Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en octobre 2015 par la Cour de Cassation et qui vient aborder la question spécifique de la prescription acquisitive et de la propriété d’un lot au sein d’une copropriété,
Il convient de rappeler que, selon l’article 2219 du Code civil, si la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps, il en est de même de la prescription acquisitive qui, quant à elle, est un moyen juridique permettant d’acquérir un droit réel principal, propriété, usufruit ou servitude...par l’exercice de ce droit prolongé pendant un certain temps, lequel est en principe de trente ans. (n’est pas abordée ici la question de la prescription abrogée de dix ans)
Cette prescription acquisitive est reconnue par la jurisprudence européenne puisque la Cour Européenne des Droits de l’homme s’est prononcée sur la conciliation de caractères perpétuels du droit de propriété et l’acquisition d’un droit de propriété par la possession d’un bien déjà approprié par une possession prolongée, (cf. Cour Européenne des Droits de l’homme, 30 août 2007.)
Cette action en prescription acquisitive, encore appelée usucapion peut être envisagée dès lors que les conditions relatives aux qualités de possession, telles que rappelées à l’article 2261 et suivant du Code civil, sont acquises,
En effet, cette possession doit être exempte de vice.
Cette condition conduit, d’une part à exiger une possession véritable, à titre de propriétaire, et, d’autre part, à exiger une possession exempte de vice.
En effet, l’usucapion suppose une possession véritable, impliquant à la fois le corpus et l’animus domini.
De telle sorte que la possession doit être immanquablement véritable.
L’absence de vice de la possession permet donc de caractériser la prescription acquisitive.
La jurisprudence précise à cet égard qu’en présence d’une possession sans vice, à savoir une possession continue, non interrompue, paisible, publique, non-équivoque, et un titre de propriété, il y a matière à considérer que la prescription acquisitive peut être envisagée.
Il importe à cet égard de souligner que l’absence de vice de la possession est toujours présumée, comme le rappelle d’ailleurs un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de Cassation du 13 novembre 1970.
Le délai normal de l’usucapion est une durée de trente ans, en application de l’article 2272, alinéa 1er du Code civil, suivant lequel le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
Dans certaines hypothèses, non-abordées ici, la prescription peut être ramenée à une prescription dite abrégée, de dix ans.
Si l’action en usucapion aux fins de prescription acquisitive d’un bien ne semblait poser aucune difficulté sur le terrain jurisprudentiel, une particularité était malgré tout à envisager concernant le sort particulier de l’acquisition d’un lot au sein d’une copropriété.
C’est à cette délicate question que la Cour de Cassation vient apporter une réponse à travers un arrêt d’octobre 2015 dans laquelle la Haute Juridiction considère qu’aucune disposition ne s’oppose à ce qu’un syndicat des copropriétaires acquiert par usucapion la propriété d’un lot privatif,
Dans les faits de l’espèce, Monsieur R. était propriétaire d’un immeuble qu’il a divisé puis vendu par lots.
Par acte du 19 septembre 2007, Madame C., veuve R., et Madame R. ont vendu un lot de copropriété correspondant à un garage à Monsieur D., déjà propriétaire d’autres lots ;
Or, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble Cours Anatole France se prévalant de l’acquisition du lot par prescription a assigné Monsieur D., l’acquéreur en question, ainsi que Madame C., veuve R., et Madame R. en inopposabilité de la vente et en restitution du lot.
Pour rejeter la demande du syndicat des copropriétaires, l’arrêt relève que la qualification de partie privative du garage n’est pas contestée et se trouve corroborée par le règlement de copropriété et qu’aucun vote n’a entériné un changement de destination du lot ou des modalités de jouissance de celui-ci.
L’arrêt retient encore que l’article 26 de la Loi du 10 juillet 1965 interdit d’imposer à un copropriétaire la transformation d’une partie privative en partie commune, fût-ce par le jeu de la prescription acquisitive, et que l’objet d’un syndicat des copropriétaires étant de conserver et d’administrer l’immeuble, celui-ci ne peut valablement porter atteinte aux droits fondamentaux des copropriétaires et donc acquérir par prescription les parties privatives de l’un de ces copropriétaires,
A l’appui de ces prétentions tendant à l’affirmation du jugement des faits, le syndicat des copropriétaires faisait valoir quant à lui que le local vendu avait été utilisé par tous les copropriétaires pendant plus de trente ans, de telle sorte qu’il a acquis par usucapion le lot litigieux et ce bien avant ladite vente.
Le syndicat des copropriétaires considère que la collectivité des co-propriétaires est constituée de plein droit en un syndicat qui a la personnalité civile, dont l’objet est la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes, ce qui n’est pas contesté, le syndic étant responsable à ce titre de cette activité.
C’est dans ces circonstances que les consorts C., R. et D., ont tenté de s’opposer aux prétentions du syndicat des copropriétaires en considérant que ce dernier ne peut acquérir par usucapion des parties privatives d’un copropriétaire, membre du syndicat et porter ainsi atteinte aux droits fondamentaux des copropriétaires.
En effet, la loi du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, applicable en la cause et édictant des règles d’ordre public, rappelle en son article 43 que toutes clauses contraires aux dispositions de l’ensemble des articles susvisés (articles 6 à 37, 41-1 à 42 et 46) et celles du règlement d’administration publique, prises pour leur application, sont réputées non écrites.
L’article 26 de cette même loi prévoit quant à lui que l'assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu'elles résultent du règlement de copropriété, qu’en vertu de ces dispositions, que le syndicat ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire la transformation d’une partie privative lui appartenant en partie commune, fût-ce par le jeu de la prescription acquisitive.
C’est dans ces circonstances que la Cour d’Appel de Reims, dans sa décision du 4 février 2014 avait considéré quant à elle qu’outre la copropriété des parties communes, chaque copropriétaire de lot, appartement ou garage, a à titre privé la propriété exclusive et particulière des locaux compris dans la désignation de son lot et qu’aucun vote n’a jamais eu lieu pour entériner un changement de la destination ou des modalités de jouissance de son lot par rapport aux stipulations du règlement de copropriété.
La Cour d’Appel en a donc conclu que le syndicat des copropriétaires ne pouvait se prévaloir d’un transfert de propriété dudit lot à son profit par le jeu de la prescription acquisitive, violant ainsi par là-même les règles d’ordre public posées par l’article 26 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, alors même que, c’est ce que rappelle la cour, l’objet du syndicat des copropriétaires est de conserver et d’administrer l’immeuble en copropriété, de telle sorte qu’il ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux des copropriétaires, tels qu’ils résultent tant de la Loi que du règlement de copropriété, et donc acquérir par prescription acquisitive les parties privatives de l’un de ses membres.
Or, fort heureusement, la Cour de Cassation casse cette décision et considère qu’aucune disposition ne s’oppose à ce qu’un syndicat des copropriétaires acquiert par prescription la propriété d’un lot de copropriété, considérant ainsi qu’il est du pouvoir du syndicat des copropriétaires d’acquérir par prescription acquisitive le lot de copropriété, qui est impérativement et indissociablement composé d’une partie privative et des parties communes, sans que les droits des propriétaires sur la partie privative s’y opposent.
Ainsi en considérant que le droit commun de l’usucapion est tenu en échec par les règles du droit de la copropriété, et en particulier par l’article 26 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 en vertu duquel le syndicat des copropriétaires ne pourrait, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire la transformation d’une partie privative lui appartenant en partie commune, la Cour d’Appel de Reims a violé l’article 2272, alinéa 1er du Code civil.
La Cour de cassation rappelle dans cet arrêt, qu’aucune disposition ne s’oppose à ce à ce qu’un syndicat des copropriétaires acquiert par prescription la propriété d’un lot.
La jurisprudence évoquée est extrêmement satisfaisante en ce qu’elle permet de donner tout pouvoir au syndicat des copropriétaires pour se porter acquéreur, par le biais de l’usucapion, d’un lot de copropriété.
Cependant, il convient de ne pas oublier les principes mêmes du droit de la copropriété et des dispositions de la loi du 10 juillet 1965, qui ont quant à elles vocation à être appliquées à cette action en usucapion.
En effet, s’il est bien évident que l’assemblée générale ne peut imposer à un copropriétaire une modification de la destination ou des modalités de jouissance de ces parties privatives, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété, rien n’empêche le syndicat des copropriétaires de diligenter une action en usucapion.
Par ce biais le syndicat des copropriétaires peut se porter lui-même acquéreur d’une partie privative abandonnée depuis plus de trente ans, d’autant plus lorsque celle-ci été utilisée par les autres copropriétaires et ce, dans le but légitime et parfaitement louable d’envisager le paiement des charges afférentes à cette partie privative, qui n’ont été réglées par personne, puisque justement le lot privatif en question est abandonné et par conséquent, les charges qui y sont liées ne sont pas payées.
Il est surtout important de rappeler que l’usucapion ne procède pas en tant que tel d’une décision d’assemblée générale des copropriétaires mais bel et bien du fait de la possession même par l’ensemble des copropriétaires de la partie privative en question, la décision d’assemblée générale ne visant qu’à lancer l’action afin de caractériser en droit ce qui est déjà la réalité en fait.
Dès lors, à mon sens et comme le confirme d’ailleurs la dernière jurisprudence, une pareille action n’a pas vocation à être votée sur la base de l’article 26, qui n’est donc pas requis pour envisager l’action en usucapion.
Il convient à ce titre de s’intéresser sur le sort des résolutions qui accompagnerait une résolution aux fins d’engager une action en usucapion,
En effet, la résolution ne peut s’entendre de manière individuelle,
Elle peut parfaitement s’accompagner d’une deuxième résolution, suivant la première et finalement subsidiaire, afin d’envisager, en cas de refus de la résolution principale de lancer cette action en usucapion, de répercuter les charges impayées à l’encontre des autres copropriétaires
Cela permet d’assurer l’assainissement de cette dette de charges qui n’est réglée par personne, en l’état justement de l’abandon de la partie privative en question.
Par ailleurs, la pratique montre encore que la répercussion des charges de propriété en cas de refus de lancer l’action en usucapion par la majorité des copropriétaires, est en général un motif suffisant sur le terrain économique, pour dissuader ces derniers de s’y opposer et, au contraire, pour inviter ces derniers à lancer l’action et à voter en conséquence,
Par ce biais, le syndicat des copropriétaires, peut se porter acquéreur du lot en question par le biais de l’usucapion, , pour ensuite procéder à sa revente afin de notamment payer l’arriéré de charges qui est dû sur ce lot litigieux.
Tout laisse à penser que cela rentre bien dans l’objet du syndicat, lequel objet est la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes, comme le rappelle l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, ce qui n’empêche absolument pas le syndicat des copropriétaires de se porter acquéreur lui-même des parties privatives, sans que celles-ci perdent pour autant leur caractère privatif.
Preuve en est d’ailleurs que le syndicat des copropriétaires est alors en mesure de le revendre à des tiers qui se porteront acquéreurs, non-pas d’une partie commune, mais bel et bien d’une partie privative.
Cela a par ailleurs été récemment confirmé par une jurisprudence de janvier 2016, qui vient là encore, autoriser le syndicat des copropriétaires à se porter acquéreur de parties privatives.
Ainsi, comme le souligne très justement la jurisprudence évoquée, aucunes dispositions légales n’empêchent le syndicat des copropriétaires de se porter acquéreur par usucapion d’un lot privatif.
La question qui avait été également posée par la jurisprudence en question était de savoir comment devait s’entendre la possession prolongée du lot par le syndicat des copropriétaires, lequel est une entité abstraite.
Il est vrai que le syndicat des copropriétaires, comme tout demandeur à l’action en usucapion, tel qu’il en ressort des articles 2261 et suivant du Code civil, a vocation à justifier quant à lui d’une possession prolongée,
Le syndicat des copropriétaires se heurtait, jusqu’à la jurisprudence évoquée, à la dimension purement personnelle et individuelle de l’usucapion, alors même que le syndicat des copropriétaires était une entité abstraite représentée par l’ensemble des copropriétaires en question.
Il appartenait à ce moment-là à la jurisprudence de répondre à la question de savoir si, oui ou non, l’utilisation commune, par l’ensemble des copropriétaires, des parties privatives devant faire l’objet d’usucapion, pouvait caractériser la possession prolongée par le syndicat des copropriétaires.
Comme le soulignent d’ailleurs très justement la doctrine, « l’usage ne sera jamais le fait de tous, puisqu’il y manquera toujours un copropriétaire, celui contre lequel le syndicat des copropriétaires entend justement prescrire ».
Cette jurisprudence évoquée est satisfaisante car elle vient reconnaître un droit de possession prolongée, avec une possibilité d’usage de l’ensemble des copropriétaires, déduction faite de celui qui a disparu, avec la démonstration d’actes matériels d’occupation réelle, comme l’exigence la jurisprudence, (cf, Cour de Cassation, Troisième chambre civile, du 20 février 2013), dans laquelle tout laisse à penser que l’occupation réelle découle de l’utilisation commune de bon nombre de copropriétaires de la copropriété.
Dès lors, si la jurisprudence évoquée aborde le cas particulier de l’usage de garage, cela peut également s’entendre comme d’un lot à usage de stationnement, de places de parking, qui a été immanquablement utilisé par d’autre copropriétaires, de telle sorte que le syndicat des copropriétaires serait bien fondé à justifier que plusieurs, voire bon nombre, de copropriétaires ont donc usé des parties privatives litigieuses devant faire l’objet d’une action en usucapion.
Cette jurisprudence est salutaire car elle vient confirmer le fait que le syndicat des copropriétaires, comme toute autre personne morale peut se porter propriétaire par le biais de l’action en usucapion, ce qui amène à plusieurs conséquences.
La première des conséquences est qu’effectivement, en se portant acquéreur d’une partie privative pour par la suite envisager sa revente, cela permet immanquablement d’assainir la comptabilité et l’arriéré de charges afférentes à ce lot pour pouvoir justement assurer une comptabilité saine de la copropriété, tant bien même un des copropriétaires aurait disparu et un des lots aurait été abandonné.
Cela amène également, en deuxième lieu, à se remémorer la charge et la responsabilité du syndic en exercice, qui a justement pour mission d’assurer la gestion du syndicat des copropriétaires « en en bon père de famille » en résolvant notamment ces difficultés liées à l’existence de lots abandonnés.
A bien y comprendre, non seulement le syndicat des copropriétaires peut se porter acquéreur par le biais de l’usucapion, ce qui est clairement et enfin consacré par la jurisprudence, mais encore vient par là-même lever les difficultés pratiques de la mise en action de cette procédure très particulière d’usucapion.
En outre, cette jurisprudence vient rappeler en filigrane la responsabilité propre au syndic en exercice, lequel a l’obligation de tout faire pour assurer une saine gestion comptable des charges de copropriété et d’agir « en en bon père de famille » afin de ne pas grever les copropriétaires présents par l’indélicatesse ou la disparition des copropriétaires absents de longue date, si ce n’est depuis 30 ans.