Aux côtés des modes de rupture traditionnels du contrat de travail à durée indéterminée que sont le licenciement et la démission, la prise d’acte de rupture du contrat de travail constitue un mode de rupture à part entière.
Ce mode de rupture peut apparaître comme étant risqué compte tenu de l’aléa judiciaire auquel il est soumis, outre son caractère radical.
Ainsi, avant de se lancer dans cette forme d'« auto-licenciement », il convient d’en apprécier ses modalités de mise en œuvre (1) et surtout ses conséquences (2).
A titre liminaire, il convient de préciser que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail ne figure pas dans le code du travail et que la jurisprudence la considère par comme un mode autonome de rupture qui la distingue de la démission.
1°) Les modalités de mise en œuvre de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail
Lorsqu’un salarié estime que les manquements de son employeur (défaut de paiement du salaire, modification unilatérale du contrat, acte de harcèlement moral ou sexuel, etc …) rendent impossible la poursuite des relations contractuelles, il prend l’initiative de rompre son contrat de travail mais impute la responsabilité de cette rupture à son employeur.
A la différence de la démission qui est une manifestation claire et non équivoque de mettre fin à la relation contractuelle, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail traduit quant à elle non pas une volonté du salarié de rompre celui-ci mais plutôt une contrainte.
C’est ainsi qu’est apparue la notion d'« auto-licenciement ».
a) L’auteur de la prise d’acte :
Il convient de souligner que seul le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
En effet, l’employeur qui estime la rupture imputable au salarié devra impérativement recourir à la procédure de licenciement.
A défaut, une telle rupture serait considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 20 avril 2005).
Les dispositions relatives à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée (et donc à la prise d’acte de la rupture), ne sont pas applicables durant la période d’essai.
b) La forme de la prise d’acte :
Aucun formalisme n’entoure la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Toutefois, le salarié prendra soin d’adresser celle-ci à son employeur, par précaution, par la lettre recommandée avec accusé de réception.
En outre, il veillera a bien indiquer les griefs qui le conduisent à constater la rupture.
A cet égard, à la différence de la lettre de licenciement, il a été jugé que l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture suite aux manquements reprochés à son employeur « ne fixe pas les limites du litige » (Cass. Soc. 29 juin 2005).
Le juge pourra donc examiner tous les griefs qui seront invoqués devant lui, même s’ils ne figurent pas expréssement dans le courrier de prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
La jurisprudence requalifie la démission en une prise d’acte si :
- la lettre de démission du salarié évoque des manquements de l’employeur ou contenait des "réserves" (Cass. Soc., 19 septembre 2012, n° 11-18942) ;
- antérieurement ou concomitamment à la démission il existait un litige entre le salarié et l’employeur "de nature à la rendre équivoque" (Cass. Soc., 19 septembre 2012, n° 11-18942).
Enfin, du fait de l’absence totale de formalisme, la prise d’acte pourra valablement être présentée par l’avocat du salarié (Cass. Soc., 16 mai 2012).
c) Les caractéristiques de la prise d’acte :
La prise d’acte entraine la rupture immédiate du contrat de travail.
En conséquence, le salarié n’est pas tenu d’exécuter un préavis.
La prise d’acte ne pouvant pas faire l’objet d’une rétractation est plus radicale mais aussi plus risquée que la résiliation judiciaire où la rupture ne sera actée qu’au jour où le juge statue.
Dès lors que la rupture est consommée au jour où le salarié prend acte de la rupture, le certificat de travail ainsi que l’attestation destinée au Pôle Emploi (ex ASSEDIC) deviennent immédiatement exigibles.
2°) Les conséquences de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail
La jurisprudence considère que « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission » (Cass, Soc. 25 juin 2003).
Il convient de distinguer selon que les griefs invoqués sont justifiés (a) ou non (b).
a) Si les griefs invoqués sont justifiés :
Si les griefs invoqués sont fondés, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié ayant saisi le Conseil des prud’hommes pourra donc demander la condamnation de son employeur au versement de :
- une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents ;
- une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
- dommages et intérêts pour licenciement abusif (sans cause réelle et sérieuse)
- une indemnité compensatrice de congés payés ;
- dommages et intérêts au titre de la perte de chance d’utiliser son droit individuel à la formation (DIF) (Cass. Soc., 18 mai 2011).
Par ailleurs, l’employeur peut se voir condamner à rembourser au Pôle Emploi les allocations chômage servies au salarié, dans la limite de six mois d’indemnité (Cass. Soc., 03 mai 2007).
b) Si les griefs invoqués ne ont pas justifiés :
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail aura les effets d’une démission (Cass. Soc., 25 juin 2003).
Ainsi, le salarié sera privé de l’indemnité de licenciement et pourra être redevable de l’indemnité correspondant au préavis non effectué.
En outre, en présence d’une clause de dédit-formation, le salarié pourra être condamné à rembourser à son employeur les frais que ce dernier aura engagés pour sa formation (Cass. Soc., 11 janvier 2012).
Enfin, la rupture étant analysée comme une démission, le salarié ne pouvant être regardé comme involontairement privé d’emploi ne pourra pas prétendre à une prise en charge par l’assurance-chômage.
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NB : le présent article a été rédigé avec la participation exceptionnelle de Monsieur Frédéric Sintes, juriste en poste dans la fonction publique.
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Anthony Bem
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