Il convient de s'intéresser à un arrêt qui a été rendu par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en octobre 2014.
Cette jurisprudence est intéressante à plusieurs égards puisqu'elle vient en premier lieu rappeler le devoir de conseil de l'assureur dans le cadre d'une assurance construction.
En deuxième lieu, elle vient également déterminer la responsabilité de l'administrateur judiciaire chargé d'une mission de surveillance dans le cadre d'une procédure collective.
Concernant l'assurance construction, la Cour de cassation rappelle qu'ayant relevé que l'assuré avait connaissance, par les conditions particulières du contrat, de son obligation de déclarer à l'assureur son effectif dès lors que celui-ci excédait une personne, qu'il lui appartenait de mettre en œuvre cette obligation quand son effectif était passé de 0 à 1 salarié.
Or, celui-ci n’a pas signalé au courtier d’assurance une nouvelle modification du nombre de ses salariés, de telle sorte que la Cour d'appel a pu en déduire que le courtier n'avait pas manqué à son devoir de conseil et ne pouvait voir sa responsabilité engagée de ce chef.
Mais alors, dans pareil cas, qui serait le responsable des conséquences parfois dramatiques que peut revêtir une absence d’assurance construction dans un chantier immobilier comprenant multiples désordres ?
Cette question se pose d’autant plus dans le cadre d'une procédure collective avec désignation d’un administrateur judiciaire chargé d'une mission de surveillance.
Dès lors, l’administrateur avait-il l'obligation de vérifier et de s'assurer de l'efficacité de l'assurance de responsabilité décennale souscrite par le débiteur en vérifiant que le risque avait été exactement déclaré ?
La réponse donnée par la Cour de cassation est : oui.
Dans cette histoire où plusieurs entreprises de BTP se sont affrontées concernant la conception et la réalisation de travaux de réhabilitation de deux immeubles, la présentation rapide des faits peut éventuellement sembler d'une certaine complexité.
Cependant, l'attrait de cette jurisprudence se fait à la seule lueur du droit de l'entreprise en difficulté et de la responsabilité de l'administrateur dans le cadre de sa mission.
Les faits sont les suivants, comme le rappelle d'ailleurs très clairement l'arrêt de la Cour de cassation en question :
Courant 2005 deux sociétés, les Remparts et la société Équipe Buro, ont confié à la société Bâti CJP Concept, la conception et la réalisation de travaux de réhabilitation de deux immeubles.
Ladite société Bâti CJP Concept avait souscrit un contrat multirisque artisans du bâtiment auprès de la société AXA France IARD par l'entremise d'un courtier en assurances, initialement la société CGCA, devenue par la suite la société APRIL PARTENAIRES.
Le contrat d'assurance prévoyant que ladite société doit déclarer le nombre d’employés.
D'après la conclusion de ce contrat, la société Bâti CJP Concept a déclaré employer une personne.
Par la suite, la société Bâti CJP Concept a été placée en redressement judiciaire le 17 février 2006, entrainant la désignation d’un administrateur judiciaire avec une mission d'assistance et de surveillance.
In fine, ladite société Bâti CJP Concept avait été par la suite placée en liquidation judiciaire, suivant jugement intervenu le 6 octobre 2006.
Cependant, se plaignant d'un certain nombre de désordres, les sociétés Équipe Buro et les Remparts, qui avaient confié initialement la conception de la réalisation des travaux de réhabilitation des deux immeubles à la société Bâti CJP ont, après expertise, assigné en responsabilité et indemnisation tant la compagnie d'assurance que l'administrateur à titre personnel.
Concernant l'assureur, la Cour de cassation rappelle qu'effectivement, dans la mesure où il n'avait pas été signalé au courtier une nouvelle modification du nombre des salariés, qui était une des conditions particulières du contrat, il était bien évident que l'assureur ne pouvait voir sa responsabilité engagée.
Il n’en est pas de même de l’administrateur judiciaire.
Car la question à laquelle répond la Cour de cassation est savoir si, oui ou non, il appartenait à l'administrateur d'effectuer ces démarches, alors même que ce dernier avait une mission d'assistance et de surveillance lorsque l'entreprise était en redressement judiciaire ?
Cette jurisprudence amène à s'interroger sur les règles de répartition des pouvoirs entre le le dirigeant social de l'entreprise en difficulté et l'administrateur judiciaire pendant le temps de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
Lors de l’ouverture de la procédure collective, la détermination de la mission de l'administrateur et son champ de compétence et d'investigation est un des principaux éléments qui permet de différencier le rôle de ce dernier entre procédure de sauvegarde et procédure de redressement judiciaire.
Dans le cadre de la procédure de sauvegarde, le chef d'entreprise, qui a pris l'initiative de se mettre sous la protection bienveillante du tribunal de commerce et du droit de l'entreprise en difficulté puisqu'il n'est pas encore en cessation des paiements, conserve la maîtrise de son entreprise et donc des actes de gestion.
Il n'est pas complétement dessaisi de ses fonctions.
Il se fait assister par un administrateur qui a un pouvoir de surveillance et de la gestion du débiteur, un pouvoir d'assistance pour les actes que le Tribunal aura déterminés.
Cependant, dans le cadre de la procédure de sauvegarde l’administrateur ne peut se voir confier la mission d'administration de représentation de la société qui équivaudrait à un dessaisissement du dirigeant.
Il en est plus largement dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire. Mais il convient avant toute chose de distinguer les différents pouvoirs qu'a l'administrateur judiciaire dans le cadre d'une procédure collective.
Il convient de dissocier les pouvoirs invariables des pouvoirs variables de l'administrateur judiciaire.
Comme le rappelle très justement le Professeur Lecorre, quelle que soit la mission que lui confie le Tribunal, l'administrateur a en redressement judiciaire des pouvoirs intangibles.
Il est d'abord seul habilité à exercer l'option sur la continuation des contrats en cours, il s'agit là d'un pouvoir essentiel au redressement de l'entreprise.
L'administrateur dispose seul d’assumer le choix de l'option de continuer ou non le contrat en cours.
L'administrateur judiciaire dispose également seul du pouvoir de faire fonctionner les comptes bancaires lorsque le débiteur est interdit bancaire.
Et enfin, l'administrateur semble a priori seul compétent pour préparer un projet de plan de redressement, bien qu'en pratique, et fort heureusement, le dirigeant a encore la maîtrise de l'élaboration du plan qu'il peut proposer et soumettre à l'administrateur judiciaire qui pourra par là même valider ou rectifier et présenter une version terminée au Tribunal de commerce par la suite.
Dès lors, la détermination de la mission de l'administrateur appartient encore au Tribunal de commerce qui va déterminer effectivement l'amplitude de l'intervention de l'administrateur.
Ainsi le Tribunal de commerce peut charger l'administrateur judiciaire d'assister le débiteur pour tous les actes concernant la gestion ou certains d'entre eux, ou soit d'assurer seul, entièrement ou en partie, l'administration de l'entreprise.
Dès lors, il est bien évident que dans les deux cas le rôle de l'administrateur est extrêmement important.
Dans le cadre d'une mission d'assistance de l'administrateur judiciaire, celui-ci peut assister le débiteur dans tous les actes de gestion de l'entreprise ou seulement dans certains d'entre eux si le Tribunal de commerce a décidé de limiter le champ d'action et l'assistance de l'administrateur judiciaire en tant que tel.
Cette assistance suppose l'intervention aux actes de gestion de l'administrateur judiciaire qui devra accompagner et assister le débiteur.
Dès lors, la présence de l'administrateur est obligatoire pour procéder à un licenciement.
Dans pareil cas, il y a bel et bien une co-signature entre l'administrateur judiciaire et le dirigeant de l'entreprise.
Cette intervention majeure de l'administrateur, au stade de la mission d'assistance, s'impose concernant le fonctionnement des comptes bancaires. Il s'impose également concernant toutes les actions en justice ainsi que tous les axes de procédures de l'entreprise en redressement judiciaire.
C'est extrêmement important, car il appartient au chef d'entreprise qui envisage d'engager un contentieux ou d'effectuer un recours contre une décision qu'il entend contester, de faire intervenir l'administrateur judiciaire, et ce dans les délais légaux d'une voie de recours.
L'administrateur judiciaire ne peut intervenir utilement pour régulariser un recours que s'il intervient justement dans les délais d'exercice de celui-ci.
Comme nous avons pu le voir, même dans le cadre de la mission d'assistance, l'administrateur a justement vocation à prendre toute décision concernant la poursuite des contrats en cours.
Dans l'hypothèse d'une mention de représentation et d'administration de l'administrateur judiciaire, la mission est encore plus élargie.
Dans pareil cas, même si nous ne sommes pas encore au stade de la liquidation judiciaire, les pouvoirs de l'administrateur sont élargis et c'est bel et bien lui, et lui seul, qui peut engager tout recours, et qui exerce les pouvoirs du dirigeant et de l'entreprise en difficulté.
Les actes doivent alors être passés par l'administrateur judiciaire seul.
Dans le cadre des actions en justice engagée par l’entreprise en difficulté, c'est l'administrateur qui doit diligenter la procédure judiciaire.
Lorsque la société est également poursuivie en justice par une tierce personne, c'est à l'administrateur judiciaire d'organiser seul sa défense et de se constituer à cette fin.
Enfin dans l'hypothèse de voie de recours, c'est bel et bien à l'administrateur judiciaire d'engager les voies de recours en question.
Dans le cadre des autres missions de gestion et d’administration de l’entreprise c’est également à l'administrateur de faire toutes les déclarations d'usage et d'opter sur les contrats en cours si besoin est.
Il est bien évident que dans le cadre de ces différents chefs de mission, l'administrateur peut engager sa responsabilité pour les fautes qu'il aurait accomplies dans l'exercice de sa fonction.
Cette action en responsabilité peut être engagée par le chef d’entreprise, le mandataire liquidateur, ainsi que l'ensemble des créanciers, partenaires économiques ou bien encore propriétaires bailleurs des locaux d’exploitation.
En effet, il n'est pas rare de voir un bailleur se retourner contre l'administrateur judiciaire qui a opté pour la poursuite d'un contrat alors même que les loyers postérieurs ne sont pas réglés et ne pouvaient l’être.
Dès lors, l'administrateur judiciaire peut voir sa responsabilité engagée au titre du non-respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise.
Dans la mesure où il assiste, voire représente, le chef d'entreprise, il est bien évident qu'il doit remplir l'ensemble des fonctions qui lui incombent et respecter par conséquent les obligations légales et conventionnelles attachées à la direction de toute entreprise.
Par voie de conséquence, rentre dans le champ des obligations légales et conventionnelles de l’administrateur judiciaire l’obligation de s'assurer de l'efficacité de l'assurance de responsabilité décennale souscrite par le débiteur en vérifiant que le risque avait été exactement déclaré et déterminé.
La jurisprudence est venue consacrer la responsabilité de l'administrateur qui par défaut de surveillance du débiteur ne veille pas à ce que la garantie de livraison incluse dans le contrat de construction, passée par le débiteur seul, ait été souscrite par ce dernier, comme le rappelle la jurisprudence, Cour de cassation Chambre commerciale, 30 juin 2004.
C'est donc à bon droit que la responsabilité personnelle de l'administrateur est recherchée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, au motif qu'il n'aurait pas vérifié la validité de l'assurance responsabilité décennale souscrite par son administré.
Il convient de rappeler qu'en effet selon l'article L621-22 du Code du commerce, quelle que soit sa mission l'administrateur judiciaire est tenu au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise.
Bien plus, selon l'article L241-1 du Code des assurances, toute personne physique ou morale dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil, doit être couverte par une assurance.
Dès lors, il est bien évident que commet une faute l'administrateur qui ne s'assure pas qu'une telle assurance obligatoire soit pleinement efficace.
En effet, il est bien évident que la mission de l'administrateur suppose et sous-entend que celui-ci doit vérifier que le risque a été exactement déclaré. Dès lors, en constatant que le risque modifié n'avait jamais été déclaré, y compris postérieurement à la désignation de l'administrateur judiciaire, celui-ci aurait dû dans le cadre de sa mission s'apercevoir de l'erreur et aurait dû immanquablement la rectifier ou la déclarer afin justement de permettre une parfaite efficience du contrat d'assurance pourtant obligatoire.
Dès lors, ce qui vaut à la conclusion d'un contrat vaut également dans le cadre du suivi des contrats et tout au long de leur exécution.
Conformément à l'article L113-2 3e du code des assurances le chef d'entreprise, et donc l'administrateur, se doit de déclarer en cours de contrat les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et qui rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur.
Dès lors, force est de constater que le risque modifié n'avait pas été déclaré par l'administrateur qui se devait pourtant de vérifier dans le cadre de sa mission l'ensemble des éléments déterminant la parfaite validité et efficacité du contrat d'assurance obligatoire, de telle sorte qu'il est bien évident que ce dernier engage sa responsabilité.
C'est donc à bon droit que la Cour de cassation statue en rappelant qu'il appartenait à l'administrateur judiciaire chargé des missions de surveillance de s'assurer de l'efficacité de l'assurance de responsabilité décennale souscrite par le débiteur, en vérifiant que le risque avait été exactement déclaré.
L'administrateur judiciaire ne pouvant se retrancher derrière le fait que la souscription d'un contrat d'assurance obligatoire ou son renouvellement annuel par tacite reconduction appartenait au pouvoir propre du gérant, de telle sorte que l'administrateur serait exonéré.
Fort heureusement, la Cour de cassation ne retient pas cette hypothèse d'exonération et vient bel et bien consacrer la responsabilité de l'administrateur judiciaire qui se devait de s'assurer de l'efficacité de l'assurance de responsabilité décennale souscrite par le débiteur en vérifiant que le risque avait été exactement déclaré.
Il convenait de saluer cette jurisprudence qui rappelle que les missions d'assistance ou de représentation de l'administrateur ne sont pas des missions anodines, et imposent à ce dernier de procéder aux vérifications d'usage et d'effectuer toute diligence pour s'assurer de la parfaite efficacité des contrats existants entre l'entreprise en difficulté et ses partenaires économiques, cocontractants et propriétaires des murs, notamment lorsqu'il y a un bail commercial.
Ainsi, s'il est vrai que le législateur a confié des pouvoirs élargis à l'administrateur judiciaire, ces derniers pouvoirs s'accompagnent fort heureusement d'une responsabilité civile qui peut être engagée lorsque justement l'administrateur judiciaire a été défaillant ou n'a pas assuré la parfaite efficacité des relations contractuelles existantes entre la société en difficulté et ses différents partenaires économiques.
Dès lors, dans l'hypothèse où l'administrateur aurait manqué à ses obligations, il est bien évident que le chef d'entreprise lésé, ou le partenaire économique lésé, en ce compris le bailleur, peut se retourner contre l'administrateur judiciaire pour lui faire supporter les conséquences financières de la faute qu'il a commise, et ce sur un terrain délictuel, conformément aux dispositions de l'article 382 du Code civil.