Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation ce 11 septembre 2024, N°22-13.482 et qui vient aborder les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale.
En effet, dans cette jurisprudence la Cour d’appel rappelle que les effets de l’insaisissabilité du droit de la résidence principale d’une personne immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel subsistent aussi longtemps que le droit des créanciers auquel elle est opposable ne sont pas éteints.
De sorte que la cessation de l’activité professionnel de la personne précédemment immatriculée ne met pas fin par elle-même à ces effets.
Quels sont les faits ?
En effet, dans cette affaire, la difficulté rencontrée est que Monsieur I, artisan, avait cessé son activité professionnelle le 05 décembre 2017, date à laquelle il avait été radié du répertoire des métiers.
S’était par la suite placé en redressement judiciaire le 04 septembre 2018 et, finalement, en liquidation judiciaire le 02 octobre 2018 dans une foulée très rapide.
Un entrepreneur artisan déjà radié au jour de la liquidation judiciaire
C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur a saisi le Juge commissaire afin de lui demander d’ordonner la vente aux enchères publiques de l’immeuble d’habitation appartenant à Monsieur I, artisan, et à son épouse, qui constituait pourtant sa résidence principale.
La vente aux enchères publiques de la résidence principale
Monsieur I faisait effectivement grief à la Cour d’appel de Bordeaux d’avoir autorisé le mandataire liquidateur à poursuivre la vente aux enchères publiques d’un immeuble servant pourtant de résidence principale au débiteur.
Selon lui, les droits d’une personne immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de plein droit insaisissable par les créanciers dont les titres naissent à l’occasion de son activité professionnelle.
Que dès lors, dans pareil cas, l’insaisissabilité subsiste aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, de sorte que la cessation de l’activité professionnelle ne met pas fin par elle-même à ses effets, peu important qu’elle soit intervenue antérieurement à l’ouverture d’une procédure collective.
L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur
Ainsi, Monsieur Y faisait grief à la Cour d’appel d’avoir retenu, pour écarter l’insaisissabilité de droit de la résidence principale, que, ayant été radié du registre des métiers depuis neuf mois à la date à laquelle une procédure collective avait été ouverte à son encontre, l’artisan ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices instituées par la loi compte tenu de la rédaction restrictive du texte et ce, même si ces dettes professionnelles avaient effectivement été contractées alors qu’il était encore en activité.
Un artisan radié ne pouvant protéger sa résidence principale ?
La Cour de cassation ne partage fort heureusement pas l’avis de la Cour d’appel de Bordeaux et l’artisan, immanquablement, a bien fait de former un recours à l’encontre de cette décision qui ordonnait la vente aux enchères publiques de sa résidence principale.
En effet, la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article L 526-1 du Code du commerce, que selon ce texte l’insaisissabilité de plein droit des droits de la personne immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité de cette personne.
Une insaisissabilité de plein droit protégeant l’entrepreneur radié
De telle sorte qu’il en résulte que les effets de l’insaisissabilité subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints.
De sorte que la cessation de l’activité professionnelle de la personne précédemment immatriculée ne met pas fin par elle-même à ces effets.
Ainsi, pour autoriser la vente aux enchères publiques de l’immeuble litigieux, la Cour d’appel, après avoir constaté que Monsieur I, artisan, était radié du registre des métiers depuis neuf mois à la date à laquelle une procédure collective avait été ouverte à son encontre, retenant ainsi qu’il ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices de l’article L 526-1 du Code du commerce compte tenu de la rédaction restrictive de ce texte et ce, même si les dettes professionnelles ont effectivement été contractées alors qu’il était encore en activité.
En statuant ainsi, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.
Par voie de conséquence, force est de constater que les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale d’un artisan, fusse-t-il radié, subsistent tout au long de la procédure collective et aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints.
La Cour d’appel allant plus loin dans son raisonnement va même soulever un développement quant à la portée et aux conséquences de la cassation.
En effet, elle considère qu’en ordonnant sur la requête du liquidateur la vente d’un immeuble qui échappait au périmètre de la procédure collective, le Juge commissaire et la Cour d’appel, à sa suite, ont donc immanquablement excédés leurs pouvoirs.
La Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu par la Cour d’appel et disant n’y avoir lieu à renvoi, annule pour excès de pouvoir l’ordonnance rendu par le Juge commissaire du Tribunal de commerce de Périgueux qui avait justement ordonné la vente aux enchères publiques.
La Cour de cassation allant plus loin encore en précisant rejeter la demande du liquidateur.
Le rejet des prétentions du mandataire liquidateur
Cette jurisprudence est intéressante car elle vient aborder les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’artisan tant bien même ce dernier a été radié avant de se placer en procédure collective.
Cette jurisprudence est intéressante aussi car elle vient refléter finalement en pratique un mouvement qui consiste pour le mandataire liquidateur de plus en plus fréquemment de tout tenter pour procéder à la réalisation de l’actif immobilier du dirigeant alors que ce bien est sa résidence principale et que celle-ci est protégée de plein droit par l’article L626-1 du Code du commerce.
L’acharnement du mandataire liquidateur à vouloir réaliser les actifs du débiteur
J’en veux pour preuve également bon nombre de contentieux qui sont nés enclenchés par des mandataires liquidateurs qui sont intéressés par la réalisation des actifs et pour cause ces derniers sont essentiellement rémunérés de leurs diligences sur les actifs qu’ils arrivent à recouvrir en allant même jusqu’à vérifier si oui ou non le dirigeant était bel et bien présent au jour de l’ouverture de la procédure collective dans son domicile personnel, en laissant à penser que dans la mesure où ce dernier ne serait pas présent au jour de l’ouverture de la procédure collective, à ce moment-là, le bien serait malgré tout saisissable.
La Cour de cassation n’a pas été hermétique à cette approche et a répondu en inversant la charge de la preuve et en imposant au dirigeant de rapporter la preuve qu’au jour du redressement judiciaire celui-ci était bien présent sur place.
Ce qui, finalement, amène à une certaine évolution jurisprudentielle et démontre l’acharnement que peuvent avoir certains mandataires liquidateurs pour trouver des actifs.
Cela amène effectivement à avoir, en tant que chef d’entreprise, un certain nombre de réactions positives et constructives à avoir.
Le sort du chef d’entreprise face à sa propre liquidation judiciaire, quelle attitude adopter ?
Il fut un temps où effectivement il était conseillé au dirigeant de procéder à une déclaration notariée d’insaisissabilité pour justement protéger son bien jusqu’à ce que finalement cette protection devienne légale et de plein droit à l’ensemble des chefs d’entreprise pour protéger leur résidence principale et, aujourd’hui, si un conseil devait être donné, c’est de penser au jour du redressement judiciaire à rapporter la preuve que vous êtes bel et bien présent dans votre domicile.
Dès lors, l’ensemble des justificatifs tel que factures d’eau, électricité, taxes foncières, avis d’imposition, photos de famille,… sont parfois utiles à conserver mais peut-être même que dans certains cas l’établissement d’un constat d’huissier visant à constater que le dirigeant est bel et bien présent dans sa résidence au jour du redressement judiciaire me semble de plus en plus à conseiller, ce que mon cabinet d’ailleurs ne manque pas de faire à ses différents clients pour éviter justement une difficulté future sur cette question-là tant on peut constater parfois une certaine voracité des mandataires liquidateurs qui n’hésitent pas à tenter de réaliser la résidence principale du dirigeant.
Preuve en est dans cette jurisprudence puisque le mandataire liquidateur a cru bon imaginer cette réalisation de l’actif de la résidence principale de l’artisan en liquidation judiciaire sur le seul fait que ce dernier avait été radié, fort heureusement, la Cour de cassation a su rappeler à sa juste mesure la portée légale de l’article L 526-1 du Code du commerce.
À bon entendeur…
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,