Preuve numérique et sur internet : assouplissement des conditions jurisprudentielles de validité

Publié le Modifié le 17/07/2012 Vu 8 100 fois 0
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Le 22 juin 2012, la 15ème chambre du Tribunal de commerce de Paris a rendu un Jugement riche d’enseignement en matière de preuve sur internet: les constats d'huissiers viciés ne sont pas dénués de force probante mais valent "commencement de preuve".

Le 22 juin 2012, la 15ème chambre du Tribunal de commerce de Paris a rendu un Jugement riche d’enseignement

Preuve numérique et sur internet : assouplissement des conditions jurisprudentielles de validité

Le e-commerce nécessite l’élaboration de Conditions générales de vente (ci-après CGV), afin de mieux encadrer la relation contractuelle qui lie le site interner à sa clientèle.

En effet, les CGV doivent contenir une information complète et claire afin que le client prenne la mesure des éléments sur lesquels il s'engage.

De fait, les CGV visent tout autant à protéger le cybermarchand que le client.

En l'espèce, le site internet Starlight, qui propose à la vente des places de concert ainsi que des billets pour assister à des évènements sportifs sur internet, a assigné en responsabilité un de ses plus gros concurrents du fait de la reproduction de ses CGV sur son site internet.

Le 22 juin 2012, la 15ème chambre du Tribunal de commerce de Paris a rendu un Jugement riche d’enseignement notamment s’agissant de la question des conditions de preuve sur Internet.

Pour rapporter la preuve de ses prétentions, le site Starlight a requis deux huissiers de justice aux fins de faire constater la prétendue reproduction de ses CGV.

En effet, l’évolution des contentieux liés à l’internet a conduit les juges à établir un véritable droit jurisprudentiel relatif aux conditions de validité des constats dressés pour rapporter la preuve d’un contenu litigieux sur internet.

Il ne suffit plus à l’huissier d’allumer son ordinateur et de réaliser des captures d’écran pour bénéficier d’une preuve irréfutable.

Désormais, la preuve internet doit respecter un certain nombre de pré-requis techniques qui permettent de s’assurer de sa fiabilité.

De manière constante, à défaut de respecter les mesures techniques listées par la jurisprudence, le constat d’huissier est sanctionné par le défaut de force probante (TGI Paris, 4 mars 2003).

Ainsi, selon la jurisprudence, l’huissier instrumentaire doit notamment décrire le cheminement qu'il a lui-même effectué pour accéder à la page Internet contenant l'infraction.

Le constat doit pour ce faire "établir l'existence préalable de liens hypertextes" aux fins de s’assurer que le cheminement doit pouvoir être effectué par n'importe quel Internaute sans "intime connaissance de l'organisation du site". (TGI Paris, 4 mars 2003).

Afin de démontrer que la page visée par le constat est accessible depuis le site internet litigieux, il convient pour l’huissier instrumentaire de se rendre préalablement sur la page d’accueil de ce site, et de décrire avec précision le chemin parcouru et les liens hypertextes cliqués afin d’arriver à cette page.

A défaut, le constat ne démontre pas que la page visée est accessible autrement que pour les internautes ayant une connaissance précise de la structure de ce site.

En l’espèce, l’huissier s’était contenté de copier-coller dans la barre d’adresse du navigateur l’adresse URL fournie par le demandeur, sans s’assurer que cette page était bien accessible en cliquant sur des liens hypertextes depuis la page d’accueil du site internet du défendeur.

Ainsi, l’huissier de justice n’a pas permis de prouver l’existence du lien hypertexte permettant d'accéder aux pages litigieuses, et donc de les porter à la connaissance des internautes.

De même, la jurisprudence retient qu’il convient pour l’huissier en charge du constat, de mentionner l’adresse IP exacte du matériel employé pour procéder à ses constatations.

Or, l’adresse mentionnée par l’huissier sur le constat est une adresse IP fixe appartenant à l’IANA (Internet Corporation for assigned Names and number).

Il était donc certain que l’adresse IP donnée par l’huissier n’était pas la bonne.

Ainsi, cette adresse IP ne renseignait aucunement sur la ligne internet qui a rendu possible la connexion Internet et donc à l’origine des constatations numériques réalisées sur l’Internet par l’huissier.

Si bien qu’aucune vérification du journal de connexion de l’huissier n'était possible pour s’assurer de la véracité de ses constatations.

Par ailleurs, le second constat d’huissier ne mentionnait pas la version de l'antivirus et le « scan » de la base de données de l'ordinateur.

Connaitre la version de l’antivirus de l’ordinateur et savoir si un « scan » de la base de données de l’ordinateur a été réalisé sont des pré-requis indispensables qui doivent figurer dans les constats d’huissiers servant de preuves en matière de constat internet.

En effet, les antivirus sont des logiciels conçus pour identifier, neutraliser et éliminer les logiciels malveillants (dont les virus ne sont qu'un exemple) qui se basent sur l'exploitation de failles de sécurité.

L’absence de mention de la version du logiciel d’antivirus laisse supposer qu’aucun logiciel antivirus n’est installé sur l’ordinateur qui a servi pour les constatations.

De même, en ne mentionnant pas si un « scan » de l’ordinateur a été réalisé par l’antivirus, rien n’indique que l’ordinateur est à l’abri d’une attaque virale ou malveillante.

De sortes que l’ordinateur ayant permis les constatations peut tout à fait avoir fait l’objet d’une attaque.

Or, une attaque virale ou malveillante se singularise par la perturbation plus ou moins grave du fonctionnement de l'ordinateur infecté.

Ainsi, en l’absence d’antivirus, il est impossible d’être certain que les pages qui se sont affichées lors des opérations de constat de l’huissier étaient bien les pages accessibles sur le réseau internet.

En effet, un grand nombre de virus et de logiciels malveillants s’attaquent aux logiciels Microsoft, parmi lesquels on trouve le logiciel de navigation Microsoft Internet Explorer 8.0, utilisé lors des constatations.

Les effets de ces virus peuvent être multiples mais ont surtout la particularité de rendre incertain le comportement du logiciel Microsoft Internet Explorer 8.0.

Un reportage intitulé « Hackers, les nouveaux maîtres du monde », diffusé le 10 juin 2011, sur la chaine télévisée Arte démontre que certains de ces logiciels permettent, dans un rayon circonscrit tel qu’un quartier, une maison, un cabinet d’huissier, etc… de modifier le contenu d’une page internet sans en modifier l’apparence.

Par conséquent, au regard de l’absence de respect des pré-requis techniques précités et en l’absence de ces mentions techniques, le tribunal de céans ne pouvait que constater l’absence de caractère probant des constats d’huissiers établis.

Contre toute attente, le tribunal de commerce a jugé que :

« la valeur probante des constats d’huissier sur le réseau internet est subordonnée au respect de pré-requis :

  • l’huissier doit veiller à ce que l’environnement du constat soit exempt d’éléments de perturbation (virus, logiciel malveillant) ;
  • l’huissier doit préciser le matériel et les logiciels utilisés, l’architecture du réseau local (absence de proxy, adresse IP utilisée, description des pare-feu) et des éléments relatifs au fournisseur d’accès à internet ;
  • l’huissier doit procéder à des diligences techniques successives (capture du flux réseau, analyse virale, analyse des logiciels espions, suppression de l’historique, synchronisation de la date et l’heure, paramétrages)
  • que l’huissier doit décrire, répertorier et enregistrer le contenu de ses constatations ;
  • que l’huissier doit procéder, à la fin de son constat, à la capture des informations sur la cible (header du code source, adresse IP, noms de domaine) ;

Attendu que le constat de Me Genna indique une adresse IP qui appartient à l’IANA, organisation publique du réseau internet dont le siège se situe en Californie ; que cette adresse IP ne peut donc manifestement pas correspondre à celle de l’étude de Me Genna qui est située à Paris ;

Le tribunal dira que le constat de Me Genna, qui comporte une erreur manifeste sur l’adresse IP utilisée, ne peut valoir que comme commencement de preuve.

Attendu que Maitre Denis, dont le constat mentionne la succession des opérations qu’il a effectué préalablement à son constat, n’indique cependant pas qu’il a été procédé à un "scan" du disque dur et de la mémoire de son ordinateur ;

Le tribunal dira que le constat de Me Denis, ne peut valoir que comme commencement de preuve, tous les pré-requis techniques n’ayant pas été satisfaits ».

Cette décision est en contradiction avec la jurisprudence traditionnelle sur ce point et notamment celle du tribunal de grande instance de Paris qui, en principe, « retire toute force probante au constat d’huissier » sur lequel est fondée l’action engagée, de sorte que le constat d'huissier vicié est dénué de toute force probante.

Compte tenu de la condamnation financière relativement symbolique du défendeur sur le fond de l’affaire, cette décision ne fera pas l’objet d’un appel devant la cour d'appel de Paris, qui n'aura pas manqué de censurer ce jugement sur cette question.

Je suis à votre disposition pour toute information ou action.

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Anthony Bem
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