Les parties ont souvent intérêt à soumettre leur litige, non à un juge étatique, mais à un ou plusieurs simples particuliers choisis directement ou indirectement par elles et investis pour la circonstance de la mission de juger. L'arbitrage est l'opération à laquelle procèdent cesjuges particuliers appelés «arbitres».
Il est généralement admis que par rapport à la justice étatique, l'arbitrage a l'avantage de permettre une justice plus rapide[1], moins coûteuse; une justice de meilleure qualité parce qu'administrée par des spécialistes choisis par les parties, en raison de leur compétence et des particularités de leur affaire ; une justice adaptée parce que les parties choisissent librement le lieu et la langue à appliquer dans la procédure ; une justice plus conviviale, facilitant la continuation des relations d'affaires; une justice rendue dans la confidentialité et la discrétion. A ces titres, l'arbitrage est plus conforme à l'esprit des relations d'affaires et plus généralement un instrument de paix sociale. S’agissant particulièrement de l’arbitrage de la CJ-CEMAC les mesures ont été prises pour limiter les voies de recours et pour garantir l’exécution de la sentence arbitrale, même contre les Etats, leurs démembrements et les personnes morales de droit public. Lorsque les parties sont de nationalités différentes, l’arbitrage présente encore plus d’avantages. Bref, il constitue un des principaux arguments d’attrait pour les investisseurs.
Compte tenu de ces avantages que présente l’arbitrage, ce mode de règlement des conflits est, avec la médiation et la conciliation, considéré comme la justice de demain, en remplacement de la justice étatique qui domine actuellement. C’est pourquoi, la plupart des institutions, ont adopté l’arbitrage comme mode de règlement des litiges les concernant ou relevant d’elles. C’est le cas de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), qui, après avoir intégré l’arbitrage dans son traité fondateur signé le 17 octobre 1993,[2] a adopté le 11 mars 1999 son acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ainsi que son premier règlement topique.[3]
L’article 16 du traité révisé de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) adopté à Cotonou le 24 juillet 1993 a créé un tribunal arbitral de la communauté. Ce texte renvoie à un protocole y afférent les statuts dudit tribunal arbitral, sa composition, ses pouvoirs, les règles de procédure et autres questions y relatives.
En application de ce texte, l’article 9 (5) du Protocole additionnel relatif à la Cour de justice de la CEDEAO, a confié à la Cour de Justice de la CEDEAO le mandat d’agir en qualité d’arbitre en attendant la mise en place du tribunal d’arbitrage de la Communauté. Le projet de règlement d’arbitrage a été soumis au Conseil des ministres pour examen et approbation. A notre connaissance, ce projet de règlement n’a pas encore été adopté[4]. La CEMAC vient, dans cette optique, de se démarquer.
La Cour de Justice de la CEMAC avait intégré l’arbitrage dans ses missions dès sa création. En effet, l’ancienne convention régissant la Cour de justice de la CEMAC, en son article 22, confiait à cette Cour une mission d’arbitrage, quoique jusque-là limitée aux requérants privilégiés que sont les Etats membres et les institutions communautaires. La réforme de cette juridiction intervenue en 2009 a consolidé cette mission : dans sa nouvelle rédaction, l’article 22 dispose désormais que « la Cour de justice communautaire a une triple fonction: juridictionnelle, consultative et d'administration des arbitrages dans les matières du droit communautaire de la CEMAC ». L’article 36 de cette Convention invitait la Cour à élaborer les textes afférents à cette mission en vue de son adoption par la Conférence des Chefs d’Etat.
C’est désormais effectif. Le 5 octobre 2021 dernier, la Cour de justice de la CEMAC a marqué d’un tournant décisif de son histoire normative avec l’adoption de quatre textes. Il s’agit de l’Acte additionnel n° 01/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant Statut du centre d’arbitrage de la Cour de justice Communautaire, de l’Acte additionnel n° 02/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant règlement d’arbitrage de la Cour de justice Communautaire, de l’Acte additionnel n° 03/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant règlement de procédure de la Cour de justice Communautaire et de l’Acte additionnel n° 04/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant Statut de la Cour de justice Communautaire. Bien que ces quatre textes fussent attendus, les uns aussi intensément que les autres, les deux premiers ont cependant suscité une émotion particulière chez l’ensemble des praticiens du droit de la CEMAC, car ils sont venus parachever le dispositif normatif sur le point précis des attributions de cette Institution juridictionnelle.
Désormais, rien ne s’oppose à l’effectivité de ses missions en matière d’arbitrage. Au-delà, il ressort des deux actes additionnels concernés, une politique d’envergure en matière d’arbitrage, les autorités communautaires se disant « convaincues de l'utilité de l'arbitrage »[5].
La convention révisée régissant la Cour de justice de la CEMAC dispose que « la Cour de justice communautaire a une triple fonction: juridictionnelle, consultative et d'administration des arbitrages dans les matières du droit communautaire de la CEMAC »[6]. Restait à élaborer les textes afférents à cette mission. C’est désormais effectif.
Le premier acte additionnel adopté le 5 octobre 2021 définit la structure du désormais Centre d’arbitrage de la Cour de justice communautaire tandis que le deuxième, aménage la procédure à observer devant ledit Centre. Il sera désigné dans la suite du propos, le Centre. Ce bref propos, signé d’une universitaire et d’un praticien du droit de la CEMAC a pour objectif, dans une approche synoptique, d’apporter de la visibilité à cette nouvelle et dernière structure de la CJ-CEMAC, à travers ses attributions (I), sa structuration institutionnelle (II) et sa procédure (III).
I – LES ATTRIBUTIONS DU CENTRE D’ARBITRAGE DE LA CJ-CEMAC
Dans le chapitre consacré aux attributions du Centre, l’Acte additionnel n° 01/21- CEMAC-CJ-CCE-15 portant Statut du Centre d'arbitrage de la Cour de Justice Communautaire (ci-dessous appelé ″Acte Additionnel n° 01/21″renseigne à la fois sur ses missions et ses compétences.
MISSIONS. L’article 4 de l’Acte Additionnel n°01/21 indique précisément que « le Centre d'Arbitrage de la CEMAC a pour mission d'organiser et d'administrer, conformément à ses Statuts et à son Règlement d'arbitrage, les instances de l'arbitrage à la demande des parties et en application d'une convention d'arbitrage. Il connaît de tout litige qui lui est soumis en vertu d'une clause compromissoire ou d'un compromis. ». Et, comme ne cesse de le reprendre le préambule des actes additionnels n° 01 et n°2 relatifs à l’arbitrage, il s’agit d’un « (…) organe appelé Centre d'Arbitrage prévu dans ces textes qui constitue en réalité un mode alternatif de règlement des différends de toute nature relevant de la compétence de la Cour et pouvant naître entre les parties ». La mission du Centre est donc de conférer à la Cour la structuration institutionnelle nécessaire à sa fonction« d'administration des arbitrages dans les matières du droit communautaire de la CEMAC » évoquée à l’introduction de ce propos.
DOMAINE DE COMPETENCE. Les litiges en question sont en effet, dans leur thématique, cantonnés par l’article 22 de la Convention révisée régissant la CJ-CEMAC, aux « (…) matières du droit communautaire de la CEMAC ». Aussi doit-on comprendre que la compétence principale du Centre est d’apporter une alternative institutionnelle aux justiciables sur le point de la résolution des différends dans lesquels l’application des actes normatifs ou décisionnels de la CEMAC est en question. On pourra dès lors saisir la Cour soit dans sa structuration arbitrale, en s’adressant au Centre d’arbitrage, soit dans sa structuration judiciaire. Les missions du Centre seront donc d’organiser jusqu'à la sentence finale, les étapes de la résolution des affaires contentieuses. Le mot « différend » qui apparait en premier dans le préambule de l’Acte additionnel n° 01/21–bien avant celui de litige qui lui est souvent assimilé – est porteur d’un critère subséquent de limitation du champ matériel des compétences du Centre.
En considération de la notion de « différend » telle qu’acquise en droit international, on croit pouvoir aisément limiter les cas à soumettre à l’arbitrage aux types des compétences juridictionnelles de la CJ-CEMAC telles qu’elles ressortent des articles 24 à 29 de la Convention révisée. En effet, il est de droit international constant qu’« un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts entre des parties »[7]. On se trouve donc dans un domaine contentieux.
Ce contentieux peut concerner des requérants privilégiés ou des particuliers, ou opposer ces deux catégories de justiciables. L’article 35 de la Convention sus invoquée ouvre le recours à l’arbitrage aux requérants privilégiés en ces termes : « dans son rôle d'administration des arbitrages, la Cour connait en application de son règlement d'arbitrage, des différends qui lui sont soumis par les Etats membres, les Institutions, les Organes et les Institutions spécialisées en vertu d'une clause compromissoire ou d'un compromis d'arbitrage ». On doit donc concevoir que l’article 35 (2) concerne tous les autres requérants, notamment les particuliers au sens communautaire du terme[8] Cet article 35 (2) dispose que « la Cour connait également de tout litige qui lui est soumis en vertu d’une clause compromissoire ou d’un compromis ». L’article 5 de son Statut complète cette information : « Le Centre est compétent pour connaître des litiges qui résultent d'une convention stipulant une clause lui conférant le droit de statuer en l'espèce quel que soit le domicile ou le lieu de résidence habituelle des parties concernées ».
La gratuité et d’ailleurs l’ensemble de l’environnement juridique du contentieux de la fonction publique communautaire - nous permettent de penser qu’il pourrait être difficile de l’ouvrir à la procédure arbitrale. Il nous semble plus adapté aux autres litiges relevant du champ du droit des affaires communautaire soumis à la Cour. C’est le cas du contentieux bancaire, de la concurrence, de la bourse, etc., et dans tous les cas, en suivant les critères de compétence définis aux articles 24 et suivants. Ces compétences sont aujourd’hui passablement consolidées par d’autres textes de droit dérivé. Pour illustrer, les articles 108 et 109 du règlement n° 06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la concurrence ne font que transposer en matière de concurrence la compétence de la Cour édictée par l’article 23 dernier tiret de la Convention régissant la CJ-CEMAC. Dans tous les cas, le Comité de suivi définira dans l’acte de mission, celles du Centre, au regard de l’affaire et du droit communautaire. Il s’agit-là de la première instance rattachée à sa structuration institutionnelle.
II - LA STRUCTURATION INSTITUTIONNELLE DU CENTRE D’ABITRAGE DE LA CJ-CEMAC
Il ressort du Chapitre III de l’Acte additionnel n° 01/21 que sa structuration institutionnelle est construite autour d’un Comité de suivi des procédures, d’un Secrétariat général et d’un organe de contrôle.
LE COMITE DE SUIVI DES PROCEDURES. Cette première instance est règlementée à l’article 6 de l’Acte additionnel n° 01/21. Il est composé de 3 membres, désignés par le Président de la Cour de justice communautaire. L’article 6 lui confère en effet une dizaine de missions, qui prises dans leur globalité, ne sont pas très éloignées de celles d’une juridiction. Ce Comité a pour mission de :« - Elaborer l'acte de mission de la Formation Arbitrale; - Garantir le bon déroulement des procédures arbitrales en veillant au respect et à la bonne application du Règlement d'arbitrage; - Proposer ou confirmer les arbitres lors d'une instance; - Statuer sur les incidents de procédure, -Examiner en la forme et attirer l'attention de la formation arbitrale sur les questions de fond, avant signature de tout projet de sentence partielle ou définitive ; - Contribuer au renouvellement des arbitres; - Proposer à la Cour des modifications du Règlement d'arbitrage; - Connaître des cas de violation de la déontologie de l'arbitrage, conformément au Code d'éthique du Centre; - Contribuer aux côtés de la Cour, aux activités de recherche de formation et de vulgarisation du Centre; -Evaluer la performance des arbitres et soumettre un rapport relatif à la Cour ».L’interlocuteur du Comité de suivi des procédures, pour cette mission dense, est le Secrétariat général.
LE SECRETARIAT GENERAL. Cette deuxième instance assure au quotidien l’administration du Centre, sous la responsabilité d’un Secrétaire général, assisté d’un greffier. L’article 7 (4) promet un personnel administratif d’appui. Ce premier personnage nommé par le Président de la CJ-CEMAC se voit conféré les missions principales du Secrétariat général du Centre. Il s’agit de : « Rédiger, recevoir, enregistrer, transmettre et assurer la conservation des correspondances et transmissions écrites concernant les procédures et la vie du Centre; - réparer la documentation nécessaire et assure le relais entre les différents acteurs à l'occasion des procédures d'arbitrage; - Procéder au recouvrement des frais administratifs, au recouvrement et au paiement des honoraires des arbitres conformément aux barèmes retenus ; - Faire des propositions au Comité de suivi en vue de la révision éventuelle des barèmes des frais administratifs et des honoraires des arbitres; - Authentifier et notifier les sentences arbitrales, en certifier les copies à la demande des parties et en assurer la conservation; - Elaborer le rapport financier annuel; - Exécuter les actions de développement du Centre d'Arbitrage de la CEMAC ; - prendre une part active aux conférences et rencontres nationales et internationales portant sur les modes alternatifs de règlement des conflits et sur toute autre question se rapportant à la promotion de la sécurité juridique ». On peut apprécier l’interaction quasi constante entre le Secrétariat général et le Comité de suivi des procédures, qui apparaissent dès lors comme les deux instances capitales du Centre.
L’ORGANE DE CONTROLE. Cette troisième instance est prévue à l’article 8 de l’Acte additionnel n° 01/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant Statut du Centre d’arbitrage. Il s’agit d’une instance collégiale de trois juges. Placé à la tête de cet Organe, le Président de la CJ-CEMAC désigne deux autres membres au sein du collège des juges de la CJ-CEMAC. Cet organe est l’interlocuteur des parties, chargé d’« examiner les recours contre les sentences arbitrales et les procédures d'exéquatur ». Pour chaque affaire, sa mission sera donc consécutive à celle de la formation arbitrale.
De toute évidence, la formation arbitrale en cause ne saurait être classée parmi les instances structurelles du Centre, précédemment présentées. En effet, s’il est une instance-phare de son fonctionnement, il reste une instance ad hoc dont la composition compte comme l’une des étapes essentielles de la procédure à observer devant cette juridiction.
III – LA PROCEDURE DEVANT LE CENTRE D’ABITRAGE DE LA CJ-CEMAC
LA CONVENTION D’ARBITRAGE. La clé de la saisine du Centre d’arbitrage de la CJ-CEMAC est la convention d’arbitrage. D’une manière ou d’une autre, les parties doivent avoir accepté de recourir à l’arbitrage en cas de litige. Cette convention peut préexister à l’affaire (clause compromissoire), soit être créée pour une affaire précise (compromis). L’existence d’une telle convention ou clause permettra à la partie la plus diligente de saisir le Centre et de déclencher la procédure. Celle-ci doit dès lors suivre les étapes suivantes : la mise en état du dossier, la constitution de la formation arbitrale, l’instance arbitrale et le prononcé de la sentence arbitrale.
LA SAISINE. Au sens de l’article 2 de l’Acte additionnel n° 02/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant règlement d’arbitrage de la Cour de Justice de la CEMAC - ci après Acte additionnel n° 02/21 - la saisine est faite par requête écrite adressée au Secrétariat général du Centre d’arbitrage de la CJ-CEMAC. cette requête doit « notamment » contenir les informations suivantes : « - Les noms, prénoms, dénominations complètes, qualités et adresses du demandeur et du défendeur, avec indication du nom du conseil et/ou Représentant du Demandeur et élection de domicile; - La référence de la convention d'arbitrage intervenue entre les parties; - La mention de tout document, contractuel ou non, de nature à renseigner sur la réalité et la teneur du litige; - L'objet de la demande; - Un exposé sommaire des prétentions du demandeur et des moyens produits à l'appui, et le cas échéant, une estimation de la somme sur laquelle porte le litige ». A défaut d’un consensus préalable entre les parties, le demandeur fait des propositions sur le nombre et le choix des arbitres, la langue de l’arbitrage, la loi applicable à la procédure.
MISE EN ETAT DU DOSSIER. Le Secrétariat général qui reçoit cette demande procède à la mise en état du dossier. Cette étape consiste en certaines vérifications. Le Secrétariat général s’assure spécialement du dépôt du dossier« (…) en autant d'exemplaires qu'il y a de parties et d'arbitres à nommer, plus un exemplaire pour le Secrétariat Général » et de la preuve du paiement de la preuve du paiement complet du montant de droit prévu pour l'introduction des instances devant le Centre. Il lui revient également d’accorder un délai au demandeur en vue d’apporter des corrections à la demande, le cas échéant.
NOTIFICATION ET MEMOIRE EN REPLIQUE. La mise en état s’achève avec l’accusé de réception de la saisine et sa notification au défendeur. Le secrétariat général joint à cet effet un exemplaire de l’Acte additionnel n° 02/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant règlement d’arbitrage de la Cour de Justice de la CEMAC[9]. Cette notification ouvre l’étape du contradictoire écrit, dont les délais sont strictement définis. Le défendeur dispose de vingt (20) jours à compter de la réception de la notification de la saisine pour adresser son mémoire en défense au Secrétariat Général. Ce mémoire en réponse doit contenir, au sens de l’article 3, les informations suivantes : «- La confirmation des noms, prénoms, dénominations complètes, qualités et adresses du défendeur et de son conseil tels qu'énoncés par le demandeur, avec élection de domicile pour la suite de la procédure; - La confirmation ou non de l'existence d'une convention d’arbitrage entre les parties renvoyant à la compétence du Centre; - L'exposé des faits et les moyens de défense avec pièces à l’appui ainsi que la position du défendeur sur les prétentions du demandeur; - L'avis du défendeur sur le nombre des arbitres et leur choix sur les propositions formulées par le demandeur, ainsi que le nom de l'arbitre qu’il lui appartient de désigner; - Les répliques du défendeur sur tous les points traités par la demande d'arbitrage tant sur la langue de l'arbitrage, que sur les règles de droit applicables au fond et à la procédure (…) ». Elle peut également contenir des demandes reconventionnelles et les montants réclamés. Ce mémoire en réplique est établi dans les mêmes conditions que la demande, c’est-à-dire en autant d’exemplaires qu’il y a de parties et d’arbitres, plus un exemplaire pour le Secrétariat général. A ce stade, celui-ci est appelé, selon les exigences de l’article 8, à présenter le montant de la provision pour frais d'arbitrage.
CONSTITUTION DE LA FORMATION ARBITRALE. Cette étape essentielle[10]est possible dès la réception du mémoire en réplique. Les parties ont une option entre l’arbitre unique et le collège de trois arbitres. Les arbitres sont des personnes physiques ressortissantes des Etats membres de la CEMAC exclusivement. Ils sont issus d’une liste d’arbitres constituée par le Comité de suivi et nommé par la Cour. Mais, d’autres arbitres hors cette liste peuvent être proposés par les parties et confirmés par ce Comité. L’arbitre unique est choisi d’un commun accord par les parties, et faute d’entente, par le comité de suivi des procédures. S’il s’agit d’une formation arbitrale collégiale, chacune des parties en propose un. Les deux arbitres ainsi sélectionnés en proposent un qui fera office de Président de la formation. En cas de désaccord, ce Président sera nommé par le Comité de suivi des procédures. Si l’identité d’un arbitre, ou le choix entre l’arbitre unique et la formation collégiale divise les parties, et ceci vingt jours après la réponse à la demande d’arbitrage, le comité de suivi constitue d’office cette formation collégiale. Par ailleurs, en cas de pluralité de demandeurs et de pluralité de défendeurs, chacun de ces groupes de justiciables proposent un arbitre. Sinon, vingt jours passé, en cas de désaccord, le Comité de suivi constitue la formation arbitrale. Chacun des arbitres choisis qui doit accepter la mission et s’engager à être disponible, est lié par les devoirs et obligations définis par l’article 11. Ils se résument autour du motus impartialité-indépendance-confidentialité. Les conditions de leur récusation et de leur remplacement sont prévues aux articles 12 et 13 du Règlement d’arbitrage.
L’ACTE DE MISSION. Le Titre III procure des informations essentielles relativement à la notification ou la signification des actes de procédure, la computation et la prorogation des délais, la définition de la langue de l’arbitrage, qui est en principe la langue française. Mais, la fixation du cadre de l’arbitrage reste son contenu le plus intéressant. Il s’agit d’une réunion de cadrage qui unit le Comité de suivi des procédures, le Secrétariat général, le ou les arbitres et les parties. Le procès-verbal valant acte de mission qui sanctionne cette rencontre reporte les vérifications sur l’effectivité de la saisine, les accords ou non des parties, les dispositions relatives à la conduite de la procédure arbitrale, le calendrier prévisionnel de la procédure, l’accord sur la langue d’arbitrage et le cas échéant, les dispositions pratiques de traduction. L’article 17 in fine précise que « la date de signature de l'acte de mission marque le point de départ du délai d'arbitrage sous l'égide du règlement du Centre ».
L’INSTANCE ARBITRALE. Cette étape déterminante s’ouvre avec l’instruction de la cause par la formation arbitrale. Elle s’exécute par tout moyen approprié certes, mais, en tenant « le plus grand compte de l'impératif de l'égalité des parties et du respect du principe du contradictoire » (article 18). La procédure est confidentielle, les parties, leurs conseils, les experts et toutes les autres personnes associées sont tenus au secret professionnel, lequel couvre d’ailleurs la procédure ab initio. L’article 20 in fine permet à la formation arbitrale de statuer sur pièces. Mais, l’audience est de principe. Elle est effectuée à huis clos, bien que des dérogations puissent être obtenues du Comité de suivi de la procédure. L’office d’assistance et/ou de représentation des parties est admis, et s’effectue soit par la constitution d’un avocat, soit par l’intervention d’un conseil[11]. Si une partie, régulièrement convoquée ne se présente pas, la formation arbitrale poursuit sa mission, et les débats seront réputés contradictoires.
L’audition des témoins, l’administration de la preuve, l’expertise sont l’objet respectivement des articles 21, 22, et 23. L’article 24 indique, relativement à la clôture des débats, qu’elle est conditionnée par l’épuisement du contradictoire. Si la formation arbitrale s’estime suffisamment édifiée, elle met l’affaire en délibéré et rend sa sentence.
LA SENTENCE ARBITRALE. Cette décision est rendue dans un délai maximum de 6 mois à compter de la signature de l’acte de mission. La formation arbitrale rédige le projet de sentence, qui est soumis au Comité de suivi des procédures pour avis obligatoire préalable. Le pouvoir consultatif de cette instance s’exerce uniquement sur la forme. Cependant, dans le respect de « la liberté de décision de la formation collégiale », le Comité peut « attirer son attention sur des questions de fond qui paraissent se poser ainsi que sur le respect du règlement d'arbitrage »[12]. Le projet examiné est retourné à la formation arbitrale, accompagné d’indications relatives à la liquidation des frais d’arbitrage, des honoraires des arbitres et autres frais de procédure.
La forme et le fond de la sentence arbitrale sont étroitement définis en cinq points à l’article 27 du règlement d’arbitrage de la Cour de Justice de la CEMAC[13]. En fonction de l’issue de la procédure, la formation peut rendre une sentence définitive, provisoire, partielle ou additionnelle. La version signée par la formation arbitrale est notifiée aux parties. Elle a un caractère obligatoire et définitif, et peut cependant être soumise aux procédures en rectification et en interprétation de l’article 31. Un recours en annulation reste possible. Mais, à y regarder de près, certaines causes d’annulation telle qu’elles apparaissent à l’article 32 auront difficilement pu échapper à la sagacité du Secrétariat général, du Comité de suivi des procédures et de l’organe de contrôle. C’est le cas notamment de l’hypothèse de la formation arbitrale qui aurait statué sans convention d'arbitrage ou sur une convention nulle et/ ou expirée.
En tout état de cause, l’opportunité d’un mode alternatif de règlement des différends au sein de la Cour de justice de la CEMAC apparait profondément novatrice. Le présent propos s’était inscrit dans une approche synoptique. Une présentation plus approfondie de l’Acte additionnel n° 01/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant Statut du Centre d’arbitrage de la Cour de justice Communautaire et de l’Acte additionnel n° 02/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant règlement d’arbitrage de la Cour de justice Communautaire révélera les efforts de complétude de ces deux textes.
Ainsi, après une demande d’arbitrage, les demandes reconventionnelles comme les demande additionnelles sont-elles réglementées aux articles 4 et 5. Les mesures conservatoires sont possibles sur le fondement de l’article 7. Les règles entourant la détermination des frais d’arbitrage sont exposées aux articles 8, 33 et 24. Au cours de la procédure, la jonction des demandes est possible. Elle est prévue à l’article 19, tout comme la possibilité d’expertise de l’article 23. Par ailleurs, selon l’article 28, les parties peuvent, en cours de procédure, convenir d’une transaction qui dessaisit la formation arbitrale.
Finalement, pourquoi privilégier l’arbitrage dans le cas des conflits fondés sur le droit communautaire de la CEMAC ? La célérité et la souplesse de la procédure viennent d’être démontrées. En dehors des cas présentant des demandes incidentes,« la formation arbitrale rend sa sentence dans un délai maximum de six (6) mois, à compter de la signature par toutes les parties, de l’acte de mission (…) »[14]. Ce délai ne peut être prolongé que par décision du Comité de Suivi et dans des conditions limitativement énumérées. Le délai de 20 jours[15] est donc à retenir comme le délai maximum de réponse dans la grande majorité des hypothèses, bien qu’il soit possible d’obtenir sa prorogation pour « juste motif »[16]. La formation arbitrale dispose pour sa part d’un délai de 30 jours à compter de la clôture des débats et de la mise en délibéré de l’affaire pour rédiger son projet de sentence arbitrale[17]. Ce délai de 30 jours est également celui de certaines étapes des recours post sentences, notamment les recours en rectification et/ou en interprétation[18]ou en annulation[19]. Par contre, « l'appel, l'opposition et le pourvoi en cassation sont exclus contre les sentences arbitrales rendues sous l’égide du règlement du Centre »[20].
L’EXECUTION DE LA SENTENCE ARBITRALE. La sentence rendue par le Centre est obligatoire à l’égard des parties qui s’engagent à l’« exécuter sans délai »[21]. En matière de mesures prises pour garantir l’exécution des sentences rendues, l’innovation la plus importante est la suivante : « La sentence s'impose de la même manière aux Etats membres, organes, Institutions et Institutions spécialisées et à ses démembrements, ainsi qu'à toute autre personne morale de droit public, sans que ceux-ci soient fondés à évoquer leur immunité d'exécution pour échapper à l'exécution de la sentence »[22]. Cette impossibilité pour une partie, fut-elle un Etat ou une institution d’invoquer son immunité d'exécution pour échapper à l'exécution de la sentence est original et constitue un des principaux éléments de l’attractivité de l’arbitrage de la CJ-CEMAC, surtout dans les litiges mettant en cause l’Etat ou une institution de la CEMAC.
En effet, à notre connaissance, c’est, sinon le seul, du moins un des rares textes à déroger au principe de l’immunité d’exécution proclamée entre autres par l’article 30 de l’Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution[23]. Cette immunité constitue en fait un obstacle procédural d’ordre personnel qui empêche le créancier d’atteindre le patrimoine de la personne publique débitrice. On peut citer cet arrêt de la CCJA qui a décidé ce qui suit : « Qu’en application de l’art. 30 (1er et 2) AUPSRVE, les entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, bénéficient du principe général de l’immunité d’exécution accordée aux personnes morales de droit public. Il en est ainsi même si la loi de l’Etat partie où est domiciliée l’entreprise concernée en dispose autrement. Par conséquent, en jugeant que « l’art.30 (1er) AUPSRVE pose le principe d’immunité d’exécution, et que les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée TOGO TELECOM, figurent dans l’énumération des Sociétés contre lesquelles s’applique la compensation, il n’y a aucun doute à l’égard de cette dernière sur sa qualité de bénéficiaire de l’immunité d’exécution », la Cour d’appel de Lomé n’a point erré dans l’interprétation des dispositions de l’art. 30(1 et 2) ».[24]
En somme, les atouts de l’arbitrage du Centre d’arbitrage de la CJ-CEMAC sont conséquents. La règlementation devra se poursuivre. L’adoption du Règlement intérieur prévu à l’article 13 du Statut du Centre d’arbitrage devra permettre de spécifier des points encore trop théoriques ou de combler des vides notables, notamment, en ce qui concerne la tarification des différents frais[25] et le statut du personnel du Centre d’arbitrage de la Cour de justice de la CEMAC. De même, nul doute qu’à l’exemple de nombreuses autres institutions régionales et internationales, la CJ-CEMAC ne tardera pas à intégrer dans sa législation un mode de règlement des différends voisin de l’arbitrage : la médiation./.
LISTE DES ABREVIATIONS
CJ-CEMAC : Cour de Justice de la CEMAC
CEMAC : Communauté Economique et Monétaires des Etats de l’Afrique Centrale
CEDEAO : Communauté Economique des Etats l’Afrique de l’Ouest.
AUPSRVE : l’Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution.
[1]Ce sont les parties qui choisissent la procédure applicable.
[2] Article 21 et suivants.
[3]Ce règlement et cet acte uniforme ont été complétés suivi de la décision n° 004/99/CCJA du 3 février 1999 relative aux frais d’arbitrage, décisions auxquelles sont annexées trois textes: - l’un relatif aux frais administratifs (annexe n°1)- l’autre relatif aux frais des honoraires d’un arbitre (annexe n°2), - le troisième relatif aux ″frais administratifs et honoraires d’un arbitre résultant de calculs corrects ″ (annexe n°3).
[4] Cependant, plusieurs centres d’arbitrage fonctionnent déjà dans la CEDEAO. Les plus connus sont : - le Centre d’Arbitrage, de médiation et de conciliation de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture de DAKAR ; - le CACI (Centre d’Arbitrage et de Médiation créé au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire).Dans l’espace CEMAC, le Centre d’Arbitrage du GICAM a été créé en 1998. Une réforme de 2019 y intègre la Médiation.
[5]» Acte Additionnel n°01/21- CEMAC-CJ-CCE-15 portant statut du centre d'arbitrage de la Cour de Justice Communautaire. Préambule.
[6] Article 22.
[7]V. Concessions Mavrommatis en Palestine, C.P.J.I., arrêt n° 2, 1924, série A n°2, p. 11; C.I.J.
[8]V. J. BASAANE GNEBA, Le particulier et l’accès aux juridictions communautaires africaines : le cas des Cours de justice de la CEMAC et de l’UEMOA, Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Dschang, 2020.
[9]Article 2 de l’Acte additionnel n° 02/21-CEMAC-CJ-CCE-15 portant règlement d’arbitrage de la Cour de Justice de la CEMAC.
[10]Articles 10 et suivants du règlement de procédure.
[11]Articles 9 et 20 (2) du Règlement de procédure.
[12]Article 26 du règlement de procédure d’arbitrage.
[13]Article 27 du règlement de procédure d’arbitrage. Il s’agit des informations suivantes : : « Les noms et prénoms de l'arbitre unique ou des arbitres qui ont rédigé la sentence; La date à laquelle elle a été rendue; les noms, prénoms, dénominations complètes et adresses des parties; les noms, prénoms et adresses des Avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties; l'exposé des prétentions respectives des parties, de leurs moyens ainsi que des étapes de la procédure; La mention de ce que cette sentence a été rendue après avis préalable du Comité ».
[14] Article 25 du Règlement de procédure.
[15] V. : article 3 : délai du mémoire en réplique ; article 4 délai pour introduire pour une demande incidente, article 6 : pour décliner l'arbitrage du Centre ; article 20 : pour réagir sur la composition de la formation arbitrale ; article 31 pour introduire un recours en rectification ou en interprétation.
[16] Article 3 du règlement de procédure d’arbitrage.
[17] Art. 26du règlement de procédure d’arbitrage.
[18]Article 31 du règlement de procédure d’arbitrage.
[19] Article 32 du règlement de procédure d’arbitrage.
[20] Article 30 du règlement de procédure d’arbitrage.
[21]Article 30 (1) règlement de procédure d’arbitrage.
[22]Article 30 (2) règlement de procédure d’arbitrage.
[23]Article 1er de la loi française du 9 juillet 1991 dispose que « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution ».
[24]CCJA Arrêt n° 043/2005 du 07/07/2005, Affaire : Aziablévi YOVO et autres C/ Société TOGO TELECOM.
[25]Frais administratifs, honoraires des arbitres…