Il convient de s’intéresser un arrêt qui a été rendu par la Cour d'Appel d’Amiens en décembre 2018 qui vient aborder la problématique spécifique de report de la date de cessation des paiements qui permet bien souvent au mandataire liquidateur, ensuite, d’exposer la responsabilité du dirigeant.
Par jugement du Tribunal de commerce d'Amiens en date du 21 juillet 2016 une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société F, et la date de cessation des paiements a été fixée au 30 mai 2016 pour dettes impayées à cette date.
Pour autant, par exploit d'huissier en date du 19 juillet 2017, La SELAS B désignée liquidateur judiciaire de la société a saisi le Tribunal de commerce aux fins de voir reporter la date de cessation des paiements à la date du 1er septembre 2015 soit quasiment plus d’un an avant l’ouverture de la procédure collective.
Néanmoins, la stratégie du mandataire liquidateur n’a pas été payante.
Par jugement du Tribunal de Commerce d'Amiens en date du 5 décembre 2017, la date de cessation des paiements a été reportée au 1er avril 2016, ce qui est extrêmement raisonnable,
Le Tribunal retenant essentiellement que la société n'était débitrice envers l'URSSAF Midi Pyrénées que d’une somme de 1 481,67 euros au quatrième trimestre 2015 et d'une somme de 11 466 euros au 1er trimestre 2016 pour s'élever au 28 février 2017 à plus de 42 000 euros alors que la créance de l'URSSAF de Picardie s'élevait en avril 2016 à la somme de 82 319 euros sur un total produit de 213 322 euros au regard d'un chiffre d'affaires de 1 900 000 euros.
C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur a interjeté appel de la décision en ce qu'il n'a pas été fait droit à sa demande de report de la date de cessation des paiements au 1er septembre 2015.
Le mandataire liquidateur exposait que l'actif de la procédure était presque totalement inexistant et que la société avait laissé de longue date s'accumuler de nombreux impayés.
Le mandataire liquidateur faisait ainsi valoir que la Direction Générale des Finances publiques avait déclaré une créance de 3 991,50 euros au titre d'impayés du 27 mai 2015 et l'URSSAF de Toulouse une créance d'un montant de 42 049,67 euros dont 1 481,67 euros au 4ème trimestre 2015 et 11 466 euros au 1er trimestre 2016 et l'URSSAF d'Amiens une créance d'un montant de 213 322 euros dont des cotisations impayées à partir de septembre 2015.
Il faisait également fait observer que la date d'exigibilité des créances restées impayées était bien antérieure à la déclaration de cessation des paiements et de la date retenue par le Tribunal de Commerce,
De telle sorte qu’en première instance le tribunal ne pouvait se fonder sur la réalisation d'un chiffre d'affaires conséquent qui n'était pas un élément d'appréciation de la liquidité de l'entreprise, comme la réalisation d'un bénéfice n'était pas de nature à permettre la contestation d'un état de cessation des paiements.
Le gérant de l’entreprise pressent que derrière cette action en report de la date de cessation des paiements se cache une action en responsabilité dans laquelle celui-ci se retrouverait poursuivi pour insuffisances d’actifs et devrait supporter le passif de la liquidation judiciaire de la société.
Il a donc pris soin de réclamer un grand nombre de documents au mandataire car ce dernier avait cru bon fonder son action sur la seule base d’une liste du créancier sans fournir pour autant les décomptes des créances en tant que telles.
Avant dire droit la société F entendait solliciter les documents suivants :
- Les réponses à contestation des deux créances de l'URSSAF d'Amiens
- Le justificatif du dépôt de requête aux fins de dépôt du seul passif privilégié
- Le justificatif du dépôt de l'état des créances privilégiées
- Le justificatif de la date d'audience des créances contestées de l'URSSAF devant le juge commissaire
Sur le fond, le dirigeant de la société F expose que le passif important de la société est constitué essentiellement de factures EDF qui sont des créances récentes et que les créances de l'URSSAF ne sont exigibles qu'en fin de trimestre et qu'elles sont au demeurant contestées et n'ont toujours pas été admises.
Il fait observer que s'il est argué d'un passif important, il n'est pas justifié du dépôt d'une requête aux fins de dépôt du seul passif privilégié et que les seules créances invoquées pour la période en litige sont des créances de faible importance qui ne sauraient justifier une cessation des paiements.
Et encore moins une action en report de la date de cessation des paiements.
Il soutient encore que le report de la date de cessation des paiements ne peut être justifié sur la seule base de créances équivalentes à 1% du chiffre d'affaires de l'entreprise qui était au 31 décembre 2015 de 1 900 000 euros.
Il est à noter par ailleurs que le Ministère Public avait été sollicité dans le cadre de cet appel et qu’il avait déclaré s’en rapporter à la justice.
C’est dire le pressenti de ce dernier qui ne voyait pas dans cette affaire une raison valable d’envisager une action en report de la date de cessation des paiements pour finalement envisager ensuite une action en responsabilité contre le dirigeant.
La Cour ne s’y trompe pas,
Elle rappelle que l’état de cessation des paiements est l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible.
Elle rappelle par ailleurs la charge de la preuve de cet état de cessation des paiements repose sur l’organe de la procédure qui entend voir reporter la date de cessation des paiements.
Ainsi les demandes formées par le dirigeant relatives à la communication par le liquidateur d’éléments relatifs à la contestation des créances de l’URSSAF s’avèrent inutiles dans la discussion relative au report de la date de l’état de cessation des paiements dont la preuve incombe au mandataire qui doit établir notamment la réalité du passif exigible.
En l’espèce, les pièces versées aux débats par le liquidateur ne permettent aucunement de caractériser un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015 dès lors qu’à cette date il n’est justifié que d’une créance de la Direction générale des finances publiques d’un montant de 3 991,35 euros.
En effet les dettes des deux URSSAF ne concernent que des cotisations dues au plus tôt au titre du quatrième trimestre 2015 ou des cotisations dues au titre du mois de septembre 2015 pour la somme de 2 360 euros et dont l’exigibilité n’est pas établie faute pour le liquidateur de produire des contraintes ou de justifier de leur admission par le juge commissaire.
La Cour d'Appel fait observer que les éléments figurant au bilan de l’année 2015 ne présentent qu’une image de la situation de l’entreprise au 31 décembre 2015 et ne suffisent pas à avérer un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015.
De surcroît au regard du niveau d’activité de la société dont le chiffre d’affaires net s’est élevé en 2015 à 1 794 469 euros et l’actif circulant au titre des créances et disponibilités s’est élevé à la somme de 97 505 euros, la faible différence entre la seule dette fiscale et les disponibilités de la société s’élevant à la somme de 1 205 euros ne caractérise pas suffisamment un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015.
La Cour d'Appel considère alors qu’il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reporté la date de cessation des paiements au 1er avril 2016 alors même qu’à cette date le passif de la société s’élevait à plus de 100 000 euros alors que l’actif disponible était presque inexistant.
Cette décision est extrêmement intéressante car elle met clairement en lumière le fait que le mandataire judiciaire a envisagé cette action en report de la date de cessation des paiements téméraire avait finalement comme vrai seul but d’engager par la suite la responsabilité du dirigeant pour que celui-ci fasse face à l’insuffisances d’actifs de ladite société.
En tout état de cause, il appartient au dirigeant de se défendre, d’appréhender à sa juste mesure les risques inhérents à une telle action et de la combattre au travers d’une analyse précise et rigoureuse de l’ensemble des créances déclarées au passif et de l’ensemble des décomptes au sein même desdites créances.
Par ailleurs, le dirigeant a été débouté de sa demande de communication de pièces mais cela a quand même attiré l’attention de la Cour d'Appel sur les problématiques liées à une absence totale de justificatif créances par créances d’une cessation des paiements antérieures au 1er avril 2016.
Cela montre bien que la rigueur de la défense et les contestations qui vont de pair sont d’importance et visent à empêcher un report dangereux de la date de cessation des paiements et de limiter les risques d’une action en responsabilité contre le dirigeant.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,