Nous envisagerons successivement :
- Les fondements légaux (1) ;
- La frontière entre la libre critique ou la liberté d’expression et les propos racistes (2) ;
- La responsabilité des sites Internet en matière de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale sur internet (3) ;
- L’action des associations chargées de combattre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (4).
1) Les fondements légaux
La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 qui définie la diffamation, l’injure et l'incitation à la haine raciale est applicable à internet. La loi du 29 juillet 1881 a été complétée par des lois successives afin de réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.
Le délit de diffamation raciale est défini par les articles 29 et 32 al.2 de la loi sur la liberté de la presse comme :
« toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement ».
Le délit d’injure raciste est défini par les articles 29 al.2 et 33 al.3 de la loi sur la liberté de la presse comme :
« toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait … envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »
Sur les « injure et diffamation sur Internet », lire : http://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/injure-diffamation-publique-819.htm
Le délit d'incitation à la haine raciale est défini par l’article 24 alinéa 8 de la loi sur la liberté de la presse :
« Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 45.000 € ou de l'une de ces deux peines seulement. »
S’agissant du négationnisme et de la contestation des crimes contre l'humanité, outre l’article 32 al.2 précité de la loi sur la liberté de la presse, l’article 24 bis de cette loi dispose que :
« Seront punis … ceux qui auront contesté … l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »
Par ailleurs, le 17 juin 2004, lors du Sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a été adoptée la Charte d’éthique et de civilité commune aux usagers de l’internet qui préconise d’instaurer un dialogue entre peuples et cultures différents, ce qui implique naturellement l’absence de propos racistes.
L’article 1er de cette Charte énonce le principe de non discrimination qui est complété par l’article 6 aux termes duquel :
« Le numérique ne doit pas être un vecteur de discrimination, d’incitation à la haine, ou d’actes attentatoires à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine. »
Enfin, il convient de souligner que la prescription de l’action publique est de un an pour ces délits de presse à caractère racial et non plus de trois mois comme les autres infractions de presse.
2) La frontière entre la libre critique ou la liberté d’expression et les propos racistes
La frontière entre la critique et les propos racistes n’est pas toujours aisée à délimiter.
La France se distingue d’autres pays en ce que le régime de la liberté d’expression est un régime répressif.
Au contraire, aux Etats-Unis, le premier amendement implique une liberté d’expression extrêmement large et garante de la démocratie.
En France, la notion de « société démocratique » est au contraire employée comme limite à la liberté d’expression, cette liberté étant une « restriction nécessaire dans une société démocratique ».
La chambre criminelle de la cour de cassation a eu l’occasion de juger, le 12 avril 2005, sur le fondement des dispositions de l’article 24 alinéa 8 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 précitées, que la liberté d’expression trouve ses limites lorsque les propos « suscitent un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes déterminées ».
L’appréciation du « sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes déterminées » relève donc d’une analyse par les juges et au par cas.
A titre de bon exemple de l’appréciation faite par les juges, je vous livre celle présente dans le jugement rendu par la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, le 4 juin 2010, condamnant Monsieur le Ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, pour injure raciale :
« La vidéo diffusée par la chaîne Public Sénat établit à l’évidence qu’en s’exclamant “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, Brice Hortefeux réplique à une militante qui venait de préciser que le jeune Amine, dont il avait été précédemment indiqué qu’il parlait arabe, était catholique, mangeait du cochon et buvait de la bière.
L’emploi du mot “prototype” appliqué à une personne - en l’espèce le jeune militant de l’UMP dont le groupe qui entoure Brice Hortefeux souligne l’origine arabe supposée-, déjà malheureux et incongru en lui-même, laisse entendre que tous les Arabes de France seraient semblables, nécessairement musulmans et qu’ils se conformeraient tous aux prescriptions de l’Islam, seul le jeune Amine faisant exception.
Le propos peut surprendre par la généralisation à laquelle il procède et choquer, au regard du principe républicain de laïcité, par l’assignation qu’il opère entre un groupe de personnes défini par leur origine et telle religion ou telles pratiques religieuses déterminées, supposées constituer un élément d’identification du groupe en tant que tel et, nécessairement quoique implicitement, de différenciation de ce groupe du reste de la communauté nationale.
De nature à flatter le préjugé ou à favoriser les idées reçues, il est à tous égards contestable. Mais il ne saurait être regardé comme outrageant ou traduisant du mépris à l’égard des personnes d’origine arabe, auxquelles seule une pratique religieuse, de libre exercice, est imputée, le serait-elle abusivement ou inexactement.
S’agissant du second propos reproché, il n’est pas douteux, en dépit des premiers éléments d’explication qui ont pu être donnés tant par Brice Hortefeux que par le jeune militant de l’UMP, Amine B…, le premier ayant un temps soutenu qu’il évoquait les Auvergnats, le second que seuls les photographes de presse étaient visés, que la phrase “Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes” se rapporte aux personnes d’origine arabe.
L’enregistrement de Public Sénat est sans ambiguïté sur ce point : l’échange provoqué par l’initiative du jeune Amine qui souhaite poser pour une photo aux côtés du ministre suscite depuis quelques instants les exclamations du groupe qui hèle son prénom, précise qu’il parle arabe, qu’il n’est pas comme les autres, jusqu’à ce qu’une militante s’adressant à Brice Hortefeux lui glisse la phrase “C’est notre… c’est notre petit arabe”, laquelle suscite aussitôt la réplique du ministre, qui ne se rapporte à rien d’autre.
L’affirmation ainsi proférée, sous une forme lapidaire qui lui confère un caractère d’aphorisme, est incontestablement outrageante, sinon méprisante, pour les personnes concernées, qui -à la différence du propos précédent- ne se voient pas seulement exclusivement définies par leur origine, indépendamment de ce que postule le libre arbitre ou de ce qui fait une individualité, la singularité d’un parcours, les qualités ou les défauts d’un caractère, mais sont présentées comme facteur de “problèmes”, soit négativement, du seul fait de leur origine, laquelle révélerait une essence commune dans les limites de laquelle il conviendrait de les enfermer.
Ainsi exprimé, le propos ne se réfère à aucun fait précis, il souligne sinon une menace, du moins une difficulté ou une préoccupation d’ordre général, en ne l’imputant à rien d’autre qu’à l’origine réelle ou supposée des personnes, et à leur nombre.
Il est punissable aux termes de la loi, dès lors qu’il vise indistinctement un groupe de personnes non autrement identifiées que par un des éléments énoncés par l’article 33, alinéas 3 ou 4, de la loi du 29 juillet 1881 : origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou encore sexe, orientation sexuelle, handicap. Il le serait, sous cette forme (“Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”), pour tout autre groupe de personnes défini par un quelconque des critères, énoncés par la loi, de détermination du groupe des personnes à protéger (les juifs, les noirs, les catholiques, les femmes, les homosexuels, les non-voyants, etc.). Il l’est, en l’espèce, pour toutes les personnes d’origine arabe… »
3) La responsabilité des sites Internet en matière de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale sur internet
L’article 6-I.7, al 3 de la LCEN dispose que :
« Compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence ainsi que des atteintes à la dignité humaine, les personnes mentionnées ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal. »
La LCEN impose donc aux sites Internet la mise en place de mécanismes adaptés pour lutter contre la discrimination raciale et l’incitation à la haine raciale, ainsi que d’autres infractions d’une particulière gravité qui portent atteinte à la dignité de la personne humaine.
Cependant, la LCEN considère que les sites hébergeurs de contenus n’ont pas une obligation générale de surveillance des contenus hébergés sur leurs sites, blog, forum etc … (ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Paris du 29 octobre 2007 ; Ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Paris du 18 février 2002 ; Cour d’appel de Versailles du 12 décembre 2007)
Le statut d’hébergeur de contenus sur internet est avantageux puisqu’il conditionne de manière particulière la mise en jeu de la responsabilité des sites web considérés comme hébergeurs ("la responsabilité des éditeurs et des hébergeurs de contenus sur l'internet").
En tout état de cause, les auteurs des propos illicites mettent automatiquement en jeu leur responsabilité pénale du fait de leur mise en ligne, et ce, indépendament du type de site internet sur lequel ils sont diffusés.
4) L’action des associations chargées de combattre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie
Comme dans le cadre des Affaires Hortefeux, Dieudonné, etc … au titre de la lutte contre le racisme, les associations dont le but est de combattre le racisme ou d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse telles que la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA); le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié des Peuples (MRAP); SOS RACISME; Ligue des Droits de l’Homme (LDH) interviennent fréquemment pour lutter contre les atteintes à la liberté d’expression, les injures raciales et les incitations à la haine raciale en se constituant partie civile lorsqu’une de ces infractions est commise.
L’article 2-1 du Code de procédure pénale prévoit que lorsque l’infraction est commise individuellement envers une personne, l’association ne sera recevable à agir qu’en cas d’accord de la personne intéressée.
Enfin, il convient de souligner que le 12 octobre 2010, la chambre criminelle de la cour de cassation a posé le principe que les associations sont recevables à agir et se constituer partie civile, par voie d'intervention, en matière d'infractions de presse (Cass. Crim., 12 oct. 2010, n° 10-80.825) - Sur cet arrêt, lire: "Provocation à la haine et racisme sur Internet : constitution de partie civile des associations").
Ce principe vient modifier le principe jurisprudentiel antérieur selon lequel la constitution de partie civile ne peut se faire que par voie d'action et non d'intervention, autrement dit les associations devaient nécessairement se trouver à l'origine des poursuites pour pouvoir se constituer partie civile et elles ne pouvaient se greffer sur les poursuites du parquet (Cass. Crim., 10 mai 2006, Bull. crim. no 125 ; Cass. Crim., 12 novembre 2008, n°08-81.269).
Conséquemment à cet arrêt, les associations pourront intervenir beaucoup plus souvent dans les procédures pénales initiées par le parquet sur le fondement de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
Avocat à la Cour
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