La loi camerounaise n° 2019/021 du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l'activité de crédit dans les secteurs bancaire et de la micro finance au Cameroun vient compléter les anciennes prévisions de la Convention portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale du 17 janvier 1992 et l’ordonnance n° 85/002 du 31 août 1985 relative à l’exercice des établissements de crédit modifiée et complétée par la loi n°88/006 du 15 juillet 1988. Elle a, à bon droit, repris la définition de l’opération de crédit donnée par la Convention. Il s’agit de l’« acte par lequel un établissement assujetti agissant à titre onéreux, avance ou promet d'avancer des fonds à une personne physique ou morale, ou prend dans l'intérêt de celle-ci un engagement par signature ». Cette loi concerne le crédit octroyé aux personnes physiques et morales par les établissements de crédit et les établissements de micro finance. En synthèse, la raison d’être de cette loi est de combattre le non remboursement de crédit et le surendettement.
Notre réflexion concerne le crédit accordé aux personnes physiques ayant le statut de consommateur. Selon l’article 2 de la loi-cadre n° 2011/012 du 6 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun, le consommateur est « toute personne qui utilise des produits pour satisfaire ses propres besoins et ceux des personnes à sa charge et non pour les revendre, transformer ou les utiliser dans le cadre de sa profession, ou toute personne qui bénéficie des prestations de service ». Il est inquiétant, au regard du courant consumériste ambiant, que ce personnage économique n’ait pas été spécifié par la loi, car toutes les personnes physiques n’ont pas le statut de consommateur. Par exemple, le nouvel acteur du commerce dit entreprenant créé par l’acte uniforme révisé portant sur le droit commercial général du 15 décembre 2010 est bien une personne physique. Cependant, on note qu’au travers des dispositions visant les personnes physiques, qu’une protection embryonnaire est prévue pour celles-ci. La présente réflexion tend à apprécier les incidences que la loi du 24 décembre 2019 pourrait avoir sur les droits du consommateur et la politique de crédit en général, en passant au crible les points essentiels de la réglementation. Ainsi, en modernisant le contrat de crédit (I), le législateur a revu le droit pénal spécial du crédit (II), tout en omettant de réglementer le surendettement (III). Chacun de ces points affectent notablement le droit de la protection du consommateur, surtout si on considère que le législateur n’a pas toujours jugé pertinent de distinguer les microcrédits à la consommation, à l’instar du crédit scolaire, d’autres crédits accessibles aux personnes physiques.
I. LA MODERNISATION DU CONTRAT DE CREDIT
La modernisation du contrat de crédit est appréciable à travers les nouvelles dispositions concernant la conclusion et l’exécution du contrat de crédit.
Relativement à la conclusion du contrat de crédit, le législateur a fortement formalisé la phase précontractuelle, tant du côté de l’établissement que du coté du demandeur de crédit.
L’article 5 de la loi du 24 décembre 2019 met sur le dos de l’établissement une obligation dualiste, de conseil et d’information, dont les modalités ne sont malheureusement pas indiquées. D’abord, en application en son premier alinéa, l’établissement assujetti doit s’assurer que la demande de crédit est pertinente. Son premier alinéa impose à ces établissements « d'offrir à leur client, des produits et services adaptés à leurs besoins, en tenant compte de leur capacité de remboursement afin de prévenir tout risque de non-remboursement ou de surendettement ». L’article 6 insiste sur ce point : « Les établissements assujettis sont tenus de fournir à l'emprunteur les informations lui permettant de déterminer si le crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière ». Sur la base de ces deux textes, le banquier devrait pouvoir refuser l’octroi de crédit à certains demandeurs, dont le consommateur, notamment pour éviter le cycle du surendettement. Ensuite, l’alinéa 3 met à la charge des établissements assujettis une obligation de conseil, en exigeant d’eux « de fournir toutes informations précontractuelles de nature à éclairer le consentement de son client ». Concrètement, la loi du 24 décembre 2019 énonce deux catégories d’informations à communiquer préalablement au demandeur de crédit. Pour tout crédit, L’article 5 alinéa 2 oblige les établissements assujettis à « (…) communiquer aux clients des informations complètes sur le coût, la qualité des produits et les services qui leur sont proposés ». Selon l’article 7, le demandeur de crédit doit également recevoir communication du projet de convention de crédit, du taux effectif global et du taux d’usure, tout comme le tableau d’amortissement, ceci avant la conclusion du contrat. Puisque la loi pèche en ne précisant pas expressément les modalités de cette communication, on doit relever qu’il doit s’agir de documents, donc on doit pouvoir envisager ici une communication documentaire préalable. C’est le lieu de rappeler pour conforter cette obligation relativement à la personne physique ayant le statut de consommateur, les dispositions précises de l’article 9 de la loi du 6 mai 2011 : «S’agissant de l’octroi des crédits au consommateur pour la fourniture de technologies, de biens et services, le fournisseur ou prestataire est tenu d’informer le consommateur par écrit sur le prix comptant, le montant de l’intérêt, le taux annuel à partir duquel cet intérêt est calculé, le taux d’intérêt sur les arriérés, le nombre de traite payables, la fréquence et la périodicité de ces traites et le montant total à payer». On notera également l’obligation de publicité de l’article 8 al. (1) « Les établissements assujettis doivent publier les conditions tarifaires et les afficher à un endroit visible dans leurs bureaux, guichets ou agences ».
Pour sa part, le demandeur doit fournir au banquier l’ensemble des documents de l’article 4. Ils ont vocation à rendre possible son identification, l’identification de ses ressources et de leurs origines, et l’appréciation de l’ensemble de ses charges, y compris les crédits en cours. Mais encore, il doit fournir « toute autre information permettant d'éclairer la décision de l'établissement assujetti », texte à lire en miroir pour l’effet d’instance avec l’article 4al. 4. Ces informations doivent être exactes, la sanction risquée ici étant d’ordre pénal. A la signature de la convention de crédit, le consommateur doit recevoir, au sens de l’article 7 in fine, « un exemplaire de ladite convention, le Taux Effectif Global (TEG), le Taux d'usure et le tableau d'amortissement de l'opération de crédit ».
On accueille particulièrement l’obligation désormais faite aux établissements de crédit de rappeler la loi fondamentale du crédit au consommateur : « dans chaque convention de crédit et dans toute publicité faite sur le crédit, les établissements assujettis doivent clairement indiquer la teneur de l'engagement que représente le crédit à l'égard de l'emprunteur et l'obligation de remboursement qui en découle ». On devrait donc bientôt lire, sur les documents de crédit de ces établissements, des slogans du type : « tout crédit vous engage, tout crédit doit être remboursé », comme en France. Ceci devrait agir comme un martellement psychologique et réduire les velléités d’endettement du consommateur, surtout que le crédit peut être restructuré ou rééchelonné.
En toute matière contractuelle, le consommateur bénéficie de certains garde-fous. C’est la cas de l’Article 7 de la loi du 6 mai 2011 qui prévoit un droit de repentir : « Le consommateur a le droit de se rétracter dans un délai ne pouvant excéder quatorze (14) jours à compter de la date de signature ou d’exécution d’un contrat, de réception d’une technologie, d’un bien ou d’un service lorsque le contrat a été conclu, indépendamment du lieu, à l’initiale du fournisseur, du vendeur ou de ses employés, agents ou serviteurs ». On ne saurait excepter là ou où la loi n’excepte pas : les contrats de crédit sont bien concernés par cette disposition.
Revenant sur l’exécution du contrat de crédit, le rappel des obligations de chacune des parties par la loi du 24 décembre 2019 est objectif. La seule obligation incombant à l’établissement assujetti est la mise à disposition des fonds objet du contrat de crédit. La nouvelle loi ne revient pas sur les différents prélèvements généralement opérés sur le principal. Pour les microcrédits, le législateur aurait pu envisager un prélèvement échelonné des divers frais et commissions qui, une fois appliqués, obèrent largement le montant attendu par le consommateur. L’engagement de crédit concerne l’emprunteur lui-même et ses coobligés, en tête desquels le co-emprunteur et la caution. Mais, ces coobligés pourraient également être l’époux commun en biens de l’emprunteur, et bien entendu, en cas de décès, ses héritiers. C’est connu, le crédit ne disparait pas avec le décès de l’emprunteur. Le remboursement du crédit se fait dans les conditions prévues par la convention. Le remboursement anticipé reste possible, à charge pour l’établissement de vérifier l’origine des fonds pourvus à cette fin.
En cas de non remboursement du crédit, donc d’inexécution de son obligation de remboursement par le consommateur, l’établissement doit lui servir une lettre de rappel à la première défaillance. Le consommateur a 30 jours pour régulariser le remboursement. Passé 30 jours, sans régularisation, il recevra, à la diligence de l’établissement assujetti, une mise en demeure servie par voie d’huissier, d’effectuer son remboursement dans un délai de 8 jours dès réception de la mise en demeure. Après ce délai, l’inexécution de l’emprunteur entraine l'arrêt juridique des comptes et l’établissement peut dès lors recourir à l’exécution forcée. Que le législateur n’ait pas distingué ce personnage des autres personnes physiques, en fait un emprunteur encore plus fragile, potentiellement victime d’un recouvrement forcé au premier échec de remboursement. Et que recouvra-t-on exactement ? Les règles de droit commun reprennent leur pouvoir, sous réserve de la panoplie de sanctions cumulatives qui guettent désormais l’emprunteur en cas de non remboursement de son crédit.
II. LA REVISION DU DROIT PENAL SPECIAL DU CREDIT A LA CONSOMMATION
Comme par le passé, l’emprunteur défaillant court le risque d’une interdiction judiciaire et d’une poursuite en vertu de la responsabilité civile. En rappel également, tout consommateur défaillant quant au remboursement d’un crédit se verra prononcer une interdiction bancaire par l’établissement assujetti. Celui-ci a l’obligation d’en informer le Conseil national du crédit et la BEAC qui tiennent des fichiers en vue des statistiques et de l’information des autres établissements de crédit et de micro-finance. Dans ces lignes, on se limitera aux sanctions pénales nouvellement règlementées.
L’innovation critique que l’on doit retenir de la loi du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l'activité de crédit dans les secteurs bancaire et de la micro finance au Cameroun est la révision du droit pénal spécial du crédit. En effet, l’incrimination du non remboursement fait une entrée royale dans le droit pénal camerounais, sur la base des articles 20 et suivants de la loi. Aux termes de l’article 20, « Est punie d'un emprisonnement de six (06) mois à cinq (05) ans et d'une amende de cent mille (1 00 000) à cent millions (1 00 000 000) de francs CFA, ou de l'une de ces deux peines seulement, toute personne qui, de mauvaise foi, n'a pas remboursé le crédit qui lui a été accordé par un établissement assujetti ». Il s’agit d’une infraction de commission, car la mauvaise foi de l’emprunteur doit être établie. Cette condition de la mauvaise foi sera certainement appréciée par le juge, même si en matière de dette d’argent, elle est aisée à établir. Il encourra dès lors les sanctions cumulées d’une amende et d’un emprisonnement dont les somme et durée seront fonction du montant du crédit dû. Ici seulement, les microcrédits ont été considérés. Car, l’article 21 donne la déclinaison suivante de la fixation des sanctions : « cent mille (100 000) à un million (1 000 000), pour les montants de crédits non remboursés inférieurs ou égaux à cinq millions (5 000 000) ; - un million (1 000 000) à deux millions (2 000 000), pour les montants supérieurs à cinq millions (5 000 000) et inférieurs ou égaux à dix millions (1 0 000 000) (…) ».
La prison pour dette resurgit donc des tréfonds pour concerner toute personne physique, y compris le consommateur, mais uniquement le consommateur de mauvaise foi. Le facteur de la vulnérabilité de ce personnage dans le contexte d’un pays pauvre devra marquer l’appréciation de cette mauvaise foi. En effet, entre le faible pouvoir d’achat et la faible culture du crédit à la consommation, cette appréciation doit être marquée de toute l’empreinte nécessaire pour consolider la fragile culture de la bancarisation et le recul du crédit de particulier à particulier, creuset du crédit usuraire. Sinon, cette seule menace pénale devrait participer à marquer négativement le crédit bancaire d’un risque autre que celui du non remboursement et même du surendettement : le risque de « finir en prison ». Ceci est d’autant plus regrettable que d’autres infractions existent.
Ainsi, le consommateur qui aura fourni des informations ou des documents inexacts à l’établissement assujetti pendant la conclusion du contrat de crédit encourt une sanction pénale, qui pourrait être un « emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d'une amende de cent mille (1 00 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, ou de l'une de ces deux peines seulement ». En comparant avec les dispositions de l’article 314 du nouveau code pénal camerounais, qui réprime le faux en écriture privé et commerce, lequel en son point 2 vise expressément le faux en écriture de banque, on constate que la réforme a singulièrement programmé une augmentation du plancher de l’amende. Le code pénal a prévu une peine plus douce dont le plancher de l’amende est de 2 000 000 (deux millions).
Enfin, l’incrimination spéciale des actes informatiques et cybercriminels tendant à altérer des données bancaires relatives à un crédit doit également être relevé. Ainsi, ces actes sont désormais punis d’un « (…) d'un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d'une amende de cent mille (1 00 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, ou de l'une de ces deux peines seulement ». Ici encore, le législateur entend également réprimer les cyber-infractions relatives au crédit, par une disposition distincte du droit pénal commun. Cette infraction est en effet formellement prévue par l’article 72 de la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cyber sécurité et à la cybercriminalité au Cameroun. Il dispose qu’« est puni des peines prévues par l’article 66 ci-dessus celui qui, de quelque manière que ce soit, sans droit, introduit, altère, efface ou supprime, afin d’obtenir un bénéfice économique, les données électroniques, de manière à causer un préjudice patrimonial à autrui ». Cet article 66 prévoit « un emprisonnement de deux (02) à cinq (05) ans et d’une amende de 1 000 000 (un million) à 2 000 000 (deux millions) f Cfa ou de l’une de ces deux peines seulement ». Ici aussi, le droit pénal commun a prévu une peine plus douce dont le plancher de l’amende est de 2 000 000 (deux millions).
On retiendra donc que la délinquance en matière de crédit est désormais sévèrement réprimée. Le principe général de protection du consommateur pousse à militer pour un retour au code pénal chaque fois que le consommateur sera aux prises avec les infractions liées au crédit. S’endetter n’est jamais, pour la grande majorité des consommateurs, une sinécure : ce serait un appel de pied à l’équilibre des droits, surtout que le législateur a royalement omis d’adresser le surendettement des consommateurs.
III. L’OMISSION DE LA REGLEMENTATION DU SURRENDETTEMENT
Force est définitivement de constater que la loi du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l'activité de crédit dans les secteurs bancaire et de la micro finance au Cameroun n’a pas véritablement recherché le confort juridique des emprunteurs. L’article 5 indique pourtant que lors de la conclusion du contrat de crédit, l’établissement assujetti apprécie les capacités « de remboursement afin de prévenir tout risque de non-remboursement ou de surendettement » du demandeur. Curieusement, ce dernier fléau, le surendettement, n’apparait que dans ce texte. Il ne fait l’objet d’aucune définition. Pour ce sujet, il s’agit en fait de la déconfiture du consommateur, qui ne peut plus faire face à ses dettes, et spécialement aux dettes de crédit. Le surendettement n’est pas uniquement consécutif à une accumulation de crédit, mais peut résulter d’une mauvaise évaluation par l’établissement assujetti de la capacité de remboursement du demandeur. On a déjà relevé que les documents exigés du consommateur demandeur de crédit tendent, spécialement pour ceux qui permettent l’identification de ses ressources et de leurs origines ainsi que l’ensemble de ses charges, à permettre une évaluation de sa capacité de remboursement. Le législateur aurait, pu, déjà, stigmatiser, notamment par la loi pénale, l’établissement fautif, autant que l’a été la personne physique défaillante de mauvaise foi. Et, en principe, les possibilités de restructuration comme de rééchelonnement du crédit pourraient apporter un nouveau souffle au consommateur. Mais, comment entend-on résoudre l’équation du surendettement du consommateur de bonne foi au Cameroun ? Ainsi, la loi du 24 décembre 2019 a esquivé une problématique pourtant prégnante au quotidien. Le législateur aurait dû prendre à bras-le-corps le problème du surendettement du consommateur, au moins en matière de microcrédit, notamment par la création d’un fonds de garanties approvisionné par les amendes prononcées contre les infractions de tout ordre liées aux contrats de crédit. En tout cas, l’emprunteur défaillant de bonne foi méritait un appui au remboursement de son crédit.
Au regard des observations précédentes, on s’interroge sur l’opportunité de la loi du 24 décembre 2019, dans un contexte de surliquidité des banques du Cameroun, déjà peu enclines au crédit à la consommation. Le législateur aurait pu distinguer l’activité de crédit à l’investissement de l’activité de crédit à la consommation. L’action de la COBAC en vue de susciter la bancarisation des ménages aurait pu se poursuivre par une réglementation spécifique favorable au crédit de consommation, moins pénalisée. Les statistiques donnent pour acquis la naissance d’une classe sociale moyenne au Cameroun, qui devrait envisager avec plus de souplesse l’accès au crédit de consommation. Cette loi du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l'activité de crédit dans les secteurs bancaire et de la micro finance au Cameroun qui traite du crédit alloué à toutes les personnes physiques sans y distinguer les consommateurs, rame à contre-courant des efforts communautaires de bancarisation et pourrait confiner les ménages aux offres de crédit domestiques offerts par les tontines ou sauvages relevant de l’usure.
Marie-Colette KAMWE MOUAFFO épse KENGNE,
Diplômée en droit de la concurrence et de la consommation,
Maître de conférences à l’Université de N'Gaoundéré/Cameroun.