Il convient de s’interesser au régime juridique du cahier des charges d’un lotissement, alors même que la notion a évolué entre la Loi ALUR de 2014 et la récente Loi ELAN de novembre 2018.
En effet, la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR) du 24 mars 2014, entrée en vigueur le 26 mars 2014, a posé le principe de la caducité des règles d’urbanisme propres aux lotissements, à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de la délivrance de l’autorisation de lotir.
Rappelons d’abord la différence entre règlement d’un lotissement et cahier des charges:
*Le règlement du lotissement contient des règles opposables aux autorisations d’urbanisme (Ex: limitation de la hauteur, des espaces verts etc….).
C’est un document administratif puisque validé par l’Administration lors de l’obtention du permis d’aménager.
*Le cahier des charges est un document contractuel opposable uniquement aux colotis entre eux. (Ex: choix d’essences pour la végétation des clôtures,couleurs imposés pour les menuiseries).
C’est un document de droit privé.
Par la loi ALUR, le législateur a voulu prévoir la caducité des règles contractuelles des cahiers des charges non approuvés (c’est-à-dire pour les lotissements postérieurs à 1978) qui ont pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble, car il considère qu’il s’agit de règles d’urbanisme.
Les lotissements pouvaient éviter la caducité automatique à la condition que, dans un délai de 5 ans à compter du 26 mars 2014, ledit cahier des charges ait fait l’objet d’une publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier décidée par les colotis conformément à la majorité définie à l‘article L. 442-10 du code de l’urbanisme.
Mais les années passant, la Loi ALUR est apparue comme difficilement lisible et applicable.
Les magistrats n’ont eu de cesse depuis 5 ans de réaffirmer la force de loi des cahiers des charges, tout du moins pour son côté contractuel gérant les relations entre colotis.
Par un arrêt du 13 octobre 2016, n°15-23674, la Cour de Cassation a jugé qu’un cahier des charges d’un lotissement, « approuvé ou non » et « quelle que soit sa date », restait la loi des parties et pouvait fonder une action en démolition des constructions irrégulières :
« Mais attendu que les clauses du cahier des charges d'un lotissement, quelle que soit sa date, approuvé ou non, revêtent un caractère contractuel et engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues ; qu'ayant exactement retenu que les clauses du cahier des charges, opposables sur le plan contractuel aux colotis, restaient applicables dans leurs rapports entre eux nonobstant le plan local d'urbanisme en vigueur, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, en a déduit à bon droit que tout coloti pouvait demander au juge le respect du cahier des charges sans avoir à justifier d'un préjudice et a légalement justifié sa décision de ce chef ».
Cet arrêt est le dernier d’une série de trois arrêts rendus en 2016, par lesquels la Cour de Cassation a réfuté toute caducité des dispositions inscrites dans les cahiers des charges des lotissements (pour les précédents arrêts, Cour de Cassation, 29 septembre 2016, n°15-22414 et 15-25017 ; Cour de Cassation, 21 janvier 2016, n°15-10566).
Mais également dans une décision de 2017, la Cour de cassation par l’arrêt . Civ. 3°, 14 septembre 2017, (RDI, 11/17, p. 548) a réaffirmé:
« Qu'en statuant ainsi, alors que le cahier des charges d'un lotissement, quelle que soit sa date, approuvé ou non, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues, la cour d'appel a violé les textes susvisés »
Il est apparu de plus en plus nécessaire pour le législateur de clarifier la loi ALUR.
C’est chose faite avec la Loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite loi ELAN.
Après un amendement sénatorial ayant mis en avant la fragilité constitutionnelle au regard du principe de liberté contractuelle engendrée par la Loi de 2014, en particulier du droit au maintien des conventions légalement formées, les trois derniers alinéas de l'art. L 442-9 du Code de l'urbanisme sont tout simplement supprimés.
Ainsi, la disparition programmée pour mars 2019 de tous les cahiers des charges des lotissements autorisés depuis 1977 n'aura donc pas lieu.
Le cahier des charges continuera donc à régir les relations entre les colotis.
Ce qui peut sembler rassurant pour les colotis qui veulent protéger l’harmonie, le charme et l’intégrité de leur lotissement,
Mais que change la loi ELAN pour les colotis?
Outre le maintien des cahiers des charges, dorénavant les parties communes pourront voir leur affectation modifiée sans vote à l’unanimité.
Grâce à la suppression du 2eme alinéa de l’article L442-10 du code de l’urbanisme, c’est la règle de la double majorité qui s’appliquera à savoir la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie.
Ainsi des espaces verts délaissés pourront se voir modifié en espaces urbanisables changeant de fait la physionomie des lotissements sans que la majorité absolue soit nécessaire.
Cependant, toute modification du cahier des charges pouvant se faire par vote, il appartient à chacun des colotis d’appréhender les conséquences de chaque vote pour éviter que le cahier des charges se vide de sa substance et que l’harmonie, le charme ou la spécificité de tel ou tel lotissement ne perde ses attraits,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,