En l'espèce, le GAEC exploitait un élevage bovin et porcin sur des terrains et des bâtiments lui appartenant situés sous ou à proximité d'une ligne à très haute tension d'EDF devenu la SA Réseau Transport Electricité (RTE).
Compte tenu de multiples désordres sanitaires dont l'élevage est victime et de diverses recherches scientifiques, le GAEC soutenait que les champs magnétiques émis par les lignes électriques à haute tension sont bien à l'origine des « désordres sanitaires multiples et importants ayant affecté les élevages : mammites, ulcères hémorragiques, agressivité et cannibalisme chez les porcs, problèmes de lactation et de reproduction, avortements... ».
Sur le fondement du principe de précaution, le GAEC a assigné la société RTE en indemnisation des préjudices matériels et économiques subis à raison des problèmes sanitaires rencontrés par les animaux de son élevage.
Pour mémoire, selon l'article L. 110-1 II 1° du code de l'environnement, le principe de précaution est celui selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable.
En vertu de ce principe, les personnes dont l'activité est à l'origine d'un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement sont tenues de prendre les mesures effectives et proportionnées visant à en prévenir la réalisation et engagent, à défaut, leur responsabilité.
Sur le fondement de ce principe, et concernant les éventuels dangers des ondes émises par les antennes relais de téléphonie mobile, plusieurs décisions de justice ont fait interdiction d’implanter de telles antennes ou ordonner de les démanteler.
Cependant, les juges d'appel ont rejeté les demandes d'indemnisation du GAEC en raison de l’incertitude sur le lien de causalité entre les courants électromagnétiques et les désordres causés à l’élevage en considérant que :
« il y a certes des indices quant à l'incidence possible des champs électromagnétiques (CEM) sur l'état des élevages mais auxquels s'opposent des éléments sérieux divergents et contraires et qu'il subsiste des incertitudes notables de telle sorte que, compte tenu de l'ensemble des explications et données fournies, il n'apparaît pas que l'existence d'un lien de causalité soit suffisamment caractérisé ».
Malgré le nombre important de contributions scientifiques invoqué par le GAEC, la Cour d'appel constate qu’il n’existe pas de consensus scientifique sur la question et que l’absence de problèmes constatés sur d’autres exploitations agricoles localisées sur le tracé de la ligne permet de conclure que « dans l'espace, il n'y a pas association du moins généralisée entre le passage de cette ligne et de tels désordres ».
En outre, les juges d'appel ont considéré que « le principe de précaution qui est plus une norme-guide destinée aux pouvoirs politiques pour apprécier les choix collectifs de prévention, n'est pas une règle de responsabilité autonome et directe, se suffisant à elle-même ».
Dans ce contexte, la cour de cassation a posé le principe selon lequel :
« la charte de l'environnement et le principe de précaution ne remettaient pas en cause les règles selon lesquelles il appartenait à celui qui sollicitait l'indemnisation du dommage à l'encontre du titulaire de la servitude d'établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de celui-ci et cette démonstration, sans exiger une preuve scientifique, pouvait résulter de présomptions graves, précises, fiables et concordantes ».
La Haute Cour a validé le raisonnement des juges d'appel et jugé que :
« la cour d'appel, qui a relevé que des éléments sérieux divergents et contraires s'opposaient aux indices existant quant à l'incidence possible des courants électromagnétiques sur l'état des élevage de sorte qu'il subsistait des incertitudes notables sur cette incidence et qui a analysé les circonstances de fait dans lesquelles le dommage s'était produit, a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve, que, compte tenu de l'ensemble des explications et données fournies, l'existence d'un lien de causalité n'était pas suffisamment caractérisée et en a exactement déduit que les demandes d'indemnisation du GAEC ne devaient pas être admises ».
Au terme de cette décision, la cour de cassation a interprété dans un nouveau sens les dispositions de l'article L. 110-1 II 1° du code de l'environnement faisant que la responsabilité ne pourra être mise en jeu sur le fondement du principe de précaution non pas « en l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » mais en présence de preuves scientifiques certaines de la faute, du préjudice subi et du lien de causalité entre les deux.
Il « appartenait à celui qui sollicitait l’indemnisation du dommage à l’encontre du titulaire de la servitude d’établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de celui-ci et que cette démonstration, sans exiger une preuve scientifique, pouvait résulter de présomptions graves, précises, fiables et concordantes ».
Cette décision mérite d'être mise parallèle avec l'arrêt rendu, le 4 février 2009, par la cour d’appel de Versailles concernant le contentieux des antennes téléphoniques et les dommages causés par ces dernières aux personnes qui habitaient à proximité.
Les juges versaillais avaient alors considéré que « si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre les pays, que l'incertitude sur l'innocuité d'une exposition aux ondes émises par les antennes relais, demeure et qu'elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable ».
Pour conclure, le « risque hypothétique » ne permettrait plus de mettre en jeu la responsabilité délictuelle sur le fondement du principe de précaution, à défaut de preuve de l'existence d'un lien de causalité suffisamment caractérisé.
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Anthony Bem
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