Quand je me réveille le matin, après avoir vérifié le bon fonctionnement de toutes les fonctions masculines, les pensées qui envahissent ma tête sont celles d'un avocat, ce mal-aimé.
Il fut un temps où elles étaient d'ordre strictement intellectuel : quelle solution adopter pour résoudre l'une ou l'autre des difficultés qui se présentaient dans un dossier ?
Elles sont devenues, au fil des années, plus diversifiées : comment s'adapter aux évolutions techniques imposées ? Comment assurer le point mort de rentabilité dans un contexte certes de crise économique, mais aussi d'augmentation exponentielle du nombre des avocats même marseillais, qui ne peut que générer des difficultés financières pour ce qui sauront mal se défendre ?
À cet égard, jusqu'à il y a peu, la profession paraissait penser que le nombre faisait la puissance sans prendre, peut-être, pleinement conscience du fait que les marchés économiques qui font vivre les avocats n'étaient pas extensibles à l'infini, nonobstant les nouveaux secteurs d'activité qui ne peuvent nourrir la masse.
L'avocat, de surcroît, par nature, est mal aimé.
L'avocat de souche (il existe des avocats de souche comme des Français de souche), c'est-à-dire l'avocat judiciaire est mal-aimé structurellement : dans un procès, il y a toujours un avocat qui perd.
Il est mal-aimé, ensuite, de ceux qui gouvernent, puisque son rôle est être rebelle à l'ordre établi pour défendre l'individu.
Dans une société de plus en plus administrée et pour tout dire liberticide, il n'y a rien à attendre de bon pour lui.
Les puissances économiques ne l'aimeront pas et les gouvernants, issus de la fonction publique, non plus.
C'est bien pourquoi, d'ailleurs, la profession a été exclue de la class- action à la française.
Les lobbys préfèrent sûrement les associations, la représentation nationale déteste les professions libérales qu'elles pensent encore être composées de nantis.
Et pourtant la majorité des avocats peut être assimilée à des cadres ou, plutôt, compte tenu de l'exercice professionnel à des petits patrons de TPE.
Alors, quand c'est difficile, on a besoin d'être défendu efficacement par ceux qui représente la profession.
C'est peu de dire que le sentiment de l'avocat de base est, à ce sujet, relativement mitigé.
La profession d'avocat présente en effet cette caractéristique étrange d'avoir à sa tête, de facto, trois représentants : le président du Conseil national des barreaux, le président de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris.
Il arrive que des dissensions existent entre eux qui font beaucoup rire les notaires et les experts comptables, nos concurrents, et qui altèrent la représentativité et la défense de la profession.
Pour ma part, je suis favorable à un Ordre national des avocats, représentant unique.
Immédiatement les uns et les autres vous diront que ce serait éventuellement consacrer la puissance du barreau de Paris, que c'est pour ça que la Conférence des bâtonniers de province existe et qu'au fond le Conseil national réunît les uns et les autres.
Peut-être, mais en attendant trois hommes représentent la profession et de ce fait, en raison souvent de conflits internes, semblent manquer singulièrement d'efficacité, la loi ALUR n'en est-elle pas encore un exemple ?
Il ne me semble pas, pour ma part que la distinction à faire soit entre ceux qui habitent Paris et ceux qui ne l'habitent pas.
Le barreau de Paris, s'il représente la moitié des avocats de France, je crois, est certes le plus puissant économiquement, mais il est composé aussi d'avocats qui exercent le même métier que moi, comme de firmes.
Car la distinction, en fait est celle du métier exercé.
Il y a ceux qui exercent un métier de proximité, dont l'humain est le coeur et ceux qui exercent un métier relevant plus des anciens conseils juridiques, dont l'aspect économique est le coeur.
Parfois l'avocat a le sentiment que ses représentants sont issus du monde des affaires mais n'exercent pas son métier.
Et puis, en matière de gouvernance, tout se résout par le mode électoral.
On voit bien que le déficit de légitimité du Conseil national des barreaux provient d'un mode électoral avec un collège dit ordinal ou les élus se cooptent et un autre collège ou peut-être la place syndicale est trop importante, avec tous les égards dus au dévouement des syndicats.
On peut imaginer que le peuple des avocats élise directement, au suffrage direct, voire uninominal les représentants d'un ordre national.
Cela conduirait à avoir des élus qui représentent, dans le mode d'exercice, le vrai coeur que la profession.
Car, après tout puisque la profession est devenue une profession de masse, jeune et peut-être désargentée, n'est-il pas temps que sa représentation s'adapte à ce qu'elle est dans sa réalité majoritaire plutôt que d'être rêvée par ses représentants ?