Une fois n’est pas coutume, il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par le Tribunal de Proximité de Fréjus suivant jugement en date du 25 mai 2023 et qui vient aborder l’hypothèse où un bail a été donné sans contrat de bail et pour lequel le locataire considérait être en présence d’un bail d’habitation de la Loi de 1989, de trois ans, alors que le bailleur, quant à lui, considérait qu’il était en présence d’un bail de location meublée.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, les consorts B. sont propriétaires d’un bien immobilier comprenant plusieurs appartements qu’ils ont mis en location meublée pendant de nombreuses années.
Il est vrai que les consorts S. ont occupé une première fois l’un des appartements des consorts B., à titre saisonnier, pendant deux mois en 2022.
En effet, ces derniers étaient locataires à l’année d’un bail pour trois ans puis ont subi un congé de la part de leur propriétaire qui vendait le bien.
Ils se sont logés chez les consorts B. pendant deux mois, le temps de trouver un autre logement puis, in fine, ces derniers ont rencontré à nouveau les consorts B. lesquels auront indiqué qu’ils étaient favorables à la mise en place d’un bail d’habitation tel que défini par la Loi du 6 juillet 1989 afin de pouvoir occuper ledit bien à l’année sur une période de trois ans.
C’est dans ces circonstances que les consorts S., fort de ces accords de principe, sont rentrés dans les lieux le 1er mars 2023 avec une première quittance de loyer à raison de 900 euros par mois, sans que pour autant un bail soit conclu.
Passage d’un bail meublé de courte durée à un bail d’habitation de 3 ans
La difficulté est que, par la suite, des tensions sont très rapidement apparues entre les locataires et les propriétaires et les relations se sont détériorées,
A tel point que, finalement, les propriétaires, les consorts B, ont refusé d’établir un bail d’habitation de 3 ans, tel que pourtant initialement convenu, mettant ainsi les consorts S. dans l’impasse.
Une mise en demeure pour obtenir le bail d’habitation
C’est dans ces circonstances que les consorts S. ont adressé une première correspondance en recommandé en ces termes :
« Madame, Monsieur,
Après avoir vu avec vous pour un bail à l’année, nous avons fait ensemble l’enlèvement de vos meubles de l’appartement pour y mettre les nôtres.
Nous avons ensuite assuré l’appartement avec notre assurance habitation.
Nous avons fait appel à un artisan pour aménager la cheminée à nos frais.
Nous avons réglé l’entrée dans les lieux le mois en cours du montant de 900 euros suivant une quittance établie, correspondant au contrat de location qui a été conclu oralement le 18 février 2023 lors d’une invitation chez vous pour un repas, ce qui s’entend comme l’équivalent d’un contrat écrit.
Toutefois, il est désormais temps que nous établissions ensemble un contrat écrit conformément à l’article 3 de la Loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, rappelant que les deux parties peuvent indépendamment exiger un contrat de location écrit ».
Cependant, ce courrier est resté sans effet, les consorts B. n’ayant pris soin de n’adresser aucune réponse à cette correspondance.
Au contraire, ces derniers ont maintenu l’idée qu’ils avaient effectivement bien mis en place une location d’habitation meublée à caractère saisonnier et que les consorts S. ne pouvaient rester à demeure dans le bien.
Effectivement les consorts S. ont saisi la juridiction du Tribunal de proximité afin d’obtenir l’établissement d’un bail d’habitation et de voir reconnu celui-ci comme étant un bail d’habitation assujetti à la Loi du 6 juillet 1989 et ayant débuté le 1er mars 2023 avec effet pour trois ans.
En effet, il convient de rappeler que la Loi du 6 juillet 1989 est très claire, le bail verbal, portant sur un logement à usage d’habitation principale, est consenti pour une durée de trois ou six ans, il est tacitement reconduit pour des périodes de même durée à défaut de congé par le bailleur, ce que rappelle d’ailleurs très justement la jurisprudence, notamment la Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 17 novembre 2021, n°20-19450.
La jurisprudence rappelant effectivement, aux visas de l’article 10, alinéas 1 à 3, de la Loi n°89462 du 6 juillet 1989 qui résulte de ce texte que le bail verbal portant sur un logement à usage d’habitation, conclu par des bailleurs, personne physique en SCI familiale ou en indivision, l’est pour une durée au moins égale à trois ans et qu’en l’absence de congé valablement donné par des bailleurs, ce contrat parvenu à son terme est reconduit tacitement par périodes triennales.
Exigence contrat de bail de location par écrit ou bail verbal ?
En effet, malgré la Loi du 6 juillet 1989 exigeant la conclusion d’un contrat de bail de location par écrit, la jurisprudence a, à maintes reprises, reconnu la validité d’un bail verbal entre le propriétaire et le locataire.
Il est rappelé, en tant que de besoin, que dès lors qu’il porte sur un logement qui constitue la résidence principale du locataire, le bail verbal est assujetti à la Loi du 6 juillet 1989.
Ce bail existe clairement puisqu’une quittance de loyer a été établie, le logement a été assuré au titre de la responsabilité locative.
Par voie de conséquence, c’est fort de cette analyse juridique que les consorts S. ont cru bon saisir le Juge conformément à l’article 3 de la Loi du 6 juillet 1989, dans le cadre de l’établissement de ce bail verbal afin de demander l’établissement d’un contrat de location d’une durée de trois ans ainsi que la fourniture de l’ensemble des diagnostics techniques obligatoires imposés par la Loi et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, outre des légitimes dommages et intérêts.
Pour autant, dans le cadre de ce contentieux, les consorts B., les propriétaires, ont eu une approche complètement différente.
Location saisonnière et location meublée
Ces derniers ont rappelé, en tant que de besoin, qu’ils sont propriétaires d’un domaine, au sein duquel se trouvent trois appartements mis en location meublée à la saison, depuis de très nombreuses années, rappelant d’ailleurs qu’en 2022, les requérants avaient loué l’un de leurs appartements pour une période de seulement deux mois.
Pour les propriétaires, les locataires avaient une parfaite connaissance du caractère saisonnier et précaire de leur location.
Faute de contrat, la question était de savoir comment interpréter le positionnement des uns et des autres.
Les consorts B. rappellent, en tant que de besoin, que l’article 2 de la Loi du 6 juillet 1989 précise que :
« Les dispositions du présent titre sont d’ordre public.
Le présent titre s'applique aux locations de locaux à usage d'habitation ou à usage mixte professionnel et d'habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur, ainsi qu'aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur. La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l'habitation. »
Autant préciser que ce texte exclu de son champ d’application les locations saisonnières, comme le rappelle la jurisprudence, Cour d’Appel d’Aix-En-Provence, Chambre 1-8, 9 novembre 2022, n°20/11420.
Ce type de location est, par ailleurs, défini par l’article 1-1 de la Loi n°70-9 du 2 janvier 1970, règlementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et fonds de commerce, ainsi que la location d’un immeuble conclue pour une durée maximale et renouvelable de 90 jours consécutifs.
Il ressort également de l’article 1188 du Code civil que le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation, l’article 9 du Code de procédure civile disposant encore qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la Loi, l’effet nécessaire au succès de sa prétention.
L’interprétation du contrat de bail par une « personne raisonnable »
C’est ainsi que les consorts B. ont considéré, qu’en l’espèce, les consorts S. n’ont rapporté, à aucun moment donné, la preuve que l’appartement mis à leur disposition l’a été pour établir leur résidence principale et que le contrat les liant aux époux B. était un bail d’habitation soumis aux dispositions de la Loi du 6 juillet 1989.
Cette preuve ne pouvant raisonnablement être apportée par un seul courrier rédigé en avril 2023 par leur soin, dans lequel ils expriment leur volonté unilatérale de signer un bail à l’année, surtout que les requérants ont, dès le 17 avril 2023, clairement rappelé la nature saisonnière du contrat conclu et que sa fin était fixée au 30 avril 2023.
Afin de soutenir cette approche, les consorts S. rappellent, en tant que de besoin, qu’au travers d’un procès-verbal de constat établi par un huissier, les trois appartements se trouvent au sein d’un mas et sont ordinairement mis en location saisonnière pour les vacanciers.
Un panneau présent à l’entrée du mas indique expressément qu’il s’agit de locations saisonnières.
Panneau affichant « location saisonnière »
La mention « location saisonnière » figure ainsi expressément sur l’ensemble des annonces publiées sur internet, tout comme d’ailleurs sur la résidence.
Il n’existe aucune boîte aux lettres réservée aux occupants.
Il n’existe aucun compteur d’eau divisionnaire, ni aucun contrat d’abonnement à l’eau et à l’électricité au nom des requis, les seuls contrats existants sont au seul nom des consorts B.
Et surtout, les consorts S. ont déjà eu l’occasion, en 2022, de louer un appartement sur le domaine pour une seule période de deux mois.
De telle sorte que les consorts B. considèrent que les consorts S. ne pouvaient sérieusement ignorer que l’appartement mis à leur disposition faisait l’objet, comme tous les ans, d’une location saisonnière et ne peuvent donc raisonnablement soutenir que le contrat conclu est un bail d’habitation selon les dispositions de la Loi du 6 juillet 1989.
A cet égard, il convient de citer une jurisprudence de la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence, Chambre 1 et 7 réunies, du 21 novembre 2019, n°19/03928, qui précise qu’il appartient aux époux, qui invoquent un accord des parties sur la location d’un logement à usage de résidence principale du locataire, d’en rapporter la preuve.
La charge de la preuve du logement à usage de résidence principale
Les époux se contentent de démontrer qu’il était de leur volonté unilatérale d’user des lieux loués pour en faire leur résidence principale et donc, qu’il était de la commune intention des parties d’affecter le bien loué, la résidence principale du locataire.
Dès lors, il n’y a pas lieu d’ordonner la requalification du bail en bail soumis aux dispositions de la Loi du 6 juillet 1989.
La requalification du bail par le juge
Le Juge, quant à lui, rappelle, en tant que de besoin, qu’il n’est pas contesté par les parties, que les consorts S. ont séjourné, courant de l’année 2022, dans un des logements mis en location par les époux B., pendant une période de deux mois, dans le cadre d’une location saisonnière.
S’il est vrai que sur l’année 2023, ils ont à nouveau séjourné chez les consorts B. sans qu’aucun contrat de location en soit établi, il n’en demeure pas moins que l’article 1188 du Code civil dispose que le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.
Ainsi, lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
L’article 544 du Code civil dispose, quant à lui, que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les Lois et par les règlements.
En l’espèce, le Juge souligne que le fait que les consorts S. aient souscrit une assurance garantissant les risques locatifs est sans incidence sur la qualification du bail querellé, s’agissant d’une démarche des consorts S., autonome des consorts B., qui n’est fondée sur aucune demande des bailleurs, ni sur aucun élément objectif du dossier.
En revanche, les consorts B. justifient louer exclusivement les trois appartements dont ils sont propriétaires dans le cadre d’une location saisonnière en communiquant :
- Plusieurs contrats de location sur les années 2021 à 2023, portant sur des périodes inférieures à 90 jours ;
- La liste des arrivées des périodes d’occupation entre le 6 mai et le 23 septembre 2023 qui démontre que les logements sont loués régulièrement sur de courtes périodes, qui ne permettent pas de retenir la qualification de location longue durée soumise aux dispositions de la Loi du 6 juillet 1989 ;
- Des courriers de réservation de plusieurs clients pour l’année 2023, pour des courtes périodes, inférieures à 90 jours ;
- L’attestation établie le 11 avril 2023 par l’expert-comptable, indiquant que les consorts B. possèdent trois appartements dans ce domaine le mas, qu’ils louent exclusivement de façon saisonnière et dont les revenus sont déclarés chaque année sous la rubrique « location meublée non-professionnelle » ;
- Les annonces publiées sur des sites de locations meublées spécialisées ;
- De plus, les quittances locatives établies par les bailleurs, dans le cadre de la location intervenue en 2022, concernent des périodes inférieures à 90 jours, à savoir du 1er au 31 mai 2022 et du 1er au 19 juin 2022, portant la mention « location saisonnière ».
De même, ainsi que cela a été constaté par un commissaire de justice, à l’entrée du domaine, se trouve :
- Un panneau « Meublé de tourisme 3 étoiles » ;
- Une affichette de la communauté de commune concernant la taxe départementale du séjour qui n’est pas recouvrable dans le cadre d’une location de longue durée ;
- Les règles de la piscine et les horaires du marché des environs.
L’ensemble de ces informations est indiqué en allemand, en anglais et en français.
Il convient, en conséquence, que le bail querellé recueille la qualification de « meublé de tourisme » ou « bail saisonnier » dont la durée de ne peut excéder 90 jours.
Bail meublé de tourisme et bail saisonnier
Dans ces conditions, le bail étant prévu pour une durée de deux mois a donc expiré le 30 avril 2023.
A cette date, les locataires sont donc devenus occupants sans droit ni titre, sans qu’il soit besoin de prononcer la résiliation judiciaire du bail.
Ainsi, les consorts S. sont déboutés de leur demande de requalification du contrat de location à longue durée, soumis aux dispositions de la Loi du 6 juillet 1989 et établissant d’un bail écrit.
Une astreinte journalière pour quitter les lieux
Pourtant le Juge est assez sévère puisque ce dernier leur refuse tout délai pour quitter les lieux dans de bonnes conditions et vient à les condamner à une astreinte journalière provisoire de 300 euros, commençant à courir à compter du prononcé de la décision.
Cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisqu’elle vient aborder la question du bail non-écrit qui peut être facilement entendu comme étant un bail d’habitation, bien que celui-ci peut faire l’objet d’une interprétation par le Juge, aux visas de l’article 1188 du Code civil, qui vient justement mettre en exergue le fait que l’absence de bail n’importe pas nécessairement un bail d’habitation de trois ans mais peut également amener à retenir la qualification de bail de location saisonnière de courte durée.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,