, l’acquisition d’un bien ou d’un droit par sa possession durable s’opère au détriment de son titulaire légitime, lequel doit pouvoir être en mesure de s’opposer au possesseur qui exerce les droits qui normalement lui incombent.
Ainsi, dans un arrêt en date du 27 juin 2012, la chambre civile de la cour d’appel d’Agen a considéré que les propriétaires des parcelles traversées par un chemin rural en avaient acquis la propriété dans la mesure où ces derniers avaient possédé de façon paisible, publique, ininterrompue et en qualité de propriétaire ce chemin.
La cour d’appel a ainsi relevé que les revendiquants s’étaient comportés comme propriétaires du chemin et que celui-ci avait été affecté à leur seul usage, à savoir la desserte de leurs diverses propriétés et au pacage de leurs bêtes.
La cour d’appel constatait ainsi que cette possession publique était attestée par plusieurs personnes, qui unanimement, indiquaient n’avoir jamais vu quiconque, à par les vaches des propriétaires sur ce chemin (CA Agen, I ch. civ, 27 juin 2012, n° 11/01633).
De même la cour d’appel de Caen a, dans un arrêt en date du 4 octobre 2011, considéré, s’agissant des faits d’espèce soumis à son appréciation, que le caractère publique de la possession était parfaitement rapporté dans la mesure où le revendiquant justifiait qu’il cultivait ce terrain qu’il avait intégré à son potage (CA Caen, ch. civ, 4 octobre 2011, n° 09/03059).
Par conséquent, la possession doit être connue de tous et ne doit pas être dissimulée.
4. Une possession non équivoque
Le caractère non équivoque de la possession signifie que le possesseur doit manifester sans ambiguïté son intention de se comporter en propriétaire.
La possession sera considérée comme équivoque dès lors que la volonté d’exercer un droit ne se traduira pas chez le possesseur.
Ainsi, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé que le possesseur « ne s’est pas comporté comme l’aurait fait un propriétaire, s’abstenant d’assurer l’immeuble contre l’incendie et d’y faire des réparations ; de la sorte, il n’avait pas accompli d’actes impliquant de sa part une prétention sur la propriété de la chose et son comportement était entaché d’équivoque » (Cass. Civ, III, 7 mars 1972).
Il y a donc ici une volonté personnelle et individuelle d’agir en tant que propriétaire.
5. Une possession exercée à titre de propriétaire
L’article 2266 dispose que :
«Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. Ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire. »
Par conséquent, les locataires, dépositaires, usufruitiers et toutes autres personnes qui détiendraient précairement le bien ou le terrain sont juridiquement dans l’impossibilité de se prévaloir valablement d’une quelque prétention sur le fondement de la prescription acquisitive.
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Anthony Bem
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