La société Google Inc a complété, en septembre 2008, son moteur de recherche accessible en France à l'adresse www.google.fr par une fonctionnalité, dite “Google Suggest ”.
Cette fonctionnalité offre aux internautes qui effectuent une recherche, à partir des premières lettres du mot qu'ils saisissent, un menu déroulant de propositions qui comporte une liste de requêtes possibles, un simple “clic” sur la requête proposée les dispensant, le cas échéant, d'avoir à taper le libellé complet de leur recherche.
A la suite de divers contentieux nés, selon les sociétés Google, du quiproquo que pouvait susciter la dénomination d'une telle fonctionnalité, ce service répond désormais à l'appellation “Prévisions de recherche ”.
Ce service est présenté par Google comme un service de “saisie semi automatique” qui permet aux utilisateurs de “profiter de l'expérience des autres utilisateurs”, en portant à leur connaissance les requêtes “les plus populaires déjà tapées par les internautes qui commencent par ces lettres ou mots “.
En l'espèce, la société Lyonnaise de garantie exerce une activité d'agence et de courtage d'assurance à destination des professionnels de l'immobilier, et offre diverses prestations de garantie de revenus locatifs dans le cadre de dispositifs de défiscalisation (type “Robien” ou “Borloo”).
Or, cette société, dépendant aussi de son référencement sur Internet, a constaté que la saisie sur le moteur de recherche Google des lettres “Lyonnaise de g”, faisait apparaître la suggestion “lyonnaise de garantie escroc ”, au troisième rang des trois suggestions de recherche alors proposées aux internautes, et ce sur le moteur accessible aux adresses google.fr (France), google.be (Belgique), google.uk (Royaume-Uni), google.es (Espagne), google.it (Italie), google.ca ( Canada).
Suites aux mises en demeure adressées aux sociétés Google Inc et Google France, il fut répondu par des fins de non-recevoir de la part de ces sociétés au motif que les suggestions de recherche proposées aux internautes résultaient d'un système automatisé depuis une base de données recensant les libellés de recherche les plus fréquemment utilisés par les internautes.
La société Lyonnaise de garantie a donc assigné les sociétés Google Inc et Google France sur le fondement de l’injure publique en application de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Les sociétés Google Inc et Google France ont été déboutés de leur argument selon lequel l'affichage de l'expression litigieuse ne saurait caractériser une injure publique n'étant pas le fait d'une personne physique mais d'un traitement de données, et en tout étant de cause, n'étant pas le fait de la pensée consciente mais un résultat d'algorithme.
Les défenderesses ont tenté d'expliquer “le fonctionnement de la saisie semi-automatique" : "A mesure que vous saisissez vos termes de recherche, l'algorithme Google prédit et affiche des requêtes basées sur les activités de recherche des autres internautes. Ces recherches sont déterminées, par le biais d'un algorithme, en fonction d'un certain nombre de facteurs purement objectifs (dont la popularité des termes de recherche), sans intervention humaine. Toutes les requêtes de prédiction affichées ont été déjà saisies par le passé par d'autres utilisateurs de Google. La base de données de la saisie semi automatique Google est régulièrement mise à jour afin de proposer les dernières requêtes du moment" .
Les juges n'ont pas retenu le caractère technique et mathématique des procédés utilisés pour proposer de telles suggestions de recherche aux internautes pour exclure la mise en jeu de la responsabilité de Google.
Les qualités littéraire et technique de la motivation des juges justifient d'en reprendre ci-après les termes in extenso :
« il sera relevé au préalable sur l'argumentaire technique des défendeurs :
que les algorithmes ou les solutions logicielles procèdent de l'esprit humain avant que d'être mis en œuvre,
que les défendeurs ne produisent aucune pièce ... établissant que les suggestions faites aux internautes procéderaient effectivement, comme ils le soutiennent, des chiffres bruts des requêtes antérieurement saisies sur le même thème, sans intervention humaine,
que loin de la neutralité technologique prétendue dudit service - peu important à cet égard que son ancienne appellation de “Suggestions de recherche” ait été abandonnée pour celle, moins explicite, de “Prévisions de recherche”, encore traduite en volapuk technique sous la forme “service de saisie semi-automatique”-, l'item litigieux, qui n'est nullement saisi par l'internaute mais apparaît spontanément à la saisie des premières lettres de sa recherche comme une proposition de recherche possible, est incontestablement de nature à orienter la curiosité ou à appeler l'attention sur le thème proposé, et, ce faisant, de nature à provoquer un “effet boule de neige” d'autant plus préjudiciable à qui en fait l'objet que le libellé le plus accrocheur se retrouvera ainsi plus rapidement en tête de liste des recherches proposées,
qu'au regard de ces considérations d'ordre général, il doit être relevé que tous les libellés de recherches lancées par les internautes ne sont pas pris en compte par le moteur de recherche Google dans le souci, notamment, d'éviter les suggestions “qui pourraient offenser un grand nombre d'utilisateurs” tels que “les termes grossiers”- comme il est précisé dans le jugement, versé aux présents débats par la société demanderesses, rendu par cette même chambre le 4 décembre 2009, sur la foi d'une note alors produite par la société Google Inc-, ce qui suppose nécessairement qu'un tri préalable soit fait entre les requêtes enregistrées clans la base de données,
que de même, le site google.fr invitait les internautes - comme l'a retenu cette chambre dans le même jugement du 4 décembre 2009- à signaler “des requêtes qui ne devraient pas être suggérées“, de sorte que le tribunal est fondé à comprendre qu'une intervention humaine est possible, propre à rectifier des suggestions jusqu'alors proposées,
que si cette note n'est plus produite par les sociétés défenderesses dans le cadre de la présente instance, une notice depuis lors actualisée et moins explicite paraissant y avoir été substituée, cette dernière explique encore à la question “Est-ce que Google exclut de Google Suggest certaines requêtes d'utilisateurs ?”, la réponse suivante : “[...] Nous appliquons également un ensemble restreint de politiques de suppression en ce qui concerne la pornographie, la violence et la haine“, ce qui confirme la possibilité au moins a posteriori d'une intervention humaine propre à éviter les dommages les plus évidents liés aux fonctionnalités en cause,
que les défendeurs ne sauraient sérieusement invoquer l'atteinte à la liberté d'expression que constituerait en elle-même l'intervention judiciaire visant, dans les cas et aux conditions prévues par la loi, à rétablir un particulier dans ses droits en ordonnant, le cas échéant, la suppression de telle association de mots ou expressions avec son nom, alors que le service offert par Google a pour seule utilité d'éviter aux internautes d'avoir à saisir sur leur ordinateur l'entier libellé de leur requête de sorte que la suppression éventuelle de tel ou tel des thèmes de recherche proposés ne priverait aucun d'entre eux de la faculté de disposer, mais à leur seule initiative et sans y être incité par quiconque, de toutes les références indexées par le moteur de recherches correspondant à telle association de mots, patronymes ou raison sociale de leur choix ... ».
Dans ce contexte, le tribunal a jugé que les sociétés Google sont coupables d’injure publique et fait droit à la demande de suppression de la suggestion litigieuse sous astreinte et d'indemnisation.
Ce jugement oblige donc désormais Google à supprimer spontanément les résultats litigieux de son application Google Suggest sauf à engager sa responsabilité.
Le 14 décembre 2011, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de Google et de son ancien directeur général pour « injures publiques ».
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Anthony Bem
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