Le bail commercial de la chose d’autrui

Publié le 24/03/2014 Vu 8 823 fois 0
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Une personne qui n’est plus propriétaire d’un local mis à bail commercial peut elle encore valablement encaisser les loyers alors qu’en contrepartie, elle assure la jouissance paisible des lieux?

Une personne qui n’est plus propriétaire d’un local mis à bail commercial peut elle encore valablement e

Le bail commercial de la chose d’autrui

Il convient de s’intéresser à un arrét de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 2 février 2010, n° de pourvoi 08-11.233, ainsi qu’à un jugement qui a été rendu par le Tribunal de Grande Instance de Toulon en date du 23 août 2012 relatif au cas très spécifique du bail commercial de la chose d’autrui.

Les faits sont les suivants, Madame X est propriétaire d’un fonds de commerce de retraite laquelle est située sur une parcelle cadastrée n°476, et un morceau de l’immeuble se situe sur une autre parcelle cadastrée n°477.

Cette parcelle 477 a pour particularité de recueillir deux biens immobiliers bien distincts, et cette parcelle est par ailleurs séparée, dans les faits par un passage d’eau, avec pour un petit morceau, à la gauche du passage d’eau, le morceau d’immeuble dans lequel se situe le fonds de commerce de retraite, et, pour un trés grand morceau, à la droite du passage d’eau, sur la plus grande partie de la parcelle un autre bien immobilier.

Or, par jugement de janvier 2002, par adjudication et vente aux enchères publiques, la parcelle n°477 sera vendue aux enchères, au profit d’une société.

Par la suite, cette même parcelle n°477 sera vendue par la société à une autre entité.

Toutefois, et pendant tout ce temps, la société exploitant le fonds de commerce de maison de retraite continuera à payer les loyers à Madame X.

Finalement, ce n’est qu’en 2010 que la société exploitante, ainsi que l’acquéreur de la parcelle n°477, se rendront compte que les loyers ont été indument versés à Madame X et l’ont assigné en remboursement des sommes payées de 2002 à 2010.

Madame X se défend alors en précisant que, tant bien même celle-ci ne serait pls la propriétaire du fonds de commerce de maison de retraite, il n’en demeure pas moins qu’elle a qualité pour percevoir les loyers au titre de la théorie du bail d’autrui.

 

En effet, il peut arriver que le bail soit consenti par une personne qui se prétend propriétaire mais qu’il se révèle par la suite qu’elle ne l’était pas ou ne l’était plus.

Dans pareil cas, le bail commercial n’est pas nul.

La jurisprudence considère que le bail de la chose d’autrui n’est pas nul entre le bailleur et le preneur et doit recevoir exécution, dès lors qu’il n’en est résulté aucun trouble de jouissance pour le preneur, Cass 3ème civ 7 octobre 1998, n°96-20.409, Bull civ III, n°187 :

Mais attendu que le bail de la chose d’autrui produisant effet entre le bailleur et le preneur, la cour d’appel, devant laquelle M. A… n’a pas soutenu avoir subi un trouble de jouissance du bien loué, a légalement justifié sa décision en relevant, d’une part, que celui-ci n’était pas fondé à contester sa qualité de preneur à l’égard des successeurs de M. Y…, alors qu’il résulte d’un précédent jugement qu’il en avait reconnu les obligations et, d’autre part, qu’il avait continué de laisser les loyers impayés ;

I convient de rappeler que, le droit de louer tel qu’il est défini par l’article 1718 du code civil est un droit personnel qui n’est pas un droit réel, de telle sorte que, dans la mesure où, Madame X n’était plus propriétaire, alors même qu’elle pensait l’être, celle-ci avait la capacité juridique, et donc le droit, au titre de ce droit personnel, d’obtenir le paiement des loyers, et ceci d’autant plus qu’elle assurait la jouissance paisible des lieux au profit du preneur.

Par voie de conséquence, le bail à autrui est parfaitement valable.

Il convient de rappeler en effet que, le contrat de louage est régi notamment par l’article 1714 du code civil, qui rappel que la forme de l’acte juridique est indifférente.

Il précise par ailleurs que le contrat de louage n’est pas un contrat formaliste.

Il convient de rappeler que le consensualisme à longtemps était la règle avant que le législateur n’impose l’écrit en droit des baux d’habitation.

Cependant, ce consensualisme subsiste toujours pour l’application des baux commerciaux.

C’est ainsi que le bail de la chose d’autrui est valable à la différence de la vente de ladite chose, en effet le bail confère un droit personnel de créance et non un droit réel.

La jurisprudence est fixée sur ce point depuis 1927, en effet, Cass. civ 17 mai 1927, D 1928, Concl. Matter, note Capitant.

S’agissant de la formation du bail, les questions qui se posent ne sont pas spécifiques au droit des baux, elles sont celles du droit commun des contrats, capacité, consentement libre et éclairé, objet licite et cause licite et morale.

Il faut donc que les parties au bail aient la capacité juridique de s’engager à donner ou à prendre le bail.

Or tel est le cas pour Madame DOZOUL, il n’est pas question de qualité à agir mais bel et bien de capacité à agir, ce qui est le cas en l’espèce.

C’est ainsi que précise la troisième Chambre civile de la Cour de cassation, en son arrêt du 2 février 2010, n° de pourvoi 08-11.233, en rappelant que le bail de la chose d’autrui qui n’est pas nul mais inopposable au propriétaire, produit ses effets entre bailleur et preneur tant que celui-ci en a la jouissance paisible.

La Cour d’appel de Versailles rappelle dans son arrêt Chambre 1, section 2, n°05/03438 du 13 février 2007, que  : «  Mais considérant cependant que le bail de la chose d’autrui, qui est inopposable au propriétaire ou au titulaire du droit, produit effet dans les rapports entre bailleur et locataire, tant que ce dernier à la jouissance paisible des lieux loués, qu’il en résulte que le locataire ne peut invoquer un défaut de qualité de propriétaire ou de titulaire du droit de donner à bail à l’encontre de son bailleur, alors que son bailleur s’est toujours comporté en propriétaire de l’immeuble, sans que le véritable propriétaire ou titulaire du droit sur l’immeuble, ne revendique son bien et que ce locataire l’a toujours considéré comme son bailleur en lui réglant les loyers.  ».

Ainsi le bail de la chose d’autrui n’obéit pas au même principe de nullité que la vente, mais connait la même exception, bien que le bail de la chose soit inopposable au véritable propriétaire qui pourra en évincer le preneur, la théorie de l’apparence vient au secours de ce dernier s’il est de bonne foi.

La doctrine est claire sur la question, P.ZAJAC, le bail accidentel de la chose d’autrui JCPN 1995 I 641 n°46 et suivant.

Ainsi le bail fut-il à long terme consenti par le propriétaire apparent sera valable et opposable au véritable propriétaire sous condition d’erreur commune, Cass. civ 3ème 4 février 1975,  Bull. civ 3 n°36.

Il y a lieu également de citer pour le cas d’un bail conclu par l’ancien propriétaire, Cour d’appel de Paris, 19 septembre 2007, Juris-Data n°342, 348, Loyer et co-propriété 2007, commentaire 234 ; Cour d’appel de Toulouse, 30 octobre 2007, Juris-Data n°348025, Loyer et co-propriété 2008, commentaire 24.

Cette thèse est consacrée par la doctrine J.MONEGER, Bail commercial et théorie de l’apparence, JCP N 1993.1.103.

La jurisprudence consacre également cette notion de bail pour autrui.

La jurisprudence est unanime sur la question, Cour de cassation, troisième Chambre Civile, 2 février 2010 n°08-11.233, dans lequel la Cour précise au visé de l’article 1709 du code civil  : «  Attendu que le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer…Qu’en statuant ainsi alors que le bail de la chose d’autrui qui n’est pas nul mais inopposable au propriétaire, produit ses effets dans le rapport entre le bailleur et le preneur, tant que celui-ci en a la jouissance paisible.  ».

Il est loisible de citer également un autre arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 4C, du 24 avril 2008, n°06/02551.

La Cour répond sur la question de la nullité du bail  : «  Contrairement aux explications des  époux C, le bail de la chose d’autrui n’est pas nul en tant que tel. En effet aucune règle n’exige du bailleur d’être en même temps propriétaire de la chose qui donne en location pourvu qu’il soit en mesure d’en procurer la jouissance de son locataire pendant la durée du contrat. Dans ce cas  d’espèce, la société Davelo à laquelle la jouissance anticipée des locaux avait été accordée par les propriétaires dans l’attente d’une vente dans un acte sous seing privé conclu le 23 août 2003, était en droit de consentir une location à un tiers sans avoir à attendre que la mutation fut effectivement réalisée.  ».

Il est encore loisible de citer un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1C, du 18 décembre 2008, n°08/02963, dans lequel, la Cour précise «  Qu’il y a lieu en outre d’ajouter que le bail de la chose d’autrui est valable entre les parties mais qu’il est seulement inopposable au véritable propriétaire, sorte qu’il ne pouvait être considéré que Monsieur G était dépourvu de qualité et d’intérêt à agir en paiement des loyers convenus dans l’acte le liant à la SARL Coco Beach, du seul fait du jugement du 20 juillet 2006 et qu’au contraire, il pouvait valablement réclamer l’exécution des clauses du bail sous réserve que le bail continuait à produire ses effets entre les parties et que le locataire continuait à jouir paisiblement des locaux commerciaux.  ».

Il est pareillement pertinent de citer la jurisprudence de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 4C, du 15 janvier 2009, n°07/04401, dans laquelle la Cour précise «  En effet, le bail de la chose d’autrui n’est pas nul et un bailleur n’a pas l’obligation d’être propriétaire du bien donné en location, pourvu qu’il soit en mesure d’en procurer la jouissance à son locataire par un moyen quelconque.  ».

Alors, l’ensemble de ces jurisprudences sont extrêmement clairs, le fait que Madame X ne soit finalement pas la propriétaire, ce qu’elle ne pouvait légitimement pas imaginer, puisque la séparation matérielle du lot en litige, laissait raisonnablement à penser pour une personne non averti, qu’elle avait bien conservé la propriété de cette partie du lot, étant par ailleurs précisé que pendant toute cette période litigieuse, ni le preneur à bail, ni le véritable propriétaire ne se sont manifestés pour lui faire état de la situation.

Il n’est donc pas besoin d’être propriétaire pour pouvoir mettre à bail la chose d’autrui, Madame X était parfaitement en mesure de mettre à bail et de percevoir les loyers, dans la mesure où elle a assuré la jouissance paisible des lieux pendant toute cette période.

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