L’INTÉRÊT DES CONSOMMATEURS DANS LE DROIT DES ENTENTES : PROPOS INTRODUCTIFS

Publié le 16/07/2014 Vu 9 312 fois 0
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Mon Très regretté Pr YVES SERRA a écrit: « Concurrence et consommation, c’est l’histoire d’un couple qui s’affiche souvent mais dont pourtant parfois on se demande ce qu’ils peuvent bien faire ensemble. Et comme dans tous les couples les relations entre les membres de ce couple ne sont pas simples ». A travers les trois publications de ce jour, nous recherchons le type de relation qui existe entre le droit CEMAC des ententes, branche importante du droit de la concurrence, et le droit de la consommation. S'agirait-il d'une relation d'intérêts?

Mon Très regretté Pr YVES SERRA a écrit: « Concurrence et consommation, c’est l’histoire d’un coupl

L’INTÉRÊT DES CONSOMMATEURS DANS LE DROIT DES ENTENTES : PROPOS INTRODUCTIFS

Mariage d’amour ou mariage de raison, on note une mixité constante entre les questions de concurrence et les questions de consommation. Ceci tient, à l’observation, à un interlocuteur que ces deux sujets ont en commun : l’entreprise. Une définition des concepts nous aidera à mieux apprécier le rapprochement volontaire ou forcé entre la concurrence et la consommation, et partant les droits dont ils sont les sujets. La limitation du sujet de la concurrence au droit des ententes ne doit pas occulter le champ naturel de la matière ici explorée, qui est foncièrement celui du droit de la concurrence.

Le professeur BARREAU1 nous donne la définition suivante des termes de l’étude :

« La CONCURRENCE est une situation de compétition économique qui se caractérise par l’offre, par plusieurs entreprises distinctes et rivales, de produits ou de services qui tendent à satisfaire des besoins équivalents, avec pour les entreprises, une chance réciproque de gagner ou de perdre les faveurs de la clientèle composées essentiellement de consommateurs ou plus généralement d’utilisateurs ».

« La CONSOMMATION est l’acte d’utilisation des richesses par opposition aux actes de production. C’est l’ensemble des opérations économiques et juridiques qui tendent à l’utilisation des biens de consommation c'est-à-dire ceux qui se détruisent par le premier usage. Ces biens de consommation sont offerts aux consommateurs par les entreprises. Plus largement la consommation permet la satisfaction des besoins de la vie courante ».

Ceci étant posé, on peut définir :

Le droit de la concurrence comme l’ensemble des règles qui s’appliquent aux entreprises dans leur activité sur le marché et qui sont destinées à réguler la compétition à laquelle elles se livrent, c’est-à-dire à faire en sorte que la concurrence soit suffisante sans être excessive ;

Le droit de la consommation comme l’ensemble des règles qui s’appliquent aux rapports entres entreprises et clients et qui sont destinées à protéger les clients particuliers que sont les consommateurs.

S’intéresser au droit de la concurrence et de la consommation, c’est d’abord se poser la question des relations de l’entreprise ou le professionnel avec ses concurrents d’une part, et avec ses clients d’autre part. Ces définitions révèlent, chacune dans son contexte, un trait d’union entre le droit de la concurrence et le droit de la consommation. Mais on s’accorde à reconnaître que de manière globale, la concurrence sert le consommateur plutôt qu’elle ne le dessert : « Si leurs objectifs sont pour l’essentiel les mêmes, la politique de concurrence est davantage une politique dynamique qui vise à promouvoir les intérêts du consommateur sur un marché, tandis que la politique de protection du consommateur est essentiellement une politique réactive qui cherche à protéger les intérêts des consommateurs et à définir les moyens de remédier aux abus »2. Ce trait d’union est, cela a été dit, l’entreprise, terminologie propre au droit de la concurrence. En droit de la consommation pur, on parle du professionnel.

Après cet aperçu du lien factuel existant entre le droit de la concurrence et le droit de la consommation, la problématique de l’intérêt du consommateur en droit de la concurrence devient pertinente. Il faudrait avant tout la justifier et ensuite renseigner sur le cadre du présent propos.

La naissance de l’économie de marché, consécutive au capitalisme, est à l’origine de nouvelles questions sociales pour les travailleurs, les contribuables, et spécialement, les consommateurs. La montée du capitalisme génère également une compétition entre entreprises, souvent peu regardante quant aux moyens. On observe une recrudescence de pratiques commerciales de plus en plus nocives pour le consommateur. Spécialement, on constate un déséquilibre flagrant dans les relations entre les professionnels représentés par les entreprises et les consommateurs. La forme la plus commune de ce déséquilibre est offerte dans les grandes sociétés de consommation par le développement des contrats d’adhésion dont les clauses sont unilatéralement définies par le professionnel ou l’entreprise (ex. les contrats de transport, matérialisés par les tickets transport). Par ailleurs, les grandes entreprises développent des pratiques anticoncurrentielles ayant des incidences négatives sur le consommateur. Par exemple, l’entente sur les prix aboutit à une stabilisation de ceux-ci, et rendent la concurrence par les prix impossible.

Tant les déséquilibres que les pratiques anticoncurrentielles appellent une régulation. Le droit est devenu une notion facile, il est essentiel en l’espèce de se souvenir que sa première finalité est de lutter contre le règne de l’injustice. De nombreux auteurs en appellent à la fable du Loup et de l’Agneau3, qui finît par se faire dévorer, pour imposer un questionnement autour de la nécessité d’une protection spécifique du consommateur. Le mouvement consumérisme est né de la prise de conscience de la nécessité de protection du consommateur dans ses relations avec le professionnel. Se préoccuper de l’intérêt du consommateur, invite à prendre en compte ce déséquilibre quasi inévitable pour développer une réflexion autour soit :

- du maintien d’un équilibre (l’obligation d’information) ;

- la création d’un équilibre (les règles relatives aux délais de réflexion dans le démarchage à

domicile ou aux clauses abusives) ;

- la restauration du déséquilibre dans les relations entre le consommateur et le professionnel

ou l’entreprise (ex. les règles relatives au droit de la responsabilité ou la suppression des

clauses abusives) ;

- la répression du déséquilibre (les règles de sanctions pénales. ex : les manquements en

matière de sécurité alimentaire).

Ces questions de création ou de restauration d’un déséquilibre entre le consommateur et le professionnel relève foncièrement du droit de protection qu’est le droit de la consommation.

Lorsqu’on s’intéresse aux pratiques commerciales anticoncurrentielles nocives pour le consommateur, on se situe dans le cadre des relations que les entreprises développent seules ou entre elles et qui ont ou pourraient avoir des incidences négatives sur le bien être des consommateurs ou sur ses droits pris de manière globale.

La question de l’intérêt du consommateur dans le droit des ententes nous invite à rechercher de quelle manière le consommateur est avantagé dans la mise en œuvre des règles y relatives. On peut parler prosaïquement du service rendu au consommateur par le droit des ententes. La définition du « consommateur » en droit de la concurrence reste cependant une moindre obligation de l’autorité de la concurrence. Si le droit de la consommation a développé toute une théorie générale autour de la notion de consommateur4, sans toutefois parvenir à un consensus, le droit de la concurrence englobe quant à lui divers personnages destinataires des produits et services offerts par les entreprises sous le vocable d’« utilisateurs »5.

« Qui trop embrasse, mal étreint ». Le champ couvert par les politiques de concurrence étant vaste, la présentation est limitée, par souci d’efficacité, au droit des ententes. On pourrait tout aussi bien faire la même étude en droit des abus de position dominante, en droit des concentrations ou en droit des aides d’Etats, tant l’ensemble des éléments des grandes politiques de concurrence actuelles convergent quant aux finalités, ainsi classées aux USA : « le bien-être du consommateur, la protection du mécanisme de la concurrence, et le renforcement de l’efficacité économique »6.

Plus que le souci d’efficacité, la limitation du sujet au droit des ententes tient à deux raisons, en dehors du fait qu’il est considéré par la Commission européenne comme « la forme la plus pernicieuse de comportement anticoncurrentiel »7. Primo, c’est ce domaine du droit de la concurrence qui admet une dérogation institutionnelle aux règles de concurrence justifiée par le bénéfice dont le consommateur en tire profit. Secundo, en jurisprudence, on note une forte contribution de la recherche de l’intérêt du consommateur dans le droit positif des ententes. Le cadre géographique de la recherche est limité au droit communautaire de l’Union européenne et de l’Afrique centrale. Les législations nationales sont exclues de cette étude.

La présente introduction lève déjà le voile sur le fondement de l’analyse de l’intérêt du consommateur dans le droit des ententes, qu’il faut entièrement découvrir (I). Nous rechercherons ensuite les modalités de l’analyse de l’intérêt du consommateur telle qu’elles apparaissent dans les procédures concernées (II).

1 Pr. Catherine-Thérèse BARREAU. CONCURRENCE ET CONSOMMATION. COURS MAGISTRAL.

2 CNUCED, Protection du consommateur, Concurrence, Compétitivité et Développement. 20 août 2001. p. 6.

3 Liber amicorum. Calais Auloy. Montpellier 2007.

4 J. CALAIS AULOY et F. STEINMETZ, Droit de la consommation. Précis. Collection Droit Privé. Dalloz. 1996, p. 3. Ces auteurs englobent dans ce vocable issu de la science économique : 1) ceux qui se procurent les biens et services dans un but bon professionnel ; 2)- les professionnels qui se procurent des biens et services destinés a un usage professionnels sans qu’ils soient en rapport avec leur profession.

5 C. GALVADA et G. PARLEANI, Droit communautaire des affaires. LITEC. 1988, p. 374. Voir aussi l’article 101 du Traité de Lisbonne (ex article 81 du Traité CE).

6 OCDE, La réforme de la réglementation aux USA. Le rôle de la politique de concurrence dans la réforme de la réglementation. 1999, p. 7.

7 CEE, Rapport de la Commission. Rapport sur la politique de concurrence. 2005. Bruxelles, le 15 juin 2006, p. 7.

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