DE L'ACCES AUX SANITAIRES DANS LES AGENCES DE TRANSPORT AU CAMEROUN

Publié le Modifié le 26/07/2020 Vu 2 974 fois 1
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De l’intelligence d’un Décret : votre servante se prononce sur la légalité ou non de l'accès payant aux toilettes publiques dans les agences de transport au Cameroun.

De l’intelligence d’un Décret : votre servante se prononce sur la légalité ou non de l'accès payant au

DE L'ACCES AUX SANITAIRES DANS LES AGENCES DE TRANSPORT AU CAMEROUN

 

A propos de la gratuité ou non des toilettes publiques dans les agences de transport au Cameroun

Depuis que l'un de nos compatriotes est décédé dans une agence de voyage de Douala le 22 juillet 2020, de nombreuses réflexions émergent à propos de la gratuité ou non de l’accès aux toilettes dans les agences de transport. Le rapprochement des faits tels qu’exposés par les média, les réseaux sociaux et par l’agence de transport concerné permet, en synthèse, de rapporter que le consommateur en question, ici, un passager, puisque déjà titulaire d’un billet de transport, souhaitait accéder aux toilettes publiques. L’accès y est conditionné par le paiement d’une somme de 100 FCFA. Faute de monnaie, une contestation est née et une rixe s’en est suivie. Victime de coups, ce passager est décédé. Les consommateurs sont choqués – naturellement – et les questions qui surgissent achoppent toutes sur une seule : pourquoi payer pour accéder aux toilettes dans une agence de transport ? Comme chercheur en droit de la consommation et administratrice du groupe FB Consommateurs du Cameroun, Unissons-nous ici!, nous avons été interpellés pour apporter un éclairage juridique sur cette question. Après une recherche prima facie, nous avons retrouvé dans le Décret n° 2004/0607/PM du 17 mars 2004 portant fixation des conditions d’accès aux professions de transporteur routier et d’auxiliaire des transports routiers des réponses liminaires. Notre propos a pour objectif d’apporter une petite lumière sur ce texte de loi qui risque de devenir un ennemi des droits du passager, là où l’intelligence du législateur en avait fait un potentiel rempart de ses intérêts financiers.

On doit d’abord rappeler le texte qui donne l’information juridique sujette à réflexion. Il s’agit du Décret  n° 2004/0607/PM du 17 mars 2004 portant fixation des conditions d’accès aux professions de transporteur routier et d’auxiliaire des transports routiers. C’est son article 14 qui contient la réponse attendue, ou du moins un commencement de réponse. Il dispose que « (1) Tout demandeur d’une autorisation d’exercice d’une activité d’auxiliaire des transports routiers doit présenter un dossier comprenant : (...) - un plan d’aménagement des installations comprenant : un parking pour les véhicules en attente de chargement, un hall d’embarquement, un ou plusieurs guichets, une salle d’attente pour les voyageurs, une salle de repos pour les conducteurs, des bureaux administratifs, des toilettes publiques, un clôture, une guérite de contrôle de sécurité, un point d’eau" (...).

La première information capitale à retenir est l’obligation pour ces agences de transport, de disposer de certaines installations expressément indiquées, au rang desquelles, les toilettes publiques. Mais, le texte n’indique pas les modalités d’accès à ces infrastructures. Cette imprécision permet de laisser émerger de nombreuses hypothèses. Avant de les énoncer, il convient de rappeler la pratique déjà usuelle à laquelle le consommateur camerounais s’était accommodé, bon gré mal gré. En pratique, certaines agences accordaient volontiers, à leurs  passagers, l’accès gratuit aux toilettes publiques. Mais, ces dernières années, l’amélioration des infrastructures sanitaires a pu être observée dans de nombreuses agences dans les grandes villes camerounaises, et on a donc assisté à une facturation d’un montant assez généralisé de 100 CFA comme coût d’accès. Jusque-là, avec ou sans récriminations, les consommateurs ont payé pour accéder aux toilettes publiques des agences de transport.

Selon un adage populaire, « on a conscience avant, on prend conscience après ». Si les passagers étaient souvent « scandalisés » de payer pour se soulager, c’est après le drame de Douala que les interrogations se bousculent dans l’esprit des Camerounais : pourquoi payer pour accéder aux toilettes d’une agence dont on est déjà un client avéré, le ticket de transport faisant foi ? Au tournant de ce drame, les passagers viennent découvrir que c’est un texte de loi de la République, en l’occurrence un Décret, qui impose l’aménagement de ces toilettes publiques. L’indignation s’accentue et les analyses certainement partisanes des consommateurs concluent, pour la grande majorité, à la gratuité juridique de l’accès à ces toilettes publiques. Cependant, l’analyse a déjà fait état du silence du Décret de 2004 sur ce point. Il ne dit rien sur les modalités d’accès aux toilettes, tout comme il est resté silencieux sur les modalités d’accès à deux autres commodités de confort prévues pour les voyageurs, la salle d’attente et le point d’eau. Dans la pratique, on note que l’accès à cette salle est … gratuit. Pourquoi l’exception concernant les toilettes ? Il faut donc ici interroger l’esprit du Décret pour rechercher la logique du silence du législateur sur les modalités d’accès à ces commodités. Nous avons annoncé des hypothèses, en somme, trois. D’abord, la légalité de l’accès gratuit aux toilettes, ensuite la légalité de l’accès payant aux toilettes publiques et enfin celle d’une option possible laissée au promoteur de l’agence de voyage et au passager.

I- L’HYPOTHESE DE LA LEGALITE DE L’ACCES GRATUIT AUX TOILETTES PUBLIQUES

Les arguments en faveur de cette hypothèse ne manquent pas. Pour certains, cet accès gratuit est fondé sur le statut de passager. Dès lors qu’on a acquis un ticket de voyage, on devrait pouvoir profiter des toilettes, tout comme, on profite déjà du  point d’eau - lorsqu’il existe -  et de la salle d’attente, qui pour certaines, disposent au demeurant d’un téléviseur avec un choix multiple des canaux. Pour d’autres, la gratuité est sous entendue dans l’expression «  toilettes publiques », induisant des toilettes accessibles au public. On devrait d’ores et déjà rejeter cet argument puisqu’en réalité, il s’agit de distinguer les toilettes accessibles à la clientèle des cabinets d’aisance et urinoirs prévus pour le personnel, fondés, eux, sur l’article 51 de l’Arrêté n° 039 /MTPS /IMT du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail. D’ailleurs, en dehors des agences de transport, il existe dans certaines collectivités territoriales camerounaises des municipalités qui comptent des toilettes publiques payantes au rang de leurs activités génératrices de revenus. Les associations de consommateurs sont en tête de file des tenants de cette thèse, et portent ainsi la position d’un grand nombre de consommateurs. Le silence du Décret est en leur faveur, mais, pas le bon sens. En effet, l’idée de gratuité n’existe pas en matière commerciale. Il y a donc des passagers qui pensent profiter « gratuitement » de la salle d’attente dotée d’une télévision avec abonnement au satellite ou au câble ? Que non ! Les consommateurs doivent retenir, pour l’avenir, que les « accès gratuits » sont en réalité des accès payants différés ou reportés sur d’autres consommateurs. On attirera par exemple l’attention sur les agences de transport proposant des services VIP. Les passagers qui y ont accès savent que des sanitaires jouxtent les salles d’attente plus ou moins climatisées qui leurs sont réservés, et là, l’accès n’est pas formellement payant. Cependant, au regard du coût d’un voyage, aucun client sensé ne peut soutenir que l’accès y est « gratuit ». Au contraire, ils sont conscients de bénéficier d’un packaging de services, dont la facturation finale inclut nécessairement l’accès à ces sanitaires et le droit à l’accueil d’une hôtesse tout sourire.

Les consommateurs devraient savoir que le coût du moindre investissement concédé par le professionnel est reporté sur le prix de revient final du service : l’aménagement des toilettes publiques, leur entretien quotidien, le préposé qui distribue les papiers hygiéniques. Il faut donc penser que dans les agences proposant l’accès gratuit aux sanitaires, dont chacun peut désormais mesurer le coût des investissements et le coût mensuel pour le promoteur de l’agence de transport, les passagers ont certainement dû payer à l’avance cette commodité. Et dans ce cas, tout le monde paie, y compris ceux des consommateurs qui prennent toutes les dispositions antérieures possibles pour s’éviter des besoins urgents le temps d’un voyage. Et dans le cas où le consommateur doit payer à l’accès, on devra simplement s’assurer qu’il n’a pas payé deux fois. Il revient donc à l’Etat de faire les vérifications qui s’imposent pour fournir une information fiable aux passagers sur ce point, si le promoteur ne s’y oblige pas volontairement.

II- L’HYPOTHESE DE LA LEGALITE DE L’ACCES PAYANT AUX TOILETTES PUBLIQUES

Là encore, c’est le Décret de 2004 précédemment cité qui rend une telle hypothèse plausible. Les partisans, pleins de bons sens bien que plutôt rares, soutiennent que ces toilettes publiques coûtent cher aux agences de transport. Un autre argument, non aussi dénué de sens, prend appui sur la différence qu’il faut absolument rappeler entre l’investissement dans les services de transport et l’investissement dans le domaine des toilettes publiques, idée d’activité génératrice de revenus dont certains véritables investisseurs ont réussi à tirer le filon. On martèle qu’il s’agit de deux activités distinctes. Ce n’est pas totalement faux : l’aménagement et le service des toilettes exigent des investissements, du personnel, et intègrent des frais très éloignés des éléments entrant dans le fonds de commerce d’une agence de transport. On citera, en dehors des infrastructures adaptées, les factures d’eau, de désinfection, de papiers hygiéniques et, bien entendu, le salaire du préposé. En contre argument, on interrogera donc les tenants de cette thèse sur la légalité de ce second investissement commercial. Est-ce une activité secondaire légalement déclarée et reconnue comme telle, avec les obligations, notamment fiscales, qui en découlent ? Si l’Etat dispose d’éléments de réponses à ces interrogations, ils doivent être mis à la disposition des associations de consommateurs pour éclairer leurs prises de position. En tout état de cause, cette option permet de constater que seul le passager dans le besoin participe à la prospérité de cet investissement en payant un droit d’accès. Il dispose alors d’une option : payer et profiter d’un service ou s’abstenir de disposer de ce service.

III- L’HYPOTHESE DE LA LEGALITE D’UNE OPTION SUR LES MODALITES D’ACCES AUX TOILETTES PUBLIQUES

 

L’intelligence du législateur qui a préféré le silence sur les modalités d’accès aux commodités d’aisance dans les agences de transport réside-t-elle dans une option laissée à la fois aux promoteurs et aux passagers ? Il faudrait expliquer plus pour se faire une raison.

Du côté du promoteur d’une agence de transport, on doit rappeler qu’il attend de son investissement un rendement optimal, tout en respectant les principes du Décret de 2004. S’ouvre donc pour lui deux options. Soit il accorde un accès « gratuit » aux sanitaires, et chacun devra comprendre que le coût de ce service est reporté ab initio sur le prix final du ticket, à mois qu’une autre compensation financière soit offerte au promoteur. Le passager doit donc savoir que dans cette option, chacun paye, peu ou prou, qu’il use ou non des toilettes au cours d’un voyage, et le prix du voyage devrait supporter cette charge. Ceci est certainement pratiqué dans le cadre du service VIP. En seconde option - et c’est celle qui semble être plébiscitée par les agences en vue - le promoteur peut pratiquer l’accès payant. Le passager nécessiteux paye et accède au service. Ceci permet aux autres passagers, le temps d’un voyage, de faire des économies. On rappelle tout de même que 100 FCFA, c’est le prix de la baguette de pain dans la grande majorité des boutiques du Cameroun. Et, il reste toujours possible de profiter des nombreux arrêts de contrôle de police et de sécurité routière pour se… soulager.

L’option du promoteur entraine celle du passager. En fait, le passager se contente souvent de ce qu’il trouve dans l’agence de transport vers laquelle sa capacité financière et ... aussi la disponibilité du service l’orientent. On doit rappeler que l’option des toilettes payantes s’est généralisée, le passager ayant accepté de payer : la nécessité de ce service est indéniable. La révolte consécutive au décès d’un passager doit être comprise comme un besoin de vérité sur l’option de chaque agence de transport, y l’entreprise de transport ferroviaire qui pratique, elle aussi, l’accès payant à ses toilettes publiques.

En somme, l’intelligence de l’article 14 du Décret n° 2004/0607/PM du 17 mars 2004 portant fixation des conditions d’accès aux professions de transporteur routier et d’auxiliaire des transports routiers réside dans la démonstration de cette option conférée par le législateur au promoteur d’une agence de transport, entre l’accès gratuit et l’accès payant aux toilettes publiques. Ce qui devrait être critiquée, c’est la rétention d’informations pratiquée par les promoteurs, sur les conditions de leur option. Chaque consommateur doit cependant savoir que le moindre service proposé par un investisseur est un service payant, en direct ou en différé. Le propos est ainsi conclu. Comme le dit si bien le proverbe, au-delà du besoin le reste est superflu…

 

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1 Publié par Obrahim
25/07/2020 00:24

Merci Professeur pour cet article qui éclaire à plusieurs égards.

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