Clauses de cahier des charges dans un règlement de lotissement, quelle opposabilité ?
Résumé :
Une clause classiquement présente dans un cahier des charges mais intégrée dans un règlement de lotissement, a-t-elle un caractère contractuel lui conférant ainsi force d’opposabilité entre les colotis ? Un coloti qui viole cette clause dans son projet de construction, d’aménagement ou d’extension engage t’il sa responsabilité ? les autres colotis peuvent-ils empêcher la réalisation dudit projet ?
Article :
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en mars dernier qui vient apporter des réponses sur la force d’opposabilité des clauses au sein d’un règlement de lotissement.
La perte d’opposabilité du règlement de lotissement et d’ASL
Depuis la Loi ALUR, il convient de rappeler que règlement et cahier des charges ont été dissociés.
La loi ALUR complété par la loi ELAN a mis fin à l’opposabilité du règlement au sein d’un lotissement ou d’une association syndicale libre, autrement appelée ASL.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, Monsieur M propriétaire, depuis le 15 décembre 2004, d'une maison individuelle située dans un lotissement créé par arrêté préfectoral du 16 mars 1977, avait réalisé des travaux d'extension de celle-ci après obtention d'un permis de construire.
L’extension à R + 1 de la maison d'habitation de Monsieur M autorisée selon un permis de construire délivré le 14 septembre 2006 par le maire de B correspondait à une surface hors œuvre nette créée de 163 m² pour une longueur de 5,02m par rapport à la construction initiale, laquelle était d'une longueur de 15,75m et orientée Est-Ouest
Les consorts O, leurs voisins, contestant la conformité de la construction au règlement du lotissement, avaient alors assigné Monsieur M en démolition de la nouvelle construction et en indemnisation.
Une extension non conforme aux clauses du règlement
Les consorts O faisaient grief à l'arrêt du 10 septembre 2015 de dire que les dispositions du règlement de lotissement n'avaient pas été contractualisées et que leurs demandes ne pouvaient prospérer sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Les consorts O soutenaient qu'aux termes de l'article 9 du règlement du lotissement : « il ne peut être édifié sur chaque lot qu'une seule construction principale comportant un seul logement. Chaque construction doit s'inscrire à l'intérieur des zones d'implantation figurant sur le plan de masse du lotissement.
Ce plan a pour but de définir à l'intérieur de chaque lot une zone d'implantation, avec obligation de construire sur un alignement donné ou angle d'implantation figurant sur le plan.
La surface développée de plancher autorisé sur chaque lot est indiquée en annexe I.
Elle est calculée sur la base des surfaces cumulées de plancher comptées hors œuvre »
Les consorts O considéraient les colotis avaient décidé le maintien du règlement par une délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 24 octobre 1987, de telle sorte que ce dernier avait forcé opposabilité plus particulièrement les clauses qui résultent plus classiquement du cahier des charges,
La question posée à la Haute juridiction était claire, une clause classiquement présente dans un cahier des charges mais intégrée fans un règlement de lotissement, a-t-elle un caractère contractuel lui conférant ainsi force d’opposabilité entre les colotis ?
L’absence de caractère contractuel de la clause de règlement
La Cour de cassation répond, à cette délicate question, en deux temps.
En premier lieu elles rappellent qu’en effet, les colotis peuvent, lorsqu'ils décident de maintenir des règles d'urbanisme au sein du lotissement pour échapper à la caducité de l'article L. 442-9 du Code de l'Urbanisme, leur conférer un caractère contractuel,
De telle sorte que dans ce cas express une clause de cahier des charges qui serait intégré dans un règlement pourrait conserver son opposabilité sous la seule et expresse réserve que les colotis ont décidé de lui conférer un caractère contractuel, et ce, au travers une décision non équivoque votée à la majorité absolue en assemblée générale extraordinaire.
En deuxième lieu, la Cour de cassation a bien compris que les colotis ont expressément retenus et validés le règlement du lotissement pour échapper à sa caducité automatique, telle que la faculté leur semblait donnée par l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme,
Quelles sont les règles dans un lotissement ?
Pour autant, et pour la Haute juridiction, cela n’enlève en rien au fait que les colotis ne manifestent pas nécessairement leur volonté de contractualiser les règles qu’il contient.
Dès lors quelle force juridique donner à ses clauses de cahier des charges intégrées dans le règlement ?
Quelle est la durée de validité d’un règlement de lotissement ?
A bien comprendre l’analyse de la Cour de cassation, c’est à bon droit que la Cour d’Appel a rappelé que s’il était mentionné dans l’acte de vente du 25 décembre 2004 que les pièces visées à l’article L.316-3 du Code de l’Urbanisme avaient été remises à Monsieur M. et que celui-ci reconnaissait avoir pris connaissance de tous les documents du lotissement, il n’était pas tenu d’en exécuter toutes les stipulations (charges et conditions) prétendument attachés au bien vendu.
En effet, la simple mention de cette clause ne suffisait pas à caractériser une volonté non-équivoque des colotis de contractualiser le règlement du lotissement ou certaines de ses dispositions.
Peut-on contractualiser le règlement de lotissement ?
De telle sorte que la Cour d’Appel en a exactement déduit que la contractualisation alléguée par les consorts O. n’était pas établie et que leur demande ne pouvait pas prospérer sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
A bien y comprendre, cela signifie que, tant bien même les colotis ont usé de la faculté que leur a donné l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme de faire survivre le règlement du lotissement alors que celui-ci a vocation à subir la caducité automatique prévue par la Loi ALLUR, il n’en demeure pas moins que cela n’emporte pas contractualisation des règles qu’il contient au profit de l’ensemble des colotis.
De telle sorte que ces derniers ne peuvent pas revendiquer des clauses du règlement à l’encontre d’un autre coloti pour engager sa responsabilité contractuelle ou pour l’obliger à procéder à une remis en état.
Une responsabilité contractuelle entre colotis ?
Tant bien même le règlement aurait été maintenu, ces clauses finalement propres à un cahier des charges, ne peuvent être considérées comme opposables à l’ensemble des colotis, sauf à ce qu’elles caractérisent une volonté non équivoque des colotis de contractualiser le règlement du lotissement ou certaines de ces dispositions.
Ce qui signifie clairement que la survivance du règlement de lotissement n’emporte pas nécessairement contractualisation de ce dernier et par voie de conséquence celui-ci ne peut être opposé à l’un des colotis qui aurait, dans le cadre d’une extension ou d’une construction, violé lesdites dispositions en question.
Ainsi, il ne saurait y avoir au sein d’un règlement de lotissement une clause dite contractuelle.
En effet, la nature contractuelle d’une disposition d’un règlement de lotissement ne peut résulter de son seul contenu.
La portée est d’importance,
Dès lors, et si par extraordinaire, les colotis décident de maintenir les règles d’urbanisme au sein du lotissement pour échapper à la caducité de l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme, il n’en demeure pas moins que cela ne leur confère pas nécessairement un caractère contractuel.
La caducité du règlement de lotissement, comment l’éviter ?
Avant tout, il convient de vérifier si, oui ou non, les colotis manifestent leur volonté de contractualiser le règlement de lotissement et les clauses de cahier des charges en question.
A cette fin, il convient naturellement de procéder aux vérifications d’usage à travers notamment les termes mêmes du procès-verbal d’assemblée générale.
En effet, dans cette affaire, s’il est vrai que par assemblée générale du 24 octobre 1987 les colotis avaient décidé du maintien du règlement et des règles d’urbanismes qui y étaient attachées, et alors même que dans le cadre de cette même assemblée générale les mêmes colotis avaient adopté un cahier des charges complémentaires qu’ils avaient ensuite amendé en son sein, il n’en demeure pas moins que cela ne saurait nécessairement emporter opposabilité et valeur contractuelle aux clauses du règlement.
Par voie de conséquence, s’il y a des clauses du cahier des charges au sein du règlement, à défaut de démontrer que celles-ci ont effectivement bénéficié d’une contractualisation incontestable au profit et à l’encontre de l’ensemble des colotis, une clause contractuelle au sein du règlement n’est pas opposable aux colotis.
La contractualisation des clauses du règlement, est-ce possible ?
Il en est également de même si les colotis font maintenir les règles urbanistiques pour les adopter dans un cahier des charges complémentaires en les amendant en son sein, cela n’est pas non plus opposable aux colotis.
Dans cette affaire, il convient de rappeler que nous étions sur une commune de la Côte d’Azur dans le cadre d’un lotissement qui avait été créé en 1977, constitué de 87 lots, d’environ 1 000 m2 chacun, sur une colline dominant la mer avec une vue lointaine sur celle-ci, de telle sorte que l’objectif de l’ensemble des colotis était effectivement de conserver cette si jolie vue sur la mer.
Aux termes de l’article 9 du règlement du lotissement, il était stipulé qu’il ne peut être édifié sur chaque lot qu'une seule construction principale comportant un seul logement.
La clause étant ainsi rédigée :
« Chaque construction doit s’inscrire à un terrain des zones d’implantation figurant sur le plan de masse du lotissement, ce plan a pour but de définir à l’intérieur de chaque lot une zone d’implantation avec obligation de construire sur un alignement donné ou angle d’implantation figurant sur le plan. La surface de plancher autorisé sur chaque lot est indiquée en annexe 1 et calculée sur la base des surfaces cumulées de plancher compté hors œuvre ».
C’est ainsi que Monsieur O., coloti, souhaitait opposer cet article 9 du règlement à Monsieur M. en considérant que ce règlement était opposable en ce compris cette clause qui s’apparentait beaucoup plus à une clause de cahier des charges.
Or, malheureusement, ce dernier avait tenté d’opposer cet article 9 du règlement du lotissement tantôt devant la juridiction administrative, tantôt devant la juridiction judiciaire.
Violation du règlement de lotissement, contentieux judiciaire ou contentieux administratif ?
Pour autant, le Tribunal Judiciaire rappelle que les clauses du règlement de lotissement ne sont plus opposables à l’ensemble des colotis, tant bien même il s’agirait classiquement de clauses de cahier des charges.
La haute juridiction rappelant qu’en exerçant la faculté que leur donne l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme de maintenir le règlement du lotissement pour échapper à sa caducité automatique, les colotis ne manifestent pas nécessairement leur volonté de contractualiser les règles qu’il contient.
De telle sorte que la responsabilité contractuelle ne peut être valablement opposée à Monsieur M. puisque les clauses du règlement, fut ce t’elle des clauses « classiques » de cahier des charges, ne peuvent avoir valeur contractuelle et ne peuvent engager la responsabilité contractuelle des colotis.
Il n’en demeure pas moins que d’autres axes de contestation existent.
La responsabilité délictuelle du coloti ?
En effet, rien n’empêche le coloti lésé d’envisager la responsabilité délictuelle du coloti qui aurait effectivement violé le règlement du lotissement à la seule et unique condition que celui-ci obtient préalablement gain de cause devant la juridiction administrative et il pourra par la suite obtenir des dommages et intérêts sur le terrain non pas contractuel mais bel et bien sur le terrain délictuel au visa de l’ancien article 1382 du Code Civil.
Rappelons cependant que l’article L.480-13 du Code de l’Urbanisme rappelle que le constructeur ne peut être condamné par un Tribunal de l’ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si préalablement le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou si son inégalité a été constatée par la juridiction administrative.
A bon entendeur…
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,