Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence en juin 2016 et qui vient aborder la question spécifique de l’action en interdiction de gérer ou en faillite personnelle, diligentée, tantôt par le mandataire judiciaire, tantôt par le Procureur de la République, et des effets de cette dernière à l’encontre du dirigeant.
Cette analyse s’effectue surtout à travers le prisme de la prescription qui mérite une attention particulière en droit de la sanction du dirigeant d’une entreprise en difficulté,
Dans cette affaire, la société G, avait fait l’objet d’un jugement de redressement judiciaire le 21 novembre 2011, dite procédure collective qui avait été convertie en liquidation judiciaire le 18 février 2013.
La date de cessation des paiements avait été fixée au 21 novembre 2011 à titre provisoire et le passif déclaré de la procédure s’élevait à la somme de 63 146,21 €.
C’est dans ces circonstances qu’une requête avait été présentée par le Ministère Public avec une citation à comparaître à l’audience publique du Tribunal de Commerce le 2 février 2015 à 14 heures 30.
Celle-ci avait été délivrée à Monsieur T, dirigeant de droit, le 2 octobre 2014, pour être entendu et faire toute observation sur l’application à son encontre des dispositions des articles L 651-3, L 652-5, L 653-7, L 662-3 et suivant du Code du commerce, afin de voir prononcées à son encontre, tantôt un faillite personnelle, tantôt une interdiction de gérer.
Dans son rapport, le ministère public reprochait notamment à Monsieur T. d’avoir, en s’abstenant volontairement, de coopérer avec les organes de la procédure collective, fait obstacle à son bon déroulement, avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale, étant précisé que le procureur fait état de ce que postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, Monsieur T, a intégré le capital social d’une autre société existante, la société S, dont il est ensuite devenu le gérant et qui exploite désormais son activité sous la même enseigne, le même logo, avec des coordonnées téléphoniques qui avaient été reprises.
Le mandataire liquidateur partageait la même analyse, et pour cause, en qualité de premier intervenant et partenaire de l’entreprise en difficulté, et bien souvent ce sont ces premières observations qui vont aiguiller par la suite le Procureur de la République à envisager une action en sanction commerciale,
Il était notamment reproché au dirigeant de droit, Monsieur T, d’avoir détourné tout ou partie de l’actif de l’entreprise, en présence d’une insuffisance d’actifs s’élevant à la somme de 60 156,00 €.
Il était pareillement reproché à Monsieur T de s’être abstenu de coopérer avec les organes de la procédure collective.
De telle sorte, qu’au travers de l’ensemble de ces éléments, le dirigeant aurait démontré sa totale incurie, son absence de sens des responsabilités et son incapacité à gérer sainement une entreprise.
Ceci était d’autant plus motivé par le tribunal de commerce, en tout cas c’est ce qu’il y a lieu d’en comprendre, par le fait que Monsieur T n’avait pas non plus été présent en audience devant le tribunal de commerce.
C’était donc comme cela que par jugement en date du 9 mars 2015, Monsieur T avait été condamné à une faillite personnelle pour une mesure de six ans, ce qui peut sembler effectivement sévère.
D’autant plus que ce dernier n’avait pas été touché par la requête en sanction et n’avait pas comparu à l’audience pour ce défendre,
Apprenant finalement l’existence du jugement de faillite personnel, Monsieur T avait fait appel.
En premier lieu, celui-ci fait état d’un changement d’adresse, qui impactait non seulement sa présence devant les juges du premier degré, mais impactait également la déclaration d’appel qui semblait avoir été formalisée hors délais,
Bien plus, les délais d’appels étant courts, dix jours à compter de la notification de la décision, passé ce délai, les services du Greffe avaient procédé à la publication de la mesure d’interdiction de gérer et de faillite personnelle à l’endroit de Monsieur T.
Dès lors, était-il encore recevable à faire appel ?
Afin de répondre à cette question, il convenait avant toute chose de revenir sur le changement d’adresse qui n’avait d’ailleurs pas été communiqué par Monsieur T. aux organes de la procédure collective alors que ce dernier aurait dû indubitablement le faire.
Ainsi, il ressort très clairement du jugement en litige que Monsieur T est inscrit comme étant domicilié à une adresse précise.
Toutefois celui-ci n’était plus domicilié à cette date, celui-ci ayant d’ailleurs été contraint de déménager, notamment en l’état d’une séparation personnelle, événement strictement personnel et familial qui ne frappe que trop le dirigeant lorsque celui-ci est en faillite financière économique mais également, dans le cadre de cette véritable « spirale du vide » personnelle,
Si l’adresse du dirigeant est celle qui a été visée dans l’extrait K-bis du redressement judiciaire, il convient de rappeler que l’action en sanction a été amorcée trois ans et demi plus tard, sur la base d’une action du ministère public, laquelle pouvait d’ailleurs sembler prescrite.
Or, en l’état de la faillite de son entreprise, Monsieur T. avait changé d’adresse, sur la base d’une séparation qui, immanquablement, a été difficile.
Aussi, tant bien même la signification a été faite entre les mains de l’ex-concubine, il appartenait à l’huissier instrumentaire de vérifier si Monsieur T était bel et bien personnellement domicilié à la dernière adresse mentionnée sur l’extrait K-bis.
Il ressort surtout des circonstances de la cause que ni le mandataire judiciaire, ni le représentant du ministère public, n’ignoraient la nouvelle adresse de Monsieur T.
En effet, il ressort du rapport du mandataire judiciaire, repris stricto sensu par le Ministère Public, qu’il était notamment reproché à Monsieur T d’avoir créé une nouvelle société, la société S, inscrite au R.C.S. de Cannes et dont un extrait K-bis était fourni au mandataire judiciaire.
Or, dans le cadre de cet extrait K-bis apparaissait la nouvelle adresse de Monsieur T, située dans une autre commune.
Il est alors extrêmement curieux que d’un coté le mandataire judiciaire fasse état de l’existence d’une nouvelle activité commerciale de Monsieur T, avec des documents récents, faisant état d’une nouvelle adresse personnelle mais pour laquelle, d’un autre coté, ni le mandataire judiciaire, ni le ministère public n’ont cru bon faire signifier la convocation à cette nouvelle adresse.
Néanmoins cette dernière était pourtant clairement reconnue de tous, puisque, même le Procureur de la République, dans son rapport, avait pris soin de fournir en pièces annexes, l’extrait K-bis de la nouvelle société, la société S, inscrite au R.C.S. de Grasse, avec la nouvelle adresse.
Concernant les fautes de gestion, le dirigeant vient combattre naturellement cette prétention, en considérant que l’absence de coopération du dirigeant ne se présume pas en tant que telle et doit être clairement caractérisée.
Il convient d’abord de rappeler que, bien souvent, dans le cadre d’un redressement judiciaire, le dirigeant est présent et fournit l’ensemble des éléments de rigueur aux organes de la procédure collective et que dès lors, si par la suite ce dernier disparaît dans le cadre de la liquidation judiciaire, il convient bel et bien de démontrer que cette nouvelle absence, alors même qu’il a fait diligence au démarrage de la procédure, est source de préjudice pour la procédure collective.
Tel n’est pas le cas dans cette affaire car Monsieur T avait immanquablement coopéré avec les organes de la procédure collective, ne serait-ce qu’au stade du redressement judiciaire,
En tout état de cause, il ne suffit pas que ce dernier n’ait pas récupéré un courrier de convocation ou de réclamation du mandataire judiciaire, pour présumer ou considérer qu’il n’a pas coopéré avec les organes de la procédure collective.
Il convient de rappeler les dispositions de l’article L 653-5 du Code du commerce, qui viennent sanctionner une faillite personnelle contre celui qui, en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.
A cet égard, il convient de souligner que l’action engagée sur ce fondement juridique est insuffisamment caractérisée si le demandeur, en la personne du ministère public, n’établit pas avec certitude que le mis en cause a bien été informé de ses obligations en la matière et qu’il a volontairement était défaillant.
La jurisprudence rappelle ainsi l’obligation de mauvaise foi prouvée du dirigeant.
Par ailleurs, la notion d’obstacle au bon déroulement de la procédure collective doit être évoquée, développée et caractérisée par le mandataire judiciaire, ce qui n’est pas le cas alors même que la jurisprudence est pourtant extrêmement claire sur ce point, (cf. notamment Cour d’Appel de Versailles, XIIème Chambre, 15 septembre 2011) et vient caractériser cette obligation.
Dans la mesure où le mandataire judiciaire confirme que le dirigeant a participé et assisté les organes de la procédure collective tout au long du redressement judiciaire, il peut sembler curieux de venir lui reprocher par la suite une défaillance dans le cadre de la liquidation judiciaire alors qu’il n’y a plus d’activité et que le mandataire judiciaire a d’ores et déjà l’ensemble des éléments entre les mains.
Tant bien même ce serait le cas, il n’est guère plus démontré, ni évoqué, en quoi l’absence du dirigeant aurait créé des difficultés au bon déroulement de la procédure collective.
Ceci d’autant plus qu’il n’est pas fait état, ni par le mandataire judiciaire, ni par le Procureur de la République, que des manquements ou des détournements d’actifs auraient été caractérisés.
C’est d’ailleurs sur ce point que les organes de la procédure collective ont semblé insister dans le cadre de l’action qu’ils ont engagée contre Monsieur T, en considérant qu’il y aurait un détournement de clientèle, d’enseigne et de logo de l’entreprise, ainsi que de factures client et d’actifs de l’entreprise, et ce au motif pris qu’une autre entreprise aurait été créée dans un département limitrophe.
Pour autant, il convient de rappeler que le mandataire judiciaire a l’obligation d’effectuer un certain nombre de diligences dès l’ouverture de la procédure collective et ceci, assisté et accompagné d’un huissier de justice, qui est également désigné.
Or, n’ont été absolument pas fournis au débat, ni le procès-verbal d’inventaire, ni le procès-verbal de récolement d’inventaire, ni la requête aux fins de vente aux enchères publiques de l’actif de la liquidation judiciaire.
Dès lors, il peut paraître particulièrement curieux de remarquer que, d’un côté, le mandataire judiciaire ne procède pas aux mesures de conservation ou de réalisation des actifs de la procédure collective dont il a pourtant la charge et la responsabilité et, de l’autre côté, venir souffler à l’oreille du Ministère Public une éventualité de détournement d’actif qui n’a finalement pas été préservé par le mandataire liquidateur lui-même.
Force est de constater que, là-encore, sur le terrain de la démonstration de la preuve, celle-ci n’est pas clairement appréhendée, l’argumentation reposant essentiellement par voie de supputation, si ce n’est de présomption de culpabilité, sans pour autant justifier de quelque élément objectif venant corroborer cette thèse.
Pour autant, cette approche ne peut suffire à caractériser la faute de gestion en question,
Mais surtout, Monsieur T. a contesté la recevabilité de l’action en sanction commerciale, en faillite personnelle ou en interdiction de gérer, au motif pris que l’action serait pareillement prescrite.
C’est donc en ce sens que la Cour d’Appel semble se diriger dans cet arrêt récent de juin 2016, dans lequel elle vient clairement rappeler aux organes de la procédure collective que ces derniers doivent également envisager des sanctions sur la base d’éléments concrets, corroborés et dans un délai raisonnable, non prescrit, étant rappelé que la prescription sert justement à assurer une bonne administration de la Justice et une bonne conservation des éléments de preuve, qu’ils doivent justement évoquer devant le tribunal de commerce.
C’est sur la base de cette argumentation tenue par Monsieur T. que la Cour a été amenée à s’exprimer,
En premier lieu, la Cour d’Appel a été extrêmement sensible au problème d’adresse et a considéré que l’appel interjeté par Monsieur T ne serait pas tardif,
En deuxième lieu, La Cour d’Appel, à la lueur de l’article L 653-1-2 du Code du commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, applicable aux litiges, eu égard à la date d’ouverture de la procédure collective, rappelle que les actions prévues par le présent chapitre se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui prononce l'ouverture de la procédure collective.
La procédure de redressement judiciaire ayant été ouverte le 21 novembre 2011, puis convertie en liquidation judiciaire le 18 février 2013, Monsieur T. ayant été assigné aux fins de sanction à la demande du Procureur de la République, par citation à comparaître devant le tribunal de commerce, en date du 2 février 2015 et dès lors, le délai de prescription de trois ans ayant couru à compter du 21 novembre 2011, date d’ouverture de la procédure collective, l’action était immanquablement prescrite au 2 février 2015, date de la citation à comparaître.
Le jugement ainsi attaqué est par conséquent réformé.
Ainsi, La Cour d’Appel réforme le jugement en son entier et déclare prescrite l’action en sanction engagée le 2 février 2015 à l’encontre de Monsieur T. avec notamment comme effet la levée de la mention initiale de l’interdiction de gérer au K. Bis de ce dernier,
Cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle vient rappeler, non seulement que l’action en faillite personnelle ou en interdiction de gérer ne peut pas être un simple réflexe de sanction mais bel et bien une véritable action, qui doit faire l’objet d’une véritable démonstration probatoire, mais encore, que les organes de la procédure collective, premièrement, ne peuvent envisager des actions sans respecter les délais légaux, ce pourquoi ils sont été sanctionnés dans cette affaire, et, deuxièmement, doivent démontrer que les fautes de gestion qui sont évoquées sont bel et bien caractérisées, ne pouvant plus avancer sur le terrain de la faute sur la seule base d’une quelconque présomption de culpabilité, laquelle n’est absolument plus de rigueur.