Une fois n’est pas coutume, il convient de s’intéresser à une décision qui a été rendue par le Tribunal judiciaire du District de Coimbra, au Portugal, et qui vient opposer un sous-traitant Portugais qui a eu un litige avec une entreprise Française, exploitant en France et dont le sous-traitant a fait diligences en France.
Quel juge compétent pour trancher un litige opposant entreprise française et entreprise portugaise ?
La première des questions était de savoir si oui ou non la juridiction Portugaise était compétente car le sous-traitant Portugais a cru bon saisir le Juge Portugais afin de se faciliter la tâche et de ne pas avoir à rendre compte aux autorités Françaises.
Car en effet, si le lieu de l’exécution du contrat est en France, que l’adversaire et défendeur est Français, et que l’entreprise principale est en France, tout laisse à penser que le contentieux a vocation à se faire en France.
Un sous-traitant portugais réalisant ces prestations en France
Cependant, le sous-traitant Portugais, qui a envoyé une partie de son staff en France réaliser les travaux en qualité de sous-traitant, a cru bon, en l’état du différend qui opposait l’entreprise Française et le sous-traitant Portugais, gagner en vitesse au niveau procédural et saisir le Juge Portugais afin de gagner du temps.
Fort heureusement l’entreprise Française s’est défendue et a contesté la compétence du Juge Portugais au motif pris notamment de ce que, dans la mesure où le litige opposait une société Française avec un lieu d’exécution sur le sol Français, cela amenait nécessairement une compétence du Juge Français.
La saisine surprenante du juge portugais par le sous-traitant portugais
Et, que le tour de passe-passe consistant au sous-traitant Portugais à passer par une juridiction Portugaise pour faciliter l’obtention d’un titre exécutoire, qu’il a obtenu d’ailleurs sur une simple ordonnance d’injonction de payer, avait vocation à être malmené nécessitant l’intervention de votre serviteur, membre de l’UIA, et d’un Confrère Portugais, également membre de l’UIA, de faire barrage à cette prétention du sous-traitant Portugais immanquablement infondé et procéduralement erroné.
Ainsi, l’entreprise Portugaise avait formé une requête en injonction de payer Européenne à l’encontre de la partie défenderesse.
La requête en injonction de payer européenne
Ce qui était assez culotté puisque, du coup, par ce biais-là il saisissait son Juge de proximité au Portugal en mettant ainsi en difficulté l’entreprise Française, à plus de 2 000 kilomètres de là, qui devait du coup, en catastrophe et sur des délais assez courts en injonction de payer, organiser sa défense et saisir un avocat.
Fort heureusement, son conseil, votre serviteur, membre de l’Union Internationale des Avocats et bénéficiant d’un réseau important de Confrères à travers le monde entier, a pu effectivement trouver un Confrère Portugais à même de réagir très rapidement et saisir en opposition de cette injonction de payer le Juge Portugais.
L’entreprise requérante, Portugaise, affirmait qu’elle avait conclu avec la défenderesse un contrat d’approvisionnement en vertu duquel ses services, équivalent à une transaction commerciale, étaient fournis,
Un contrat d’approvisionnement entre la France et le Portugal ?
Dans le cadre de ses transactions commerciales, la requérante s’était engagée à fournir les services demandés par la demanderesse, laquelle s’était engagée en contrepartie à effectuer le paiement en temps utile des factures émises pour les montants connus.
Après l’exécution des contrats par le demandeur, les factures suivantes ont été émises et envoyées au défendeur pour le paiement des services rendus et ce, moyennant une somme totale de la modique somme de 245 603.92 €.
La société Française a naturellement fait opposition à cette décision, qui était engoncée dans des délais extrêmement courts, mais qui a été formée en temps et en heure en soulevant notamment la compétence internationale de la juridiction au motif pris de ce que la défenderesse était établie en France et que l’exécution du contrat ainsi que les relations commerciales établies s’étaient également déroulées en France.
La société Française contestait tout autant l’existence d’une quelconque convention entre les parties attribuant une compétence autre que celle du lieu d’exécution du contrat.
Le lieu d’exécution du contrat
La société Portugaise a répondu en faisant valoir que les parties dans leurs négociations avaient convenu que la juridiction chargée de régler tout conflit serait le FOR Portugais, en l’occurrence la Cour d’Arganil ainsi qu’il ressort des factures émises par la société Portugaise à la société Française et que la contribution attributive de juridiction était valide.
Bien sûr, la société Française ne partageait pas cette analyse.
Il convient de rappeler que la compétence internationale du Juge, au visa de l’article 96 du Code de procédure civile Portugais, doit être entretenue par le Tribunal et constitue, selon le droit Portugais, une exception dilatoire de connaissance d’office.
Quelle compétence internationale du juge ?
Le Tribunal de commerce de Coimbra rappelait en tant que de besoin que le demandeur et le défendeur sont des sociétés commerciales qui se sont établis l’une avec l’autre, la première étant basée au Portugal et la seconde en France.
Il apparaissait important d’apprécier la compétence de la juridiction Portugaise où l’action avait été entendue pour effectivement connaitre le litige.
Le Tribunal de commerce de Coimbra rappelle que l’article 37 § 2 de la loi 62/2013 prévoit que le Droit procédural définit les éléments dont dépend la compétence internationale des juridictions judiciaires.
La compétence est fixée au moment de l’introduction de l’action et les changements de faits intervenus ultérieurement sont sans pertinence, sauf dans les cas spécifiquement prévus par la loi.
L’article 59 du Code de procédure civile prévoit que sans préjudice, ce qui est établi dans les règlements Européens ou autre instrument internationaux, les juridictions Portugaises sont internationalement compétentes lorsque l’un des facteurs de rattachement visé aux articles 62 et 63 est présent ou lorsque les parties leur ont attribués compétence en vertu de l’article 94.
Il convenait dès lors de s’intéresser aux dispositions Européennes puisque, les parties étant basées dans les états membres de l’Union Européenne, il convenait de se référer aux règles du règlement UE N°1215/2012 du Parlement Européen et du conseil du 12 décembre 2012 relatif à la compétence juridictionnelle sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Il convient également de reciter l’article 7 § 1 du règlement UE N°1215/2012 du 12 décembre 2012 relatif à la responsabilité contractuelle qui vient également déterminer les compétences juridictionnelles tel que le rappelle d’ailleurs un arrêt de la Cour d’appel de Lisbonne du 14 mars 2023 qui rappelle que, s’il ne ressort pas des termes du contrat que les parties ont conclu un accord sur le for compétent, l’action peut être intentée au lieu du domicile du défendeur domicilié sur le territoire d’un état membre ainsi que du lieu de l’exécution de l’obligation, en cas de vente ou en vertus d’un contrat, ou du lieu où les biens doivent être fourni ou bien dans le cadre d’une prestation de service (ce qui était le cas), l’endroit, le lieu dans un état membre ou en vertus de la relation contractuelle où le service a été rendu ou devait être fourni.
La détermination des lieux d’exécution des prestations de service
Or, immanquablement, la société Française vivant dans le Var et ayant son siège social dans le Var, les lieux d’exécution des prestations de service en question avaient lieu dans le Var, de telle sorte que l’autorité Portugaise ne pouvait être valablement compétente.
Comme le souligne d’ailleurs très justement le Tribunal de commerce de COIMBRA, celui-ci souligne que la demande de la demanderesse tendant à obtenir une ordonnance à l’encontre de la défenderesse est fondée sur un contrat signé entre les parties en vertus duquel la demanderesse s’est engagée à la demande de la défenderesse à fournir des services exécutés à son siège et dans divers endroits en France.
Ainsi, s’agissant de la compétence, il ne fait aucun doute que dans le cadre d’un marché de fournitures, lorsque plusieurs services ont été fourni, la juridiction de l’état membre, ou en vertus du contrat, les services ont été ou auraient dû être fourni en France, c’est bien celle-ci qui est compétente dès lors que les services fournis par la demanderesse à la défenderesse ont été fournis dans l’usine de cette dernière située dans ce pays.
Qu’en outre, et ce au visa de l’article 94 du Code de procédure civile Portugais, une convention attributive de juridiction doit comporter sans équivoque un engagement des deux parties, de sorte qu’il n’existe aucun doute quant à l’acceptation du for désigné dans une telle convention.
En l’espèce, comme le souligne très justement le Tribunal de commerce de COIMBRA, un tel accord se traduirait par la simple mention de l’attribution de compétence dans les factures émises par la demanderesse à la défenderesse.
Or, il a été jugé à l’unanimité que la mention présente en final que, en cas de litige, le seul for compétent serait le Tribunal d’ARGANIL avec renonciation à tous les autres.
Étant précisé que rien ne laisse à penser que cette stipulation du for compétent a été acceptée par la partie adverse.
Il convient de citer la jurisprudence Portugaise, notamment un arrêt de la Cour suprême de justice du 19 novembre 2015 qui précise que :
« Même s’il est émis qu’une telle offre peut être tacitement acceptée ou respectée, le seul fait que la partie qui a reçu une facture portant une telle mention a acceptés ou payés les montants correspondants aux prestations auxquelles elles ont le droit ne constituent pas un comportement concluant et il ne saurait être déduit de son silence sur la question de la compétence qu’elle accepte la proposition de convention attributive de juridiction. »
De telle sorte que, dans telles circonstances, il serait contraire au principe de bonne foi de rechercher à déduire du silence de la partie l’acceptation de la convention attributive de juridiction envisagée couvrant non seulement les litiges nés des livraisons donnant droit à chaque facture par laquelle cette référence avait été insérée, mais également tout ce qui pourrait découler de la relation de concession commerciale, complexe et fondamentale existant entre les justiciables.
Un autre arrêt précise encore, Cour d’appel de Lisbonne du 16 décembre 2021, que l’article 25 § 1.A du règlement UE N°1215/2012 impose l’exigence de la forme écrite pour la validité de la convention attributive de juridiction qui comporte des raisons sous-jacentes de sécurité juridique visant à garantir que les parties sachent ce qu’elles conviennent ainsi que les conséquences découlant du choix libre et éclairé qu’elles font.
Supposons, comme son nom l’indique, un accord de volonté, ce qui ne suffit pas à une communication unilatérale de l’une des parties contractantes à l’autre.
Ainsi, une simple référence dans les factures envoyées à des conditions générales de vente auxquelles il est fait référence de manière générale sans aucune indication spécifique quant au choix du Tribunal pour régler les litiges nés de cette relation commerciale qui peuvent être consultés sur le site internet du vendeur ne constituent pas une proposition claire de convention de for à laquelle la partie adverse ne pourrait adhérer sciemment à la convention.
Elle n’est pas conforme au principe de la bonne foi que les parties sont tenues de respecter, tant dans l’information, que dans l’exécution de leur contrat.
De telle sorte que le Tribunal de commerce de COIMBRA considère qu’il n’y a aucune donnée dans le dossier de la société Portugaise qui indique l’acceptation du for par le défendeur et il n’est pas entendu que le paiement des montants des factures ou le silence de ce dernier constituent une acceptation tacite, de sorte qu’un tel choix du for apparait invalide.
En effet, il est entendu que le Tribunal du domicile du défendeur est compétent pour connaitre de la présente action qui correspond d’ailleurs au Tribunal du lieu d’exécution de l’obligation contractée, c’est-à-dire, du lieu où les services ont été fourni ainsi qu’il ressort des factures jointes au dossier par le demandeur.
C’est dans ces circonstances que, compte-tenu de ce qui précède, l’expression dilatoire d’incompétence internationale de la Cour est accueillie et, par conséquent, l’acquittement de la société Française est prononcé conformément aux dispositions des articles 96, 97, 98 et suivants du Code de procédure civile Portugais et des articles 4, 7 et 25 du règlement UE N°1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012.
De telle sorte que, tel est pris qui croyait prendre.
En effet, la société Portugaise pensait espérer, par le truchement d’une ordonnance en injonction de payer tenue sur la seule base d’une requête non contradictoire, sans permettre à la société Française de s’expliquer et d’apporter des réponses quant aux contestations qu’elle pouvait émettre sur le fond quant au bienfondé de cette créance importante de plus de 240 000.00 €, a été fort heureusement accueillie à la lueur des règles de procédures Européennes et de compétence internationale au niveau Européen.
De telle sorte que le Tribunal de commerce de COIMBRA a très justement rejeté cette procédure qu’a tenté de faire clairement la société Portugaise dans le dos de son partenaire Français.
Cela est donc salutaire.
Immanquablement, le contentieux sur le fond va redémarrer du côté Français.
Je pense qu’immanquablement un nouvel article sera amené sur ce sujet de ces relations commerciales établies entre entreprise Portugaise et entreprise Française dans le cadre d’une nouvelle chronique jurisprudentielle liée à une décision Française cette fois-ci.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,