Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en mai 2019 qui vient aborder la problématique du loyer non excessif versé en contrepartie de l’occupation d’un local entre deux entités appartenant à la même personne dont l’une est en procédure collective.
La question qui se pose est de savoir si la présence d’un bail verbal peut caractériser l'existence de relations financières anormales permettant au mandataire liquidateur d’engager une action en extension d’une première entité appartenant au chef d’entreprise à une deuxième entité lui appartenant également.
Dans cette affaire, les consorts E avaient plusieurs sociétés.
La Société C, représentant la société mère de plusieurs entreprises d’auto-école, dont la société A qui occupe le cœur de cette affaire.
Les consorts E étaient également porteurs de parts d’une SCI, la SCI E, propriétaire de locaux dans lequel la société A avait son activité d’auto-école.
Or, la société C a été mise en redressement puis liquidation judiciaire, les 23 septembre 2014 et 19 janvier 2016.
Le mandataire liquidateur désigné a par la suite assigné Monsieur et Madame E, la SCI E et la société A afin que la liquidation judiciaire de la SARL C leur soit étendue, avec confusion de leurs patrimoines.
Il convient de rappeler que l'existence de relations financières anormales peut justifier l'extension d'une procédure collective ouverte à l'encontre d'une personne à une autre.
Cette action est lourde de conséquence, puisqu’elle permet au mandataire liquidateur d’une société d’appréhender des actifs appartenant à d’autres entités économiques, créant ainsi des passerelles juridiques et économiques entre la société en liquidation judiciaire et d’autres entreprises et actifs parfaitement in boni,
Le mandataire liquidateur soutenait qu'il n'était pas produit aux débats ni justifié de la remise au liquidateur du bail commercial conclu entre ces deux sociétés concernant l'immeuble acquis par la SCI, dans lequel a été créé un nouveau fonds de commerce d'auto-école, de sorte que le versement du loyer de 740 euros n'était pas fondé sur un contrat de bail.
Qu'il fallait donc en déduire l'existence de flux financiers anormaux qui avait eu pour effet d'appauvrir la SARL au profit de la SCI.
Fort heureusement, la Cour de Cassation ne partage pas cette analyse.
Il convient de rappeler qu’au visa des articles L 621-1 et L 621-2 du Code de Commerce, le liquidateur judiciaire est compétent pour demander l'extension de la procédure collective au profit d’une autre entité.
La jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass com 16 mars 2010 n°08-13147) indique que le patrimoine du débiteur à l'ouverture de la procédure collective fait l'objet d'une saisie au sens où il se trouve placé sous-main de justice.
Cette action en extension s'exerce sur tous les actifs réalisables du débiteur qui vont globalement être affectés à la procédure de liquidation judiciaire.
Il convient de revenir sur la jurisprudence de la Cour de Cassation qui estime de manière récurrente qu'il y a lieu à extension lorsqu'il est constaté des faits relevant d'un mélange patrimonial entrainant une absence de contrepartie et dépourvus de tout intérêt pour l'appauvrir (Com. 8 janvier 2013, n°11-30640).
Or, dans cette affaire, le mandataire liquidateur avait appris que la gérante avait créé une autre activité quasi similaire à celle de la société C.
Il souhaitait savoir dans quelles conditions les murs de la SCI et dans quelles conditions la SARL faisait face à ses obligations financières.
La Cour de Cassation estime qu'il y a matière à extension lorsqu'il est constaté des faits relevant d'un mélange patrimonial entrainant une absence de contrepartie et dépourvu de tout intérêt pour l'appauvri.
Il est vrai que la jurisprudence retient bien l'existence de flux financiers anormaux lors du transfert gratuit d'activité, estimant choquant, qu'un débiteur qui ne paie plus ses dettes exigibles passe des actes ayant pour résultat de l'appauvrir un peu plus.
En la matière la jurisprudence va même plus loin puisqu’elle précise que s'il se peut que l'acte en lui-même ne soit pas anormal, il peut le devenir du fait de sa chronologie.
Dans cette affaire, les éléments factuels montraient bien que les interactions entre les différentes sociétés étaient particulièrement nombreuses et entremêlées.
Il ressort notamment de l'examen des Kbis des différentes sociétés des consorts E, que le lieu du siège social de l'une est le lieu d'exploitation de l'autre laissant au lecteur un sentiment d'imbroglio de sociétés, constituées à dessein.
Sur la base de ces éléments que le mandataire liquidateur sollicitait une confusion des patrimoines de la SARL C et de la SARL A.
Le mandataire liquidateur considérait que ce « parc d’entreprises » avait pour vocation de suivre la même activité avec les mêmes associés et le transfert du fichier clientèle, ce qui avait pour but d'appauvrir l'actif de la société C.
La question de l’extension se posait aussi concernant les murs commerciaux.
Ceci d’autant plus qu'aucun bail n'a été remis au mandataire judiciaire malgré sa demande, alors même que des loyers ont été versés, dont le montant a été calqué au montant des mensualités des prêts d'acquisition des dits murs et sachant qu'il n'a été justifié d'aucun apport par les associés concernant ces opérations immobilières.
Sur la base de cette absence d’explications, le mandataire liquidateur considérait qu’il y avait bien matière à extension.
Il convient de rappeler l'article 2284 du Code civil qui énonce : « Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».
En effet, la Cour de Cassation a, par le passé, jugé que des indices de confusion de patrimoines sont trouvés lorsqu'il y aura imbrication des masses actives ou passives des structures concernées,
Pour autant la Cour de Cassation ne partage pas l’avis du mandataire liquidateur et considère que l’absence de bail commercial écrit n’enlève rien au fait de l’existence d’un bail verbal et donc l’extension de procédure collective n’était pas acquise de droit.
Elle rappelle que seule l'existence de relations financières anormales peut justifier l'extension d'une procédure collective ouverte à l'encontre d'une personne à une autre.
La Cour de Cassation considère que le mandataire liquidateur est loin de caractériser l'existence de relations financières anormales constitutives d'une confusion des patrimoines entre la SARL et Monsieur et Madame E dès lors que le bail peut être verbal,
En effet, pour la Haute juridiction, l'occupation, par la SARL, des lieux objet des baux invoqués n'étant pas contestée, le versement des loyers, non argués d'excessifs, avait une contrepartie, de telle sorte qu’il ne saurait y avoir de relations financières anormales justifiant à la fois une action en extension et une confusion des patrimoines.
Cette jurisprudence est intéressante,
Elle rappelle en premier lieu qu’en marge de l’action en comblement du passif aussi appelée action en responsabilité pour insuffisance d’actif, l’action en extension aux fins de confusion des actifs est aussi régulièrement utilisée par les mandataires de justice pour trouver des actifs en dehors du patrimoine de la société en liquidation judiciaire.
Tantôt en visant les actifs du chef d’entreprise.
Tantôt en visant les actifs de ses autres entités et sociétés, et plus particulièrement les sociétés civiles immobilières qui ont des actifs immobiliers par nature.
Cette jurisprudence rappelle aussi, et surtout, que cette action doit faire l’objet d’une réelle démonstration du mandataire judiciaire et le chef d’entreprise dispose, fort heureusement de bon nombre d’outils pour se défendre,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,