De quels moyens dispose la Cour pour définitivement faire accepter sa jurisprudence sur la récusation des juges communautaires ? Elle ne saurait qu’insister, la rendre constante et idéalement pratiquer constamment des renvois à ses arrêts de principe. En reprenant dans ces annales la présente décision, la sensibilisation l’emporte sur toute autre considération (Pour un précédent voir : RDJ-CEMAC, n° 01/2ème Semestre 2012, Arrêt n° 003/CJ/CEMAC/C3/10 -11 du 07/12/2010, Note M.-C. KAMWE MOUAFFO, p. 57).
Monsieur Paul NANDA est en contentieux judiciaire avec la BDEAC depuis le 19 novembre 2009, date de saisine de la CJ-CEMAC aux fins d’annulation d’une série de 7 décisions dont la principale est celle du 22 septembre 2009 mettant fin à ses fonctions. Il s’agit d’une procédure en annulation et en réparation, fondée sur un licenciement pour faute lourde. Pour instruire cette affaire, le juge TATY Georges a été désigné comme juge rapporteur dont les attributions sont clairement définies aux articles 25 et suivants de l’acte additionnel portant règles de procédure de la CJ-CEMAC.
Une première décision a été rendue dans ce contentieux par un arrêt n° 04/CJ/CEMAC/CJ du 08 avril 2010 décidant du sursis à exécution des décisions attaquées. La deuxième décision, une décision d’interprétation, tendait à confirmer la réintégration du sieur NANDA, comme une conséquence du sursis à exécution obtenue. Cette interprétation n’a pas été retenue par le juge ( arrêt n°09/CJ/CEMAC/CJ/ 11, aff. NANDA Paul- Gilles contre BDEAC du 10 mars 2011, inédit). La procédure a suivi son cours et un troisième arrêt avant-dire-droit a été rendu le 08 novembre 2012 pour principalement ordonner la jonction des procédures en annulation et en indemnisation comme le sollicitait le requérant.
La demande incidente du 30 Janvier 2012 pouvait paraitre pour le moins inattendue, l’affaire étant désormais enclenchée et quelques décisions rendues. En effet, à cette date, le Sieur Paul NANDA a saisi la juridiction communautaire pour demander la récusation du juge rapporteur TATY Georges, pour crainte raisonnable de partialité. Ce juge est désormais « refusé » pour plusieurs raisons. Il aurait exprimé des opinions personnelles laissant percevoir des préjugés qu'il aurait sur la solution du litige. Il entretiendrait une inimitié avec la représentation de Monsieur NANDA. Surtout, il existerait un lien d'alliance privilégié entre avec la BDEAC et ce juge. Comme le prévoit la procédure, ce dernier est invité à se prononcer sur ces chefs de récusation.
D’entrée de jeu, le juge TATY Georges attire l’attention de la Cour sur la régularité des demandes de récusation des juges fondées sur l’identité de nationalité avec les premiers dirigeants de la BDEAC. Comme précédent, il cite la requête en récusation contre le Juge MARADAS, procédure incidente dans l’affaire NZEPA, laquelle avait tranchée en défaveur du demandeur dans l’arrêt n° 03/2011 du 09 février 2012. Le juge attaqué réfute d’autant plus cet argument que le responsable de BDEAC avec lequel il aurait un lien d’alliance n’intervient dans la procédure qu’à titre de représentant de cet organe communautaire. Le juge se fera très didactique sur ce point en répondant que prendre en compte le lien d’alliance fondé sur la seule nationalité pour justifier la crainte raisonnable de partialité ne pourrait être admis « sans mettre à rude épreuve l'idéal communautaire d'intégration recherchée par le législateur communautaire ». Cette leçon s’impose d’autant plus que le sieur NANDA fait preuve d’une vision peu intégrationniste de la Cour, instance collégiale, en affirmant que la crainte de partialité résulte d’une « communauté d’intérêt évidente » entre les ressortissants d’un même Etat, « indépendamment de la personnalité même du juge TATY Georges ».
Concernant l’expression d’opinions personnelles laissant percevoir des préjugés qu'il aurait sur la solution du litige, il ressort de l’économie de la décision que le requérant aurait souhaité plus de temps pour répondre à des écritures ou pour formuler d’autres demandes incidentes, point sur lequel le juge rapporteur aurait exercé toute sa souveraineté et clôturé l’instruction, estimant les lenteurs judiciaires inadmissibles devant la Haute juridiction. Par ailleurs, le sieur NANDA aurait une autre compréhension de la transmission des pièces, qu’il considère comme un « lettre fournissant à la BDEAC des arguments » contre lui, pour paralyser des demandes incidentes. Selon le juge attaqué, il s’agirait ni plus ni moins de la mise en œuvre du contradictoire.
Le dernier argument motivant la partialité du juge TATY relèverait d’une inimitié qu’il aurait manifestée à l’encontre de la représentation de Monsieur NANDA. Elle serait fondée sur des propos peu élogieux adressés contre un avocat stagiaire venu en lieu et place de l’avocat constitué. Il ressort finalement de la décision que ces propos appartiennent à un responsable du Barreau tchadien, et non au juge qui les aurait simplement rapportés. En tout état de cause, le juge communautaire apporte des précisions sur l’étendue de l’article 81 de l’Acte additionnel portant règles de procédures. Il convient désormais de retenir que l'inimitié invoquée à l'article 81 précité doit exister entre le juge et une partie « à l'exclusion de son représentant légal, de son avocat ou de son conseil ».
Marie-Colette KAMWE MOUAFFO
Chargée de cours, Université de Ngaoundéré
Note de jurisprudence publiée dans: RDJ-CEMAC, n° 02/2ème Semestre 2012. Lire ci sur ce blog l'intégralité de la DECISION DE RECUSATION DANS L'AFFAIRE NANDA.