1. ARRÊT N°011/2011 du 24 mars 2011, Affaire MOKAMANEDE John Wilfrid C/ 1- E.I.E.D 2 - Commission CEMAC (Requête aux fins de liquidation des droits légaux et paiement de dommages - intérêts)
MOTS CLES CEMAC - INSTITUTIONS - ECOLE INTER-ETAT DES DOUANES - FONCTIONNAIRE COMMUNAUTAIRE - FAUTE LOURDE - INDISCIPLINE - PROCEDURE DISCIPLINAIRE – ANNULATION DE LA DECISION DE LICENCIEMENT (OUI) – REINTEGRATION IMPOSSIBLE – LIQUIDATION DES DROITS LEGAUX (OUI) –RESISTANCE D’UNE INSTITUTION A L’EXECUTION D’UNE DECISION DE JUSTICE – SANCTION - ESPOIR DE REINTEGRATION – PERTE D’UNE CHANCE – PREJUDICE (OUI) - REPARATION (OUI).
----------------
SOMMAIRE
Composée d’États de droit, la CEMAC ne saurait aspirer à construire une communauté autre qu’une Communauté de droit, celle dans laquelle les actions les plus isolées de toutes ses institutions et organes doivent s’inscrire dans la légalité sous peine d’encourir l’annulation judiciaire. L’affaire MOKAMANEDE, est significative de la détermination du juge communautaire à poursuivre un tel dessein. Présentée comme une requête aux fins de liquidation des droits légaux et paiement de dommages-intérêts, il s’impose de revenir sur les différentes étapes de cette histoire judiciaire pour une bonne appréciation de ses importants apports. L’affaire MOKAMANEDE, remarquée dès ses débuts, a donné lieu à trois arrêts de fond. Ils constituent une jurisprudence suffisante pour une étude complète des conditions d’exercice d’un recours du fonctionnaire communautaire, qu’il s’agisse d’une action en annulation ou d’une action en responsabilité. Ce sont, en premier, l’arrêt n° 02/CJ/CEMAC/CJ/06 du 30 novembre 2006 En troisième rang, l’arrêt n° 011/2011 du 24 mars 2011 ici annoté, vient conclure positivement cette procédure et s’illustre comme l’un des tous premiers arrêts dans lequel la responsabilité de la Communauté est à la fois reconnue et sanctionnée par l’allocation des dommages-intérêts à la victime. Il faut aussi leur adjoindre l’arrêt n° 01/CJ/CEMAC/ du 20 juin 2006 rejetant la demande de sur- sis présentée par le Sieur MOKAMANEDE. Cette affaire est représentative des dangers, aujourd’hui justiciables de la Cour, qui ont pu hanter l’effectivité des droits des fonctionnaires dans une institution non dotée d’un système judiciaire qu’était alors l’UDEAC.
LES FAITS
Le Sieur MOKAMANEDE était employé comme formateur informaticien permanent à l’Ecole Inter-Etats des douanes (EIED). Sa carrière, positive, l’avait conduit à être promu expert, puis chef de service. Un vol d’outil informatique fut commis dans le service ; il assigna son collègue BANDANLARA devant un tribunal correctionnel de Bangui, considérant que ce différend était d’ordre privé et non professionnel. Ce prévenu accusa leur Directeur de service d’avoir fomenté le forfait. Cité à comparaître dans la procédure répressive nationale, le Directeur se dit calomnié, diffamé et décida, dès lors, d’engager une procédure disciplinaire contre M. MOKAMANEDE. Celle-ci se solda par une décision n° 72/CEMAC/EIED du 17 novembre 2005, signée du Directeur et portant licenciement pour faute lourde du Sieur MOKAMANEDE. Le Directeur contestait au demeurant l’existence d’un vol de matériel informatique et partant, l’accusation porté à son encontre comme « auteur intellectuel du vol ». Aussi conclut-il que « constitue les délits de dénonciation calomnieuse et de diffamation autant qu’il participe de faute lourde et de l’indiscipline le fait de faire citer le Directeur à comparaître à l’audience publique ». La faute lourde était ainsi consommée selon lui, justifiant le licenciement matérialisé par la décision n° 72.
LES PROCEDURES
M. MOKAMANEDE saisit alors le juge de N’djamena d’une requête en annulation, suivi d’une demande de sursis à exécution de la décision n° 72. La de- mande en annulation principalement était fondée sur divers motifs de fond et de forme. Les motifs de fond étaient essentiellement tirés du défaut de motivation de la décision de licenciement, la faute lourde n’ayant pas été prouvée, la diffamation et la calomnie manquant de fondement. Les motifs de forme paraissaient plus diversifiés : d’abord, le demandeur soutenait que la procédure interne de licenciement était irrégulière, le Comité consultatif de discipline étant selon lui incompétent pour décider son licenciement, sa composition au demeurant irrégulière, le procès-verbal sanctionnant la consultation de ce Comité ne lui ayant pas été communiqué.
Au cours de la procédure juridictionnelle, l’IEID souleva en guise de défense une exception d’irrecevabilité de la requête, avant de répondre sur le fond : elle soutenait principalement que le Sieur MOKAMANEDE n’avait pas respecté les règles administratives préalables à la saisine du juge des fonctionnaires communautaires. Précisément, le requérant n’avait pas saisi le Comité consultatif de discipline d’un recours administratif préalable, règle imposée par l’article 113 du Statut des fonctionnaires du Secrétariat exécutif. En réalité, la réitération de cette argumentation constituait une obstination désespérée car un arrêt avant-dire-droit du 20 juin 2006 rendu dans le cadre de la demande du sursis à exécution l’avait définitivement paralysée. Deux recours administratifs préalables avaient effectivement été mis en œuvre, quoique vainement, l’un auprès du Directeur de l’Ecole, l’autre auprès de son Conseil d’administration.
Dans l’arrêt du 20 juin 2006, la Cour avait alors admis une telle orientation des recours préalables considérant que « le recours administratif préalable, gracieux ou hiérarchique des fonctionnaires de l’Ecole Inter-Etats des Douanes destiné à ouvrir un pré- liminaire de conciliation doit être adressé ni au Secrétaire Exécutif, membre de droit du Conseil d’Administration de l’Ecole, ni au Conseil Consultatif de discipline du Secrétariat Exécutif, mais au Directeur de l’Ecole ou à son Conseil d’Administration, autorité suprême de l’Administration de l’Ecole investie de plein droit du pouvoir hiérarchique ». La requête fut donc jugée recevable. Ainsi, dans cette première partie de l’affaire MOKAMENEDE, les questions de procédure dominèrent sur le fond, et ce jusqu’au cours de l’appréciation de la demande en annulation. Là encore, le juge de N’djamena décida de l’irrégularité de la procédure interne de licenciement, marquée d’une grande faute : l’incompétence du Directeur des études à prononcer une sanction majeure comme le licenciement, compétence attribuée selon les articles 75 et suivants du Statut de l’EIED, au Conseil d’administration. Ainsi, la décision n° 72 encourrait inévitablement l’annulation, finalement prononcée par le juge communautaire.
Cependant, la demande du Sieur MOKAMANEDE invitant la juridiction à se prononcer sur sa réintégration au sein de l’IEID ne fut pas suivie, cette Cour n’étant pas compétente pour imposer une mesure d’exécution à une institution communautaire, selon une jurisprudence constante. Prenant acte de la décision de la Cour, le Conseil d’administration de l’EIED adopta différentes mesures concourant à l’exécution de la décision du 30 novembre 2006. Mais vraisemblablement, ces mesures n’emportaient pas l’adhésion des principaux responsables, car, une décision n° 01/07-UEAC-CM-15 du 19 mars 2007 du Conseil des ministres de l’UEAC portant exclusion du Sieur MOKAMANEDE du corps des fonctionnaires de la l’IEID vint interrompre cette évolution positive de l’affaire. Téméraire, notre fonctionnaire soumit cette seconde décision à la censure du juge communautaire. L’intervention de ce dernier donna lieu à l’arrêt n° 03/CJ/CEMAC/CJ/08 du 20 novembre 2008. La Commission, invitée à représenter le Conseil des ministres, resta silencieuse et aucune contradiction ne fut opposée aux arguments présentés par le Sieur MOKAMANEDE dans cette seconde procédure. Celui-ci fondait sa demande sur l’incompétence du Conseil des ministres à décider de son licenciement, au demeurant peu motivé. Il obtint aisément gain de cause, la Cour ayant jugé, après analyses des textes idoines, que « (…) les organes compétents pour prononcer le licenciement d’un fonctionnaire cadre de la Communauté sont le Conseil d’administration de l’organe et le Secrétaire Exécutif dans la mesure où l’article 6 du Statut des fonctionnaires dispose clairement que les fonctionnaires sont soumis à l’autorité du Secrétaire Exécutif de la Communauté ». Ces deux succès judiciaires n’ont pas abouti, sur le plan de leur exécution, au principal résultat escompté par le requérant : sa réintégration, d’ailleurs recom- mandée par le Conseil d’administration de l’Ecole. Une démarche de résolution amiable du litige fut engagée et déboucha sur une transaction de liquidation des droits du fonctionnaire en cause. Elle portait sur ses arriérés de salaire et ses primes. Cette transaction fut signée par le Sieur MOKAMANEDE, avec cependant des réserves sur les primes, porté qu’il était par l’espoir d’être finalement réintégré. Manifestement, cette réintégration s’avérait impossible, un réaménagement de l’organigramme de l’Ecole ayant abouti à la suppression de son poste. Aussi, le Président de la Commission invita-t-il ses collaborateurs à trouver une « piste indemnitaire » pour résoudre le litige. La transaction initialement conclue, ayant connu un commencement d’exécution, ne put résoudre définitivement le litige, faute d’accord sur les primes. De nouveau, le Sieur MOKAMANEDE saisit le juge de la CEMAC pour solliciter la liquidation de ses droits et l’allocation d’une indemnisation. Il soutint avoir gardé l’espoir d’une réintégration, espoir entretenu par la décision rendue en 2006 ainsi que les recommandations du Conseil d’administration de l’Ecole.
LA DÉCISION
La démarche du juge en l’espèce est d’une rare sévérité à l’encontre de la Communauté. Il est constant que la Cour ne saurait adresser une injonction aux institutions communautaires. Cependant, les décisions de justice dont l’exécution fidèle devrait aboutir à la réintégration d’un fonctionnaire, doivent être respectées. Le juge considère que de telles décisions, dotées de l’autorité de la chose jugée, comme les recommandations du Conseil d’administration, tous en faveur d’une réintégration du Sieur MOKAMANEDE, ont nourri « un espoir légitime » de réintégration chez ce dernier, que la « résistance abusive à l’exécution des arrêts définitifs a généré un préjudice qui s’analyse pour le requérant en perte d’une chance de faire carrière dans une institution internationale de son rêve ». En conclusion, au titre de la liquidation des droits, le juge communautaire entérine entièrement la transaction, arriérés et primes. Relativement à l’indemnisation, il alloue au requérant le montant conséquent de 13 millions de nos francs calculés sur la base de sept (07) mois de salaire, à partir « d’éléments d’appréciation suffisants ». Ainsi s’achève sept (07) ans de procédure (à partir de la décision de licenciement) déclenchée… par un vol d’outil informatique.
MARIE-COLETTE KAMWE MOUFFO,
Chargée de cours, Université de Ngaoundéré.
Pour citer cette annotation: RDJ-CEMAC, Revue de Droit et de Jurisprudence CEMAC N°03/2nd semestre 2013, p.53.